SÉANCE DU 29 GERMINAL AN II (18 AVRIL 1794) - N° 50 29 Ne vous diraient-ils pas : « Nous avions acheté bien chèrement cette noblesse ! » Eh bien, les hommes qui ont acheté des charges de secrétaire du roi, de trésorier de France, et autres... n’ont-ils pas eu aussi l’intention d’acquérir la noblesse ? N’en ont-ils pas joui ? Voudriez-vous traiter plus favorablement ceux-ci parce que la révolution ne leur a pas donné le temps de s’anoblir tout à fait et de transmettre à leurs descendants des privilèges oppresseurs qu’ils ont ambitionnés ? Si vous voulez admettre quelques exceptions, les principes de l’égalité commandent qu’elles ne soient point en faveur de ceux qui ont eu la jnême intention. Faites-les tourner à l’avantage des enfants dont les pères n’ont pas conservé leurs charges le laps de temps nécessaire pour transmettre les privilèges dont ils ont joui. L’on me dira : « Vous voulez donc séparer les familles ?... » Le salut du peuple est la suprême loi ! D’ailleurs rien n’empêche, si la volonté de ceux dont je parle n’est point de rester à Paris, dans les places fortes et villes maritimes, qu’ils suivent leurs pères; je demande la question préalable sur la proposition de supprimer le mot acheté, qui se trouve dans un des deux articles décrétés hier. N. B. Tallien a parlé dans le même sens que Delmas. Nous n’avons pu donner qu’un extrait de son discours, qui ne contient qu’en substance quelques unes de ses observations (1). CHARLIER. D’après de nouvelles réflexions, je conviens moi-même qu’une exception peut être nécessaire; mais je demande qu’elle ne soit qu’en faveur de ceux qui, ayant acheté une charge qui anoblissait, l’ont vendue après n’en avoir joui qu’un court espace de temps. ROBESPIERRE. Je ne prends pas plus d’intérêt que le comité de salut public et la Convention nationale aux personnes qui font l’objet de la discussion actuelle. Si je n’écoutais que l’espèce d’antipathie naturelle aux amis ardents de la liberté contre tout ce qui portait autrefois les apparences même de l’orgueil et de l’aristocratie, je déclamerais peut-être avec plus de force que ne l’ont fait les préopinants contre tous ceux qui ont voulu sortir de la classe respectable du peuple; mais, citoyens, c’est la justice et l’intérêt du peuple qui doivent toujours diriger les délibérations de l’homme public. L’intérêt du peuple veut qu’on n’écoute pas toujours avec complaisance les propositions qui sont en apparence populaires; il exige qu’on adopte de préférence ce qui peut assurer son bonheur et sa félicité. Les comités, croyez-le, citoyens, n’ont rien perdu de leur énergie; j’en atteste les décrets sévères, fulminants qu’ils vous ont proposés; il doit donc leur être permis d’observer que, dans les décrets les plus vigoureux et les plus sévères contre les ennemis de la patrie, il est des mesures à garder, mesures fixées par les principes et par la justice. D’abord, les articles proposés hier par le comité de salut public étaient politiques et justes sous tous les rapports; car on ne peut pas ranger dans la même classe le vil (1) Mon., XX, 273; rétablissement postérieur de l’intervention de Delmas. intrigant et celui qui a fait retentir les tribunaux de ses prétentions à la noblesse, et l’homme qui n’a eu qu’un moment la velléité d’être noble. Le membre qui vous a proposé l’amendement a senti lui-même la difficulté de son exécution; aussi vient-il de se rétracter lui-même, et demander que cet amendement ne fût applicable qu’à ceux qui avaient joui effectivement des privilèges de la noblesse. D’autres considérations doivent vous déterminer à rejeter cet amendement : c’est qu’il envelopperait dans la loi une infinité de personnes que vous n’avez pas voulu atteindre. On ne parle dans ce moment-ci que des secrétaires du roi; mais il existait une multitude de charges créées par le génie de l’ancien régime, qui donnaient le titre de noble à ceux qui les possédaient, et qui cependant avaient pour objet des fonctions utiles, des magistratures nécessaires à l’ordre social. On avait attaché des privilèges à ces charges, parce que le gouvernement, qui trafiquait de tous les emplois, vendait jusqu’au droit respectable de rendre la justice et d’être utile à ses concitoyens. Le comité a pensé que, si vous laissiez subsister cet amendement, vous détruiriez toute la vigueur et l’énergie de la loi que vous avez rendue. En effet, les individus qu’elle envelopperait se multiplieraient à l’infini, et formeraient une ligue bien plus puissante pour demander des exceptions que vous seriez peut-être forcés d’accorder. Ainsi, pour l’intérêt véritable du peuple et pour que la loi demeure intacte, il faut que vous la restreigniez dans de justes bornes. Citoyens, en parlant en faveur de l’amendement, on peut se donner l’avantage d’une sévérité apparente contre les ennemis du peuple; mais le devoir du véritable ami du peuple est de le servir sans le flatter. Je demande que l’amendement qui a été adoptée hier soit interprété ainsi que l’a proposé Couthon (1). « La Convention nationale décrète que les deux articles additionnels à la loi sur la police générale, présentés dans la séance d’hier par le comité de salut public, demeurent définitivement adoptés tels qu’ils ont été proposés par le comité, sans l’addition du mot acheté proposé par amendement, et renvoie cet amendement à l’examen du comité pour lui en faire un rapport » (2) . COUTHON. Il y a d’autres observations à faire sur un des principaux articles de la loi. L’article VIII porte : « Les étrangers marchands détaillants, établis avant la promulgation du présent décret, etc. ». Votre comité a pensé que, si vous borniez cet article à ces termes, votre intention, qui est d’expulser les ennemis de la république, ne serait pas remplie; car quel est l’étranger qui ne trouvera pas un ami assez officieux pour lui prêter un magasin afin qu’il puisse dire qu’il n’est pas compris dans la loi. Votre comité a pensé que vous deviez favoriser les marchands détaillants de bonne foi. Or il est impossible de ranger dans cette classe (1) Mon., XX, 251. (2) P.V., XXXV, 305. C. Eg., n° 610; Ann. p atr., n° 473. 30 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE celui qui, pour se soustraire à la loi, se sera fait marchand depuis deux jours. Le comité propose de faire remonter l’époque de son établissement avant la révolution. Voici l’article qu’il vous propose à ce sujet. L’article que propose Couthon est adopté en ces termes : (1) . « La Convention nationale décrète que l’article VIII du décret rendu dans la séance du 27 germinal, sur la police générale, demeurera définitivement rédigé dans les termes suivants : » Les étrangers ouvriers vivant du travail de leurs mains, antérieurement à la loi du mois d’août (vieux style), relative aux mesures de police contre les étrangers; ceux des étrangers seulement qui seront reconnus pour avoir été marchands détaillans antérieurement au mois de mai 1789, les enfans au-dessous de quinze ans, et les vieillards âgés de plus de soixante-dix ans, sont pareillement exceptés (2). 51 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MONNOT, au nom de] son comité des finances sur l’état des recettes et dépenses ordinaires et extraordinaires faites par la trésorerie nationale dans le courant de ventôse dernier, qui a été fourni par les commissaires de la trésorerie nationale, décrète ce qui suit : » Art. I. — Le contrôleur de la caisse générale de la trésorerie est autorisé à retirer, en présence des commissaires de la Convention, des commissaires et du caissier-général de la trésorerie, de la caisse à trois clefs, où sont déposés les assignats nouvellement fabriqués, jusqu’à concurrence de la somme de cent quatre-vingt millions quatre cent cinquante-six mille huit cent trente-deux livres, pour remplacer les avances que la trésorerie nationale a faites dans le cours de ventôle dernier, savoir : » 1°. 23,589 liv. pour les dépenses de l’année 1790; » 2°. 843,238 liv., pour le remboursement de la dette exigible; » 3°. 506,842 liv., pour les arrérages de ladite dette; » 4°. 156,226 liv., pour les dépenses particulières de 1791; » 5°. 129,349 liv., pour les dépenses particulières de 1792; » 6°. 190.685,999 liv., pour les dépenses de 1793; et an deuxième; » 7°. 8.001,527 liv., pour avances à la charge des départemens; » 8°. Enfin 19.899,938 liv., pour remplir le déficit de la recette. » Les assignats sortis de la caisse à trois clefs seront remis de suite, en présence des mêmes commissaires, au caissier-général de la tréso-(1) Mon., XX, 251. (2) P.V., XXXV, 305. Minute de la main de Couthon (C 296, pl. 1012, p. 1). Décret n° 8825. Reproduit dans C. Univ., 30 germ. et 1er flor.; Batave, n° 428; J. Perlet, n° 574; Débats n° 576, p. 477; J. Mont., «° 156 et 157; C. Eg., 609; Rép., n° 120; M.U., XXXIX, 9-11, Bin, 29 germ. rerie nationale, qui en demeurera comptable. » Le contrôleur de la caisse-générale de la trésorerie dressera, sur le livret à ce destiné, procès-verbal des sorties et remises qu’il fera en exécution du présent décret. » Ledit procès-verbal sera par lui signé, ainsi que par les commissaires présens, et par le caissier-général de la trésorerie nationale »(1). 52 BARERE, au nom du comité de salut public : Citoyens, si les hommes pervers qui s’étaient attachés à contre -révolutionner toutes les mesures de salut public prises par la Convention nationale n’avaient pas été frappés par le glaive de la loi, nous ne viendrions pas vous proposer aujourd’hui une mesure qui pourrait servir à dégrader les forêts ou à dénaturer des terres servant à des pâturages. C’est ainsi qu’on a vu des hommes courant les départements pour dégrader les monuments publics, sous prétexte d’effacer des marques féodales; c’est ainsi qu’on a vu de prétendus révolutionnaires arracher les arbres des jardins, sous prétexte d’y faire planter des pommes de terre. Mais ces inconvénients ont déjà diminué sensiblement depuis les exemples que la justice révolutionnaire a fait à Paris; c’est le moment que le comité a cru plus convenable pour proposer une mesure nécessaire pour le salpêtre et pour plusieurs arts utiles à la défense de la république. Jamais aucune révolution n’a présenté le spectacle d’un peuple devenu subitement chimiste, physicien, fondant des canons et fabriquant des salpêtres avec plus d’activité et autant de talent que les hommes les plus exercés dans ces différents arts. Il s’agit dans ce moment d’encourager la fabrication des salins et des potasses nécessaires à la préparation des salpêtres; il s’agit de l’encourager par tous les moyens compatibles avec les besoins de l’agriculture et la conservation des forêts. Voici quelques observations rapides sur les motifs du projet de décret que je viens de présenter. Le salin est un sel qu’on retire des cendres de bois et de plantes, en les lessivant et en évaporant ces lessives à siccité. La potasse est le salin calciné. Ces idées élémentaires sont connues; on n’insiste pas. On a besoin de salin et de potasse pour le salpêtre et pour beaucoup d’arts. C’était le commerce qui fournissait la potasse jusqu’ici; elle a plus de valeur que le salin. Cependant ce dernier peut suffire pour la fabrication du salpêtre. On n’a fait jusqu’ici que du salin en France, mais trop peu abondamment pour les besoins actuels de l’exploitation du salpêtre. Cet art était une routine pour quelques habi-(1) P.V., XXXV, 305. Minute de la main de Monnot (C 296, pl. 1012, p. 3). Décret n° 8827. Reproduit dans Débats, n° 576, p. 478; Mon., XX, 256; J. Perlet, n° 574. Mention dans M.U., XXXVIII, 476 et XXXtX, 11; J. Sablier, n° 1266; C. Eg., n° 610, p. 153.