[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 septembre 1789.] tinuité de ses travaux, ramener la paix générale, rendre à la France alarmée le repos et la confiance, et faire jouir enfin son auguste monarque du bonheur dont il est privé depuis si longtemps. Voilà, Messieurs, lerapport que j’ai fait au Roi. Sa Majesté a jugé à propos qu’il vous fut communiqué, et c'est encore avec son approbation que je vais vous soumettre une réflexion importante. J’ai exposé dans mon mémoire au Roi les raisons qui pouvaient l’engager à voir sans peine la substitution du veto limité à un veto absolu et indéfini. Mais tout serait changé si la sanction du Roi était obligatoire dès la seconde législature; car ce serait presque la rendre nulle, puisque la crainte de compromettre la dignité du Roi par un appel inutile à la seconde législature engagerait le gouvernement à ne jamais courir ce hasard; au lieu qu’en rendant la sanction du Roi nécessaire seulement à la troisième législature, il résulterait d’une telle disposition le grand et notable avantage de ménager au monarque le moyen de donner, dès la seconde législature, son consentement libre à la loi proposée ; et il ne manquerait pas de le faire si, averti de l’opinion publique par l'insistance d’une seconde législature, il voyait manifestement qu’il contrarierait le vœu national en continuant à refuser son acquiescement. Ainsi, quoique la sanction du Roi, rendue obligatoire à la troisième législature, ou la sanction du Roi, déclarée nécessaire dès la seconde, puissent se ranger sous le nom commun de veto suspensif , il n’y a point d’idées plus différentes et plus dissemblables : le veto absolu, au risque de n’en jamais faire usage, serait infiniment préférable à un veto suspensif dont on ne ferait poiut usage non plus, puisque le premier de ces veto conserverait du moins au trône toute sa majesté. La nation, en donnant sa confiance à des députés choisis pour un temps, n’a jamais pensé qu’elle retirerait par cet acte celle qui l’unit à son souverain, à ce dépositaire permanent de l’amour, de l’espérance et du respect des peuples, à ce défenseur né de l’ordre et de la justice. Elle veut, pour son bonheur et pour la prospérité de l’Etat, un équilibre entre les-divers pouvoirs qui sont sa sauvegarde; mais elle n’entend pas sûrement détruire les uns par les autres : et s’il lui est si difficile d’exprimer la plénitude et la durée de ses vœux, si ces représentants momentanés ne peuvent le faire qu’imparfaitement, il est du d’autant plus de respect à celui qui, par l’assentiment des siècles et des générations passées, a été consacré l’un des gardiens immuables des lois et de la félicité publique. Je vois des résistances opposées de toutes parts au pouvoir exécutif; il faut plus que jamais lui ménager cette force morale, qui naît des formes et des idées de grandeur que ces formes entretiennent. Vous avéz pris, Messieurs, toutes les précautions imaginables pour la liberté, et sans doute que vous allez bien loin à cet égard, puisque vous en voulez une plus grande que celle dont toute l’Europe vante la perfection, que celle des Anglais, ces vieux amis de la liberté, ces connaisseurs expérimentés des conditions qu’elle exige, et qui, après cent ans d’expérience, ne voudraient pas admettre le moindre changement dans une Constitution dont ils ne parlent jamais sans exprimer en même temps le bonheur dont elle les fait jouir. Mais, ensuivant vos idées à cet égard, ne perdez pas de vue, Messieurs, que si vous négligez les précautions nécessaires pour conserver au pouvoir exécutif sa dignité, son ascendant, sa force, ce royaume est menacé d’un désordre général ; et ce désordre poürra détruire, 61 j dans ses révolutions inconnues l’édifice que vous aurez élevé avec tant de soin. Un royaume comme la France, un royaume de vingt-cinq mille lieues carrées, un royaume de vingt-six millions d’habitants, divisé par des habitudes et par des mœurs différentes, ne peut pas être réuni sous le joug des lois sans une puissance active et toujours vigilante. Ainsi, c’est au nom de la prospérité de l’Etat, c’est au nom de la tranquillité publique, c’est au nom du bonheur particulier du peuple, c’est au nom de la liberté dont vous êtes si honorablement jaloux, que vous êtes intéressés, Messieurs, à défendre la majesté du trône : et rien ne l’altérerait plus que la nécessité où vous voudriez mettre le souverain d’être l’exécuteur des lois qu’il paraîtrait avoir désapprouvées. Ah! qu’une parfaite harmonie est nécessaire entre toutes les forces appelées à veiller sur le destin d’un empire ! L’histoire nous apprend que la supériorité de puissance ne peut seule consolider une Constitution, parce que cette supériorité est soumise à des révolutions. La Constitution de l’Angleterre, défendue par des circonstances qui lui sont particulières, n’eût jamais pu se soutenir sans l’amour commun de la patrie ; et cet amour commun n’est dû qu’au contentement égal du roi, des grands et du peuple : c’est ce contentement qu’on doit entretenir par de prudentes dispositions: et, pour y réussir, il faut par un effort se séparer quelquefois des souvenirs et des impressions du moment, pour se transporter au loin à ces temps de calme et d’impartialité, ou l’on ne prise que la raison, la sagesse et l’équité générale. L’Europe entière, Messieurs, a les yeux attachés sur vous; vos mouvements généreux, votre patriotisme, vos lumières, offrent un spectacle intéressant pour toutes les nations, et la France attend de vous sa gloire et son bonheur. Ne mettez pas au hasard ces précieuses espérances par un esprit de désunion, effet naturel de toute espèce d’exagération dans les opinions. Le bien que vous pouvez faire me paraît sans mesure ; mais c’est par de la modération que vous le rendrez stable : c’est là seul qu’est la force, c’est là seul que se trouvent l’accord et la réunion de tous les moyens qui peuvent concourir à la prospérité d’un Etat. Pardonnez, Messieurs, à mon amour inquiet, si j’ose vou3 rappeler à ces idées; j’attache mon bonheur à vos succès, et je ne sais pourquoi j’y place encore ma gloire ; mais il est vrai cependant que toutes sortes de sentiments m’unissent à vos travaux, et qu’au moment où la France en deuil renoncerait à ces hautes perspectives, accablé de la même tristesse, j’irais cacher au loin ma douleur et mes regrets. ASSEMRLÉE NATIONALE, PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du samedi 12 septembre 1789, au matin ( l) . Lecture a été faite des deux derniers procès-verbaux. Communication a été donnée des adresses des habitants de la communauté de Serres, Sainte-Marie en Béarn, de la ville de Saintes, de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 616 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 septembre 1789.] la ville de Puttelange en Lorraine, de Châlons-sur-Marne, des officiers du bailliage et du corps municipal de la ville d’Yerville en Beauce, portant félicitation et reconnaissance; d’un décret du comité général d’Avranches, qui ordonne que les droits et impôts de lout genre, sous quelque dénomination qu’ils soient perçus, continueront de l’être, et qui invite toutes les municipalités des villes et des campagnes, et toutes les milices nationales, leur enjoint même, au nom de la nation, du Roi et de la loi, de prêter main-forte aux commis et préposés pour la perception des droits ; d’une adresse des communes de Labour, dans les Pyrénées, qui expriment tous les sentiments dont ils sont pénétrés pour l’Assemblée. A cet instant, un député de cette province a observé que cette adresse n’était faite que par les communes, attendu que la noblesse avait précédemment fait présenter par lui une adresse particulière, portant renonciation à ses privilèges, et adhésion à tous les arrêtés de l’Assemblée. Après la lecture des procès-verbaux et adresses, M. le cardinal de Rohan, prince évêque de Strasbourg, député des bailliages de Hagueneau et Wissembourg, s’est présenté pour prendre séance à l’Assemblée. M. le cardinal de Rohan dit : Messieurs, je n’oserais pas suspendre, même pour un moment, le cours de vos délibérations, si mon cœur n'était vivement pressé de satisfaire au plus juste et au plus vrai des sentiments. Je dois à l’Assemblée nationale des actions de grâce respectueuses; je lui dois le témoignage des regrets les plus sincères, d’avoir été contraint, par le mauvais état de ma santé, de différer jusqu’à ce moment à me rendre dans cette auguste Assemblée, dont les soins continuels, pour assurer le bonheur de tous, rendent le zèle si cher à la nation. Je vous supplie donc, Messieurs, de recevoir favorablement l’hommage que j’ai actuellement la satisfaction et l’honneur de pouvoir vous offrir en personne. Ce discours est couvert d’applaudissements. M. Verdet, curé de Wintrangee, député du bailliage de Sarreguetnines, remet sur le bureau une souscription patriotique de 264 livres, dont 96 livres ont été fournies par le curé d’Hélimer, un de ses commettants, faisant l’équivalent de sa quote-part de don gratuit. M. Bouche offre, de la part de deux jeunes demoiselles, des diamants, une paire de bracelets en or, un cœur avec une émeraude, un louis en or. M. le chevalier de la Guiche, gentilhomme du Charolais, fait offrir une somme de 12,000 livres. M. Aubry du Bochet demande, avant de reprendre l’ordre du jour, que l’on s’occupe immédiatement après le jugement des questions soumises actuellement à la décision de l’Assemblée, de la formation des Assemblées provinciales. Cette proposition est rejetée. On reprend la discussion sur la durée du veto suspensif . M. Le Pelletier de Saint-Fargeau obtient la parole. Je ne me présente pas pour interrompre l’ordre du jour ; je ne viens seulement que vous présenter une question secondaire à celle que vous agitez; vous allez examiner pendant combien de législatures le veto du roi aura lieu. Il est très-essentiel de décider préalablement combien de temps durera chaque législature. Cette décision influera beaucoup sur la durée du veto ; cette dernière question y est même subordonnée ; car si vous faites durer une législature pendant trois ans, c’est suspendre le veto pendant trois ans ; et si on décidait que le veto durerait pendant deux législatures, ce serait le prolonger pendant six ans. L’Assemblée sent la nécessité de fixer, avant tout, la durée de la législature. M. de Blchier. J’observe que l’Assemblée pourrait aussi juger préalablement si les membres de l’Assemblée nationale seront élus à la fois ou partiellement. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau. On peut discuter cette question connexement avec la mienne, parce qu’elles ont beaucoup d’influence ; mais on les divisera quand il faudra les décider. L’Assemblée décrète que les deux questions seront discutées conjointement, mais divisées lors de la décision. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau reprend la parole sur sa motion. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau. Je viens fixer votre attention pendant quelques instants sur une question très-importante dans l’ensemble de la Constitution. Il s’agit de fixer les pouvoirs des députés. Seront-ils restreints à un an ou à plusieurs? Je pense que ces pouvoirs ne doivent durer que pendant une seule année. Il me semble cependant aussi que l’on doit accorder aux provinces la faculté de conserver les mêmes députés, c’est-à-dire de les proroger. J’ose solliciter votre indulgencesur les réflexions que j’ai à vous présenter pour déterminer la durée des pouvoirs des députés formant le corps politique, et la fixer à un an. Il faut ici faire une grande différence entre le corps législateur et le corps administrateur. Dans les Assemblées provinciales, il serait nuisible de rendre trop fréquents les changements ; les objets que l’on y traite tiennent à l’expérience; ils exigent des connaissances des localités. Si les Assemblées provinciales ne doivent pas être renouvelées si souvent, il n’en faut pas conclure que les Assemblées nationales ne doivent pas l’être. IL en est tout autrement du Corps législatif. Quelles sont en effet ses fonctions? C’est de prononcer des lois. Mais chaque loi est isolée ; elle ne tient à aucun objet : dès qu’elle est prononcée, l’œuvre du législateur est complète ; il n’est pas tenu de suivre l’exécution des lois ; ses fonctions consistent à examiner les charges publiques ; mais cet examen sera toujours le même tous les ans. Ses fonctions consistent à asseoir l'impôt ; celte opération ne présente pas plus de difficultés, n’exige pas plus de temps que les opérations de finance. Ses fonctions consistent enfin à juger les ministres ; dans une Assemblée annuelle on a le temps de juger leur conduite. Dira-t-on que le législateur deviendra plus expérimenté, si la législation est prolongée au-delà d’un an ? Mais ce serait alors reconnaître deux âges dans l’Assemblée nationale, celui de son en-