BAILLIAGE DE MONTREUIL-SUR-MER. REMONTRANCES Du clergé du bailliage de Montreuil-sur-Mer (1). Sa Majesté se propose de régénérer la nation, l’invite à se réformer elle-même ; c’est avec autant de confiance que de respect que le clergé du bailliage de Montreuil-sur-Mer supplie : GOUVERNEMENT. Art. 1er. De «onvoquer les Etats généraux toutes les fois qu’il y aura nécessité d’un nouvel impôt, d’une augmentation, d’une prorogation, d’un emprunt, et des lois qui intéresseront tous les citoyens ; la nation n’aura pas d’autres représentants, la loi n’aura pas d’autre sanction ; les ministres prévaricateurs les auront pour juges. Art. 2. De faire rendre compte à des époques fixes de l’emploi des deniers de l’Etat ; ces comptes seront vérifiés et arrêtés par des députés des provinces. Art. 3. De rendre tous les ministres comptables et responsables des deniers qu’ils emploient chacun pour son déplacement. Art. 4. De fixer invariablement les dépenses annuelles de l’Etat, de les régler sur les seuls et uniques besoins indispensables, d’en proscrire toutes dissipations arbitraires. Art. 5. D’abolir entièrement la vénalité des charges ; ce n’est qu’un détail d’emprunt. Les pourvus de charges lucratives tirent du public un intérêt plus que quadruple; les pourvus de charges honorifiques jouissent d’exemptions pécuniaires, et ces vides, le public est obligé de les remplir. •La vénalité donne à la fortune une prépondérance de crédit qui précipite dans l’oubli le mérite des services et des talents, et quoique celui-ci soit le plus noble, c’est toujours celui qui est le plus rarement anobli. De déterminer et fixer invariablement une somme destinée à des pensions et gratifications. Art. 6. De ceux qui jouissent de pensions sur le titre intéressant de pauvreté, plusieurs trompent le gouvernement. Le mérite sans fortune a des droits légitimes à un sort honnête; le mérite réuni à la fortune n’a besoin que d’une distinction. L’honneur pour les Français doit être la plus riche et la plus flatteuse récompense. Art. 7. De supprimer entièrement les haras, dont l’entretien est aussi inutile qu’onéreux. Art. 8. De supprimer le corps du génie des ponts et chaussées, dont les opérations peuvent être suppléés par des moyens moins dispendieux. Art. 9. De simplifier les impôts, la perception, le versement et l’administration des caisses, et pour y parvenir anéantir entièrement les impôts des gabelles, aides, tabac, capitation, octrois, etc. Les uns sont des moyens raffinés et multipliés de vexations, les autres sont la source des malheurs journaliers du peuple et un objet d’horreur pour la nation ; cette idée seule supplée à tous les détails. (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. Art. 10. De remplacer tous les impôts par un seul et unique, qui sera réparti uniformément dans tout le royaume, auquel contribueront toutes les fortunes de toute espèce, et chaque contribuable à proportion de ses facultés, sans égard à des privilèges et exemptions qui ne doivent plus subsister. Art. 11. De n’établir de droits de traites qu’aux frontières pour entrer et sortir du royaume. Art. 12. En laissant subsister le contrôle comme un impôt public et intéressant, d’en modérer les droits, d’en simplifier les règles pour les rendre intelligibles à tous, d’en retrancher le droit de centième denier, de franc-fief et le droit plus odieux encore d’amortissement sur l’amélioration des biens de main-morte, tel même que les reconstruction de bâtiments. Art. 13. Les matelots, sujets intéressants pour l’Etat, n’habitant que des sables, n’ayant de ressource que le produit incertain de là pêche, paraissent devoir être exempts de tout impôt, à moins qu’ils ne possèdent des fonds. Art. 14. Les autres charges publiques ci-devant plus personnelles que réelles sont la milice et l’entretien des routes et grands chemins; cette administration étant confiée à des Etats provinciaux, ils régleraient la manière d’y procéder au plus grand avantage des contribuables. Art. 15. Les habitants des côtes de la mer en sont tout à la fois les gardes ; on leur ajoute un surcroît à cette pénible charge en dévouant leurs enfants à un service de mer ; le tirage de cette milice fait déserter les sujets et dépeupler les campagnes, cette milice peut être suppléée par des voies et des moyens dictés par une sagesse plus humaine. Art. 16. D’établir dans toute l’étendue du royaume des Etats provinciaux et de leur communiquer le pouvoir exécutif de la loi de l’impôt; ils en surveilleront la répartition, en ordonnant la perception, termineront toutes les contestations en matière d’impôt ; ils établiront un seul et unique receveur trésorier dont ils seront garants ainsi que des deniers de la province. Art. 17. Sous un bureau général ou provincial il y aurait différents bureaux intermédiaires de correspondance avec un arrondissement d’une étendue convenable; tous les membres composant ces Etats seront nommés par élection, et remplacés successivement après un temps d’exercice. Le clergé et la noblesse supportant le fardeau public avec le reste des citoyens, doivent avoir part à cette administration et le clergé pouvoir traiter sous seing privé comme les autres sujets. JUSTICE. Art. 1er. Le clergé du bailliage de Montreuil supplie Sa Majesté de confier le pouvoir exécutif de la loi civile et criminelle à des cours souveraines, chacune ayant une étendue convenable pour ne pas les trop multiplier, et pour rapprocher suffisamment les justiciables de leurs juges ; sous ces 60 [États gën. 1789. Cahiers.] cours souveraines d’établir des tribunaux inférieurs avec étendue jusqu’à mi-chemin d’un tribunal à l’autre; ces tribunaux réuniront toutes les juridictions sans exception et il n’y aura qu’un seul et unique appel direct aux cours souveraines. Chaque tribunal serait composé d’une chambre civile uniquement occupée de faits et de lois criminels. Les juges seraient élus par leurs justiciables et présentés à Sa Majesté pour être revêtus de lettres d’institution. Art. 2. De réformer ou supprimer les formes insidieuses et les longueurs ruineuses des procédures ; chacun plaiderait sur de simples mémoires que présenterait un avocat, et afin de traiter noblement cette profession respectable, on ne recevrait aucun avocat qu’il ne réunît aux lumières et à l’intégrité une honnête fortune : le mérite du travail, de l’intégrité et des lumières dans un magistrat lui fraierait les voies à la noblesse. Art. 3. De laisser aux justices seigneuriales l’administration de la police , l’apposition des scellés, la charge d’informer contre les malfaiteurs, de les arrêter, ainsi que les vagabonds. Art. 4. Si Sa Majesté daignait établir une coutume uniforme dans tout le royaume, le code national serait connu de tous, le cours de la justice ne serait plus arrêté et les affaires s’expédieraient avec célérité. Art. 5. Le droit-canon, dans plusieurs de ses parties, est un labyrinthe et a besoin d’être retouché. Art. 6. En donnant à l’innocence le moyen de se disculper, on ne doit point assurer l’impunité aux malfaiteurs ; en leur donnant un conseil on doit rigoureusement examiner les témoins; la haine, la vengeance, l’envie du bas peuple est capable de toute noirceur. Art. 7. Les vagabonds et malfaiteurs naissent et se multiplient par la mendicité ; mais pour la proscrire, il faut une loi et de plus une ressource; les aveugles, les incurables, les orphelins sont une surcharge qu’une paroisse ne peut supporter, et ils ne sont point reçus dans les hôpitaux. Art. 8. Rien de plus’intéressant que la conservation des bois dans le voisinage de la mer ; chaque année il y augmente de prix, et le prix en est déjà excessif; cependant les dévastations énormes et journalières en accélèrent la ruine ; les formes multipliées pour en infliger la peine, découragent les propriétaires ; en remettant les vols de bois dans la classe des vols de grains, le mal cesserait et les bois se repeupleraient. Il y a cependant un danger extrême à condamner un accusé de délit sur le rapport d’un seul homme. Art. 9. Les biens des bénéficiers sont entièrement dégarnis de bois, les plantations sont des avances perdues pour un titulaire viager; sur leur refus les communautés doivent être autorisées à les suppléer au profit de ces communautés mêmes. Art. 10. Les chirurgiens de la campagne sont d’une inconduite et d’une ignorance vraiment redoutables pour la vie des citoyens; la nécessité d’y remédier est urgente et indispensable. Le privilège exclusif des voitures publiques assujettit les voyageurs à des visites, à des examens, à des permissions, à des retards, en un mot à des vexations qui répugnent à la sagesse du gouvernement ; ce privilège odieux mérite une proscription sans réserve. CLERGÉ. Art. 1er. Les curés du bailliage de Montreuil-[Bailliage de Montreuil-sur-Mer.] sur-Mer se croient en droit de réclamer contre la distribution plus qu’imparfaite des riches fonds de l’Eglise. Art. 2. Les vicaires jouissent de 350 livres, et les curés de 700; de ceux-ci les uns sont à la tète de cent communiants, d’autres à la tête de mille, deux mille et plus. Art. 3. Le supplément imaginé dans la ressource du casuel est autant humiliant pour le pasteur qu’onéreux pour le peuple ; l’honoraire des messes est libre de sa part, on ne peut en faire un nécessaire au curé, puisqu’il devient incertain. Les autres honoraires ne lui sont assurés qu’autant qu’il se donnerait le ridicule de traduire ses paroissiens devant les juges, et cette contribution odieuse ne peut s’allier avec la sagesse du gouvernement français. Cependant quel titre les curés n’ont-ils pas à un sort plus avantageux? Les habitants de la campagne et le bas peuple des villes considèrent bien autant l’aisance que le mérit£ personnel, et dans leur opinion un curé à portion congrue est à peine leur égal. Un pasteur est le consolateur de son peuple, mais sa consolation devient stérile pour le malheureux aux prises avec l’infirmité et la misère. Les succès dans son ministère dépendent de la confiance de ses ouailles; le peuple ne la donne pas, il faut l’acheter. La décence dans la manière d’être, le désintéressement dans les procédés entrent dans le mérite d’un pasteur; mais peut-on les concilier avec la misère? Ce serait un héroïsme de vertu qu’on ne peut exiger. Dans une maladie, dans une infirmité, les dépenses se multiplient avec les besoins, mais un curé à portion congrue ne peut ni recourir à des épargnes qu’il n’a pu faire, ni se faire suppléer par un desservant, ni résigner sous réserve de pension ; il succombe victime de sa misère autant que de son infirmité. Art. 4. Dans la nécessité indispensable d’améliorer le sort des curés, il convient d’indiquer une ressource. Dès l’origine la destination des dîmes était tout entière à la décharge de ceux qui la payaient ; dans la suite, et lors du partage des dîmes, on a respecté et conservé cette destir nation primitive divisée en trois : les églises, leurs ministres et les pauvres y ont eu chacun une part. Qu’est devenu ce patrimoine ? Art. 5. Pour les paroisses des villes et des campagnes où il n’y a pas de dîmes, pour celles où elles sont insuffisantes, pour des hôpitaux qui ont besoin de supplément, pour établissements nouveaux d’hospices d’aveugles , d’incurables , d’orphelins, d’enfants abandonnés, on ne peut se dispenser de recourir aux unions de bénéfices. La réunion de différentes collégiales de campagne dans des villes assurerait une retraite et un repos aux curés que l’âge et les infirmités mettraient hors d’état d’exercer le saint ministère. Art. 6. Dans la nécessité de pourvoir aux autres besoins, il ne répugne pas à la sagesse de guérir des maux et d’établir le bien, aux dépens et par la proscription des abus. C’en est un que de convertir les biens de l’Eglise en commende. Plus de six cent soixante abbayes d’hommes, plus de deux cent cinquante abbayes de filles et combien de prieurés? Art. 7. C’est un abus de réunir entre les mains d’un seul homme plusieurs bénéfices, dès qu’un seul peut suffire pour lui faire un sort. Art. 8. G’est un abus de laisser inutiles et de conférer des bénéfices sans office et sans charges ; et quelle est l’importance de tous ces biens ? Ils ne se comptent que par millions. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Montreuil-sur-Mer.] 61 Art. 9. C’est un abus de concéder sur les biens ecclésiastiques des pensions à des laïques, et d’en réunir une partie aux économats presque à pure perte, pendant que des ecclésiastiques languissent en supportant tout le poids du travail, et ne peuvent qu’essuyer les larmes des malheureux sans pouvoir les tarir, parce qu’ils sont eux-mêmes dans la misère. Art. 10. C’est un abus qu’il y ait distinction entre des espèces de dîmes, et que toutes sans distinction ne contribuent point aux biens et aux charges de l’Eglise. Art. 11. L’ordre de Malte, qui n’est ni de l’Etat ni dans l’Etat, y possède des biens immenses et jouit de privilèges et exemptions, qui sont des abus encore plus criants. Un privilège révoltant est celui de soustraire à la juridiction ordinaire Jes ecclésiastiques que l’ordre emploie dans ses domaines, d’y conserver l’amovibilité arbitraire de ses ecclésiastiques, d’en régler aussi arbitrairement la pension, et pour en diminuer l’importance, de laisser le titre de secours à cinq ou six églises attachées à une seule paroisse et trop éloignées. Art. 12. 11 doit être enjoint aux archevêques et évêques de procéder sans délai aux suppressions , unions et érections qui seront jug’ées nécessaires pour assurer des pensions honnêtes aux curés, de simplifier les formes de ces opérations pour les accélérer et d’interdire toute opposition et appel comme d’abus. Art. 13. Partout où il y a une église, les besoins du peuple y exigent la résidence d’un prêtre. Art. 14. Chaque église doit être pourvue d’un nombre suffisant d’ecclésiastiques, tant pour l’administration que pour la décence et la solennité d’un service divin. Chaque curé doit dépendre uniquement et exclusivement de l’évêque, chacun doit avoir un logement convenable. Art. 15. En accordant un supplément de pension aux curés, cette pension doit être mesurée dans l’étendue du travail sur le nombre et l’éloignement des habitations, sur l’importance des fieux ; pour les villes, il ne doit pas y avoir de pension au-dessous de 1,500 livres. Cette pension doit être ou une portion de dîme, ou un immeuble, ou réglée sur une denrée nécessaire à la vie; autrement, si elle est fixée invariablement en argent, lorsqu’elle deviendra insuffisante, les curés languiront en réclamant pendant douze ou quinze ans avant que d’obtenir un supplément. L’expérience du passé doit servir de leçon pour l’avenir. Art. 16. Les besoins personnels des vicaires étant les mêmes que ceux des curés, leurs pensions doivent excéder la moitié des portions curiales. Art. 17. Rien de plus intéressant pour l’ordre public et les bonnes mœurs, que l’instruction des enfants. Les habitants ne sont qu’autorisés à se procurer des maîtres d’école, la loi doit les y obliger. Art. 18. Il est d’une égale nécessité de pourvoir de collèges nombre de villes où les sciences sont négligées faute d’enseignement. Art. 19. Il règne dans les villes comme dans les campagnes une corruption de mœurs et un esprit d’irréligion qui mettent le comble à la mesure du scandale. Il est plus nécessaire que jamais d’exécuter avec rigueur toutes les lois de police qui ont pour objet le respect dû à la religion et à la décence due aux mœurs. Art. 20. Les ecclésiastiques du bailliage de Montreuil-sur-Mer, en représentant des abus, en avisant sur les moyens d’y remédier, n’ont point intention de priver personne de son sort et de son état ; la ressource des bénéfices simples ne peut avoir lieu qu’à la mort des titulaires. Art. 21 . Les vallées du pays sont inondées et stérilisées par les embarras "des courses des rivières, causées surtout par les Reyllys. Fait et arrêté cejourd’hui 23 mars 1789, dans rassemblée générale du clergé du bailliage de Montreuil-sur-Mer, et ont avec nous, président, les commissaires, signé, ainsi que le secrétaire : Quemi, président; Havet, Playroult, Rollin, Poultier et Godfroy. Pour copie certifiée véritable, par moi, greffier du bailliage de Montreuil-sur-Mer, soussigné. Signé COMBERTIGUE DE VàRENNES. CAHIER Contenant les très-humbles et très-respectueuses demandes et représentations que fait au Roi l'ordre de la noblesse du bailliage de Montreuil-sur-Mer (1). Sire , Votre Majesté, dans sa lettre pour la convocation des Etats généraux de son royaume, lettre destinée à devenir pour la postérité un monument éternel de sa sagesse, comme elle est pour nous le signe assuré d’une félicité prochaine, Votre Majesté, disons-nous, veut : « qu’il soit apporté le plus promptement possible un remède efficace aux maux de l’Etat, et que les abus de tous genres soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique ; » et pour y parvenir plus sûrement votre grande prévoyance, Sire, met sous les yeux des électeurs que les hommes d’un esprit sage méritent la préférence pour la députation, « attendu que, par un heureux accord de la morale et de la politique, il est rare que dans les affaires publiques et nationales, les plus honnêtes gens ne soient pas aussi les plus habiles. » Enfin, Sire, Votre Majesté nous enchaîne par les liens sacrés du respect, de la reconnaissance et de la sensibilité en nous assurant qu’elle veut nous conserver le caractère le plus cher à son cœur, celui de conseil et d’ami. Il faut, Sire, être Français pour apprécier par le sentiment la profonde impression qu’un appel de ce genre peut produire sur la nation la plus fidèle et la plus généreuse de l’univers. Les Français pourront donc, Sire, s’approcher sans terreur et sans crainte, avec confiance et liberté, d’un Roi dont les ministres les plus criminels leur avaient caché toute l’excellence, d’un Roi qui, après avoir combattu en faveur de la liberté des peuples d’un autre hémisphère, veut rompre, avec la toute-puissance des seuls mouvements de son cœur, des chaînes qui dégradaient l’essence de la monarchie et le caractère national d’un grand peuple. Sire, Votre Majesté sera satisfaite ; il ne pourrait y avoir que des lâches, indignes d’approcher de votre personne auguste, qui oseraient couvrir les abus que vous demandez à connaître du voile punissable d’une politique artificieuse. C’est beaucoup, Sire, que de posséder le cœur du meilleur des rois ; mais ce n’est pas encore assez pour des sujets aussi fidèles que nous le sommes ; nous prétendons à votre estime, et le jour où nous serons aussi certains de l’une que de l’autre sera l’aurore du règne le plus glorieux (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire.