[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1791.] jjg faille 6 ans de la même activité pour pouvoir être nommé lieutenant. M. Rabaud-Saint-Etienne, rapporteur. Les précédents décrets ont déterminé les conditions auxquelles les sujets peuvent être nommés; il n’y a donc pas lieu à délibérer sur cet amendement. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a as lieu à délibérer sur l’amendement de M. Du-ois-Grancé et adopte sans changement le projet de décret présenté par M. Rabaud-Saint-Etienne.) M. le Président. La parole est à M. Fréteau-Saint-Just pour faire un rapport sur la situation du royaume. M. Eréteau-Saint-Jnst, au nom des comités de Constitution, diplomatique , militaire, des rapports et des recherches. Avant de commencer le rapport que je suis chargé de faire à l’Assemblée, je dois tout d’abord l’informer que j’ai en main toutes les pièces qui pourraient justifier les détails que je vais lui donner; je la supplie toutefois de ne pas m’interrompre pour m’en demander la lecture, m’engageant à lui en donner connaissance, si elle le désire, après mon rapport. Messieurs, Vos décrets ont chargé les comités de Constitution, diplomatique, militaire, des recherches et des rapports, de l’examen de plusieurs pièces envoyées de divers départements à l’Assemblée nationale. Ces pièces consistent dans des adresses de directoires, et des lettres, soit de municipalités, soit de différents membres des corps administratifs, de citoyens isolés ou réunis; enfin, décommandants pour le roi. Toutes sont relatives à la sûreté du royaume et des frontières ; elles prouvent toutes que l'inquiétude des esprits est générale, que plusieurs symptômes d’agitation se manifestent, que des émissaires cherchent à corrompre la fidélité des troupes de ligne, que Worms, Manheim et les villes des environs ne peuvent contenir le nombre immense des émigrants, et que tout annonce, sinon des mouvements, au moins des dispositions hostiles de la part d’un grand nombre d’entre eux. Quant aux objets principaux de demandes qui vous sont adressées, vous les connaissez, Messieurs. Ces lettres provoquent à l’envi l’augmentation des troupes de ligne, l’adjonction des gardes nationales, l’envoi d’armes et de munitions dans plusieurs cantons voisins des frontières, des dispositions locales contre les entreprises du dehors, la suspension de la liberté du passage chez l’étranger, de l’argent, des armes, même des personnes ; enfin, quelques-unes vont jusqu’à demander le licenciement, ou de l’armée entière, ou de tout ou partie du corps des officiers. Les motifs de ces demandes vous sont également présents. D’abord, de grandes puissances de l’Europe ont sur pied des armées nombreuses et bien exercées, que la paix du nord pourrait laisser sans occupation, et que des spéculateurs inquiets craignent de voir retomber sur la France, en haine de la liberté qu’elle s’est donnée. L’Espagne a formé un cordon impénétrable sur ses frontières; la Savoie a tiré quelques régiments du Piémont, et l’on assure que ses forces sur le revers des Alpes sont sur un pied plus imposant que de coutume. Ces mesures sont accompagnées de signes de refroidissement de quelques alliés, et de précautions assez offensantes, prises en plusieurs lieux contre les Français. Quant à l’agitation des esprits dans l’intérieur, elle résulte des écrits pleins d’amertume et de hardiesse, émanés de quelques princes ecclésiastiques d’Allemagne, traduits dans les deux langues, latine et française, semés avec profusion en Alsace et dans la Basse-Lorraine; D’autres écrits encore respirant la sédition et la révolte, répandus en France du côté du Luxembourg; Enfin, du passage chez l’étranger de nos exministres, des anciens agents du pouvoir, d’une foule immense de personnes riches et puissantes. A ces circonstances se joint le rappel soudain de tous les mécontents, qui étaient déjà depuis longtemps hors du royaume et qui reviennent d’Angleterre, de Suisse, de Genève, et se. réunissent dans le point le plus suspect, à Worms et dans les environs. L’achat qu’on assure qu’ils ont fait à tout prix, d’armes, de chevaux, d’équipages de guerre ; les enrôlements, les compagnies qui se sont formées à Etteinheim, chez M. le cardinal de Rohan ; les commissions d’officiers, demandées dans de nouveaux corps; les insultes à nos gardes nationales, à des Français de tout état, circulant paisiblement pour leurs affaires sur l’autre rive du Rhin; la comparution, sur celle qui nous appartient, d’officiers et de soldats en uniforme ; les projets ou les vœux sanguinaires exprimés dans des lettres qui prouvent la correspondance très animée qui rapproche les différents membres de cette vaste coalition, et les lie, soit à nos anciens ambassadeurs réfractaires au serment, soit à des ministres des cours étrangères réputées les plus opposées à la France, soit à M. de Galonné et à ses nombreux amis; Enfin, l’importance des noms que l’opinion place à la tête des projets de contre-révolution, est un motif puissant d’inquiétude et d’ombrage. Faut-il ajouter à ce tableau, Messieurs? Des indices très forts ont annoncé qu’on cherchait à pratiquer les chefs des ateliers de Paris. On remarque avec inquiétude, dans cette capitale, une affluence de gens suspects et de vagabonds : la fausse nouvelle de la marche d’armées immenses contre le royaume, et d’autres du même genre, sont imaginées à tout moment, et répandues pour aigrir le peuple, l’alarmer, le porter à des excès. Les brigands sont réunis, protégés, soldés en divers lieux de la France par des mains invisibles. Il existe à Paris des agents du dehors, quelques-uns de ces mêmes suppôts d’intrigue et de fourberie, qui ont tout brouillé, durant le cours des années dernières, dans quelques contrées peu éloignées. On craint, et ici, Messieurs, je vous parle avec la plus grande assurance, on craint les conventicules de ces hommes détestables; on cite les propos et les aveux indiscrets échappés à plusieurs sur leur influence dans les incidents et les désordres locaux, qui arrêtent sans cesse notre marche. Ajoutez à ces principes de troubles les fausses idées accréditées à dessein parmi la multitude, pour lui faire confondre à toute heure la liberté avec la licence, la soumission aux lois avecfes-clavage, l’empire de la Constitution avec l’ancien despotisme, l’action modérée* et soumise à une sévère responsabilité, de tous les délégués du -J9Q [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il juin 1791.] peuple, avec les caprices et les vexations impunies d’un pouvoir tyrannique. Joignez encore à toutes ces causes d’agitation, des bruits sinistres d’excès qu’on suppose devoir être prochains et atroces, l’affectation avec laquelle on a forcé les nuances, exagéré les récits des désordres qui ont eu lieu (si même on ne les avait fait naître) et cela, dans le dessein évident de dépeupler, de tous les gens riches ou connus, la Bretagne, la Lorraine, la Picardie, l’Alsace, la Flandre, l’Auvergne, la Franche-Comté; en un mot, une foule de départements. Rappelez-vous aussi, Messieurs, l’achat trop certain de plusieurs hommes dans nos régiments, et autres corps, pour soulever les soldats, pour faire piller les caisses, pour faire chasser les officiers, pour faire casser la marine militaire, pour faire transporter tout à coup à Paris, s’il eût été possible, plusieurs corps de troupes, sous prétexte de pétitions à vous offrir; enfin, pour imputer calomnieusement des propos criminels à des commandants, à des militaires irréprochables, afin de leur ôter la confiance, et d’introduire ainsi une insubordination universelle. La plupart de ces faits sont établis par la notoriété, justifiés par pièces, confirmés par les lettres ou déclarations de commandants, des ministres et résidents, des étrangers, des négociants, des gens en place. Par une suite de ces manœuvres, vous avez vu, en un instant, des extrémités du royaume, arriver une multitude innombrable de lettres, soit d’individus, soit de sociétés diverses, pour former les demandes les plus contradictoires, les plus injustes en elles-mêmes, à l’égard de plusieurs milliers de citoyens, parmi lesquels il en est un nombre immense de fidèles, de zélés, d’incapables de manquer au devoir et à la patrie; et ces demandes, prétendues relatives à la sûreté publique, sont aussi peu concordantes, mais surtout aussi opposées qu’il soit possible, à l’état respectable où le bon sens et la raison veulent qu’on mette sans délai l’armée française. Ecou-tez-les, Messieurs. D’une part, augmenter l’armée, la faire camper, l’exercer, la soutenir par des gardes nationales ; d’autre part, licencier l’armée tout entière, licencier les officiers seulement, les licencier tous, les licencier jusqu’à un certain grade inclusivement, les faire remplacer par des sous-officiers, par des soldats, suivant le grade, suivant l’âge, au choix de tous, au choix de quelques-uns; conserver le serment militaire, le détruire, le renouveler, le changer : Tels sont les vœux inconciliables, qu’à partir du 14 avril surtout, on inspire en même temps aux habitants du royaume, mais principalement aux habitants des frontières de l’Est et de l’Ouest, du Nord et du Sud, de nos ports de mer, de nos places les plus importantes, de celles où les garnisons ont tenu la conduite la plus régulière, et étaient restées jusqu’ici les plus soumises à la discipline. Je vous cite Strasbourg, Messieurs, Strasbourg où la société des amis de la Constitution, animée d’un zèle qui peut devenir si funeste à la France, a donné, le 14 avril, ce terrible éveil à tous les clubs affiliés, à qui elle a envoyé sa pétition. Il est trop évident que le fil des intrigues qui voudraient faire anéantir toute troupe réglée, immoler au caprice d’un moment une foule de défenseurs de la patrie, préparer une confusion, un désordre universel par l’incertitude des moyens de remplacement, et le choc de mille prétentions opposées, absurdes, inconstitutionnelles; décréditer enfin, ou renverser tout pouvoir légitime, pour amener à la place une anarchie durable et véritablement irrémédiable dans les circonstances : le fil de ces intrigues, disons-nous, va se renouer dans des mains qui correspondent elles-mêmes avec des individusfrançaisou autres , dispersés chez les puissances du dehors, ou cachés dans les places maritimes ou de commerce, ou dans les cabinets de quelques Etats peu favorablement disposés. Recueillons nos vues, d’après ces détails trop nombreux sans doute, mais trop importants pour avoir osé vous les dissimuler. 11 est certain que presque tous les monarques d’Europe sont puissamment armés; les Pays-Bas sont couverts de troupes, mais comme ils l’étaient il y a 6 mois (sauf la désertion qui les a diminués) : il en existe sur les rives du Rhin plus qu’il n’y en avait il y a 2 mois; mais jusqu’ici la prétendue demande du passage par la Bavière, pour 12,000 Autrichiens destinés au Brisgaw, ne se confirme point; la Savoie, l’Espagne montrent une grande vigilance, et ont garni leurs postes. Les émigrants de tout état se sont réunis, à jour nommé, à peu de distance des frontières : les vœux, les discours, les efforts d’un grand nombre tendent à provoquer les membres de la maison de Condé à des mesures coupables contre la France. ün cherche à rapprocher par de fréquentes entrevues M. de Condé de quelques princes d’Allemagne; son domicile et celui de ses enfants est depuis 4 mois à Worms, dont le château ne lui avait été d’abord prêté que pour 6 semaines. Là il se voit entouré d’une jeunesse ardente, dont une partie voudrait attirer sur la France les haines, les intérêts et les passions du dehors. Le château qu’il habite est celui de l’électeur de Mayence, archi-chancelier de l’Empire, celui de tous nos voisins qui cherche avec le plus d’ardeur à imprimer à la diète des mouvements et des dispositions hostiles contre nous, qui provoque la réunion du contingent des troupes des cercles (sous prétexte de garnir la rive droite du Rhin, comme si vos principes pouvaient laisser craindre des agressions spontanées de la part de la France). Ainsi des Français, des Bourbons osent se lier, par l’hospitalité et la reconnaissance, à un prince étranger, à l’instant même où celui-ci charge son résident à Ratisbonne d’articles préparatoires, dont le quatrième tend au démembrement effectif de la monarchie française, et à l’envahissement, par l’empire germanique, de celles de nos provinces qui en ont jadis dépendu, et en sont détachées depuis des siècles. Voulez-vous encore, Messieurs, connaître d’autres causes d’agitation ? Des écrits venus de Rome, des écrits dont la hardiesse et le fanatisme ont fait rougir ceux mêmes qui les ont provoqués, sont distribués, colportés de toute part dans nos provinces, le long du Rhin, avec des mandements d’excommunication, d’anathème, remplis de vaines menaces et d’annonces violentes. La division, la discorde, les haines s’élèvent dans les cœurs, et sont soufflées, en ces contrées notamment, par les ministres naturels de la paix. De vives, de fréquentes inquiétudes troublent les habitants des campagnes, les détournent même des travaux champêtres, et entretiennent une fermentation nuisible, dont nous sommes prévenus par les officiers des troupes de ligne, les maires et administrateurs, et par les commandants pour le roi. Enfin les bons citoyens, les bons Français vous 121 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il juin 1791.] demandent de toute part sûreté, protection, appui; tous se plaignent que la dignité de la nation et la liberté des individus sont violées (spécialement sur les terres deM. le cardinal de Rohan, del’au-tre côté du Rhin); qu’au dedans, l’empire de la loi chancelle; que la paix publique est menacée, la discipline ébranlée, la üdélité des soldats tentée par de faux récits, ries promesses, des manœuvres; que toute la force militaire de l’Etat est compromise ; et qu’elle le sera de plus en plus, si vous ne rassemblez les troupes en des lieux où des exercices soutenus puissent les tenir en haleine, ranimer l’ancienne confiance entre le soldat et l’officier, vivifier toutes les idées de vertu, de patriotisme, et de cet honneur français plus imposant (tant est grande la force de l’habitude et des mœurs!) plus imposant peut-être que la religion même du serment. On ajoute que sans des mesures présentes et suivies, de votre part, le nerf de l’esprit public se dessèche en plusieurs lieux, et que son action est prête à cesser. Dans cette espèce de crise, qu’avez-vous à faire, Messieurs ? Commencerez-vous par effacer dans l’esprit du peuple l’impression de ce que les bruits qui l’agitent ont d’illusoire et de faux, ou au moins d’exagéré? Chercherez-vous à ranimer sa confiance dans vos soins vigilants, dans ceux des commandants pour le roi, qui ont sans cesse sa sûreté et son repos devant les yeux ; et aussi dans les administrateurs choisis par lui, qui se consacrent à le servir, en engageant ceux-ci à user, à leur tour, de leur propre force (qui est celle de la loi même), avec la vigueur et l’énergie dont tout leur fait un devoir ? Pour achever de calmer ses alarmes, et faciliter toutes les mesures protectrices de la sûreté au dehors, et de l’ordre au dedans , augmenterez-vous la force de vos troupes de ligne, en portant au pied de guerre un plus grand nombre de corps que ceux que vous ordonnâtes de recruter, sur ce pied, au mois de janvier dernier? En rassemblerez-vous une partie importante sur plusieurs points, en rétablissant l’esprit civique où il peut manquer ; en employant, pour cela, et fixant, par vos décrets, des moyens également prudents et constitutionnels ; en rappelant à la discipline, par des exercices militaires (si longtemps suspendus) et par des précautions sages, vigoureuses et strictement observées, tout ce qui pourrait s’en écarter ? Soutiendrez-vous votre armée par une conscription volontaire des gardes nationales, qui attendront vos ordres pour se choisir des commandants, et entrer en mouvement, et cela, jusqu’à l’instant où une guerre sérieuse ( s’il était possible qu’elle eût lieu contre un Etat qui ne veut que la paix et la justice) vous forcerait à placer vos 100,000 auxiliaires dans les cadres que vos régiments vous présentent? Rappellerez-vous à des Français aveuglés, aux émigrants, ce qu’ils se doivent à eux-mêmes, ce qu’ils doivent à leur patrie? Développerez-vous, vis-à-vis de celui qui doit leur servir de guide dans la route du véritable honneur et du devoir, les conséquences de sa conduite actuelle? ou plutôt adopterez-vous des mesures pressantes et indispensables, qui lui annoncent pour l’instant qui suivra, non seulement en cas d’agression hostile de sa part, mais encore en cas du moindre retard des explications et des assurances de fidélité qu’il doit à la France; qui lui annoncent, disons-nous, des décrets rigoureux, commandés par la Constitution, par le salut public, par la sûreté de vos concitoyens et par la sienne propre; enfin par l’intérêt évident du trône autour duquel la loi constitutionnelle seule doit et peut attacher tous les vrais amis de l’Empire par des liens indissolubles? Eveillerez-vous la vigilance, armerez-vous la sévérité des directoires de département et de district , des municipalités, des tribunaux criminels, contre tous enrôleurs, suborneurs, émissaires, qui attenteraient à l’intégrité de la force nationale, en prêchant l’insubordination, la désertion, et provoquant des engagements contraires à la fidélité des troupes ? En un mot , adopterez-vous, en écartant toute idée de licenciement de l’armée ou de ses officiers : 1° Les décrets qui vous ont été proposés hier par M. de Pusy sur l’engagement d’honneur de tous les officiers et soldats, sur les camps d’instruction et autres mesures réciproquement tranquillisantes ? 2° Ordonnerez-vous une augmentation de troupes de ligne? 3° Une conscription volontaire des. gardes nalionales? 4° Des mesures modérées, mais fermes, contre M. de Condé, qui en annoncent d’autres, suivies du plus prompt effet, en cas d’insuffisance ou d’inefficacité des premières? 5° Une disposition incitative pour les directoires, les municipalités, les tribunaux, contre tout suborneur ou embaucheur de soldats français? 6° Enfin une adresse aux Français, pour les tranquilliser, les animer, les exhorter à l’union et à tous les sentiments que la liberté nourrit et inspire? Les décrets que vos comités réunis ont l’honneur de vous présenter résolvent toutes ces questions à l’affirmative, et adoptent toutes ces mesures comme nécessaires et comme pressantes. Il sera facile de les justifier. Ces mesures, Messieurs, intéressent la dignité de l’Etat, sa tranquillité, sa sûreté. Quant à sa dignité, il est sensible que s’il est un moment où elle doit être maintenue aux yeux de l’étranger, à ceux de la nation elle-même, c’est sans doute relui où nous ne pouvons porter nos regards autour de nous sans rencontrer des forces imposantes. Vous aviez autrefois à soutenir dans l’Europe l’éclat d’un nom révéré, un commerce étendu, l’existence d’un grand Empire, composé de provinces riches et fertiles : aujourd’hui le ciel et votre courage, en vous laissant tous ces biens, vous ont donné un trésor de plus à garder, la Liberté ; une Constitution qui doit faire vos délices, et quelque jour le bonheur du monde. Mais rappelez-vous, Messieurs, que la liberté a été ingénieusement dépeinte sous l’emblème d’Andromède : elle est sur un rocher, elle est au milieu des ondes; mais des monstres la menacent; il lui faut un bras armé, un bras vigoureux pour la défendre. (. Applaudissements .) C’était un des torts de l’ancien gouvernement, d’être tombé dans un entier discrédit par ses fausses mesures, ses lenteurs, son imprudence : oublions ce qu’il eût dû faire pour l’honneur du nom français, quand, au nord de l’Europe, malgré nos faibles et impuissants efforts, on démembrait les royaumes; lorsque plus, récemment encore on anéantissait nos alliances les plus anciennes; mais sentons ce que nous sommes aujourd’hui. Animons-nous à effacer, par une 122 [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1791.] conduite plus digne dans l’avenir, les fautes du passé, ou plutôt écoutons la nation, dont la vigueur renaît, et qui nous rappelle elle-même à de hautes destinées. Les adresses de Marseille, de Strasbourg, d’Huningue, de Rennes, des Bouches-du-Rhône, de Belley, de Grenoble, prouvent que les Français ressentent vivement le peu d’égards avec lequel les habitants de l’Empire ont été traités en divers lieux. Tout homme digne de partager avec nous le titre de citoyen n’a-t-il pas été indigné de voir celui qui se dit et qui doit être le père commun des hommes faire à votre monarque l’insulte de refuser son ambassadeur? L’Europe aura sans doute observé qu’au lieu des promptes et sévères mesures qu’il vous eût été facile de prendre pour réprimer cette gratuite et éclatante offense, si le roi vous l’eût déférée, vous vous étiez vengés au moment même d’une manière plus digne de vous, en dédaignant, malgré tant de motifs plausibles, de réunir Avignon et le Comtat, et respectant jusqu’au scrupule des droits (quels qu’ils fussent) de celui qui avait cru vous outrager. J’ajoute encore un mot, Messieurs : vos efforts pour un armement maritime considérable ont signalé, l’année dernière, votre vigueur : il importe à la dignité de l’Etat d’armer aujourd’hui sur terre. Vous ne pouvez donc hésiter. La tranquillité et la sûreté du royaume l’exigent également. Les mesures que nous vous indiquons, promptes, faciles et peu coûteuses, contiendront, et les mauvais citoyens, s’il pouvait en exister, et les brigands rassemblés en plusieurs lieux, et même les agressions du dehors; et si l’ambition de quelque ministre étranger vous suscitait des ennemis parmi les rois de l’Europe, s’ils n’étaient pas désarmés tous par l’équité de vos principes et la modération de vos vues, au moins aevraient-ils l’être par la vigueur de vos résolutions, l’activité de vos préparatifs et la fermeté de votre maintien et de votre position militaire. 4 à 500,000 hommes, 4 à 500,000 Français, dont la liberté armera le bras, ne sont pour aucun prince, même pour aucune ligue de princes, un faible obstacle à surmonter. (. Applaudissements répétés à gauche.) M. llichelon (se retournant vers la droite en applaudissant). Applaudissez donc, vous autres! M. Fréteau-Saint-Just, rapporteur. Avons-nous besoin de l’ajouter, Messieurs ? Des mesures de vigueur importent peut-être à votre propre gloire. Sans doute vous n’en voulez point d’autre que le bien de vos frères et l’avantage de vous offrir une considération qui peut ajouter à celles de l’intérêt public, ou plutôt qui se confond avec elles; car votre honneur, Messieurs, appartient à la patrie. Malgré tous les nuages de l’imposture, la France aime, elle aimera toujours à compter la probité, la fermeté de l’Assemblée nationale parmi les éléments dont se seront composés son bonheur et sa gloire. (Applaudissements.) Eh bien ! Messieurs, considérez votre position : chacun de vous, depuis deux ans, s’est identifié avec la chose publique. Vous lui avez donné tous vos soins, vous l’avez soutenue, secourue dans les crises les plus pénibles, à travers les succès et les obstacles, à travers les clameurs et les bénédictions, sans jamais vous arrêter ni vous détourner de votre but. Vous le savez pourtant, Messieurs : après tant de travaux, on vous a accusés d’avoir éprouvé quelque attiédissement dans votre zèle, et ce sentiment de lassitude qu’une longue tenue de séances et d’application au mêmejobjefamènent souvent. Peut-être même cette opinion a-t-elle contribué à préparer, à amener la crise actuelle. C’est à nous à prouver, dans une occasion si importante, que nous avons voulu aussi persévéramment le bien que nous l’avons entrepris courageusement; que c’est de notre part une résolution sérieuse et immuable que celle de remettre à nos successeurs la direction de la chose publique, et l’Empire français, sinon encore entièrement florissant, du moins délivré de cette anarchie à laquelle concourent tant de causes, et que, par un dernier effort et des mesures décisives pour la paix, vous avez voulu vous assurer le loisir de faire face à de nouveaux travaux, de rendre à la patrie des services de jour en jour plus signalés, et de montrer, en approchant du terme, un renouvellement de vigueur et de générosité patriotique; c’est-à-dire, de cette vertu qui appartient surtout aux fondateurs d’un gouvernement équitable et humain. (Applaudissements à gauche.) Laisseriez-vous à vos adversaires le triste avantage d’avoir embarrassé vos derniers pas, suscité des obstacles insurmontables à votre zèle? Rappelez-vous combien vos motifs ont été purs et vos vues nobles et grandes ; vous n’avez agi que pour le peuple, pour le recouvrement et l’affermissement de ses droits si longtemps méconnus, et en vue de son plus grand avantage. A tous les ressorts usés d’une monarchie dégénérée, vous avez substitué l’antique et sûre morale des droits de l’homme, des principes dictés à la philosophie par l’humanité même, et par l’éternelle vérité, mais qui, sans votre héroïque persévérance, seraient encore peut-être relégués dans les livres, dans les froids monuments de la sagesse des siècles. Vous, au contraire, Messieurs, vous avez mis tout en action; vous avez donné la vie et l’être à ces principes féconds et régénérateurs; votre code constitutionnel est et sera à jamais le trésor du genre humain, la terreur des tyrans, le refuge de tous les opprimés : vos efforts pour le défendre doivent donc être proportionnés au prix inestimable d’un si grand bien. Pensez souvent que s’il a été donné à vos courageux écrivains, à vos philosophes sensibles, de consigner les maximes et les bases de ce code, désormais ineffaçable, dans des écrits immortels qui seront encore l’objet de la méditation des sages, c’est à vous seuls qu’il a été réservé d’en convertir en lois les précieux résultats. G’est à vous que les siècles, que l’univers devront de voir briser encore le joug de l’erreur, du despotisme, de la superstition, de l’ignorance, par tous les hommes qui, las comme nous de cet état de dégradation, d’avilissement où la partie la plus nombreuse et la plus utile du peuple français était tombée, secoueront leurs chaînes, et anéantiront toutes les espèces de tyrannie. Hâtez-vous, Messieurs, d’après tant de motifs, d’entourer de nouveaux remparts, de défendre avec une nouvelle ardeur cette Constitution qui compte peut-être encore parmi ses ennemis une partie des maîtres du monde, mais qui, chaque jour, acquerra, même parmi eux, d’ardents et d’illustres défenseurs. Les comités vous supplient d’entendre et d’agréer les décrets suivants qu’ils jugent instant d’adopter pour le bien et ia tranquillité de l’Etat (Applaudissement à gauche.) : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités de Constitution, militaire, diploma-