112 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 32 Un membre, au nom du comité d’instruction publique, fait un rapport sur la fête à célébrer le 10 vendémiaire, pour honorer les victoires des armées de la République, et en réjouissance de l’expulsion des ennemis du territoire français. La Convention décrète l'impression de ce rapport (46). CHENIER, au nom du comité d’instruction publique : Citoyens représentans, quand l’instruction publique peut espérer de renaître, au moment où la Convention nationale se prononce fortement en faveur des arts, froissés longtemps par des amours-propres tyranniques, en faveur des sciences persécutées et avilies par l’ignorance dominatrice, il est nécessaire, il est instant d’imprimer aux fêtes nationales un caractère solemnel, et d’en écarter sans retour les détails minutieux, les images stériles, également indignes du génie du peuple, et des ta-lens qu’il rallie autour du char de la liberté; c’est-là votre vœu, représentans; et votre comité d’instruction publique est animé du même désir. Mais chargé par vous de faire, le 10 vendémiaire, célébrer une fête relative aux victoires rapides de nos armées, et à l’entière évacuation du territoire républicain, il doit vous rendre un compte fidèle des entraves qu’il rencontre dans sa marche. Vous sentirez comme lui sans doute, qu’il est indispensable d’établir promptement dans cette partie, des moyens vastes, mais simples, et dont le développement facile réponde à la majesté du peuple souverain. Le comité d’instruction publique a été péniblement affecté en comparant la grandeur des événemens qu’il s’agit de retracer dans nos fêtes nationales, et la foiblesse, pour ne pas dire la nullité des ressources créées jusqu’ici pour leur célébration. Il a vu d’un côté nos guerriers victorieux au centre de la République et sur tous les points de la frontière, le télégraphe devenant chaque jour un signal de triomphe ; chaque jour annonçant à la Convention un nouveau succès des armées, et au même instant reportant aux armées un nouveau témoignage de la reconnoissance nationale ; et au milieu de tant de prodiges, il a vu d’un autre côté les arts paralysés, des talens rebutés par un long dédain ; nuis monumens durables et forts comme la liberté; des matériaux sans cohérence; des esquisses sans dignité; des inscriptions où la raison et la langue française sont également dégradées; un despotisme capricieux et puérile enchaînant la pensée des artistes ; des plans bizarres sans originalité, durs sans énergie, fastueux sans véritable richesse, monotones sans imité ; des fêtes en un mot colossales dans leur (46) P.-V., XL VI, 137-138. Mention dans Ann. Patr., n" 636; Ann. R. F., n“ 7 ; C. Eg., n° 771; F. de la Républ., n° 8; Gazette Fr., n" 1001; J. Fr., n" 733; J. Mont., n“ 152; J. Paris, n” 8 -, J. Perlet, n” 735; J. Univ., n” 1769; M. U., XLIV, 107; Mess. Soir, n" 771 ; Rép., n° 8. objet, petites dans leur exécution, et n’offrant d’imposant que la présence du peuple qui a voulu la République, et de la Convention qui l’a fondée. Les sectateurs du nouvel Omar ont tout combiné pour anéantir l’instruction publique en France ; d’où il résulte que nos fêtes nationales n’ont pu avoir et ne peuvent avoir encore le caractère auguste qui leur convient. En effet, tout se tient dans l’instruction publique. Sans la gymnastique, par exemple, qui faisoit le principal charme des jeux publics dans Athènes et Lacédémone, ne vous flattez pas d’avoir jamais des fêtes dont le but soit utile, et l’intérêt puissant. Sans de vastes arènes couvertes, vous n’obtiendrez jamais des exercices gymnastiques. Quant aux jeux scéniques, l’effet n’en peut être complet dans des théâtres resserés comme les nôtres, et l’on y trouvoit souvent l’ignorance et le délire, lorsque des enfans stupides dirigeoient la commission d’instruction publique, et, devenus déjà des censeurs royaux, épioient, étouf-foient avec un soin scrupuleux, dans les ouvrages dramatiques, tous les germes de raison et de liberté. Lycurgue regardoit les banquets civiques comme le principal moyen de resserrer les nœuds qui unissent tous les membres de la cité. Peut-être, au premier apperçu, osera-t-on penser comme Lycurgue; peut-être le résultat naturel de ceux qu’on avoit établis dans Paris, n’auroit-il pas été d’opérer une division générale, comme on l’a redouté un peu légèrement; peut-être n’est-il pas bien sûr qu’ils fussent payés par Pitt, comme on vous l’a plaisamment affirmé. Il est moins éloquent, mais il est plus vrai de dire qu’ils ne devront être adoptés qu’au moment où l’on n’aura plus à craindre d’augmenter le prix et la rareté des subsistances. Quant aux arts de littérature, on déclamoit avec violence contre ceux des gens de lettres qui ne travailloient pas pour les fêtes nationales, et l’on persécutoit avec acharnement ceux qui, depuis les premiers jours de la révolution, se livroient à ce travail avec zèle et activité. Dans les arts de sculpture, de peinture et d’architecture, tous les talens distingués se ca-choient au fond de leurs ateliers : quelques-uns languissoient dans les cachots; une poignée d’intrigans les calomnioient avec bassesse, et consommoient, en de misérables essais et de futiles décorations, les sommes qui auroient dû servir à élever des monumens immortels. La seule fête du 10 août 1793 (v. st.) a coûté à la nation 1 200 000 L : de tout cela il n’est resté que du plâtre et des chiffons. Cette somme au-roit suffi pour soutenir cent artistes d’un vrai mérite, et pour payer trente chef-d’œuvres en marbre et en bronze, qui, dans vingt siècles, auroient encore embelli les fêtes nationales. Un seul établissement, fruit de la révolution, a surnagé sur les débris des arts, soutenu par les soins de quelques hommes laborieux, et par l’instinct patriotique d’une foule d’artistes célèbres. L’Institut national de musique semble avoir offert au génie une dernière planche dans le naufrage ; il a rendu, il rend chaque jour de grands services à la révolution. En vain SÉANCE DU 7 VENDÉMIAIRE AN III (28 SEPTEMBRE 1794) - N° 33 113 quelques hommes jaloux de toute renommée, ont voulu entraver son organisation provisoire et le détruire entièrement : la Convention ne laissera pas tomber cet utile établissement, qui doit porter au plus haut degré de perfection un art si estimé des législateurs et des philosophes de la Grèce, un art le plus vraiment populaire, le plus démocratique de tous, dont le charme embellit la poésie même, et dont la puissante énergie enfante et célèbre les victoires. Des chants républicains et des jeux scéniques, voilà pour le moment tout ce qui est or-gnisé relativement aux fêtes nationales. Ce n’est pas en cinq jours que l’on peut créer de grands moyens d’exécution : mais le comité d’instruction publique prépare avec soin un travail considérable sur cette partie, qui rassemble une foule d’institutions particulières, et qui mérite un examen mûri par des études préliminaires et profondes. Au reste, n’en doutez pas, représentans : le sommeil des arts en France n’est pas un sommeil de mort. Des hommes habiles en tous genres ont échappé au glaive meurtrier du Vandale : tous ont gémi, tous ont souffert; mais tous ne sont point assassinés. L’harmonieux Lebrun chante encore la liberté, le traducteur des Géorgiques exerce dans le silence son talent correct et pur; Laharpe et Ducis n’ont pas abandonné la scène tragique ; Vien, Renaud, Vincent n’ont pas jeté leurs pinceaux; Gossec, Méhul, Cherubini, Lesueur n’ont pas brisé leur lyre; Houdon, Julien, Pajou tiennent encore en main le ciseau qui a fait penser le marbre plein du génie de Voltaire, de La Fontaine et de Pascal. S’il existe dans la République des talens plongés dans la stupeur et l’engourdissement, un mot, un signe de la Convention nationale les retirera de cette léthargie passagère, où l’intérêt de leur sûreté même a pu long-temps les retenir; et déjà ces courtes réflexions que vous présente votre comité, vont porter dans leur cœur la première des consolations, l’espérance (Vifs applaudissemens). Il est temps que dans la république on puisse avoir du génie impunément ( Les applaudissemens recommencent ); il est temps que les talens dispersés par l’épouvante, se réunissent fraternellement sous l’abri de la protection nationale ; alors, mais alors seulement, nous aurons des fêtes et des monumens dignes du peuple, car le génie a besoin de la liberté, et la liberté a besoin du génie. (Ce discours est couvert d’applaudissemens). Chénier, à la suite de ce rapport, présente un projet de décret, après avoir prévenu l’Assemblée que le peu de temps qui reste d’ici à la fête, n’a pas permis au comité d’appbquer au plan de cette fête les idées que son rapporteur vient de développer. On demande l’impression du rapport de Chénier (47). (47) Débats, n° 737, 81-84; Moniteur, XXII, 83-84. 33 Sur la proposition d’un autre membre, La Convention nationale rapporte le décret du 3 vendémiaire, qui ordonne que les victoires des armées de la République seront célébrées décadi prochain ; Décrète que la célébration de cette fête se fera le 30 vendémiaire dans toutes les communes de la République; Renvoie à son comité d’instruction publique pour lui présenter incessamment le mode d’exécution; Renvoie au même comité la proposition qui est faite de charger les autorités constituées de veiller à ce que cette fête ait lieu partout à l’époque ci-dessus déterminée (48). DU ROY : Il me semble que ce n’est pas à Paris seul que doit éclater l’allégresse publique. Je demande que vous décrétiez que toutes les communes, qui ont des théâtres, représenteront ce jour-là pour le peuple. LOUCHET : Je demande que la fête soit différée d’une décade, et célébrée le même jour dans toute la République. [Ce n’est pas seulement à Paris que les victoires doivent être célébrées, elles doivent l’être partout, et dans le même jour. Je demande que la fête proposée soit renvoyée au 30 vendémiaire, et que le comité d’ Instruction publique présente un mode qui puisse s’exécuter partout.] (49) Un membre : Le second décadi de vendémiaire a été consacré, par un décret, à la translation des cendres de J. -J. Rousseau au Panthéon français. La Convention ajourne la fête au 30 vendémiaire, et charge le comité d’instruction publique de lui présenter un nouveau projet pour que cette fête soit générale dans la République. BOURDON (de l’Oise) : Il faut que la Convention se défasse enfin de la manie de faire des processions; c’est le peuple qui doit être tout dans ses fêtes ; les rois se montraient à lui pour l’endormir sur ses misères, et se faire adorer ; ses représentants ne doivent s’occuper que de travailler à son bonheur; ils seront assez payés s’ils ont fait ce bonheur. Renonçons donc à cette manie monarchique de nous donner en spectacle dans les fêtes du peuple ; cette manie d’ailleurs peut être funeste à la liberté ; c’est à la fête du 20 prairial que le tyran essaya la couronne. (48) P.-V., XLVI, 137. C 320, pl. 1321, p. 9, minute de la main de Louchet, rapporteur. Bull., 7 vend, (suppl.). Mention dans Ann. Patr., n° 636; Ann. R. F., n 7; C. Eg., n° 771; F. de la Républ., n” 8; Gazette Fr., n° 1001; J. Fr., n" 733; J. Mont., n° 152; J. Paris, n' 8; J. Perlet, n° 735; J. Univ., n° 1769; M. U., XLIV, 107; Mess. Soir, n° 771; Rép., n" 8. (49) J. Paris, n° 8. Les journaux placent le discours de Merlin (de Thionville) après cette discussion (voir plus bas, n” 46).