[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 janvier 1791.] 3J 7 partielles, vous n’obvierez à tous ces malheurs qui résultent de la licence affreuse de la presse. (. Murmures ironiques.) Je dis, Messieurs, que vous ne pouvez pas raisonnablement ni décemment donner une information contre une pièce et tolérer l’existence de cent autres. Je vous conjure donc, Messieurs, de vous souvenir que vous avez donné des ordres à votre comité de Constitution, il y a trois mois, de vous présenter une loi sur la licence de la presse; cette loi a été réclamée très fréquemment dans cette Assemblée. M. Cottin. Voilà trois fois que M. Malouet revient à la charge. M. Malouet. J’observe à M. Cottin que je ne suis point accoutumé à me rebuter. Il n’y a ni murmure, ni huée, ni improbation qui puisse me faire renoncer à ce que je crois être juste et nécessaire. Ainsi, Messieurs, je vous annonce que si vous n’y mettez ordre, tous b s jours je répéterai cette motion. Je demande donc, Messieurs, qu’il soit présenté un projet de décret (Murmures.) contre les auteurs et distributeurs de pièces incendiaires, des libelles les plus sanglants, les plus atroces, les plus infâmes.... M. Alexandre de Lameili. Contre nous. M. Malouet. Donnez à votre décret le caractère d’une loi qui s’applique à tous les délits d’un même genre, qui se délibère d’après des principes et non d’après des circonstances particulières. Je demande que les informations soient ordonnées contre tous auteurs de libelles et que le comité de Constitution soit tenu de donner son projet incessamment. S M. Barnave. Messieurs, il me paraît qu’il ne peut y avoir aucune espèce de relation et de comparaison entre le délit qui vous est actuellement dénoncé et la liberté même la plus indéfinie d’écrire, et d’imprimer sur les opinions et sur les personnes. Le délit qui vous est textuellement dénoncé est un faux évident; c’est la simulation, c’est l’imitation mensongère d’un acte public et légal ; car un tel acte chez tous les peuples du monde, et chez ceux même qui respectent le plus la liberté de la presse, a toujours été un délit public et punissable. Cet acte doit donc être poursuivi et puni sévèrement. Gela n’a même aucune espèce de rapport avec la loi demandée au comité de Constitution sur la liberté ou plutôt sur les limites de la liberté de la presse, loi dont la confection, selon moi, doit être encore retardée; car je pense et j’observe par les faits que chaque jour l’opinion se forme à cet égard, que chaque jour, si chacun se persuade que si les calomnies privées doivent être réprimées, l’opinion, la liberté de s’énoncer et d’imprimer même, et sur les choses et sur les personne? publiques, doit avoir la plus grande latitude possible. Mais enfin, par un cours d’événements je ne sais comment dirigés, il arrive qu’aujourd’hui c’est presque exclusivement sur les personnes les plus attachées à la liberté que la calomnie se dirige ; et comme j’aime à croire ces personnes toujours plus attachées à la chose publique qu’à elles-mêmes, malgré les inconvénients et tous les nuages nécessairement passagers que la liberté de la presse peut attirer sur leurs personnes, j’espère qu’à la fin les uns, conduits par leur intérêt, les autres par la vérité, nous nous réunirons à cette grande maxime, qu’il doit être permis de tout dire, de tout écrire, de tout imprimer concernant les hommes publics, parce que l’homme qui a accepté l’emploi imposant, l’emploi honorable, mais délicat, de gérer la chose publique, s’expose ce jour-là volontairement à la censure de ses concitoyens. U n’y a pas de comparaison entre les maux qui résulteraient pour la chose publique de la gêne la plus légère à la liberté de cette censure, et les maux qui peuvent résulter pour les individus des calomnies toujours repoussées surtout par cette puldicité d’actions et d’opinions qui est à la fois la sauvegarde de la liberté pour la nation et la sauvegarde de la réputation. (Applaudissements à gauche.) Je demande donc qu’on adopte la motion de M. Defermon et qu’on passe à l’ordre du jour sur celle de M. Malouet. (Applaudissements.) M. de Rois-Rouvray. Je demande la même loi contre le faux bref qui ordonne aux ecclésiastiques de prêter le serment. (Rires à gauche.) Monsieur le président, il y a un bref faux. M. Malouet. Je demande au moins la proscription de libelles qui conseillent l’assassinat. (Huées et murmures). Nous en sommes inondés. Je demande enfin que l’on mette un terme aux conseils donnés par la voie de l’impression de brûler, de massacrer, d’exterminer tous ceux qu’on prétend désigner par ennemis du bien public; et ceux-là sont sans doute exceptés de la tolérance que demande M. Barnave. Une voix : Dénoncez ces écrits 1 M. Dubois-Crancé. Tout homme qui écrit en faveur de la Révolution pour déterminer le peuple à obéir aux décrets n’est point un libelliste ; mais tout homme qui écrit contre est uu coquin; voiià ce qu’il fallait dire. La motion de M. Defermon est adoptée avec l’amendement de M. Gaultier de Biauzat dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale décrète que la copie du prétendu bref du pape, qui a été représentée à l’instant et déposée sur le Bureau, sera remise au comité des recherches. « Elle charge son président de se retirer vers le roi, pour le prier de donner des ordres à l’effet qu’il soit informé contre les auteurs et distributeurs de ce prétendu bref, dans tous les départements où il a été distribué, et d’écrire à la commune de Rennes, pour lui témoigner sa satisfaction de son zèle et de sa surveillance. » M. Démeunier, au nom du comité de Constitution. Messieurs, la municipalité de Paris doit installer vendredi prochain ses nouveaux juges dont plusieurs sont membres de cette Assemblée. En vertu d’un décret prudent, il n’est pas permis aux membres de cette Assemblée nommés juges de se faire installer pendant la session. Vous n’avez usé de cette précaution que pour ne pas priver l’Assemblée de leurs lumières pendant le temps qu’ils seraient obligés de s’absenter pour leur installation. Mais ici ce n'est plus la même chose : l’installation des juges de Paris prendra infiniment 318 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 janvier 1791.] peu de temps : la municipalité a envoyé au comité de Constitution une délibération par laquelle elle demande s’il n’est pas possible que les membres de l’Assemblée assistent à l’installation ; pour relever l’importance et la solennité de cette cérémonie, elle désirerait que tous E s membres de l’Assemblée pussent y être présents. (Murmures.) Comme le motif du décret prudemment rendu ne subsiste plus ici , je vous propose de décréter cet article : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le comité de Constitution, déclare que son décret du 27 octobre dernier, ayant pour objet de prévenir l’absence de ceux de ses membres qui ont été nommés juges dans les tribunaux de district, ne regarde point ceux qui se trouvent élus aux places de juges dans les tribunaux du département de Paris, et en conséquence que rien ne s’oppose à ce que ces derniers soient installés dès à présent, sans néanmoins qu’ils puissent prendre part à aucune instruction, ni à aucun jugement avant la tin des travaux de l’Assem-bée. » (Ce projet de décret est adopté.) M. Martineau. L’Assemblée nationale, par des raisons particulières, a lardé à statuer sur le sort des juifs dans le royaume; et néanmoins, par son décret du 28 janvier 1790, bien convaincue que ceux qui avaieut déjà l’état civil ne l’avaient pas perdu, elle a ordonné que les juifs portugais, espagnols et avignonnais qui avaient des lettres de naturalisation continueraient à jouir du droit de cité et conséquemment à exer-e< r les droits de citoyens actifs, si d’ailleurs ils réunissaient les qualités prescrites pour cela. Il semble, Messieurs, que d’après ce décret tous les juifs qui avaient des lettres patentes de naturalisation ne devaient éprouver aucune difficulté. Cependant comme dans votre décret vous avez dénommé particulièrement les juifs portugais, espagnols et avignonnais, on en a tiré la conséquence que ce décret était restrictif e t que les juifs qui n’étaient d’aucune de ces trois nations, quoique munis de lettres patentes de naturalisation, ne pouvaient pas jouir des droits de citoyens actifs. Les juifs des autres pays qui ont des lettres patentes vous supplient, Messieurs, de vouloir bien déclarer que l’intention de l’Assemblée nationale n’a point été de restreindre, mais que son décret s’applique indistinctement à tous les juifs qui ont obtenu des lettres patentes de naturalisation. Voici, en conséquence, le projet de décret que j’ai l’honneur de vous propuser : « L’Assemblée nationale, sur ce qui lui a été exposé que plusieurs juifs, naturalisés français par des lettres patentes, sont troublés dans l’exercice des droits de citoyens actifs, sous prétexte qu’ils ne sont ni portugais , ni espagnols, ni avignonnais, déclare que le décret du 28 janvier 1790 s’applique indistinctement à tous b s juifs de quelque nation et sous quelque dénomination que ce soit, qui ont obtenu des lettres patentes de naturalisation, et que tous ceux qui réuniront d’ailleurs les qualités requises par la loi doivent jouir des droits de citoyens actifs. » Un membre: J’observe que le projet de décret du piéopinaut est conforme aux avis donnés par le comité de Constitution, sur des demandes particulières qu’on lui a faites. M, de Tonstaia de Wiray. Il s’agit de l’exécution d’une loi ; les juifs doivent donc s’adresser au roi. M. Aïquier. Je demande que l’on consulte les convenances locales. Il est important de ne pas accorder, dans ce moment, aux juifs d’Alsace, la faculté que l’on réclame en grande partie pour eux en ce moment. Je demande donc le renvoi au comité de Constitution. M. de Broglie. C’est avec surprise que j’entends renouveler à cette tribune une proposition relative à un objet que vous avez si sagement ajourné depuis plusieurs mois ; je ne suis pas moins étonné, je l’avoue, qu’un membre du comité ecclésiastique, comité auquel cette affaire est entièrement étrangère, se soit permis d’intervertir l’ordre du jour indiqué, pour faire une proposition aussi dangereuse en elle-même que déplacée dans la circonstance. Je vais, en très peu de mots, vous en dévoiler les inconvénients et motiver les raisons qui me font demander avec instance que cette proposition soit de nouveau ajournée et renvoyée au comité de Constitution, déjà saisi de tout ce qui a rapport à cette grande question. L’objet de la demande actuelle tend d’une part à donner une grande extension aux droits précédemment acquis par quelques juifs, puisque les droits de cité ou de bourgeoisie ne peuvent assurément en aucune manière se comparera ceux qu’entraîne maintenant avec elle la qualité de citoyen actif; d’un autre côté, en ne se restreignant pas aux termes du décret précédemment rendu en faveur des juifs portugais, avignonnais et espagnols, on jette l’alarme dans les ci-devant provinces de Lorraine et d’Alsace, qui assurément n’ont pas besoin dans ce moment de ce nouveau germe de chaleur et de fermentation : et s’il m’est permis de parler ici ouvertement de ce qui concerne particulièrement l’Alsace, je vous dirai que toute cette intrigue est ourdie depuis longtemps, par quatre ou cinq juifs puissants, établis dans le département du Bas-Rhin; qu’un d’eux, entre autres, qui a acquis une fortune immense aux dépens de l’Etat, répand depuis longtemps des sommes considérables dans cette caphale, pour s’y faire des protecteurs et des appuis; je vous dirai que depuis longtemps la ville de Strasbourg est en fermentation, au sujet des prétentions annoncées par plusieurs de ces juifs; et que jamais la paix publique ne fut plus intéressée, n’exigea plus impérieusement que la proposition qui vous est faite par M. Martineau soit écartée. Je demande donc qu’elle soit ajournée, renvoyée au comité de Constitution, et qu’on reprenne l’ordre du jour, dont, je le répète, il est surprenant que l’Assemblée nationale ait permis qu’on se soit écarté un moment. M. de Folleville. J’appuie cette motion d’autant plus volontiers que, si on adoptait le projet de M. Martineau sous la présidence de M. l'abbé Grégoire, on pourrait en tirer contre fui des inductions malignes : on se plaindrait peut-être de ce que l’on ait attendu sa présidence pour abuser du système de tolérance qu’il professe et qui, sans doute, est très honorable. Un membre : Monsieur, ayant disputé le fauteuil à M. l’abbé Grégoire pour la présidence, la délicatesse aurait dû vous interdire de pareilles réflexions.