004 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1789.] égaré son zèle et trompé son esprit public. J’ajoute qu’ils ont abusé de sa confiance. Si celte motion reparaît, il sera aisé de démontrer que ce n’était pas aux créanciers actuels de l’Etat qu’elle destinait les biens des églises ; que ces créanciers, que la majeure partie du moins de ses créanciers, par leur position, par les limites de leurs créances, sont dans l’impuissance d’acquérir des biens-fonds ; que des spéculateurs dévoraient déjà le patrimoine des pauvres; qu’il devait nécessairement être la proie d’une compagnie de traitants. Mais les créanciers de l’Etat ..... les créanciers de l’Etat sont les nôtres. Si nous les investissons du patrimoine des pauvres, les pauvres redeviendront à leur tour nos créanciers, et nous n’aurons fait que déplacer des gages et des dettes. Sans doute les propriétés des églises sont aussi le gage de la dette publique, mais elles ne le sont que comme les nôtres et pas plus que les nôtres. Elles ne doivent aux dépenses publiques qu’une contribution égale et proportionnelle à celle des autres propriétés, et nous sommes injustes envers les pauvres si nous rejetons sur leur patrimoine une partie du fardeau’ que nous devons supporter. Cependant le cri de la patrie se fait entendre et ce cri est irrésistible. Une grande calamité pèse sur tous les citoyens, mais elle pèse encore plus sur le pauvre. Il faut donc pour l’intérêt même du pauvre sacrifier une partie des revenus que la religion lui avait destinés. Le commerce, le retour de la confiance, le retour de la paix et de la sécurité, lui rendront avec usure le prix d’un sacrifice momentané, et tous les citoyens par des secours plus abondants leur payeront l’intérêt des sommes qu’ils auront prêtées à la chose publique. Je pense donc, Messieurs, que chaque église, comprise dans (es limites de ce qu’on appelait autrefois le clergé de France, doit payer sa portion de la dette du clergé ; Que chaque église doit payer la dépense de son culte public, la dépense de ses ministres actuels, et l’éducation de ceux qui se destinent à le devenir ; Que le patrimoine des églises doit être encore affecté aux travaux de charité dans les limites de leur territoire, aux encouragements des manufactures locales ; A l’achat, dans les temps de calamité, des grains nécessaires pour la subsistance des pauvres ; y a trente ans que je respecte le nom qu’il porte, comme celui de la loyauté et de la vertu. La motion qu’il a proposée m’a paru réprouvée par les principes, et certainement il n’a point voulu blesser les principes. Elle m’a paru capable d’altérer l’union des provinces, et il n’a pas voulu altérer l’union des provinces. Il me paraît enfin démontré que les créanciers de l’Etat ne pouvaient pas être les acquéreurs des biens des églises. J’ai dû croire qu’il existait une arrière-motion qui révélerait les vrais acquéreurs. M. L. D. n’a certainement pas vu comme moi; il aurait réprouvé cette pensée. Il est donc démontré pour moi qu’il n’est pas l’auteur de la motion ou du moins qu'il a été entraîné par des impressions étrangères, et que son zèle pour l’Eglise et pour l’Etat a saisi, sans l’examiner sous toutes ses faces, la ressource qu’on lui a présentée. Au reste l’homme qui a su se taire pendant six mois, et qui jamais n’a répondu à une injure, ne saurait être soupçonné d’avoir voulu faire une injure. A des primes, pour encourager l’importation de ces grains ; A la dotation des hôpitaux, tant que nos mœurs et nos calamités rendront nos hôpitaux nécessaires ; A l’éducation publique. Et j’observerai, Messieurs, que pour avoir une éducation nationale, \ pour donner aux citoyens des connaissances utiles et des vertus, il en coûtera beaucoup moins qu’il n’en coûte aujourd’hui pour avoir une éducation partielle, vague, insignifiante, pour donner aux citoyens de vaines connaissances, des goûts frivoles', des préjugés et des vices. Enfin, j’ose espérer (et j’en ai pour garant le zèle de tous les citoyens, j’en ai surtout pour garant le zèle des pasteurs, administrateurs nés et premiers gardiens du pairimoine des églises), j’ose espérer que toutes les églises consentiront à affecter pendant vingt ans aux besoins de l’Etat un revenu annuel de 20 millions. Je fixe le terme de vingt années, parce que, dans vingt ans, vous devez être la nation la plus riche, la plus heureuse de l’univers, ou vous aurez cessé d’être une nation ; Ce revenu, les églises le trouveront dans une meilleure administration de leurs biens; Dans la vente de leurs biens morts, de leurs fonds stériles, dans la réunion des évêchés et des paroisses; Dans la suppression actuelles des corporations inutiles ; Dans la suppression successive des abbayes et des bénéfices simples. J’ai dit la suppression successive et j’ai dû le dire. Tout titulaire jouit en vertu d’un contrat public, et ce contrat fait sa propriété. Si nous voulons être libres, soyons justes; soyons-le, s’il le faut, jusqu’à la faiblesse. Que les titulaires qui n’auront pas le courage d’être citoyens jouissent tant qu’ils vivront des abus que vous avez proscrits, et que les lois de l’Eglise avaient proscrits avant vous. Qu’aucun Français enfin n’ait à gémir d’être libre. Craignons, craignons surtout de soulever les paroisses contre les paroisses, les églises contre les églises, les provinces contre les provinces, le royaume entier contre lui-même, et, tandis que nous courons à la liberté et au bonheur, de n’arriver qu’à la dissolution. M. le vicomte de Mirabeau (1). Messieurs, les biens du clergé appartiennent-ils à la nation? dans quel sens lui appartiennent-ils? est-il libre à la nation de vendre ces mêmes biens pour acquitter la dette nationale ? ses représentants feront-ils une chose juste en décidant ces diverses questions dans le sens adopté par M. l’évêque d’Autun? C’est ce qui a été longuement et savamment discuté dans cette Assemblée et surtout dans plusieurs ouvrages qui nous ont été présentés sur cet objet (2)". Je ne traiterai point cette question du juste ou de l’injuste; je me bornerai au calcul de l'avantage ou de la perte : car est-il nécessaire, en faisant une opération de ce genre, de la faire lucrative? (1) Le discours de M. le vicomte de Mirabeau est incomplet au Moniteur. (2) Les considérations politiques sur les biens temporels du clergé, par l’évêque de Nancy ; l’ouvrage savant de l’abbé de Rastignac ; le discours éloquent de l’abbé Maury, etc. [Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre Î78&.} Est-il d’une bonne, d’une sage politique, de vendre les biens du clergé pour acquitter la dette nationale ? Plusieurs membres. A la question! ce n’est pas là la question (il se fait un grand tumulte sur un grand nombres de bancs). M. le vicomte «le Mirabeau, élevant fortement la voix. 11 me paraît que la logique des poumons est aussi nécessaire dans cette Assemblée que la logique du raisonnement. Je dis que c’est tendre un piège que de vouloir isoler le principe de ses conséquences. Ne peut-on pas, en conservant à chacun son état, ses propriétés, trouver des moyens pour faire contribuer les biens du clergé à l’acquit de la dette nationale, sans se priver pour l’avenir de cette précieuse ressource ; et ces moyens ne seraient-ils pas plus prompts, plus directs, plus efficaces, que le système de M. l’évêque d’Autun? C’est sur l’examen de ces deux questions que je me borne, Messieurs, à demander votre attention (1). Est-il d’une bonne, d’une sage politique de vendre les biens du clergé pour acquitter la dette nationale? Tout Français forme le vœu de voir acquitter celte dette; mais qui a jamais prétendu que cette même dette, fruit des guerres et du faste de Louis XIV, de la mauvaise administration des finances sous les règnes suivants, dût être acquittée sur-le-champ par la génération actuelle? Qui oserait violer les règles de l’équité jusqu’à soutenir que, pour nous libérer de cet énorme fardeau, il faut que chaque citoyen consente à la vente de ses biens, meubles et immeubles, à proportion de sa propriété? Qui ignore que, pour opérer le bien, il faut une sage mesure, et dans le temps et dans le mode de l’opération ? Qui ne sait que, pour vouloir précipiter la guérison d’une grande maladie, on tue souvent le malade ? Cette vente des biens du clergé est tout à fait contre les règles d’une bonne poliique : les exemples anciens et modernes établissent cette vérité incontestable. Il ne suffit, pas de dire qu’au moyen de cette vente, l’Etat se libérera d’une grande partie des effets royaux qu’on donnera pour comptant, et pour prix de l’achat des biens du clergé, si cette libération présente des inconvénients plus considérables que la dette qu’on veut acquitter : or c’est ce qu’il ne me sera pas difficile, Messieurs, de vous démontrer. Ces inconvénients sont : 1° que cette vente des biens du clergé ruinera les provinces, en détruisant l’agriculture, arrêtera la circulation et fera passer les biens-fonds dans la main des capitalisai On a cru devoir me rappeler qu’il ne s’agissait de traiter que le principe de la propriété des biens du clergé, et non ses conséquences, ni son application : j’ai répondu, après avoir observé et prouvé que la logique des poumons était la' plus nécessaire dans l’Assemblée, que le principe et les conséquences avaient une telle connexité, qu’ils ne pouvaient être jugés séparément, et que dans le cas même où l’on verrait la nécessité de cette division, je demanderais l’ajournement du jugement relatif au principe jusqu’à ce que les conséquences fussent décidées; j’ai ajouté que ce serait sans doute un piège tendu à notre bonne foi que de nous interdire la discussion que je réclamais et de nous prescrire impérativement de nous en tenir à celle du principe. 60o tes, dont grand nombre ne résident pas en province, ni même en France ; 2° Que, supposant cette libération opérée par cette vente, il restera des charges indipensa-bles à remplir, plus fortes que celle qui viendra d’être acquittée ; 3° Que cette vente privera à jamais l’Etat d’un gage assuré, et d’une ressource toujours infaillible dans les temps de détresse ; ressource dont on a fait si souvent usage, qu’on peut sans invraisemblance assurer qu’on sera encore forcé d’y recourir. J’ai dit que cette vente ruinerait les provinces, détruirait l’agriculture et arrêterait la circulation : je vais le prouver. Qui sont ceux qui se présenteront pour acquérir les biens du clergé, qui pourront même hausser les enchères? Ce seront, n’eu doutez pas, Messieurs, les porteurs des effets royaux si excessivement multipliés. Qui sont les porteurs des effets royaux? Ce sont des habitants de cette capitale, des Hollandais, des Génevois, des Impériaux, en un mot des étrangers à nos provinces, qui trouveront fort doux d’acquérir de bonnes et solides propriétés en échange d’effets discrédités. Que vont devenir nos provinces? Ce que devient tout pays où le consommateur n’est pas le propriétaire. Dans peu, la consommation cessant, plus de circulation ; l’agriculteur, privé du débit de ses denrées, négligera un sol autrefois fécond par son industrie, mais dont la fécondité lui deviendra inutile. Quelle désolation ne porterait donc pas dans les provinces ce décret de la vente des biens du clergé 1 Les provinces se contenteront-elles de s’abandonner à la désolation et au désespoir ? Croyez-vous que leurs habitants; accoutumés aux bontés des anciens propriétaires, verront paisiblement passer leurs propriétés dans des mains étrangères? Pensez-vous qu’un système aussi destructeur que celui présenté par M. l'évêque d’Autun puisse être accueilli dans ces mêmes provinces? Attendez-vous, Messieurs, à des réclamations de toutes parts ; j’en ai la preuve certaine, Et qui vous répondra que dans ce moment, où les esprits sont agités d’une effervescence universelle, on se contente de s’en tenir aux réclamations ? Ne donnons pas au peuple l’apparence du droit de pouvoir nous résister. Soyons justes, nous le trouverons soumis. Ajoutez, Messieurs, à cette puissante considération, celle tirée des avantages sans nombre que procurent les corps ecclésiastiques aux provinces dans lesquelles ils résident, les aumônes abondantes, les fermages modérés, les aisances qu’ils fournissent aux cultivateurs, les travaux qu’ils procurent aux ouvriers, les établissements honnêtes qu’ils facilitent aux familles nombreuses. Anéantissez ces corps ecclésiastiques ; faites passer leurs propriétés dans les mains d’étrangers et non-résidants ; avant un an, la misère la plus affreuse succédera à l’aisance; aux monuments respectables quelapiété denos ancêtres a consacrés au culte divin, à l’hospitalité, succéderont des monceaux de décombres, et le voyageur étonné demandera si des Goths, des Vandales, ont dévasté ces belles provinces. Il ne vous échappera pas non plus que cette vente nécessitera indispensablement un gaspillage affreux, des frais immenses, une perte incalculable sur les effets mobiliers, tels que bibliothèques, manuscrits, etc. Quelle perte pour la littérature ! J’ajoute que cette vente serait de la plus grande [30 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 606 injustice. Elle s’opérerait, dit-on, pour libérer partie de la dette nationale; mais cette dette doit s’acquitter par la nation, prise cumulativement à raison de son étendue et de sa propriété : or, cette proportion serait immanquablement violée, et je connais, Messieurs, une des plus petites provinces du royaume, dont les propriétés sont presque toutes ecclésiastiques, et qui, par cette raison, contribuerait à l’acquit de la dette nationale cent fois plus qu’elle ne le doit à raison deson étendue et de ses propriétés, calcul fait des détériorations que je crois inséparables du système que je combats. Vous ne perdrez pas de vue, Messieurs, les collèges, les hôpitaux, et tant d’autres établissements utiles : leurs biens vendus, quelle ressource leur reste-t-il dans des temps de calamités ? J’ai dit en second lieu que, cette vente des biens ecclésiastiques consommée, il restera des charges indispensables à remplir, plus considérables que celles résultant de la dette nationale. Je n’abuserai pas, Messieurs, de votre bienveil ¬ lance à m’écouter, pour entrer dans la discussion du calcul de ces charges : il suffit de dire que les calculs les plus modérés démontrent que le produit actuel des biens ecclésiastiques serait insuffisant de plusieurs millions pour satisfaire aux charges que supportent les biens du clergé. Vous ne voudriez sûrement pas, Messieurs, en spoliant le clergé, condamner les individus à périr de misère : ce sont nos frères, nos concitoyens. Combien parmi nous ne doivent-ils pas leur éducation, leur état, la possibilité de se soutenir dans les emplois militaires et dans les emplois civils, aux bontés de ces mêmes ecclésiastiques qu’on voudrait aujourd’hui dépouiller 1 Celte vente priverait pour toujours l’Etat d’une ressource à laquelle il a eu si souvent recours dans des temps de calamités, dans le cas d’une guerre soudaine, qui exige dans l’instant des sommes considérables d’argent, que ne peut fournir la marche lente et graduelle d’un impôt ; avec l’hypothèque des biens du clergé, le gouvernement trouve sans peine les secours pécuniaires dont il a besoin ; le clergé lui-même se charge de les fournir. Vendez les biens du clergé, que vous reste-t-il ? Je n’ai point trop avancé, Messieurs, quand je vous ai dit que des exemples anciens et modernes démontraient que cette vente des biens du clergé est contraire aux règles d’une bonne et sage politique. Qui de Vous ne connaît ce qui se passa en Angleterre sous Henri Vill ? 11 appropria à la nation les biens du clergé, et un an après, la nation dut recourir à de nouveaux emprunts ; c’est ce qui faisait dire à François 1er : * Mon frère a tué la poule qui lui pondait des œufs d’or. » Mais voyons ce qui s’est passé en France et ce qui se passe chez nos voisins. La nation française est-elle devenue plus riche depuis l’expulsion dos jésuites, des célestins ? Que sont devenus leurs biens, quel usage en a-t-on fait ? Il semble que la Providence (car enfin, Messieurs il y en a une) marque du sceau de la réprobation toute opération qui n’est pas fondée sur l’équité. Examinons l’exemple tout récent que nous donne l’Empereur dans les Pays-Bas autrichiens ; il n’a pas anéanti tout, mais seulement une partie du clergé, dans cette province renommée autrefois par sa richesse et sa population. Elle présente un tableau malheureusement trop vrai de la désolation et de l’indigence. Le second objet que je me suis proposé de discuter est de savoir si on ne peut, en conservant à chacun son état et ses propriétés, trouver des moyens pour faire contribuer les biens du clergé à l'acquit de la dette nationale, sans se priver à l’avenir de cette précieuse ressource, perdue à jamais dans le système destructeur de M. l’évêque d’Autun. Vous désirez, Messieurs, et votre désir est juste, que les richesses du clergé, peut-être infiniment exagérées, viennent actuellement aider à la libération de la dette nationale. Eh bien ! Messieurs, ne vous écartez pas des règles d’équité qui doivent dicter vos décrets : rejetez le parti proposé par M. l’évêque d’Autun ; assurez au clergé ses propriétés, l’inviolabilité de ses biens : je vous assure que dans peu, ce même clergé qu’on veut anéantir, fera pour la libération de la dette nationale des sacrifices qui surpasseront l’attente de la nation. Cette promesse de ma part est-elle téméraire ? Je vous le demande, représentants du clergé qui m’écoutez ; n’êtes-vous pas disposés à donner sur-le-champ les preuves les plus décisives de votre généreux patriotisme ? 11 me semble vous voir chacun dans vos provinces concourir avec une sainte émulation au soulagement d’une patrie qui de son côté vous protège et vous défend contre des novateurs aussi impolitiques qu’injustes. Mais il ne suffît pas, Messieurs, que le clergé donne dans ce moment des preuves de son généreux patriotisme : la puissance législative doit veiller à ce que les biens du clergé soient employés d’une manière utile à la patrie. Je m’en rapporte à la sagesse de l’Assemblée nationale pour atteindre ce but si désirable. Elle prendra sans doute les mesures convenables pour qu’à l’avenir (car l’injustice qui dépouille un titulaire est révoltante pour toute âme honnête) on n’accumule plus sur la tête de la même personne des abbayes, des dignités, des bénéfices. Plusieurs communautés régulières demandent, dit-on, elles-mêmes leur suppression. La réponse est péremptoire : Volenti et consens tienti non sit injuria. Qu’on supprime ces religieux qui sollicitent leur suppression, mais qu’on les regarde comme des hommes qui, foulant aux pieds leurs vœux, cherchent une liberté dont ils ne tarderont pas à abuser. Qu’on ne confonde pas avec ce petit nombre de religieux la quantité innombrable de religieux et de religieuses qui, dans leur solitude, implorent la miséricorde divine pour être conservés dans leur état. D’après .ces,' considérations je me résume et je demande : 1° Que le système de M. l’évêque d’Autun soit rejeté comme attentatoire aux propriétés, inadmissible en bonne politique, contraire à toutes les règles de l’équité dans la répartition des contributions à l’acquit de la dette nationale et capable d’exciter les révolutions les plus dangereuses dans les provinces ; 2° Que les vues soumises à la sagesse de l’Assemblée nationale sur la nomination des bénéficiers, l’usage de leurs revenus, les moyens d’établir la régularité dans les monastères, la réunion des prieurés et prévôtés aux maisons principales, soient renvoyés à l’examen du comité des affaires ecclésiastiques ; et je conclus finalement à ce que le comité fasse droit sur la demande qu’on dit 130 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. être faite par quelques communautés de leur suppression, en réservant aux individus une pension quelconque, et en appliquant les revenus de ces mêmes communautés à des objets que l’Assemblée nationale, jugera dans sa sagesse, être les plus utiles. M. le comte de Mirabeau. Le préopinant a commencé par vous dire qu’il ne traitait pas la question du juste ou de l’injuste, parcequ’il veut éviter un piège; en ce cas, Messieurs, je suis un grand dresseur de pièges. M. le vicomte de Mirabeau demande acte de la déclaration de M. le comte de Mirabeau. M. le comte de Mirabeau. J’ai l’honneur de vous déclarer, pour le reste de ma vie entière, que j’examinerai toujours si le principe est juste ou injuste. La première nécessité imposée aux représentants de la nation est d’examiner si la proposi tion est juste ou injuste, sans examiner le déluge des inconvénients que l’on nous fait entrevoir. Je vais me jeter dans le fond delà question. Messieurs, lorsqu’une grande nation est assemblée, et qu’elle examine une question qui intéresse une grande partie de ses membres, une classe entière delà société, et une classe infiniment respectable ; lorsque cette question parait tenir tout à la fois aux règles inviolables de la propriété, au culte public,” à l’ordre politique et aux premiers fondements de l’ordre social, il importe de la traiter avec une religieuse lenteur, de la discuter avec une scrupuleuse sagesse, de la considérer surtout, pour s’exempter même du soupçon d’erreur, sous ses rapports les plus étendus. La question de la propriété des biens du clergé est certainement de ce nombre ; une foule de membres l’ont déjà discutée avec une solennité digne de son importance. Je ne crois pas cependant qu’elle soit encore épuisée. Les uns ne l’ont considérée que relativement à l’intérêt public ; mais ce motif, quelque grand qu’il puisse être, ne suffirait pas pour décréter que les biens du clergé appartiennent à la nation si l’on devait par là violer les propriétés d’une grande partie de ses membres. On vous a dit qu’il n’y a d’utile que ce qui est juste, et certainement nous admettons tous ce principe. Les autres ont parlé de l’influence qu’aurait sur le crédit public le décret qui vous a été proposé, de l’immense hypothèque qu’il offrirait aux créanciers de l’Etat, de la confiance qu’il ressusciterait dans un moment où elle semble se dérober chaque jour à nos espérances ; mais gardez-vous encore, Messieurs, de penser que ce motif fût suffisant, si la déclaration que l’on vous propose n’était destinée qu’à sanctionner une usurpation. Le véritable crédit n’est que le résultat de tous les genres de confiance, et nulle confiance ne pourrait être durable là ou la violation d’une seule, mais d’une immense propriété menacerait par cela seul toutes les autres. Plutôt que de sauver l’empire par un tel moyen, j’aimerais mieux, quels que soient les dangers” qui nous environnen t, me confier uniquement à cette Providence éternelle qui veille sur les peuples et sur les rois. Aussi n’est-ce pas uniquement sous ce point de vue que je vais envisager la même question. Ceux-ci ne l’ont traitée que dans ses rapports avec les corps politiques, que la loi seule fait naître, que la loi seule détruit, et qui, liés par 607 cela même à toutes les vicissitudes de la législation, ne peuvent avoir des propriétés assurées lorsque leur existence même ne l’est pas. Mais cette considération laisse encore incertain le point de savoir si, même en dissolvant le corps du clergé pour le réduire à ses premiers éléments, pour n’en former qu’une collection d’individus et de citoyens, les biens de l’Eglise ne peuvent pas être regardés comme des propriétés particulières. Ceux-là ont discuté plus directement la question de la propriété; mais en observant que celui qui possède à ce titre a le droit de disposer et de transmettre, tandis qu’aucun ecclésiastique ne peut vendre ; que le clergé, même en corps, ne peut aliéner; et que si des individus possèdent des richesses, nul d’entre eux, du moins dans l’ordre des lois, n’a le droit d’en hériter, ils n’ont peut-être pas senti que le principe qui met toutes les propriétés sous la sauvegarde de la foi publique doit s’étendre à tout ce dont un citoyen a le droit de jouir, et que, sous ce rapport, la possession est aussi un droit, et la jouissance une propriété sociale. Enfin, d’autres ont discuté la même question en distinguant différentes classes de biens ecclésiastiques ; ils ont tâché de montrer qu’il n’est aucune espèce de ces biens à laquelle le nom de propriété puisse convenir. Mais ils n’ont peut-être pas assez examiné si les fondations ne devaient pas continuer d’exister, par cela seul que ce sont des fondations, et qu’en suivant les règles de nos lois civiles leurs auteurs ont pu librement disposer de leur fortune et faire des lois dans l’avenir. C’est, Messieurs, sous ce dernier rapport que je traiterai la même question. On vous a déjà cité sur cette matière l’opinion d’un des plus grands hommes d’Etat qu’aient produits les temps modernes. Je ne puis ni l’approuver entièrement, ni la combattre ; mais je crois devoir commencer par la rappeler. Il n’y a aucun doute, disait-il, sur le droit incontestable qu’ont le gouvernement dans l’ordre civil, le gouvernement et l’Eglise dans l’ordre de la religion, de disposer des fondations anciennes, d’en diriger les fonds à de nouveaux objets, ou mieux encore de les supprimer tout à fait. L’utilité publique est la foi suprême, et ne doit être balancée ni par un respect superstitieux pour ce qu’on appelle intention des fondateurs, comme si des particuliers ignorants et bornés avaient eu le droit d’enchaîner à leur volonté capricieuse les générations qui n’étaient point encore, ni par la crainte de blesser les droits prétendus de certains corps, comme si les corps particuliers avaient quelques droits vis-à-vis de l’Etat. Les citoyens ont des droits, et des droits sacrés, pour le corps même de la société : ils existent indépendamment d’elle, ils en sont les éléments nécessaires, et iis n’y entrent que pour se mettre avec tous les droits sous la protection de ces mêmes lois auxquelles ils sacrifient leur liberté. Mais les corps particuliers n’existent point ni par eux-mêmes ni pour eux : ils ont été formés par la société, et ils doivent cesser d’être au moment où ils cessent d’être utiles. Concluons qu’aucun ouvrage des hommes n’est fait pour l’immortalité. Puisque les fondations, toujours multipliées par la vanité, absorberaient à la longue tous les fonds et toutes les propriétés particulières, il faut bien qu’on puisse à la fin les détruire. Si tous les hommes qui ont vécu avaient eu un tombeau, il aurait bien fallu, pour trouver des terres à cultiver,