546 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1790.] rées, tant des exemples anciens que des circonstances actuelles. Celui qu’on vous donne pour le meilleur des rois, a-t-il dit, Henri IV, à la veille de sa mort, était, au moment de livrer son royaume à une guerre désastreuse et de le sacrifier ainsi à une misérable passion ; et voilà, Messieurs, comme la calomnie essaie ses traits impuissants sur ce qui a été l’objet du culte et de l’amour des Français. C’est ainsi que de lâches écrivains qui figurent aujourd’hui dans vos clubs patriotiques, vils adulateurs de la tyrannie populaire, comme ils l’étaient il y a peu d’années de la tyrannie des rois, ont cherché à verser leur poison sur la mémoire des Tiles, des Trajans et des Marc-Aurèle. Aujourd’hui c’est le grand Heuri qu’on ose inculper ; c’est l’attentat horrible de Ravaillac, sur lequel on ose vous proposer des consolations. M. Charles de SLameth. Cette inculpation est trop importante pour que je n’aie pas le droit de demander la parole. (Plusieurs membres demandentqu’on rappelle à l’ordre M. de Montlo-sier. — M.le président veut le rappeler à l’ordre.) M. de Montlosier. M. le président, je dois vous observer que j’ai encore plusieurs phrases de ce genre... (L’Assemblée, consultée, décide que M. de Mont-losier doit être rappelé à l’ordre.) M. Caborde de Méréville. Au moment où M. de Montlosier a été mis à l’ordre par un décret de l’Assemblée, pour avoir en quelque sorte calomnié l’opinion de M. deLameth, il a annoncé qu’il avait encore plusieurs phrases du même genre. Je demande formellement qu’il soit tenu d’en purger son opinion. M. de llontlosier. Non, Français, vous ne croirez pas à ces imputations calomnieuses ; l’ombre du grand Henri en a frémi d’indignation. Ha vie domestique et privée put ne pas être toujours exempte de faiblesse; il les couvrit du moins de toutes ses vertus publiques : le héros, le bon prince, «'abandonnèrent jamais l’homme privé, et, quoi qu’on en dise, l’amour de son peuple fut toujours la première passion de son cœur. L’exemple de Henri IV ne peut donc s’attacher en aucune manière à la cause actuelle et je dois dois ajouter que c’est peut-être une grande maladresse de rappeler la mémoire de ce grand homme, pour tâcher de favoriser ici la cause des rois. Les circonstances actuelles ne me paraissent pas offrir plus d’avantage à M. deLameth ; et d’abord, j’oserai lui demander s’il prétend nous donner une constitution de circonstances. Je lui demanderai ensuite de quelle manière il pense nous faire délibérer sur une matière aussi grave. Le peuple français attend de vous, Messieurs, une délibération froide et réfléchie; il s’agit desplusgrandsintérêtsd’un vaste empire, et dans un moment où il serait si essentiel de déposer tous les intérêts particuliers, toutes les passions, toutes les haines, et d’en faire, si j’ose m'exprimer ainsi, un holocauste à la patrie; c’est ce moment que M. de Lameth va choisir pour vous investir d’images ténébreuses, de conspirations d’ennemis à la patrie, de projets de contre-révolution : tout cela orné de je ne sais combien d’exclamations incendiaires qui ont pour but de souffler encore la rage delà guerre au milieu du temple de la paix, de frapper toutes vos imaginations de terreurs, pour maîtriser vos jugements et de vous dominer par la crainte, dans le désespoir de vous entraîner par la raison : et qui sont-ils, que font-ils ces ennemis, ces conspirateurs que vous présentez sans cesse à la haine des Français: qui sont-ils? Ce sont des Français, ce sont vos frères! Que font-ils ? ils souffrent, et ils se taisent. C’est sans doute un grand et un sublime spectacle aujourd’hui que celui de la noblesse française, attaquée dans ses demeures par des brigands, ici traînée dans des cachots, là égorgée, massacrée, dépouillée en même temps par l’Assemblée nationale de ses anciennes propriétés légitimes et insultée encore dans cette Assemblée après avoir été dépouillée. Plusieurs membres à gauche. A l’ordre l’orateur 1 M. le président, rappelez l’orateur à l’ordre ! M. de Montlosier (1). Les voilà ces hommes si ardents envers les ennemis de la patrie, si fiers, si irritables pour leur honneur ou leurs intérêts personnels; les voilà tombant de toutes parts et tournant muets sous le fer de leurs bourreaux. L’un s’oppose à ce que ses soldats le défendent, l’autre en apprenant l’incendie de la maison ne regrette que ,es grains ou les étoffes qu’il avait destinés à soulager les malheureux ; d’un côté, l’acharnement de la fureur, de l’autre la résignation de l’héroïsme : partout on entend les cris des oppresseurs, jamais les plaintes des opprimés, et ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est que, malgré toutes les recherches vexatoires, qui partout ont été si fort multipliées, pas un gentilhomme français qu’on ait osé trouver coupable. Et voilà ces hommes si patients, ces hommes pillés, vexés, proscrits, fuyant de toutes parts une terre malheureuse, ensanglantée de leur propre sang ou de celui de leurs frères ; les voilà ces hommes qu'on vous présente méditant paisiblement sur des tonnes d’or des plans de mort et de destruction ...... Ils ont de l’or, nous dit-on , nous avons du fer ! Vous avez du fer... vous avez du fer. , . Et vous avez aussi des torches !... Ah ! oui, on en a eu du fer, et c’est ce ferqui a assassiné les Rully, les Sainte-Colombe, les Beausset, les Du voisins et tant d’autres ; ah ! oui, on en a eu du fer et c’est ce fer qui a égorgé sous ses yeux, les meilleurs serviteurs du roi et qui a menacé les jours de son épouse. Ah ! oui, vous en avez eu du fer et c’estde ce fer dont sont composées toutes vos lois. Actuellement, Messieurs, j’attaquerai plus directement la question qui vous est soumise ; elle se partage naturellement en deux questions indépendantes. Le roi aura-t-il le droit de faire la paix, aura-t-il le droit de faire la guerre? Le droit de faire la paix, je ne pense pas qu'on songe sérieusement à le lui contester. Il ne reste donc que le droit de faire la guerre qu’on pourrait diviser aussi en guerre offensive et défensive, comme on fait quelques préopinants; mias en y (1) J’ai été rappelé injustement à l’ordre et plusieurs fois menacé de l’être; mais je jure à la France entière qu’aucune considération ne sera capable d’affaiblir mon .courage. Il m’importe de servir mon pays et non pas de plaire à l’Assemblée nationale. Ministre de la nation, mon devoir est de lui dire la vérité, de la lui dire, tout entière, et je puis lui promettre ici que même, au péril de ma vie, elle sortira toujours de ma bouche, toute chaude et toute pure, telle qu’elle est dans mon cœur. ( Note de M. de Montlosier.)