070 (Assemblée nationale.] ARCH IVES PARLEMENTAIRES. [16 octobre 1790.] (On passe à l’ordre du jour.) Une députation des officiers d'administration des îles du Vent est admise à la barre. L’orateur de la députation prononce le discours suivant : « Messieurs, séparés par l’iutervalle des mers, les officiers de l’administration des îles du Vent n’en ont pas moins partagé avec l’Europe entière et payé le juste tribut d’admiration dû à vos immortels travaux ; ils étaient bien loin de se croire au moment de venir eüx-mêmes vous apporter l’expression de leur reconnaissance. Cet honneur est sans doute le premier dédommagement, ainsi que la plus belle récompense de tout ce qu’ils ont souffert pour la cause du patriotisme persécuté. « Us viennent, Messieurs, implorer votre justice contre l’assemblée de la Martinique. Cette colonie, autrefois si florissante, a été, dès les premiers moments de la Révolution, le théâtre de scènes aussi funestes dans leurs effets, qu’affligeantes dans leur principe; au lieu d’y voir tranquillement flotter la bannière sous laquelle tous les cœurs et tous les intérêts de la mère-patrie se trouvent réunis, on a vu déployer l’étendard de la guerre civile. L’olivier de la paix, deux fois présenté aux ennemis de la Constitution par le patriotisme des îles voisines, semblait annoncer des jours plus heureux ? votre décret dil 8 mars ajoutait encore à la confiance des bons citoyens ; mais l’amour-propre, enfin un triomphe odieux dont il nous serait trop pénible de retracer les détails* a replongé la ville la plus peuplée et la plus commerçante des Antilles dans le deuil et dans l’oppression. « Au milieu de tous ces désastres, les officiers de l’administration employés aux îles du Vent, et particulièrement à la Martinique, n’ont cessé de montrer le zèle le plus soutenu pour concourir au rétablissement de l’ordre et à l’exécution de vos décrets. Il n’est point de sacrifices auxquels ils ne se soient dévoués; heureux d’avoir su défendre et protéger les intérêts du commerce de la métropole, ils se félicitaient d’avoir pu soutenir le fardeau du service dans des moments où dénués de tous secours* de toutes ressources, il leur fallait subvenir au prêt des troupes, à leurs réclamations multipliées, aux besoins d’une escadre stationnaire, enfin à l’approvisionnement des magasins du roi. Ils entrevoyaient, avec une satisfaction pure, l’instant où ils allaient jouir du prix de leurs efforts. « Cependant, Messieurs, quelle a été leur récompense ? une assemblée contre laquelle n’a cessé de réclamer la partie de la colonie la plus forte en population, comme la plus importante par son influence sur l’agriculture, une assemblée pour qui tous les droits du citoyen devaient être sacrés ; cette assemblée, au mépris des sages instructions où vous établissiez une ligne démarca-tive entre ses pouvoirs et ceux qui appartiennent au régime extérieur, les a dépouillés de leurs fonctions : elle s’est emparée d’un service, si longtemps pénible, quand elle a été instruite qu’il allait devenir plus facile par l’arrivée prochaine des fonds annoncés; elle s’est chargée de tous les moyens de surveillance lorsque ces moyens devaient être dirigés contre elle-même; elle s’e6t arrogé une autorité que l’exemple seul de la métropole aurait dû lui apprendre à respecter; en un mot, elle s’est faite dispensatrice des fonds que la nation prélève sur ses propres contributions, sur les besoins journaliers* et qu’elle consacre à la protection si nécessaire à son commerce dans ces climats si éloignés. « Mais ce n’est pas là, Messieurs, le seul motif qui nous amène devant votre auguste tribunal, nous venons réclamer avec toute l’énergie dont nous sommes capables contre un acte qui porte avec lui le caractère de l’injustice la plus réfléchie, qui blesse tous les droits de la liberté individuelle et qui montre jusqu’où peut conduire l’abus du pouvoir usurpé. Les chefs d’une administration, nous osons le dire, au-dessus même de la calomnie, se sont vus contraints par une délibération de cette assemblée de s’éloigner d’une colonie, d’où aucune force, si Ce n’est celle de la loi, ne pouvait les arracher; mais injustement dépouillés, leur présence importune eût été sans doute un reproche continuel, et l’on a préféré de consommer sur eux la violation de tous les droits, plutôt que de laisser échapper un bien acquis au prix de tant d’injustices. « C’est, Messieurs, contre cet acte d’un despotisme sans exemple, acte illégal, acte criminel, puisqu’il attaque l’honneur de trois citoyens irréprochables et qu’il laisserait après lui des traces flétrissantes, si vous ne vous empressiez de les effacer; c’est contre lui que nous implorons votre justice; nous la demandons à la face de la nation entière dont notre conduite ne craint point les regards, et nous l’attendons avec cette sécurité que nous inspirent la sagesse et l’intégrité de ses représentants. « Nous déposons sur le bureau les pièces qui peuvent éclairer l’Assemblée dans cette affaire* et si un patriotisme qui, comme notre zèle, ne connaît point de bornes, si un entier dévouement à la chose publique peuvent être de quelque prix à ses yeux après les nombreux tributs qui lui ont été offerts, l’administration des îles du Vent ne se croira pas indigne d’Uü honneur auquel tous les Français ont aspiré ; celui de prononcer ici solennellement le serment d’une fidélité inviolable à la nation, à la loi et au roi. » M. le Président répond : « L’Assemblée nationale est profondément affectée du tableau douloureux que vous venez lui offrir; mais en même temps que vos malheurs excitent toute sa sensibilité, les causes qui les ont fait naître réveillent sa justice ; elle emploiera tous les moyens qui sont en son pouvoir pour que la vérité ne lui échappe pas, et je puis vous promettre, en son nom, que la décision que vous attendez d’elle, ne restera pas au-dessous de l’idée que vous avez justement conçue de sa sagesse et de son intégrité. L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. » M. le Président. L’ordre du jour est la discussion du projet de décret concernant l'emplacement des tribunaux et corps administratifs (1). M. Prugnon, rapporteur , lit l’article premier. M. Bouche demande si le comité entend comprendre dans les dispositions de cet article les hôtels des Etats dans les ci-devant provinces d’Etats. M. Prugnoli répond affirmati veinent. M. l’abbé Maury prétend que la nation ùe (1) Voy. le rapport de M. Pruguop, séanee du 2 octobre, p, 395. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 octobre 1790*) peut disposer des établissements et édifices formés et construits par les ci-devant pays d’Etats et à leurs frais, sans déclarer eu même temps qu’elle se charge de toutes les dettes qu’ils ont contractées. M. Prugnon répond qu’il n’est pas question des dettes générales des ci-devant pays d’Etats, mais seulement des dettes contractées et non encore acquittées pour la construction des édifices et que la nation se charge de la partie de ces dettes encore existantes; qu’il y a parité de raisons pour disposer des hôtels des Etats dans les ci-devant provinces d’Etats, comme des hôtels des commissaires départis dans les ci-devant provinces d’élection, puisque les uns et les autres ont été également édifiés aux frais des provinces qui les possèdent, et qu’il serait injuste de disposer des uns, si en même temps on ne disposait des autres. (On ferme la discussion.) M. l’abbé Maury demande l’ajournement. L’ajournement est rejeté par la question préalable. Un membre propose, par amendement, de joindre et comprendre nommément dans l’article les hôtels ci-devant dits des Etats. M. le rapporteur adopte cet amendement. 11 est proposé alors deux sous-amendements : Le premier ayant pour but d’ajouter à l’article ces mots : « sans rien préjuger sur les dettes des pays d’Etats; » Le second, « contenant la réserve de statuer sur l’emploi du produit de la vente des hôtels des Etats. » Sur ces deux sous-amendements, on demande à passer à l’ordre du jour, ce qui est décrété. On met ensuite aux voix l’article avec l’amendement adopté par M. le rapporteur, et il est décrété en ces termes : Art. 1er, « Les édifices qui servaient à loger les commissaires départis, les gouverneurs, les commandants et autres fonctionnaires publics, ainsi que les hôtels destinés à l’administration des ci-devant pays d’Etats, que les villes justifieront avoir construits sur leurs terrains et a leurs frais seuls, ou avoir acquis sans contribution de provinces, continueront à appartenir aux villes, qui pourront en disposer; et dans le cas où ils auraient été construits sur un terrain national, il sera procédé à une ventilation, d’après les règles reçues; à l’égard des autres, ils seront vendus comme biens nationaux; et, en conséquence, la nation se charge des dettes encore existantes qui ont été contractées par les provinces pour la construction desdits édifices. » M. Prugnon, rapporteur, lit l’article 2 qui est décrété, sans discussion, ainsi qu’il suit : Art. 2. « Les hôtels-de-ville continueront à appartenir aux villes où ils sont situés; et lorsqu’ils seront assez considérables pour recevoir le directoire de district ou celui de département, ou tous deux à la fois, lesdits directoires s’y établiront; ils se réuniront dans la même enceinte, quand le local pourra le permettre, et seront tenus des réparations pour la portion de l’édifice qui sera par eux occupée. M. Prugnon, rapporteur , lit l’article 3 . M. Decrétot demande de comprendre les hôtels des juridictions consulaires dans l’exception des objets à vendre. M. de Foucault propose aussi d’ajouter : « N’entend l’Assemblée nationale comprendre les palais fournis par les ci-devant seigneurs laïcs. » M. Prugnon adopte ces deux amendements et l’article est décrété dànS les termes ci-dessbds : Art. 3. « Les palais de justice ordinaire Continueront à servir à l’üsàge auquel ils étaient destinés, et seront, ainsi que les prisons, à la chargé des justiciables; quant aux édifices occupés par les tribunaux d’exception, autres que Jësdits palais de justice et les juridictions consulaires, ils seront tous mis en vente; n’entend l’Assemblée nationale comprendre les palais fournis par lés ci-devant seigneurs laïcs. >t L’article 4 est lu, mis aux Voix et déèfêtê ainsi qu’il suit : Art. 4. « Lesdits palais de justice ordinaire recevront aussi les corps administratifs, si remplacement est assez vaste pour les contenir et les hôtels-de-ville insuffisants; lesdits corps administratifs en supporteront les réparations dans la proportion qui vient d’être déterminée; et s’il s’élève des difficultés à raison de ces divers arrangements et convenances relatives, les directoires de département v statueront provisoirement et sans délai, à là charge d’en rendre compte ail Gofps législatif, pour y prononcer définitivement. » M. Prugnon, rapporteur , lit l’article 5. M. Bouche. Je demande qu'il n’y ait pas d’exception pour ie logement en faVetif des secrétaires de district et de département. M. Salomon soutient la disposition de l’article à cet égard, par la Considération de l’intérêt public qui exige que les secrétaires des corps administratifs soient à portée» par leur habitation dans l’hôtel même du district ou du département, de veiller au dépôt précieux des pièces intéressantes qui leur sont confiées. M. Lucas répond que cette faveur d’un logement n’est pas nécessaire pour une telle surveillance; que les greffiers des cours de justice ont toujours eu des dépôts de pièces non moins précieux, sans loger dans les palais de justice; que le logement accordé aux secrétaires est susceptible de beaucoup d’abus, dans l’extension qu’on ne manque pas d’y donner» et qu’il est d’ailleurs un motif de jalousie pour tous les autres membres des corps administratifs, à qui l’Assemblée a cru, dans sa sagesse, devoir refuser cet avantage. Il conclut, par amendement, à ce que ces mots, » autres que lej secrétaire », soient retirés de l’article.