197 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 septembre 1789.] On a ensuite rendu compte des sacrifices patriotiques suivants : M. Chassey a remis 150 livres de la part d’un ecclésiastique. Le sieur Volland a abandonné jusqu’au 1er octobre 1790, 5 0/0 du produit de la vente des taffetas qu’il a fait fabriquer à l’instar de celui d’Angleterre. M. Merlin, député de Douai, a offert une somme de 1,000 livres sur les 2,750 livres qui composent le montant des gages de son office de secrétaire du Roi. Le sieur Rousseau, receveur des fermes du Roi, à Sèvres, a fait hommage de 100 livres, quinzième du revenu de sa place. MM. les députes de la sénéchaussée de La Rochelle ont remis de la part de M. Baudin, négociant à Saint-Martin de l’île de Ré, une lettre de change de 2,100 livres. M. Canary, dessinateur des bâtiments du Roi, à Rambouillet, a fait hommage d’une médaille d’or qu’il a remportée à Rome pour prix d’architecture. Ou a chargé M. le président d’écrire à M. Canary une lettre qui, par les suffrages de l’Assemblée, pût le dédommager du sacrifice de sa médaille : on a déciué en même temps que M. le président écrirait une lettre semblable à M. Gilbert, professeur de l’école vétérinaire, qui a donné cinq médailles obtenues dans des concours, pour prix de ses talents. M. de Bauve, membre du collège de chirurgie de Paris, a remis une somme de 600 livres, pour son compte, et 24 livres pour une femme attachée à son service. Madame la comtesse de Maurepas, qui avait envoyé à la Monnaie 243 marcs d’argenterie, a fait don de cette argenterie, dont la valeur est consignée dans un bordereau signée du directeur de la monnaie de Paris. On donne lecture delà lettre suivante des religieux de Saint-Martin-des-Champs, à Paris. « Nosseigneurs, les religieux de Saint-Martin-des-Champs, instruits des besoins urgents de l’Etat, prient nosseigneurs les députés de l’Assemblée nationale d’accepter l’offre volontaire qu’ils font de tous leurs biens à la nation. Ils peuvent faire le même abandon, au nom de tout leur corps, avec la ferme confiance que tous les membres (un très-petit nombre excepté) y souscriront avec empressement. Les lettres qu’ils reçoivent chaque jour de leurs confrères des provinces les autorisent à manifester ces sentiments de patriotisme. « L’ordre de Cluny,dont ils dépendent, est composé de 280 religieux dans trente-six maisons ; son revenu total est estimé 1,800,000 livres, dont la moitié appartient aux abbés et prieurs commandataires ; l’emplacement de ses trois maisons de Paris est évalué au moins 4 millions, qui joints aux produits des emplacements du reste de leurs maisons situées dans différentes provinces, peuvent faire à chaque individu une pension au-dessus de 1,500 livres. Cet arrangement donnerait à l’Etat un revenu de 900,000 livres, et aux religieux la liberté , qu’ils auront le bonheur de partager avec tous les Français, et de consacrer à l’éducation de la jeunesse et au ministère des autels; et ont signé Doin J. Ducoin. Dom Robin, Dom Lain-gault, Dom Barjon, Dom Baudot, Dom Poiral, Dom Perret, sous-prieur, et sénieur, Dom Des-martin, Dom Hilaire, Dom Meffre, maître des novices; Dom Sénéchal, Dom Mugues, ancien célé-rier de la maison ; Dom Etienne, Dom Bailleul, Dom B. Adam, Dom de Saint-Martin, ex-prieur. » L’Assemblée nationale accueille avec satisfaction cette preuve de patriotisme et ordonne l’impression et la distribution de la lettre des religieux de Saint-Martin-des-Champs. Des soldats de la garde nationale soldée du district des Filles-Saint-Thomas de Paris, sont venus offrir 336 livres. Ils ont été introduits à la barre. M. le Président leur a dit : Il est beau de voir les défenseurs de la patrie venir à son secours non-seulement par leur courage, mais par des contributions pécuniaires. M. le vicomte de üfoailles a donné sa démission des fonctions dont il était chargé, comme membre du comité des finances. Afin de consacrer les séances du matin au travail de la Constitution et des finances, on a statué que la lecture des adresses, des lettres et des détails sur les offrandes patriotiques, serait renvoyée aux séances du soir. L’Assemblée a agréé un projet de monument à la gloire du Roi, offert par le sieur de Yarenne, l'un des huissiers de l’Assemblée. M. Laborde, cure’ de Corneillan , député de Condom , donne sa démission pour cause de santé. M. l’abbé d’Eymar, l’un des secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi. La rédaction soulève diverses réclamations. M. le comte de Mirabeau lui représente qu’il n’est pas exact daus le récit, en disant que l'Assemblée nationale avait été impatiente d'aller aux voix; qu’il r.e faisait pas mention de l’adresse qu’il avait proposé de faire aux commettants, pour les instruire des motifs du dernier décret de l’Assemblée. M. Duport propose de renvoyer le procès-verbal au comité de rédaction. Ces deux motions sont appuyées. Cependant un membre ayant observé qu’il convenait plutôt de charger M. l’abbé d’Eymar de représenter le procès-verbal demain à i’Assem-blée avec les corrections proposées, ce dernier parti est adopté. M. Garat l'aîné reprend la question élevée par M. de Mirabeau, de savoir si l’Assemblée nationale fera une adresse aux commettants pour les instruire des motifs du dernier décret. Celte motion est vivement appuyée. M. le président la met aux voix, et l’adresse est décrétée. Il reste une question secondaire à examiner. M. Garat avait proposé de charger M. le comte de Mirabeau de la rédaction de cette adresse. Un membre voulait que le comité des finance* fût chargé de cet ouvrage. M. de Mirabeau fait cesser ce combat d’opinions, en déclarant que tout le monde pourra communiquer ses idées au comité de rédaction et que lui-même y portera les siennes. M. Achard de Bonvouloir (1) fait la motion (1) L’Assemblée ayant jugé que les motifs de la mo- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 septembre 1789.] 198 suivante concernant V organisation des municipalités du royaume (1). Messieurs , vous proposez défaire une adresse à nos commettants que chaque député accompagnera sans doute d’une lettre particulière ; nous désirons tous le succès du plan que vous avez adopté pour le salut de l’empire ; permettez-moi quelques observations que je crois utiles. Vous avez été effrayés de l'état qui vous a été présenté de vos finances, vous avez senti la nécessité pressante d’un secours extraordinaire ; vous avez adopté sans discussion le plan que M. le premier ministre des finances vous a proposé, ce plan que chaque député doit recommander à ses commettants. Personne n’est plus que moi convaincu que ce ministre mérite la confiance de la nation par ses talents et sa probité -, j’ai toujours pensé que la circonstance, l’état du Trésor royal, nous faisaient un devoir de conserver dans sa personne, la seule apparence de crédit qui nous restait ; et je ne puis m’empêcher de répéter que nous devons regretter de l’avoir altérée à la première opération de finance qu’il vous a soumise. Mais, Messieurs, nous ne devons pas compromettre légèrement et sans précaution la fortune de nos commettants, et nous mériterions tous les reproches qu’ils ne manqueraient pas de nous faire si nous nous laissions entraîner alternativement par des terreurs et par des mouvements d’enthousiasme, qui nous éloignent également de leurs vrais intérêts. Si j’avais obtenu la parole dans la séance du 26, en opinant pour accorder le secours demandé par M. le premier ministre, je vous aurais fait une observation préalable qu’il est encore temps de faire. C’est que si les secours et les dons que le patriotisme consacre au besoin de l’Etat ne peuvent être employés utilement, ils ne sont qu’un moyen de perpétuer les abus en épuisant les fortunes particulières ; s’ils ne devaient avoir d’autre effet que de remplir en partie, aux dépens des bons citoyens, le déficit dans les perceptions ordinaires, causé par les manœuvres des mauvais, loin de les accorder nous aurions dû les refuser expressément. Assurons-nous donc, avant tout, que les secours que nous sollicitons et les dons qu’on nous apporte pourront être et seront utilement employés pour le salut de la chose publique ; alors nous exciterons utilement la confiance et le dévouement de nos commettants. Nulle inquiétude sur l'emploi qu’en voudront faire les ministres actuels; nul soupçon sur la loyauté de leurs intentions : d’ailleurs la loi qui les rend responsables doit bannir toute crainte à cet égard. Mais en rendant les ministres responsables, la justice, la raison et l’intérêt de la chose publique, veulent que la nation leur donne la possibilité d’employer utilement les contributions dont elle leur confie l’emploi: or cette possibilité et ce bon emploi ne peuvent avoir lieu dans l’état d’anarchie, de désordre et de dévastation où est le royaume. D’ailleurs, Messieurs, vous comptez pour beaucoup les produits du patriotisme. Il montre à la tion n’étaient pas dans l’ordre du jour, son impatience ne permit pas de les entendre et l’auteur fut obligé de passer tout le préambule pour ne proférer que les quatre articles qui forment la motion. (Note de l'auteur.) (1) Cette motion est à peine indiquée au Moniteur. vérité quelques efforts ; mais on ne peut se dissimuler qu’on ne doit pas attendre un patriotisme bien énergique quand la liberté, la sûreté et la propriété sont incertaines. Les contributions, soit forcées, soit volontaires, sont le prix nécessaire et réciproque de la protection réelle de la société. Je pense donc que nous devons commencer par donner au pouvoir exécutif toute la force qui lui est nécessaire pour garantir la sûreté des personnes et des propriétés, unique but de toute association. C’est le seul moyen d’exciter les efforts généreux, d’attacher les citoyens à la patrie, et d'arrêter les émigrations ruineuses, également désolantes, et pour ceux qui partent et pour ceux qui restent, dont M. le premier ministre vous a fait un tableau modéré, et que vous verrez se multiplier à l’infini si le même état de choses continue. Tous les citoyens amis de la paix qui pourront s’échapper (et de quel droit les arrêteriez-vous ?) iront dans les pays étrangers vivre à l’abri des proscriptions arbitraires, dont une vie irréprochable ne les garantit pas au sein de leur patrie : Ubi bene , ibi patria. Quand le pouvoir exécutif ne peut plus protéger le citoyen fidèle aux lois , toute société est rompue ; et alors tout sacrifice, tout impôt n’ayant plus d’objet, n’est qu’une exaction que l’Assemblée n’a pas le droit d’ordonner et qu’elle ordonnerait en vain. Vous avez décrété dans la séance du 23 que le pouvoir exécutif suprême réside dans la main du Roi ; mais peut-il en faire usage tant que les corps qui le composent ne sont pas organisés? Le peuple des villes et des campagnes est divisé, et dans un état de guerre. Le gouvernement fait des dépenses excessives et inutiles. Dans quelques provinces, le peuple des villes met arbitrairement les laboureurs à contribution; ailleurs la crainte de manquer de pain force le gouvernement, au moment même d’une bonne récolte, à payer une plus-value. Gette dépense très-considérable a pu être nécessaire au soulagement du pauvre, dans un moment où les fortunes étant attaquées, les personnes cherchant la sûreté loin de la capitale, les étrangers cessant de visiter un pays sans police, les pauvres se sont multipliés et recrutés dans toutes les classes de salariés qui se sont trouvés sans emploi. Mais, Messieurs, les gens aisés des villes, les personnes les plus riches de la cour même, profitent de ce bas prix du pain, entretenu par le gouvernement avec un sacrifice de 50 millions, car le prix est le même pour toutes les classes de citoyens. Et cependant les habitants des campagnes qui n’ont aucune part à cette munificence, payent la plus grande partie de l’impôt qui doit en acquitter la dépense. C’est à la mauvaise administration des municipalités qu’il faut attribuer la plus grande partie de ces désordres, qui nuiront infiniment au succès de la taxe patriotique et volontaire. Plusieurs municipalités font des actes du pouvoir judiciaire sans être autorisées par une délégation du pouvoir exécutif; et quels actes ..... Mâcon, Vernon, etc.... Quel homme libre voudra rester exposé à un pareil arbitraire? n’est-ce pas la plus cruelle, la véritablement dangereuse aristocratie, que celle d’un corps qui a une apparence de légalité? Rétablissez la sécurité dans les villes, et on reviendra les habiter : les ouvriers de toute [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [48 septembre 1789.] espèce retrouveront des salaires qui les mettront en état de payer le pain au prix naturel, et le gouverne ment" ne sera plus embarrassé aussi dispendieusement d’un détail sans succès. L’Assemblée a décrété que le pouvoir judiciaire ainsi que les autres pouvoirs émanent de la nation , d’où il résulte que les représentants de la nation sont responsables envers elle, que ce pouvoir, le plus essentiel au bonheur des peuples, le plus indispensablement nécessaire au maintien de toute société, soit organisé et puisse être exercé le plus tôt possible pour ramener la tranquillité, sans laquelle, il n’y a point de vraie liberté. Je propose donc qu’il soit décrété avant tout : 1° Qne l’Assemblée nationale s’occupera dès ce jour et sans interruption d’organiser les municipalités, pour les soumettre à l’ordre qu’elle jugera à propos de leur prescrire et rétablir la tranquillité dans les villes; 2° Qu’aussitôt après le travail des municipalités, elle s’occupera de constituer le service militaire et de prescrire la manière dont il doit seconder le pouvoir exécutif; 3° Que le Roi, dépositaire du pouvoir judiciaire, sera supplié d’ordonner sans délai et très-expressément à ses procureurs et officiers délégués dans tous les tribunaux, sous peine à eux de répondre personnellement de leurs négligences, de poursuivre avec la plus exacte vigilance toutes les personnes qui ont troublé ou troubleront l’ordre public; 4° Enfin que l’Assemblée nationale déclare que le Roi est le chef de toutes les municipalités du royaume et de toutes les troupes nationales, comme faisant partie essentielle du pouvoir exécutif, dont l’Assemblée nationale l’a déclaré chef suprême par son décret du 23 septembre. Ge dernier article mérite toute votre attention, étant un des plus essentiels à la liberté et à la sûreté publiques. G’est le vœu du bailliage de Cotentin que j’ai l’honneur de représenter et qui gémit des troubles actuels. J’en fais la motion expresse, et je demande que l’Assemblée prononce sur-le-champ. Lorsque ces objets seront décrétés, ce sera avec infiniment plus de confiance que nous enverrons à nos commettants, et le décret du 26, et l’adresse que vous avez résolu d’y joindre. M. Beauperrey , député d'Evreux , dit que l’Assemblée a déclaré , dans une de ses séances antérieures, que Y abolition des droits de franc-fief serait l'objet d’un décret particulier. Il demande que ce décret soit rendu dans la séance de ce jour et propose de le rédiger de la façon suivante : « L'Assemblée nationale, instruite que malgré son arrêté qui a prononcé l’abolition du régime féodal, les préposés à la perception du franc-fief continuent et multiplent les contraintes et les poursuites contre ceux qui sont soumis à cette contribution, déclare que le franc-fief est supprimé dans tout le royaume ; défend, en conséquence, toute poursuite ; abolit toute contrainte et procédure ; ordonne que le présent arrêté sera porté au Roi pour le supplier de le sanctionner. » M. Tronchet dit que le droit de franc-fief mérite le plus sérieux examen ; il en développe l’origine. Le droit de franc-fief, dit-il, est un droit annuel ; mais la force et la violence ont obligé l’acquéreur à payer vingt années en une seule, 199 et si l’acquéreur ne possède que pendant trois ans, on ne lui restitue pas les dix-sept années suivantes. Il y aura bien des difficultés à prévoir. Votre arrêté du 4 août supprime les fiefs ; il supprime également le franc-fief; cependant il se trouvera, je suppose, un acquéreur qui aura acquis le 3 août : le receveur du domaine le forcera de payer, ce qui est une injustice criminelle, puisqu’il n’a pas joui, et qu’on le fait payer comme s’il avait joui vingt ans. Je pense donc qu’il faut renvoyer au comité féodal la rédaction de cet arrêté. M. Lanjuinais propose l’abolition pure et simple des droits de franc-fief et en même temps l’extinction absolue des poursuites et des procès à raison de cette taxe désastreuse. M. le curé Dillon demande la suppression des intendants de province , comme inutiles, par suite de l’abolition du droit de franc-fief. M. Target distingue les lois relatives à l’impôt de celles qui règlent les droits des citoyens. Les premières peuvent se reporter vers le passé ; les autres n’ont jamais d’effet rétroactif et la nation peut déclarer que le droit de franc-fief est aboli à partir de tel jour. Quoique le décret du 4 août ne soit pas promulgué, il est encore temps d’arrêter une injustice pour les acquisitions faites depuis cette époque. M. Grégoire fait sentir combien ce droit, écrasant par les 10 sous pour livre et par les extensions arbitraires, devient encore plus dévorant par les procès multiples auxquels il donne lieu. M. de Lamrlli. Les commis préposés à la perception du franc-fief attaquent différents particuliers, soit pour un demi-arpent, soit même pour un quartier; l’assignation est donnée devant l’intendant, sauf l’appel au conseil. Or, il y a une foule immense de questions de ce genre portées au conseil. 11 faudrait donc déclarer toutes les procédures commencées à cet égard nulles, et défendre de leur donner suite. M. Glezen. G’est ici que l’on a le droit de se plaindre de ces légions de commis qui infestaient les campagnes, de ces sangsues des peuples, les intendants nés du despotisme; de la justice du conseil, qui peut-être jamais n’a rendu un seul jugement exempt de tout reproche. Tous les suppôts de l’aristocratie avaient formé une conjuration pour faire juger qu’il n’y avait en France aucune terre roturière, et forcer le pauvre paysan, seigneur d'un fief de vingt perches, à payer le droit de franc-fief. Ges exemples de l’injustice des intendants tourmentaient surtout les cultivateurs dans la Picardie, dans la Bretagne et dans toutes les provinces de coutume. M. de Lancosne, député de Touraine demande l’ajournement. L’ajournement est rejeté. M. le Président propose de fermer la discussion, ce qui est adopté. M. le Président prend les voix dans la forme ordinaire et il est décrété : « Que conformément aux décrets du 4 août, les droits de franc-fief sont abolis. »