ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 124 mai 1791.J 346 [Assemblée nationale.] M. de "Vîsmes, au nom du comité des domaines , présente un projet de décret relatif à la décharge des quittances de finance présentées à la liquidation. Ce projet de décret est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité des domaines, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Toutes les quittances de finance présentées à la liciuidation seront déchargées sur les registres du contrôle général avant la délivrance de la reconnaissance de liquidation, et mention sera faite de la décharge sur lesdites quittances. Art. 2. « Si Tenregistrement indiqué par des quittances de finance ne se retrouve plus, les dépositaires actuels des registres seront tenus de les enregistrer et décharger sur-le-champ, et de certifier, en outre, sur la quittance la non-existence de l’ancien enregistrement dont elle contenait la mention. » (Ce décret est adopté.) M. Chabroud, au nom du comité militaire, fait un rapport sur l'affaire du régiment Royal-Comtois et la sentence j du conseil de guerre de 1773 ; il s’exprime ainw (1) : Messieurs, 33 soldats de divers grades, du régiment Royal-Gomtois, furent cassés par un conseil de guerre, le 12 juillet 1773. Le jugement ajouta la peine de la prison, déterminée, dans sa durée respective, par la diverse étendue des griefs articulés contre eux. En masse, ils furent déclarés convaincus d’avoir formé un parti contre le sieur de la Motte-Geffrard, et le sieur Chemault, lieutenant-colonel et major du régiment ; D’avoir cessé de rendre à ces chefs les devoirs auxquels ils étaient obligés envers eux; D’avoir tenu des assemblées illicites; D’avoir molesté ceux de leurs camarades qui restaient soumis à la loi de la subordination ; D’avoir fait et d’avoir répandu des mémoires séditieux et diffamatoires contre le lieutenant-colonel et le major (2). (I) Ce document n’est pas inséré au Moniteur. (2) Le sieur de Romeicourt est condamné. . . Pour s’être déclaré chef d'uu parti contre le lieutenant-colonel et le major... Pour avoir cessé de leur rendre les devoirs auxquels il était obligé... Pour avoir porté au sieur de Mesme le résultat d’une assemblée illicite, tenue contre ce capitaine, à cause de son attachement à l’autorité légitime... Pour avoir fait dresser..., avoir signé et envoyé un mémoire séditieux contre ses chefs, où non seulement le respect qu’il leur devait est oublié, mais qui n’est rempli que de faits hasardés et d’imputations calomnieuses tendant à faire soupçonner leur probité, qui ont été désavoués par lui-même et par les officiers qui les ont signés... Pour avoir fait écrire ce mémoire par 8 bas-officiers ou soldats. . . Pour avoir engagé tous les officiers à signer ce mémoire. . . Pour avoir fait les démarches les plus fortes pour les y déterminer et leur avoir répondu en son nom des faits qui y étaient contenus. . . Pour avoir envoyé au secrétaire d’Etat un second mémoire signé de lui seul, aussi insubordonné que le premier et rempli d’accusations sans preuves... Et pour avoir enfin répandu une grande quantité de ces mémoires. Les sieurs Chanron, Ladevèze, de Villa, pour s’être trouvés à une assemblée illicite... Pour avoir donné les preuves les plu» marquées d’insubordination... Pour avoir signé les deux mémoires et persévéré dans la cabale. Les sieurs Villaucourt, Mengaud, Tarragon,pour avoir Les soldats condamnés disent qu'ils n’étaient pas coupables, que dans leurs démêlés avec des chefs trop favorisés, s’ils se montrèrent, s’ils firent entendre des plaintes, ce fut quand leur modération céda à une âpre provocation. Ils disent qu’ils avaient été vexés, calomniés; que leurs juges furent enveloppés, circonvenus; que l’intrigue et l’autorité firent tout, là où. la vérité et la justice devaient seules avoir de l’ascendant. Ils disent qu’ils ont constamment élevé la voix contre le jugement; que leurs cris ont été étouffés par la paissance arbiiraire et capricieuse, qui alors disposait de tout en France; que, lorsque les lois ont recouvré leur empire, c’est à l’autorité légitime et réglée de réparer les maux que leur a faits l’autorité usurpée et abusive. En un mot, ils se présentent comme ayant augmenté la liste des victimes immolées par le pouvoir arbitraire. L’Assemblée nationale a entendu leur réclamation, elle a chargé son comité militaire de l’examiner et de lui en rendre compte. Messieurs, pour rendre un compte exact et complet, il eût fallu prendre connaissance d’abord delà procédure et des plaintes qui en avaient été le fondement; c’est ce qui a manqué à votre comité. H a eu recours au ministre de la guerre pour se procurer les documents qui devaient être l’objet de son examen : à peine le ministre a-t-il trouvé des traces de cette affaire. Quelques pièces ont été envoyées de sa part au comité; le détail va vous en montrer l’insuffisance. 1° Un mémoire à deux colonnes, daté de l’Ile de France, 2 avril 1771, signé des sieurs de la Motte et Chemault, où sont articulés d’un côté les griefs prétendus de leurs subordonnés, et d’un autre, leurs explications justificatives ; 2° Une lettre de 5 officiers du régiment, adressée au ministre, avec un certificat relatif à des démarches faites auprès d'eux, pour obtenir leurs signatures sur les mémoires dressés contre les chefs ; 3° La minute ou la copie d’un ordre du roi, daté de mars 1773, qui commet le sieur de Montbarey pour inspecter le régiment de Royal-Gomtois, et ensuite prendre connaissance des troubles élevés entre les chefs et la plupart des officiers subordonnés ; 4° Une lettre du sieur de Montbarey au ministre, où il lui mande avoir entamé l’instruction dont il était chargé; à laquelle est joint un précis du discours qu’il a fait à cette occasion ; 5° Un projet de mémoire pour le roi dont la conclusion est, de la part du ministre, de proposer la formation d’un conseil de guerre, et la désignation des membres dont il sera composé; sollicité leurs camarades de signer le premier mémoire.. . Pour s’être trouvés à une assemblée illicite. . . Pour avoir été les plus échauffés contre les chefs... Pour avoir signé les deux mémoires. . . Pour avoir fait, chacun en particulier, des plaintes sans fondement, et plus que tous les autres capitaines, animé la cabale. Les autres sont taxés d’avoir signé les mémoires ou l’un des mémoires, d’avoir persévéré dans la cabale, d’avoir fait des plaintes particulières. ( Note du rapporteur.) (1) Ce mémoire ne sera pas transcrit parmi les pièces justificatives; il ne paraît pas avoir été produit dans le procès, et le rapporteur n’a pu ni dû en faire usage, ne discutant pas le fond de l’affaire. (Note du rapporteur.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791. j 347 6» Utie lettre du sieur Dumuy, président du conseil de guerre, au ministre, contenant l’envoi de la sentence, laquelle y est jointe (1); 7° Enfin la minute d’une lettre du ministre au président du conseil de guerre, contenant des témoignages de satisfaction sur le jugement. Voilà tout ce que l’on a retrouvé dans les bureaux du ministère. Encore dans tout cela, il n’y a d’authentique que la sentence ; le reste ne présente que des notes informes, n’a été ni visé, ni paraphé ; et par conséquent, n’a pas fait partie de la procédure de 1773, et n’y a pas été employé. Les réclamants n’avouent pas même que le mémoire à deux colonnes contienne le relevé exact de ceux dont on leur fit un crime. Ces pièces cependant n’ont pas été inutiles à votre comité ; à leur défaut, il n’eût été instruit que par l’exposé des réclamants; dans l’attention circonspecte qu’il y a donnée, elles ont servi comme de contrôle à cet exposé. Voici ce que l’on recueille de faits dans cette combinaison. Le sieur de la Motte avait été fait major du régiment Royal-Comtois en 1763 ; déjà quelque mésintelligence était entre lui et les officiers subordonnés, lorsqu’en 1769 il monta au grade de lieutenant-colonel, et celui de major fut accordé au sieur Ghemault. Ce dernier avait auparavant servi avec le sieur de la Motte dans le régiment de Bresse; leur ancienne liaison donna peut-être à l’un des deux partis une force nouvelle, à l’autre de l’ombrage. A cette époque le régiment fut embarqué et passa à l’Ile de France, ce fut sous un autre hémisphère qu’éclata la division dont le germe avait voyagé avec le corps. Il dut être extrêmement difficile de découvrir la vérité, lorsque, depuis, ces débats devinrent l’objet d’un jugement solennel. Il serait impossible aujourd’hui d’apprécier avec quelque certitude les griefs respectifs; il faut se contenter de prendre de l’affaire une idée générale; entre les détails et nous, il y a une immensité de mers et 20 ans. Le sieur de la Motte manda un certain nombre d’officiers, et pour leur exprimer son mécontentement il leur dit : « Je vous déclare la guerre devant le ministre, j’attaque tout le corps, c’est à vous de vous défendre ». Ce procédé fut une explosion dont le principe devait exister dans d’autres procédés; les réclamants en font l’exposé, sans doute, à leur manière, le sieur de la Motte, leur premier contradicteur, n’est plus, le sieur Ghemault n’est pas présent, il faut renoncer à toute lumière antécédente, car les réclamants dans leur propre cause sont suspects. Le sieur de la Motte tint parole, il fit la guerre par des mémoires, et les subordonnés acceptant le défi, firent aussi des mémoires. Selon le relevé fait d’après le travail du sieur de Montbarey, ceux-ci avaient articulé 85 chefs de plainte, le lieutenant-colonel et le major de leur part en avaient produit 30. Tout cela est bien réduit dans la sentence de 1773 ; car elle n’énonce aucun des griefs des subordonnés, et ne rélève comme délit à leur charge que 5 à 6 articles principaux. (1) On ne trouvera pas aussi la sentence parmi les pièces justificatives ; elle a été imprimée à la suite du mémoire distribué à l’Assemblée de la part des réclamants. {Note du rapporteur.) Gomment le sieur Ghemault intervint-il dans cette querelle? G’est ce dont il n’y a aucun indice; je n’y vois de cause probable que son ancienne liaison avec le sieur de la Motte. Le régiment fut rappelé en France ; alors il sembla qu’on était impatient des deux côtés d’exhaler une humeur trop longtemps concentrée : on ébruita cette querelle ; des mémoires furent distribués avec profusion; il paraît même que l’autorité tenta vainement d’empêcher qu’ils ne fussent répandus. Le sieur de Montbarey disait depuis que cette querelle était quelque chose moins en elle-même que par la manière dont elle avait été traitée des deux parts. G’est dans sa lettre au ministre qu’il énonçait cette opinion. La mission lui fut donnée de prendre connaissance de l’affaire, il s’en acquitta ; le mémoire au roi, sur la formation du conseil de guerre en fait mention; mais le compte qu’il rendit ne paraît point; il est perdu comme la procédure. Un conseil de guerre fut formé ; le sieur de Montbarey, qui avait fait une sorte d'information et un rap[3ort au ministre, fut nommé procureur du roi auprès de ce tribunal, et ensuite il fut le rapporteur du procès. Le tribunal fit une instruction, il reçut une plainte, il procéda à des interrogatoires, à des récolements, à des confrontations, car il est fait mention de tout cela dans la sentence; mais encore tout cela ne paraît point. De plus on peut croire qu’aucuns témoins ne furent entendus ; car la sentence n’énonce aucune information, il faut ajouter qu’elle n’énumère aucunes pièces de conviction. Le sieur de la Motte fut condamné à 3 mois d’arrêts pour avoir compromis l’autorité que le roi lui avait confiée. Le sieur Ghemault fut mis hors de cour, et sa conduite déclarée irréprochable; ce qui s’accorde mal, car le hors de cour n’est pas une prononciation absolutoire. J’ai déjà dit que les 33 subordonnés furent cassés, et condamnés à la prison pour le temps respectivement fixé. La sentence fut exécutée, on en trouve au-dessous une espèce de procès-verbal, signé Dumuy, sous la date du 17 juillet. Voilà selon la présomption de la loi une justice faite, et selon les réclamants, une iniquité consommée. La révision du procès eût fixé cette alternative : on voit qu’elle fut tentée. Un sieur de la Velanet, alors lieutenant dans le régiment de la marine, qui s’y intéressa, y gagna la disgrâce du ministère, et y perdit sa liberté; j’en ai la preuve dans des pièces confiées par le sieur de la Velanet, et qui m’ont été remises (l). (1) Voy. le mémoire du sieur de la Velanet, imprimé au nombre des pièces justificatives des réclamants, dont un double, signé du sieur de la Velanet, est dans les mains du rapporteur; il suffit d’en extraire ici quelques passages : « Je vis clairement que les officiers condamnés étaient des victimes sacrifiées au despotisme. La vérité jaillissait si vivement des pièces authentiques que j’avais sous les yeux, que je crus que leur seule publication suffisait pour demander justice. . . J’avais un semestre, j’en profitai et allai à Paris. . . J’y fus arrêté 3 semaines après, la nuit du 3 au 4 novembre, et conduit au Fort-l’Evêque, mis au secret... Cetle situation n’a cessé que la nuit du S au 6 janvier 1774, que l’on vint me prendre en chaise de poste, pour me conduire au Mont-Sainl-Michel. » (Note du rapporteur.) 348 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [M mai 1791.] Les soldats cassés firent, s'il faut les en croire, du fond de leurs prisons, des efforts, qui ne furent pas plus heureux ; ils ont imprimé, à la suite du mémoire qu’ils ont présenté à l’Assemblée, la copie d’une lettre écrite par le sieur de Saint-Germain au commandant de Pierre-Encise, qui constaterait ces démarches et leur inutilité; mais cette copie n’a aucune authenticité; seulement le sieur de Romeicourt, l’un des réclamants, atteste l’avoir transcrite sur l’original qui lui fut dans le temps communiqué. Le sieur de Montbarey, parvenu au ministère, n’ordonna pas la révision du procès ; mais il est mis en fait que, de son autorité, il réforma en quelque sorte la sentence qui avait été rendue sur sa réquisition, comme procureur du roi, et. sur son travail comme rapporteur. Ceux dont la prison n’était pas encore à son terme furent élargis ; ils avaient été cassés, quelques-uns furent avancés en grades, décorés de la croix de Saint-Louis, gratifiés de pensions de retraite; tout cela semble contradictoire; mais les réclamants l’ont exposé, et on ne lésa pas démenti. Lorsque l’on voit l’homme qui scruta dans tous ses détails l’affaire du régiment Royal-Com-tois donner, quand il en a le pouvoir, de telles atteintes au jugement, dont il avait été le promoteur, on conçoit un préjugé favorable à ceux qui l’ont subi; mais un préjugé n’est lien et il reste à examiner froidement une réclamation trop grave pour dépendre d’un premier mouvement. Je n’ai pas d’autres faits à ajouter au tableau que je viens de vous tracer; il faut maintenant vous faire part des questions que le comité s’est faites, de leur discussion et des résultats. La réclamation est exprimée dans l’adresse qui est au frontispice du mémoire présenté à l’Assemblée. Le despotisme, disent les soldats condamnés, avait cessé de les considérer comme coupables, mais il avait refusé de les proclamer innocents ; la proclamation de leur innocence estdonccequ’ils attendent de vous ; revoir un procès et infirmer un jugement solennel sont donc les opérations qu’ils proposent à l’Assemblée nationale. Mais est-il praticable d’admettre une telle révision ? Est-il dans le plan, dans les pouvoirs de l'Assemblée nationale de juger après des juges, et d’infirmer leurs sentences? Voilà ce que d’a-bôrd l’on se demande. La loi est, dans une société bien constituée, pourvue d’une autorité irréfragable. Les jugements sont le moyen établi par elle, pour déclarer dans les divers accidents de la vie sociale ce qu’elle a voulu ; elle a déterminé les conditions qui lui répondent de la fidélité des jugements ; et lorsque ces conditions ont été accomplies, les jugements sont irréfragables comme la loi même qu’ils déclarent. Métaphysiquement, la loi n’est pas exempte d’erreur; politiquement elle a le privilège de l’infaillibilité, et il s’étend aux jugements qu’elle consacre , et qui dès lors sont identifiés avec elle. Quelquefois les individus en ont reçu un dommage, mais entre ce mal qui blesse l’intérêt particulier, et l’instabilité de laloi qui tueraitl’intê-rêt général, il n’y a pas à balancer. Le droit d’ordonner la révision d’un procès n’a jamais existé ; il n’y a plus de recours régulièrement, terminé par un dernier jugement, quand la loi n’en donne plus. Je sais bien qu’en ce point, comme en beaucoup d’autres, le fait ci-devant était mis à la place du droit ; on ordonnait des révisions, et la loi, qui n’est une puissance effective que par l’application, n’était dans l’incertitude de son application entre les hommes favorisés, souvent qu’une inutile abstraction. Les lois que vous avez faites ne permettent plus cette versatilité. Dorénavant il est un terme pour la détermination du fait, qui est la matière d’un jugement, il est un terme pour l’application du droit qui en est le complément ; et si les conditions de la loi ont été accomplies, si elle n’autorise aucune réclamation nouvelle, le jugement ne varie plus, il est la vérité. Mais vous avez voulu que, pour les causes que vous avez indiquées, les jugements et les actes qui les ont précédés pussent être cassés; c’est qu’alors la loi a été violée, et cela n’a point de ressemblance avec la révision des procès. La révision s’exerce sur les procès qui existent, la cassation sur ceux qui aux yeux de la loi n’existent pas. Ainsi la cassation est un procédé légal, et la révision une invention du pouvoir arbitraire qui se joue de tout. Ce n’est donc pas à l’Assemblée nationale qu’il faut parler de la révision d’un procès; elle ne saurait substituer l’idée d’incertitude que produit une telle proposition à cette idée de la stabilité des jugements sans laquelle il n’y a plus de loi. Quant à la cassation, elle est une ressource offerte aux citoyens, à l’égard desquels la loi a été violée ou dans ses formes, ou dans son expresse volonté; mais des officiers publics ont été institués pour administrer ce remède utile, et l’Assemblée nationale ne voudra pas retenir des fonctions qu’elle a départies au nom du peuple. La révision du procès qui vous a été dénoncé est donc une vaine espérance que la loi condamne. Et quant à la cassation, c’est un problème judiciaire qu’il n’appartient pas à l’Assemblée nationale de résoudre. Faut-il rigoureusement conclure de là que la réclamation que nous discutons doit être rejetée? Oui, si l’on ne lui assigne étroitement pour objet que la révision ou la cassation ; mais en prenant dans toute sa latitude le dessein de ceux qui demandent justice, votre comité a aperçu des raisons de douter, et je dois les mettre sous vos yeux . J’ai recherché ce que les réclamants pourraient espérer de la voie de la cassation en la supposant admissible; voici ce que j’ai remarqué. La loi peut avoir été violée dans le traitement que les soldats de Royal-Gomtois ont subi et dans les formes qui précédèrent la sentence. La conviction supposée dans la sentence y est exprimée en termes vagues, je n’y trouve pas la déduction précise des faits, la définition des délits et la détermination de leur degré; j’y puise une idée générale de procédés imputés à insubordination, et je ne saurais vérifier s’il a été fait une juste application de la loi, puisque l’objet précis de cette application m’échappe. Il y a peut-être un moyen de cassation contre la sentence en cela même que les délits y sont exprimés indéfiniment. Il n’est pas permis aux juges de s’abriter, pour ainsi dire, sous des qualifications dont la latitude se prête à tout, et la conviction des accusés est un résultat important [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (24 mai 1791. [ 349 qui demande la plus scrupuleuse, même la plus minutieuse exactitude. Voilà ce qui regarde la sentence en elle-même; quant aux formes, si elles ne furent pas observées dans la recherche et l’examen des preuves, les raisons légales de crédibilité n’existèrent pas, et le jugement ne fut qu’une opinion arbitraire, désavouée par la loi dont les conditions n’étaient pas accomplies. Mais le procès n’existe plus; comment juger les formes dans lesquelles les preuves y furent recueillies ? Il y aurait un principe sûr pour guider les juges ; ils diraient que les lois n’admettent pas un jugement sans une instruction, une condamnation sans un procès; et, ne voyant qu’une sentence isolée, ils la rejetteraient comme un résultat sans motifs . Il est un terme sans doute, après lequel l’existence d’un acte quelconque suppose suffisamment la préexistence des actes qui durent le préparer; la prescription gouverne l’action de la loi comme les transactions des citoyens, et les jurisconsultes établissent avec raison sur la longue durée d’un acte non contesté la présomption légale des formalités qui y furent nécessaires. Mais on ne peut pas regarder comme non contesté l’acte contre lequel des reproches ont été proférés. Mais à ce que 30 ou 40 ans opèrent, 18 ans ne peuvent suffire, et après ce court intervalle, la loi dit encore que ce qui ne parait pas n’est pas (1). Des juges auraient à considérer quelque chose de plus que cette conséquence implicite. Un moyen de cassation déterminé résulterait à leurs yeux de cette étrange confusion des fonctions de procureur du roi et de rapporteur qui se fit sur la tête du sieur de Montbarey. Ces fonctions sont tellement incompatibles, que le rapporteur est, lors de la visite et du jugement du procès, le personnage essentiel, tandis que l’ordonnance de 1670, titre XXIV, article 2, défend expressément au procureur du roi d’y assister, (1) Un honorable membre a pris la parole après le rapport, et il a dit que la sentence existe, qu’elle constate une instruction qui a précédé, et que l’on ne peut après 18 ans révoquer en doute cette instruction. Voici ce qu’on aurait pu répondre si l’affaire n’eût été ajournée. Une procédure est nécessaire pour soutenir un jugement, soit que les preuves consistent dans des dépositions de témoins, soit qu’on les recueille dans des pièces authentiques; il faut des interrogatoires, il faut un examen, etc. Faute de tout cela, le lendemain du jour où la sentence a été rendue, on peut dire qu’il n’y a point de sentence, et cette négative prévaudra si une procédure n’est pas représentée. Elle prévaudra encore 8 jours après, 1 an, etc., jusqu’à ce que la loi s’y oppose. La loi s’y oppose après �exécution volontaire qui est un acquiescement, mais non après l’exécution forcée où la protestation des condamnés est toujours sous-entendue. La loi s’y oppose après un certain laps de temps; mais sans examiner quel en est le terme, il suffit do remarquer que la loi feint dans sa justice que le temps ne court point contre ceux qui ne peuvent pas agir. Or il est évident que telle fut la position des 33 soldats de Royal-Comtois, d’abord retenus dans les fers, ensuite froissés entre l’intention de réclamer, et la crainte d’attirer de nouveau sur leurs têtes les foudres ministérielles. ( Note du rapporteur.) et puis ne voit-on pas qu’ainsi la partie devenait juge (1). On trouverait un autre moyen de cassation justifié par le jugement même dans l’énumération des pièces examinées par les juges. L’ordre du roi, la plainte de son procureur, des interrogatoires, des récolements, des confrontations y paraissent avoir composé tout le procès. Huiles informations, nulles pièces authentiques, pas même les mémoires articulés dans le jugement comme étant en partie le corps du délit, bien que l’ordonnance de 1670, titre XXV, article 5, voulût des informations ou des pièces authentiques, des preuves en un mot combinées des interrogatoires. Et puis peut-on se dissimuler que les complots d’un parti formé, que des devoirs non rendus, que des assemblées séditieuses, etc., ne peuvent être prouvés que par des témoins : qu’en particulier des témoins étaient nécessaires pour avérer la vérité ou la fausseté des 85 chefs de plainte articulés contre les chefs, et qu’il dépendait de là que les subordonnés fussent coupables ou disculpés (2). Le procès ne paraît pas, et pofitant des moyens de cassation se produisent; voilà une difficulté levée, mais d’autres difficultés succèdent. Le temps couru depuis la sentence de 1773 se présente encore; la cassation n’est-elle pas un remède prompt qui périt par de courts délais? Voici ce que l’on peut répondre. Il semble que l’on ne doit pas objecter leur long silence à ceux qui n’eurent pas la faculté de le rompre; il semble qu’à côté du traitement fait au sieur de la Velanet, pour une tentative eu faveur des soldats de Royal-Comtois, on ne peut guère refuser de croire à ce qu’ils déclarent des mesures prises pour étouffer leurs plaintes. Je me disais d’abord seulement qu’ils supposaient des ordres donnés de leur enlever leurs papiers dans les prisons où ils avaient été jetés ; ensuite deux certificats qui m’ont été remis, l’un du commandant de Ham, l’autre de celui de Pierre* Encise, en me prouvant le fait à l’égard du sieur de Romeicourt, me l’ont rendu au moins vraisemblable à l’égard des autres. Il y a donc des moyens de cassation et le temps couru n’en atténue pas la force, puisque le silence de la contrainte et de la terreur qui en a marqué l’espace ne peut être compté par la loi. S’il y a des moyens de cassation recevables, pourquoi n’y pas renvoyer les réclamants? C’est ici que je me fais une dernière objection, et elle me paraît insoluble, si la puissance de l’Assemblée nationale n’y intervient. Dans le régime de l’armée, aucun fil n’a lié jusqu’à ce jour la loi militaire à la loi civile; si les soldats étaient les instruments du despotisme, ils en portaient plus immédiatement les chaînes; (1) Doublement partie, par la nature de son ministère et par l’intérêt de faire confirmer le rapport fait antérieurement. {Note du rapporteur .) (2) Les expressions de récolements et de confrontations ne suffisent pas pour faire supposer des dépositions de témoins, elles viennent après l’énonciation des interrogatoires, et s’y rapportent ; elles ne signifient donc que des récolements d’interrogatoires et des confrontations entre les accusés ; en un mot, là où des dépositions de témoins étaient nécessaires, il résulte, du vu de la sentence, que les juges n’ont examiné aucunes dépositions, et que là où des mémoires sont énoncés comme pièces de conviction et corps de délits, les juges n’ont examiné aucuns mémoires. {Note du rapporteur.) ggQ [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] des ordres, des volontés agissaient sur eux, et ils baissaient la tê!e. Si les 33 soldats dont je discute la réclamation ont, aux yeux de la loi civile, le droit de demander la cassation du jugement qui les a flétris, la loi militaire ne leur permet pas d’élever la voix ; il n’y a pas même de juges auxquels il leur soit permis de s’adresser. Sans doute, dans l’ordre nouveau que vous avez introduit, vous ouvrirez, au soldat, demandant la protection de la loi, la porte de ce tribunal conservateur que vous avez institué pour surveiller les autres tribunaux; ce que le soldat attend de votre sagesse équitable, vous ne l’avez pas fait : et cette route lui est encore fermée. Et quand vous aurez décidé sur ce point, le moyen d’embrasser dans le bénéfice d’une loi nouvelle la réparation d’un grief consommé depuis plusieurs années 1 La loi agit sur l’avenir, elle est nulle pour ce qui l’a dévancée. De principe en principe, j’aboutis donc à reconnaître qu’il n’existe aucun remède ordinaire auquel l’Assemblée puisse renvoyer les soldats qui ont sollicité sa justice ; et pourtant on peut dire que la loi autorise leur sollicitation et réprouve le jugement qui est l’objet de leurs plaintes. Il y aura donc des citoyens qui, à côté du droit de demander justice, trouveront l’impossibilité même légale de l’obtenir. G’est à vous de voir si le nouveau régime doit comme hériter de ce reproche mérité par l’ancien ; si c’est assez qu’il n’ait pas fait la blessure, pour le laver de ce qu’il ne Ja guérit pas : si, dans le passage du mal au bien, il se peut que le scrupule des formes commande, quand les formes sont insuffisantes. On est entraîné par un penchant naturel quand on s’occupe d’une affaire de ce genre, on voudrait verser quelque baume sur une plaie que trois lustres n’ont pas fermée. On croit facilement que, selon trop d’exemples, un gouvernement qui ne respectait rien a sacrifié, à des hommes en crédit, des hommes sans crédit. Mais pour être juste, l’on doit se défier du préjugé qui tient à l’intérêt inspiré par l’infortune, et du préjugé qui tient au ressentiment conçu contre le despotisme. C’était un étrange ingrédient de notre composition sociale que les hommes en crédit. Ils se couvraient d’un manteau magique, et cette enveloppe tenait lieu de tout; on y trouvait de la vertu pour les fripons et du mérite pour les sots; malheur à qui avait raison contre un adversaire de cette classe, souvent il était condamné, puni précisément pour avoir eu raison. Leurs preuves, leurs moyens étaient de franches lettres de cachet et des lettres de cachet déguisées; quelquefois un jugement, un arrêt n’était en soi qu’une lettre de cachet, une volonté arbitraire qui n’était pas rendue légitime, parce qu’elle employait des formules légitimes. Si l’on venait à découvrir que tel fut le caractère secret du jugement, rendu en 1773 contre les 33 soldats du régiment Royal-Comtois, une grande difficulté serait aplanie. L’Assemblée nationale n’a renvoyé ni dû renvoyer à des formalités difficiles les victimes du pouvoir arbitraire : elle a soufflé sur les traces qu'il laissait et elles ont disparu. Ici l’on peut concevoir un scrupule. La cause des 33 soldats est liée par son opposition à celle du sieur de laMotte, cet autre soldat qui les accusa et qu’ils accusèrent, à celle du sieur Chemault qui fut impliqué dans cette affaire. Celui-ci n’est pas présent, qui prendra sa défense? Celui-là n’est plus, ne doit-on pas respecter sa mémoire? Cette difficulté est grave, elle veut être balancée avec attention ; voici l’explication que votre comité a saisie. Le sieur de la Motte et le sieur Chemault ne furent pas précisément les parties adverses de leurs subordonnés; l’action fut intentée au nom du roi par celui qu’il avait nommé son procureur et contre les chefs et contre les subordonnés, le sieur de la Motte subit une peine, le sieur Chemault fut seulement mis hors de cour; la réclamation des subordonnés se dirige contre l’homme du roi, son succès n’aggraverait pas les prononciations qui regardèrent les chefs; il n’y a pas une alternative nécessaire qui tienne les uns pour inculpés par l’absolution des autres. Supposez la sentence annulée, c’est un bénéfice commun, l’existence de tous ceux qu’elle nomma demeure entière. Et puis il est tel démêlé qui se résout facilement en des pointillés où de tuutes parts on s’aheurte faute de les apprécier, où l’on s’irrite d’autant plus que la cause en est moindre, où la forme de la querelle couvre la nullité du fond; et c’est ainsi qu’au premier coup d’œil le sieur de Montbarey avait jugé de cette affaire. Dans de telles circonstances, pour faire justice, il faut également imposer silence aux partis divers ; il n’y a pas de délit, il y a des fautes, des torts réciproques, une sorte de délire qu’il faut calmer. Si l’on ne fait, en prononçant une opinion sur ce misérable et trop solennel procès, que le replacer de cette manière dans son vrai point de vue, on ne blessera ni la renommée de la partie absente ni la mémoire de la partie qui n’est plus. Pour qu’elles demeurent intactes, il n'est pas nécessaire que l’abus de pouvoir exercé contre leurs rivaux soit intact aussi (1). Après ces réflexions, je continue mon développement. Je soupçonne que, lorsque le sieur de la Motte dit à ses subordonnés : je vous déclare la guerre, il compta beaucoup sur son crédit. Parmi les pièces que j’ai sous les yeux, est un certificat délivré au sieurde Romeicourt par tous ses camarades, sur la régularité de sa conduite vis-à-vis de leurs chefs ; ce certificat est daté du 30 mars 1771, et je trouve au bas les signatures des sieurs Demeaux, Surineaux, Niceville, La Cot-trye et Trébon. Je retrouve ces cinq signatures au bas du certificat, postérieur de 3 jours, qui a été trouvé dans les bureaux du ministère ; il est opposé au précédent, il sert de témoignage au sieur de la Motte contre le sieur de Romeicourt. Je remarque que le mémoire à 2 colonnes du sieur de la Motte est du 2 aviil, comme ce dernier certificat : alors je me figure que le mémoire et le certificat sont 2 chapitres de la même compilation, et j’ai peine à n’y pas reconnaître l’intrigue d’un homme en crédit, qui, dans son humeur, voulant mettre des apparences de son côté, obtient le oui de ceux-là mêmes qui viennent de proférer le non. (1) Que la sentence subsiste, le sieur de la Motte y est condamné, le sieur Cbemault y obtient une absolution équivoque ; la sentence ôtée du milieu reste pour eux comme pour les autres parties l’intégrité de l’existence morale et de la bonne renommée, le souvenir peut-être d’une querelle trop solennisée, et le jugement de l’opinion publique, qui ne reprochera aux deux parties qu’une aigreur qui n’eut pas de véritable cause. ( Note du rapporteur .) [Assemblée nationale. ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791. J 354 Après le retour du régiment en France, un ordre est expédié au sieur de Montbarey pour faire une information. 11 est chargé de donner les ordres qu’il jugera convenables selon les circonstances, et (ces expressions sont à remarquer) selon ce qui lui a été plus amplement expliqué des intentions de Sa Majesté. Je ne sais que dire de ces intentions de Sa Majesté ; si elles sont d’accord avec la mission ostensible, pourquoi des mesures particulières, qui ne paraissentpasetqui sont inutiles? Si elles vont en sens divers, comment qualifier les dispositions qui exigent un ordre patent et des intentions secrètes? Je vois deux lignes tracées, et pourtant il n’y en a qu’une qui aille directement à la vérité. On pourrait en conclure que dès lors tout était médité, l’indulgence pour les chefs, et le sacrifice des subordonnés, résolus. Le sieur de Montbarey parle à ceux-ci comme le tonnerre, il arrête sur ceux là des regards de complaisance. Il déclare aux premiers qu’il les mandera, et qu’ils se rendront chez lui : il laisse tout à la disposition des autres. « Quant à vous, leur dit-il, Monsieur le lieutenant-colonel, et à vous, Monsieur le major, vous êtes les maîtres de venir tous les jours et à toutes les heures » : ce sont les termes de son discours. Par cette diversité du ton pris au début vis-à-vis de ceux contre lesquels le sieur de Montbarey était également envoyé, le dénouement pouvait être pressenti. Le sieur de Montbarey fit ce dont il était chargé. Il avait cru originairement que l’affaire était peu de chose en elle-même, on était parvenu à lui faire croire qu’elle était importante. On peut se représenter le compte qu’il rendit au ministre, par le résultat qui en fut mis sous les yeux du roi, lorsqu’on lui proposa la formation du conseil de guerre. Le ministre fit un résumé en faveur des chefs et contre les subordonnés. On voit qu’il juge, et que le conseil ne sera assemblé que pour revêtir sa volonté d’un caractère. Quand le ministre a dit : ceux-là sont innocents, ceux-ci sont coupables; pense-t-on que les juges qu’il nomme après avoir dit cela soient libres de décider autrement ? Pour ne pas s’exposer à la contradiction, le sieur de Montbarey, dont l’opinion est formée, est nommé procureur du roi auprès du tribunal. Le procureur du roi, chargé de poursuivre au nom de la loi, aurait dû être impartial comme elle, mais il s’agissait de faire passer un jugement déjà concerté. Ce n’est pa3 assez, il faut encore que le sieur de Montbarey soit rapporteur du tribunal. On sait quel est, même parmi des juges exercés, l’ascendant du rapporteur ; mais le jugement devait encore intervenir, selon ce qui avait été plus amplement expliqué des intentions de Sa Majesté , c’est-à-dire des intentions du ministre. Quand la sentence est rendue, le ministre s’épuise en éloges sur ce travail difficile, en effet, qui mettait sur le compte de la loi sa volonté particulière. Après l’exécution, voyez comme on craint que cette opération ne puisse soutenir des regards, quelles mesures on prend pour que l’affaire meure et le jugement reste. Une lettre de cachet était le digne appui d’une lettre de cachet. Les soldats flétris ont trouvé dans leur infortune un ami ; on jette dans les fers l’indiscret qui a osé parler de justice quand l'autorité avait voulu. Le despotisme qui désire toujours le silence n’avoue pas toujours son dessein; ici il le commande ouvertement; après avoir atteint son but, il ne se donne plus la peine de se déguiser. Des menaces pénètrent jusque dans les prisons, pour y enchaîner le ressentiment de l’injustice. On enlève à ceux qu’on y fait gémir jusqu’à la consolation de retrouver dans quelques notes le souvenir de leur innocence, et de se rendre témoignage à eux-mêmes. Mais quand le sort des accusés a été fixé par un jugement légitime, quand on ne craint pas le recours à l’opinion publique, on ne leur envie pas la faculté de repaître leur imagination des soins d’une inutile apologie. Enfin le procès disparaît quand la sentence est soigneusement conservée; on semble prévoir le temps où la justice et la vérité reprendront leurs droits, et l’on a soin de leur arracher les signes auxquels elles pourraient se faire reconnaître. Cette suite de procédés a je ne sais quel caractère de mystérieuse précaution dont la loyauté ne s’aviserait pas ; elle est étrangère à la franche exécution de la loi : les organes fidèles de la loi désirent que dans tous les temps la lumière se réfléchisse sur ce qu’ils ont fait; l’intrigue, au contraire, se cache quand elle entreprend, elle se cache encore après Je succès; dans toutes ses périodes on la reconnaît à la nuit dont elle s’environne. Telle est en dernier terme l’idée qu’a prise votre comité de l’affaire que vous l’aviez chargé d’examiner, il y a vu un grand abus du crédit et de l’autorité. Maintenant il ne vous proposera pas d’ordonner une révision qui lui parait proscrite par vos principes, et que dans les siens le despotisme avait rendu impossible (1). Il ne vous dira pas que les soldats qui ont eu recours à vous doivent être renvoyés à la voie de la cassation. Ils en auraient des moyens, mais cette voie ne leur était pas ouverte par la loi sous l’empire de laquelle ils ont été condamnés. Ils vous dira que, de justes réclamations ne doivent pas être impuissantes devant vous. Il vous dira que dans les ténèbres qu’il a éclairées, il a cru reconnaître un fantôme de procès et de jugement, une écorce qui recouvrait la substance d’une injustice ministérielle, d’un acte arbitraire et illégal, d’une lettre de cachet mise grossièrement à l’ombre des formes judiciaires. Alors il ne lui a pas été permis de douter qu’il ne fût en voire puissance, qu’il ne fût dans vos devoirs et selon vos principes de tendre la main à des serviteurs de la patrie immolés par ses anciens oppresseurs. Vous avez réparé, partout où ils vous ont été dénoncés, les maux qu’avait faits le pouvoir arbitraire : c’est encore ce que vous avez à faire aujourd’hui; votre tâche n’est pas achevée puisque de nouvelles victimes se présentent, se plaignent à vous, vous exposent leurs droits, vous avertissent de ce que vous leur devez. Je conclus pour le comité qu’il n’y a point de jugement contre les soldats du régiment Royal-Gomtois, puisqu’il n’y a point de procédure; qu’il n’y a en effet qu’un acte du pouvoir arbitraire (1) Par la disparition de la procédure, car ce qui n’existe plus no peut être revu. (Note du rapporteur .) 352 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [24 mai 1791.J qui ne doit pas subsister, une oppression dont le despotisme même fut honteux, puisqu’il la répara de fait en la laissant subsister de droit. Avant de passer au décret que je dois vous proposer, je fais une réflexion, et ne me défends pas de la communiquer à l’Assemblée. Il avait donc des charmes puissants qui ne se montrent pas à nous, cet ancien régime qui molestait si durement ceux mêmes dont il obtient aujourd’hui les regrets ! La Révolution a rétabli, pour l’armée, ce droit qui appartient à tous, de ne dépendre que de la loi, de ne pas redouter des caprices injustes : et c’est peut-être dans l’armée que la Révolution trouve ses détracteurs les plus déterminés. Etait-il donc donné au triste appât de quelques distinctions dans l’esclavage de se faire aimer par-dessus tout, d’intervertir jusqu’à l’impulsion légitime de l’amour de soi, jusqu’à l’indépendance de l’âme? La justice et la liberté cessent-elles d’être des biens désirables parce qu’elles n’admettent pas des exceptions? Quelle est donc cette manie de l’orgueil qui se plaît dans son abaissement, à la comparaison a’un abaissement plus profond, et qui ne veut pas lever fièrement la tête si toutes les têtes sont levées. Je demanderais aux soldats qui voudraient être encore les serviteurs du despotisme, s’ils ne détestent pas l’intrigue ténébreuse à laquelle 33 braves soldats furent livrés, et quel est donc leur amour insensé pour le régime qui en permit le triomphe. Je leur demanderais s’il existait avant la Révolution, pour les victimes de cette machination ministérielle, quelque espérance d’effacer l’injure qu’elles avaient reçue, et si c’est donc un malheur que le temps soit enfin venu où la justice peut se faire entendre. Je leur demanderais où étaient les garants de leur propre existence, de leur propre honneur, où était la certitude que de pareils caprices n’attendissent pas chacun d’eux, qu’un pareil sort ne leur fût pas réservé; et quelle illusion leur est faite quand ils hésitent entre l’humilianle incertitude de leur ancienne position et les droits assurés qui revivent pour eux dans la Constitution. On a dit que la postérité aurait peine à croire à la rapidité des événements qui ont fait la Révolution; une grande explosion, après une fermentation longue et contrainte, aura moins de droit à l’étonner que l’aveugle obstination de plusieurs ; elle demandera s’ils étaient Français, s’ils étaient hommes, ceux qui se sont renfoncés dans la poussière aux pieds des tyrans dont on voulait les délivrer ! PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, après avoir ouï le compte, que lui a fait rendre son comité militaire, de l’affaire du régiment Royal-Comtois et de la sentence rendue le 12 juillet 1773, par le conseil de guerre assemblé pour en prendre connaissance, « Décrète que ladite sentence est et demeure comme non-avenue. » PIÈCES JUSTIFICATIVES. N° I. Certificat . Nous certifions qu’à la dernière assemblée tenue chezM. de Romeicourt , ayant refusé de signer le mémoire contre MM. de la Motte et de Chemauit ; l’on nous dit, il est vrai, que ces faits ne sont point venus à la connaissance de tout le monde, mais étant cerliliés par nos camarades, on doit les croire, ou les uns ou les autres sont indignes de porter le même parement. En outre, M. le chevalier de Maux certifie que MM. de Carrière et de Muigaud sont venus chez lui le tourmenter quoique malade, et l’engager à signer, celui-ci ayant toujours constamment refusé à signer, le dernier lui fit des menaces, M. de Surinaux certifie aussi que M. de Carrière étant venu chez lui pour lui demander les raisons pourquoi il n’avait pas voulu signer son certificat : il lui dit qu’il croyait peut-être qu’il y eut beaucoup d’officiers qui n’eussent pas signé, mais qu’il se trompait en donnant sa parole d’honneur que MM. de Maux qui avaient été les plus opiniâtres avaient signé, ce qui était faux en partie, le chevalier de Maux ne l’ayant pas fait. MM. de Niceville, de la Colletrye et de Trébon ont aussi entendu les propos ci-dessus relatifs aux parements : lesquels ont été tenus par M. de Romeicourt. A file de France, ce 2 avril 1771. Le chevalier de Maux, le chevalier de Surinaux, de Niceville, Tiercelin, de la Colletrye, Trébon, lieutenants et sous-lieutenants au régiment Royal-Comtois. N° II. Ordre du roi à M. le comte de Montbarey pour le charger de l'instruction de l'affaire du régiment Royal-Comtois De par le roi. Sa Majesté étant informée des tfoubles qui se sont élevés à l'Ile de France dans son régiment d’iufanterie de Royal-Comtois entre les chefs de ce corps, et la plupart des officiers dudit régiment, elle a jugé à propos d’envoyer à Lille, où ledit régiment a été rassemblé par ses ordres, le sieur comte de Montbarey, maréchal de camp en ses armées, inspecteur général de son infanterie, pour, après avoir procédé à l’inspection dudit régiment, prendre connaissance des faits, s’en faire administrer les preuves, s’instruire en détail des plaintes respectives, et de leurs motifs, donner les ordres, qu’il jugera convenables, suivant les circonstances, et selon ce qui lui a été plus amplement expliqué des intentions de Sa Majesté , et rendre compte de son opération, pour, sur le tout, être statué par Sa Majesté ainsi qu’il. appartiendra. Fait à Versailles, le mars 1773. [Assemblée nationale.] N° III. Lettre de M. le comte de Montbarey au ministre, où il lui mande avoir entamé l'instruction de l'affaire du régiment Royal-Contois. A Lille, le 4 avril 1773. Monsieur le marquis, J'ai l’honneur de vous rendre compte que, le 1er avril, j'ai entamé l’instruction de l’affaire du régiment Royal-Gomtois, par la notification publique des ordres du roi qui m’y autorisent. Le de far le roi a été lu au corps assemblé de Royal-Gomtois, en présence de M. de la Merville, des états-majors de la ville et de la citadelle, et des états-majors et capitaines des grenadiers des corps de la garnison. J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint, Monsieur le marquis, le précis de ce que je leur dis à cette occasion ; j’espère en cela avoir suivi la forme que vous m’avez prescrite, et j’ose vous assurer que je ne m’en écarterai pas dans tout le cours de l'instruction de cette affaire. Je crois qu’elle me mènera beaucoup plus loin que je ne l’avais cru d’abord, par la multitude des chefs de plaintes et d’accusations des deux parts, et par le temps énorme que la vérification et les preuves de toutes ces plaintes doivent entraîner. Je n’entre vis-à-vis de vous, Monsieur le marquis, dans aucun détail, réservant le tout pour le moment où j’aurai l’honneur de vous rendre compte de ma commission dans toute son étendue ; mais je puis avoir celui de vous dire d’avance, que les deux partis sont également acharnés, échauffés et abondants dans leurs sentiments ; et gu' autant que je puis juger de l'affaire in globo, la manière avec laquelle ils l’ont traitée des deux parts , est bien plus intéressante que les faits qui y ont donné lieu. Gomme votre intention , Monsieur le marquis, est de donner un exemple de votre justice et de votre amour pour la règle, je crois suivre vos ordres en apportant la plus grande régularité dans les formes à observer dans l’instruction de cette affaire, afin que vous ne soyez dans le cas de prendre un parti qu’avec connaissance de cause, et qu’aucun des deux partis ne puisse avoir à objecter qu’il n’a pas été entendu et n’a eu le temps d’expliquer ou prouver ce qu’il a avancé; cette forme entraînera sûrement des lenteurs ; mais c’est avec la plus grande résignation que je m’y voue. Ce sera à vous, Monsieur le marquis, à juger si j’ai saisi l’esprit de vos ordres, et si j’ai mérité la confiance dont vous m’avez honoré. Je suis avec le plus profond respect, Monsieur le marquis, votre très humble et très obéissant serviteur. Comte de Montbarey. N° III bis. Précis du discours de M. le comte de Montbarey à Messieurs les officiers du régiment Royal-Com-tois, en présence du commandant de Lille et des chefs des corps de lagarnison , le 1er avril 1773. Messieurs, Le temps qui s’est écoulé depuis mon arrivée à Lille a été employé aux détails relatifs à ire Série. T. XXVI. 353 l’inspection de votre régiment : Sa Majesté voulait connaître la situation dans laquelle vous étiez rentrés en France, vos besoins et l’utilité dont pouvaient lui être vos services. Get objet est rempli : je passe à de nouvelles fonctions dont le de par le roi , qui va vous être lu, vous fera connaître l’étendue. J’ai prié M. de la Merville, maréchal des camps, commandant à Lille, Messieurs les chefs des corps de la garnison, les états-majors de tous ces mêmes corps, de vouloir bien se rendre chez moi, afin qu’en entendant la lecture des ordres dont je suis dépositaire, en entendant ceux que je vais vous donner en conséquence, ils apprissent quelle attention Sa Majesté veut apporter à la connaissance de la vérité des griefs, et plaintes respectives que vous avec formées ; afin qu’elle pût, après avoir fait examiner avec justice et impartialité les discussions qui sont survenues entrevous, Messieurs, à l’Ile-de-France, punir avec la dernière rigueur ceux qui se trouveraient coupables. I*a publicité que vous avez donnée vous-mêmes à votre affaire, par l’indiscrétion avec laquelle vous avez répandu de part et d'autre vos mémoires , nécessite le roi à faire un exemple de justice et de rigueur. Il vous a déjà expressément défendu, Messieurs, depuis votre débarquement, de faire lire vos mémoires respectifs, de répandre dans la conversation avec les autres corps avec lesquels vous vous êtes trouvés, les griefs réciproques que vous pouvez avoir les uns contre les autres : cette défense vous a été renouvelée ici par M. de la Merville; malgré cela, Messieurs, je suis informé que depuis même votre séjour à Lille vous avez désobéi à cet ordre. J’en ai rendu compte au ministre, afin qu’il prît les ordres du roi en conséquence. J’espère que MM. les chefs des corps de la garnison voudront bien tenir la main à ce que cela n’arrive plus désormais; sans quoi, je serais forcé de punir cette infraction à l’ordre. (Ici a été lu le de par le roi.) L’autorité dont je .suis dépositaire, et qui vous est actuellement connue, me met dans le cas de vous renouveler ici, de la part du roi, l’ordre du silence qui est imposé sur toutes vos difficultés, tant entre vous, Messieurs, qu’avec les officiers quelconques de la garnison, et même les habitants. Vous devez sentir avec quelle rigueur je sévirais contre ceux qui contreviendraient à cet ordre, à plus forte raison contre ceux qui se porteraient à des voies de fait, ou à des explications sur l’affaire dont je suis chargé, ou dépendantes de l’instruction à laquelle je vais procéder. Vous avez avancé des faits, dans vos mémoires respectifs, dont il faut m’administrer les preuves, et me démontrer la vérité; c’est de cet examen que je vais m’occuper. Si quelques-uns de vous, Messieurs, avaient de nouvelles plaintes à former, ils pourront m’écrire, et je leur manderai le moment où je pourrai les entendre; mais je dois vous répéter què je ne recevrai aucune plainte si elle n’est pas appuyée de ses preuves. L’affaire dont l’instruction m’est confiée est trop grave en elle-même, et par ses conséquences, pour que je puisse admettre légèrement des griefs sans preuves et sans authenticité, dont la discussion futile me ferait perdre un temps consacré à l’examen intéressant de vos difficultés réciproques. Tous les rapports relatifs à l’inspection étant finis entre nous, je ferai annoncer à l'ordre ceux 23 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.j 354 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.J de vous , Messieurs , auxquels /