305 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 janviori79l.] (L’Assemblée ordonne l’insertion de cette lettre dans le procès-verbal.) M. le Président fait lecture d’une lettre delà société des amis de la Constitution de Cherbourg, adressée à l’Assemblée nationale, par laquelle cette société lu prie instamment de rappeler dans ! son sein M. Beaudrap, l’un de ses membres, dont les démarches inconstitutionnelles lui sont déuoncées par les clubs de Coutances et de Valognes. (L’Assemblée ordonne que copie de cette lettre sera envoyée à M. Beaudrap. ) Un de MM. les secrétaires fait ensuite lecture du procès-verbal de la séance de la veille, qui est adopté. M. Camus, au nom, du comité d’aliénation, propose la vente des biens nationaux àdiverses municipalités du département de Saône-et-Loire et de la Côte-d’Or. L’Assemblée rend le décret suivant : « L’Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait, par son comité de l’aliénation des domaines nationaux, des soumissions faites par les municipalités de Losne, Ghaugey et Maison-Dieu, Saint-Ambreuil, Buuzeron, l’Alheue, Saint-Désert, Varennes, Dracy-le-Fort, Saim-Loup-de-Varennes, Chalon-sur-Saône, Dijon, Suulieu, Semur-en-Auxois, Beaune et de Chaunes, en exécution des délibérations prises par le conseil général de leur commune, pour, en conséquence du décret du 14 mai 1790, acquérir, entre autres domaines nationaux, ceux dont les états sont annexés à la minute du procès-verbal de ce jour, ensemble des estimations ou évaluations faites desdits biens, en conformité de l’instruction décrétée le 31 dudit mois de mai dernier ; « Déclare vendre les biens ci-dessus mentionnés, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai, et pour les prix ci-après, savoir : A la municipalité de Losne, Ghaugey et Mai-sou-Dieu, département de la Côte-d’Or, pour la somme de ............. 25,914 1. 16s. >d. A celle de Saint-Am-A celle de Beaune, même département.... 1,819,666 11 » A celle de Chaunes, même département.... 46,517 10 » « Le tout payable de la manière déterminée par le même décret, et suivant les décrets particuliers qui sont annexés à la minute du procès-verbal de ce jour. » M. le Président annonce à l’Assemblée le résultat du scrutin d’hier pour la nomination d'un président. M. l’abbé Grégoire, ayant obtenu la majorité des suffrages, est élu président de l’Assemblée et remplace M. Emmery au fauteuil. Présidence de M. l’abbé Grégoire. M. le Président. J’ai l’honneur de faire part à l’Assemblée de la note suivante que j’ai reçue de M. le ministre de la justice : « Le roi a donné, le 9 de ce mois, sa sanction aux décrets suivants : « 1° Au décret de l’Assemblée nationale du 29 décembre, relatif au mot françaises , omis dans le décret du 20 novembre, pour l’envoi des troupes à Avignon ; « 2° Au décret du 30 décembre, relatif à la caisse de l’extraordinaire, à rétablissement des bureaux ; <• 3° Au décret du même jour, concernant les proprietaires d’offices supprimés, qui voudront user de la faculté d’employer la moitié du prix de leur finance en acquisition de domaines nationaux ; « 4° Au décret du même jour, relatif à l’établissement et à l’organisation des bureaux de la direction de liquidation ; « 5° Au décret du 1er janvier, présent mois, portant que le sieur de Weyland-Stahl pourra établir à ses frais des nitrières et fabriques de salpêtre, comme aussi construire à ses frais un moulin à poudre ; « 6° Au décret du 4, relatif au serment prescrit par le décret du 27 novembre dernier ; « 7° Et enfin au décret du 7, relatif aux vacances des évêchés et des cures pendant l’année 1791, et au choix des vicaires. « Le ministre delà justice transmet à M. le président les doubles minutes de ce décret, sur chacune desquelles est la sanction du roi. « Signé : M. L. F. Duport. « Paris, le 15 janvier 1791. » M. Vieillard. Messieurs, lorsqu’il était question de nommer un rhéteur dans l’université de Reims, elle nommait trois sujets, les présentait à l’évêque. Aujourd hui il est impossible de donner cette charge à M. l’évêque de Reims qui, n’ayant point prêté son serment, se trouve déchu de son évêché; en conséquence, je crois qu’il serait fort sage de décréter, jusqu’à ce que l’Assemblée nationale ait décidé les bases de l’instruction publique, qu’il sera sursis dans toutes les universités à toute élection et nomination de tous officiers. Un membre demande le renvoi de cette motion au comité de Constitution. (Ce renvoi est ordonné.) I M. Gossin, au nom du comité de Constitution, 20 lra Série. T. XXII. (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, |18 janvier 1791.] m propose le projet de décret suivant, qui est adopté : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution sur les pétitions des assemblées administratives des départements de la Manche, de l’Indre, des Bouches-du-Rhône, de la Meuse, de Saône-et-Loire, de la Charente, du Loiret, des Deux-Sèvres, des communes de Montauban et de Villeneuve-le-Roi, décrété ce qui suit : « Il sera nommé deux juges de paix dans le canton de Coutances. « Il sera établi des tribunaux de commerce dans les villes de Ghâteauroux, lssoudun, Ta-rascon, Martigues, la Giotat, Angoulême, Tour-nus, Orléans, Montargis, Niort et Montauban. « Les juridictions consulaires actuellement existantes dans quelques-unes de ces villes continueront leurs fonctions, nonobstant tous usages contraires, jusqu’à l’installation des nouveaux juges qui seront élus, installés, et qui prêteront serment dans la forme établie par la loi sur l’organisation de l’ordre judiciaire. La municipalité de Viliefolle, district de Joigny, département de l’Yonne, est supprimée et réunie à celle de Villeneuve-le-Roi. « Il sera, en conséquence, procédé à l’élection d’une nouvelle municipalité pour lesdits lieux. « La paroisse de Rallay demeurera unie au district de Loudun, département de la Vienne. » M. Pezous, qui avait obtenu un congé de six semaines le 1er décembre dernier, fait part à l’Assemblée de son retour et remet son congé sur le bureau. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur les jurés. M. Prugnon (1). Messieurs, deux transactions vous ont été présentées : Tune par le comité, l’autre par M. Troncliet. M. Duport, au nom du comité, a proposé, il y a quelques jours, de transiger sur le principe absolu. Je lui observe d’abord que le principe est comme une jolie femme : lorsqu’elle capitule, elle est bien près d’être prise. {On rit.) Il faut, dit-il, eesacnlice dans la délicatesse du moment. Qu’il me permette de lui observer qu’une loi constitutionnelle n’est pas faite pour le moment, mais pour le temps; que lorsqu’elle ne convient pas au moment, on la décrète constitutionnellement, mais on en suspend l’exécution. Ce principe tombe donc, sous ce premier rapport, dans une grande inconséquence, et je demande sur la transaction la question préalable. Reste maintenant la transaction de M. Tron-cbet. Je crois, Messieurs, que le nouveau mode qu’il a adopté est inférieur en bonté à celui qu’il avait présenté le 5 janvier. Aussi je viens demander la question préalable contre la proposition de M. Troncbet pour appuyer sa première proposition. Première question à discuter. La conviction morale est-elle supérieure à la certitude que peut présenter la preuve qu’on appelle légale, et faut-il s’en tenir à cette conviction ? Seconde question. La preuve écrite est-elle destructive de l’institution des jurés ? Enfin, en adoptant la procédure mixte, conservera-t-on dans tous les cas le moyen de convaincre les té-(1) Nous empruntons ce document au Journal logo-graphique , t. XX, p. 170. moins de parjure et d’user de la voix de la révision? Comment la levision se lance-t-elle dans l’homme? Sans me jeter, Messieurs, dans des discussions métaphysiques que l’on ne peut saisir que de ta pointe de l’imagination et qui échappent dès qu’on en fait l’analyse, je crois pouvoir dire qu’il y a nécessairement deux convictions : la conviction sentie et la conviction raisonnée. Faut-il préférer la première à la seconde, l’instinct à la raison, et lorsque Ton a deux moyens d’arriver à la vérité, peut-on se réduire à un seul? Le comité n’est-il pas un peu le peintre de la chimère? A l’entendre on croirait que la vérité va sortir de tous les pores des témoins et de l’accusé; que, les témoins seront là pour la tenir dans leurs mains, qu’iis la tiendront dans leurs mains bien fermées jusqu’au moment où ils se retireront pour délibérer, et, par cette opération magique, on ne verra plus ici un innocent condamné ni un criminel absous. Que Platon ait dit cela il y a bien des années et sous le règne des doctrines occultes, je trouverai cela très convenable; mais qu’à la veille du dix-neuvième siècle on le propose, je m’écrie : 0 altitudo ! Il reste à l’homme un instrument très précieux, c’est sa raison; ne doutez pas qu’il s’en serve dans l’occasion la plus intéressante. Je dis qu’il ne pourra pas s’en servir, si les dépositions ne sont pas écrites pour lui servir de point de ralliement. Juger, c’est comparer ; ainsi pour bien juger il faut avoir sous les yeux les points de comparaison immuables. Si les objets qu’il s’agit de comparer sont absents, comment asseoir un jugement solide, comment combiner ces dépositions entre elles, et sans ces combinaisons, où est le moyen de juger? Ce juré sera-t-il sûr le lendemain qu’il a bien décidé? S’il n’y a plus de (races, comment retrouver la route qu’il a prise? Tout réside donc dans sa volonté intérieure. Mais cette volonté ne laisse pas d’être dans les intervalles des séances, et ces intervalles vont être fréquents et de plusieurs jours, si toutes les affaires étaient assez simples pour que les témoins pussent être entendus et la preuve présentée dans le même jour, je conçois que les hommes qui auront en général le cœur juste et le sens droit pourraient prononcer sur le fait et dire : l’accusé est coupable ou non ; mais dans une procédure un peu chargée, les témoins entendus aujourd’hui qui seront assez éloignés pour ne pouvoir être entendus que sous 3, 4 et même 15 jours, pendant les 15 jours comment la mémoire des jurés conservera-t-elle non pas seulement la déposition des premiers témoins, mais les débats entre eux, l’accusé et son conseil? Quand ensuite il faudra ajouter et de nouvelles dépositions et de nouveaux débats; quand il faudra ordonner et classer tout dans sa tête, cette tâche sera très fort au-dessus des facultés intellectuelles des jurés. Je ne nie point que la conviction morale ne soit précieuse ; mais la question bien précise se réduit à savoir si la question discutée devant les jurés s’oppose à la conviction déjà acquise par l’écriture? Non, sans doute, puisque cette première rédaction sera nette et sommaire, puisqu’elle sera avouée par les jurés et en partie de leur ouvrage. Ainsi quand ils se trouveront dans leur chambre, il sera à peu près possible qu’ils se partagent dans le sens des dépositions écrites, puisque ce sens aura été partagé devant eux et par eux. Mais s’il était possible desesépaier sur le sens des dépositions écrites, il faut convenir qu’il le serait bien davan tage sur celui des dépositions orales qu’ils auraiententendues