[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1789.] 337 Malgré ce jugement, les réclamations recommencent, mais peu à peu l’ordre se rétablit, et la discussion continue. M. Duport propose de renvoyer au bureau. Cette opinion n’a aucun succès. Plusieurs membres prétendent qu’il ne faut pas de déclaration, les autres que celle présentée par le comité des rapports n'est pas convenable. M.*“. Il ne faut pas appeler droits légitimes des droits injustes, et pour la plupart fondés sur la force et la violence. Il ne faut pas parler des droits féodaux; les habitants des campagnes en attendent la suppression, la demandent dans les cahiers, et ce serait les irriter que de faire une pareille déclaration. Un député breton réclame l’exécution de ses cahiers, qui portent que les seigneurs ne pourront forcer leurs censitaires à aucunes déclarations censueiles. M. le Président observe que cette motion est étrangère à celle que l’on agite. Un membre propose un arrêté, en disant qu’il faut se hâter de remédier aux maux actuels ; que bientôt la France sera dans le plus grand désordre; que c’est la guerre des pauvres contre les riches; et que si l’on n’apporte aucun remède à la suspension du payement des impôts , le déficit sera de plus de 200 millions; queM. le contrôleur général se plaint du vide de ses caisses. Il lit le projet suivant : « L’Assemblée nationale, persistant dans son arrêté du 17 juin, ordonne que tous les impôts actuels seront perçus, comme par le passé, jusqu’à ce que l’Assemblée les ait remplacés par d’autres impôts plus justes et moins susceptibles d’inconvénients ; défense à qui que ce soit de s’opposer au payement des impôts, sous peine d’être poursuivi extraordinairement et puni selon la rigueur des ordonnances. « Tous ceux qui attenteront à la liberté et la propriété de chaque individu seront poursuivis par le procureur du Roi ; enjoint à tous baillis, sénéchaux, prévôts de les poursuivre. > Ce projet n’a pas de suite. Après bien des discussions, des contradictions, on admet le plan de la déclaration, et l’on renvoie au comité de rédaction pour en proposer une. Le résultat du scrutin pour la nomination des secrétaires a été en faveur de MM. Fréteau, l'abbé. de Montesquiou et Pétion de Villeneuve. M. Em-mery est élu pour remplacer M. Chapelier, qui avait laissé une place vacante en montant au fauteuil. Un membre du comité des rapports rend compte d’une pétition faite à l’Assemblce par les maires et syndics de Toul, et de différentes municipalités de Lorraine. Dans le pays de Toul, les habitants avaient eu jusqu’à ce jour, en dépôt, des armes qui leur étaient confiées, pour que, dans l’occasion , ils pussent s’armer promptement. Deux ordres , signés de M. de Broglie, les en en ont dépouillés dans une circonstance où ils ont besoin de se mettre en défense contre les brigands qui infestent les provinces. Ils prient PAssemblée, par l'organe de leurs syndics, de vouloir bien se Série, T. VIII. concerter avec le ministre, et obtenir que leurs armes leur soient rendues. L’avis du comité est que la demande doit être accordée. L’Assemblée adopte l’avis du comité. Un autre rapport occupe l’Assemblée. M. l’évêque de Noyon, voyageant avec un ecclésiastique, a été arrêté à son passage à Dôle. Interrogé et visité par l’ordre des officiers municipaux, il a été détenu et l’est encore. Quoiqu’ils n’aient rien trouvé sur lui de suspect, ils ont jugé à propos de le garder à vue jusqu’à ce que l’Assemblée consultée eût décidé de son sort. Le comité a pensé que cette détention était illégale ; il a proposé le renvoi de cette affaire au ministre ; cependant il a pensé qu’il convenait que M. le président écrivît aux officiers municipaux de Dôle, pour leur rappeler les principes. Cette proposition est adoptée. M. Malouet obtient la parole pour une motion d’ordre. M. Malouet. C’est travailler à la constitution, c’est en assurer le succès, que de fixer un moment votre attention sur le nouvel ordre de choses qu’elle va opérer et sur la transition subite de l’état ancien de la nation à un état nouveau. Un plan successif d’améliorations et de réformes dans un nouveau gouvernement laisse le temps de remplir tous les vides, de pourvoir à tous les déplacempnts d’hommes et de choses, et d’ordonner complètement chaque partie à mesure qu’elle subit l’examen du législateur. Mais lorsque, sans autre précaution qu’une volonté toute-puissante, une grande nation passe subitement de la servitude à la liberté ; lorsque tous les abus et ceux qui en profitent sont à la fois frappés du même coup, il se môle nécessairement, Messieurs, à ces nobles efforts du patriotisme un sentiment d’inquiétude et de terreur sur les périls et les désordres momentanés dont un tel ébranlement menace les différentes classes de la société. Nous avons proscrit les fautes et les erreurs de plusieurs siècles; l’expérience et les lumières de tous les âges vont présider à notre Constitution. Mais l’exposition des meilleurs principes est la moindre partie des devoirs et des talents du législateur ; et lorsqu’il ne laisse apercevoir que des motifs et des vues générales, il faut encore qu’il connaisse tous les détails intérieurs et qu’il agisse sur tous les ressorts de la société pour en régler le mouvement, en prévenir les écarts, concilier le présent avec l’avenir, les institutions nouvelles avec les besoins du moment et la vie morale de l’Etat avec son existence physique. Cette réflexion, Messieurs, s’applique à notre position. L’Etat périssait par la multitude et la gravité des abus que vous allez réformer. Mais il n’est peut-être pas un de ces abus qui ne soit actuellement la ressource de ceux qui y participent, et qui ne soit lié à la subsistance de diverses classes de salariés. Un grand , nombre d’emplois ou de fonctions publiques, de grâces non méritées, de traitements exagérés et de moyens abusifs de fortune, doit être supprimé ou réduit. Un nouvel ordre et plus de simplicité dans la régie des finances, dans l’administration de la justice, dans la représentation des grandes places, va influer graduellement sur tous les états, d’où résulteront deux effets certains: l’un dont la perspective ne peut êire 22 338 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1789.] que consolante et salutaire, est la diminution du luxe ; l’autre, plus prochain, plus pressant, est le désœuvrement instantané et la cessation des salaires ou profits d’un grand nombre d’individus, domestiques, ouvriers et employés de toute espèce. De là suit encore la diminution des aumônes pour les pauvres, celle des consommations pour les riches, ce qui occasionnera aussi momentanément une réduction dans les profits des marchands et entrepreneurs. Un vice particulier à la France rend toutes ces réformes aussi nécessaires que leur effet pourrait être dangereux, si on ne se hâtait d’y pourvoir. 11 n’existe dans aucun autre Etat policé, et nous ne trouvons dans l’histoire d’aucun peuple une aussi grande quantité d’officiers publics et d’employés de tous les genres, à la charge de la société, qu’il y en a' parmi nous. D’un autre côté, la diminution du travail et de l’industrie dans les classes productives fait depuis quelques années des progrès effrayants ; plusieurs manufactures et grand nombre de métiers ont été abandonnés dans plusieurs provinces; des milliers d’ouvriers sont sans emploi : la mendicité s’est accrue sensiblement dans les villes et dans les campagnes. Le commerce maritime est frappé de la même inertie. Les étrangers partagent nos pêcheries et notre cabotage. Les armements diminuent, quoique le frêt de nos vaisseaux soit à haut prix, soit que cet état de langueur du commerce intérieur et extérieur dépende de celui de l’agriculture trop imposée et desséchée par les spéculations de l’agiotage, soit qu’il résulte du désavantage de nos relations po-liques avec les puissances étrangères; de cette multitude de règlements et de droits fiscaux qui obstruent tous les canaux de l’industrie, ou enfin de la réduction des capitaux que les agents du commerce y consacrent, parce que le luxe, la vanité, le grand nombre de charges et d’emplois stériles, éloignent malheureusement de tous les travaux productifs les hommes qui s’y sont enrichis ; quelle que soit enfin la cause du mal, il existe, et notre devoir pressant, le grand intérêt national est de le faire cesser. Or, remarquez, Messieurs, que ce mal si funeste, ce désœuvrement de plusieurs salariés, cette diminution de travail et de moyens de subsistance dont nous nous plaignons aujourd’hui, va s’aggraver demain par une cessation de gages et de salaires d’une multitude d’hommes qui subsistaient hier directement ou indirectement de la solde des abus, ou des fonctions publiques, ou des divers revenus que nous allons supprimer ou réduire. Ainsi, par la suite d’un mauvais système de commerce, par tous les vices de notre économie politique et rurale, le désœuvrement, la mendicité, la misère, affligent une portion considérable de la nation : et par la suite de vos opérations, Messieurs, qui tendent au rétablissement de l’ordre, si vous les séparez des mesures et des précautions de détail qu’il est en votre pouvoir d’employer, vous augmenterez infailliblement le désœuvrement, la mendicité et la misère. Il ne s’agit point ici de vaines hypothèses ou seulement de probabilités. Ce sont des faits positifs que je vous annonce. Aucun homme instruit ne peut contester l’état actuel du commerce et des manufactures. Le spectacle des villes et des campagnes, les prélats, les pasteurs charitables, tous les préposés du gouvernement déposent avec moi de la misère publique, et tout observateur attentif des effets momentanés de la révolution présente en voit l’accroissement certain, si vous n’y pourvoyez. 'Sans doute la liberté vaut la peine d’être achetée par des maux passagers ; mais ceux qui en souffriront le plus en jouiront le moins ; et quand un sentiment de justice et d’humanité ne suffirait pas pour nous décider à voler à leur secours, un intérêt puissant, celui de la liberté même, nous y oblige; car elle a deux espèces d’ennemis également dangereux, les hommes puissants et les hommes faibles, les favoris et les victimes de la fortune. Remarquez en effet, Messieurs, que dans tous les âges, dans tous les pays, ceux qui n’ont rien, ceux dont la vie est un fardeau, ont toujours vendu leurs services et souvent leur liberté à ceux qui peuvent la payer. Je me reprocherais, Messieurs, de vous avoir affligés par ces tristes détails, si je ne voyais la réparation possible et prompte de tant de maux ; et c’est alors que mon cœur s’ouvre à l’espérance et à la joie, en apercevant la génération qui nous suit jouir sans orage du superbe héritage que nous lui transmettons. Avant de vous exposer les mesures que je crois indispensables dans les circonstances actuelles, je dois vous rappeler les principes et les moyens qui en assurent le succès. Toutes les dépenses stériles épuisent les nations comme les grands propriétaires. Toutes les dépenses utiles les enrichissent. Toute nation riche et libre peut disposer dans son propre sein, et sans aucun secours étranger, d’un crédit immense qui n’a d’autres limites que ses capitaux ; et l’emploi bien ordonné d’un tel crédit allège ses charges au lieu de les aggraver. Toute dépense intérieure de l’Etat, qui aura pour objet de multiplier Je travail et de répartir les subsistances à tous les indigents, ne sera jamais qu’une charge Fictive pour l’Etat, car elle multipliera effectivement les hommes et les denrées. Je crois. Messieurs, que dans une Assemblée aussi éclairée, ces assertions peuvent être considérées comme démontrées, et qu’il serait superflu de leur donner plus de développement. Je regarde donc comme certain que nous verrons bientôt notre constitution appuyée sur un système de Finances raisonnable et vraiment digne d’une grande nation, qde la ressource ruineuse des emprunts disparaîtra, et que tes moyens des grandes opérations se développeront avec elles. Je reviens maintenant à celles que j’ai à vous proposer ; et si je vous indique une dépense nouvelle, commandée par la nécessité la plus irrésistible, celle-ci a le double avantage d’être au nombre des dépenses productives, et d’appartenir également aux devoirs les plus sacrés de tous les citoyens. Elle peut donc être en partie prélevée sûr leurs jouissances et sur le crédit national, dont la régénération doit bientôt et nécessairement multiplier le numéraire fictif et effectif. Mais examinons d’abord les différentes classes d’hommes sur lesquels doivent frapper les réformes et tous les changements qui se préparent. Je ne parle point des déprédateurs ; s’ils existent, s’ils sont convaincus, tout ce qu’on leur doit gt à la nation, c’est de les punir. Après eux viennent les hommes inutiles et largement payés. 11 en est de tous les rangs ; que justice en soit faite I Mais les salaires modiques des hommes mémo inutiles, les emplois, les fonctions nécessaires ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1789.] [Assemblée a ionale.] qui subiront des réductions, réclament des égards; et la justice, la raison, la dignité même de la législation, en réformant les abus, commandent de sages proportions. L’ordre et ses bienfaits ne se séparent jamais de la modération. Dans cette première classe d’individus directement attaqués, les réformes, les déplacements n’occasionneront que de moindres jouissances, et ce n’est pas là, Messieurs, que je veux porter votre attention et vos secours. Les marchands, fabricants et divers entrepreneurs éprouveront tout de suite une diminution de profits, et déjà il est nécessaire de leur préparer de nouveaux débouchés. Mais c’est la classe indigente et salariée, celle qui ne vit que de ses services et de son industrie, qui mérite toute votre sollicitude. C’est pour elle qu’il faut assurer des subsistances et du travail ; et quelques calculs approximatifs, en réunissant ceux actuellement désœuvrés à ceux qui doivent l’être incessamment, m’en font porter le nombre à quatre cent mille individus. Tel est, Messieurs, l’objet de deux propositions par lesquelles je Unis; travail et subsistance fondés sur les obligations de la société envers ceux qui en manquent, et sur les ressources immenses de la nation pour assurer l’un et l’autre. On propose : qu’il soit établi par les assemblées provinciales et municipales, dans toutesles villes et bourgs du royaume, et dans chaque paroisse des grandes villes, des bureaux de se-* cours et de travail, correspondant à un bureau de répartition qui sera formé dans la capitale de chaque province. Les bureaux de répartition correspondront à un bureau général de surveillance, qui sera permanent à la suite de l’Assemblée nationale. Les fonds des bureaux de secours seront formés de la réunion de tous ceux qui composent les établissements de charité autres que les hôpitaux, et le supplément sera fourni sur les contributions de la paroisse, lesquelles seront remplacées par une taxe équivalente sur tous les contribuables, et par les moyens résultant du crédit national. Aussitôt que les bureaux seront institués, on fera appeler dans chaque paroisse tous les individus dépourvus de travail et de subsistance. Il en sera dressé un rôle exact, contenant les signalement, profession et domicile de chacun, et il sera assuré dans l’instant, à tous ceux qui se présenteront, une nourriture suffisante en argent ou en nature, sauf à employer ceux qui seront en état de travailler dans les ateliers de la paroisse. Dans le cas où il n’y aurait point de travaux publics ou particuliers, propres à occuper les indigents dans la paroisse de leur domicile, il en sera dressé un état au bureau de répartition, contenant leurs nom, âge, qualité, profession, et ledit bureau les distribuera dans la province aux divers entrepreneurs d’arls et manufactures qui voudront s’en charger, et s’adressera pour l’excédant au bureau général de surveillance, dans lequel seront classés, par signalement' et. profession, tous les hommes sans emploi dans les provinces. Le bureau général sera spécialement chargé de prendre, dans les places et chambres de commerce, toutes les informations nécessaires pour le meilleur emploi des hommes qui seront inscrits sans salaire et sans occupation. Ceux qui, sans avoir de profession décidée, seraient susceptibles de servir sur mer ou sur terre, y seront de3tinés ; les hommes