731 [AsSêïnblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 178#.] dans les bureaux à l’élection d’un nouveau prési-~ dent et de trois secrétaires. La séance a commencé par la lecture du procès-verbal de celle du jour précédent, et de plusieurs adresses portant adhésion aux décrets de l’Assemblée natio-h nale t 1° Adresse des dames religieuses de l’abbaye royale de Notre-Dame de Soissons, ordre de Saint-Benoît, qui demandent leur conservation et celle > des maisons religieuses; elles assurent à l’Assemblée qü’il n’est aucune d’entre elles qui ne préfère * la mort à leur destruction ou désunion. 2° Adresse de la ville de dois en Dunois, con-► tenant félicitations, remerciements et adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale-, elle demande une justice royale. 3° Cahiers des remontrances, pétitions et do-P léances fournis par la communauté de Mialet en Limousin, lors de la convocation des Etats généraux. 4° Adresse des habitants de la ville de Ghàte-t laudren en Bretagne, où ils adhèrent avec une respectueuse admiration aux décrels de l’Assemblée nationale, et surtout à celui concernant la contribution patriotique du quart des révenus. 5° Adresse de la communauté de Sommcrance * en Champagne, où elle adhère aux décrets de l’Assemblée nationale des 4 août et jours suivants, et la supplie delà mettre en possession de ses bois et pacages, qu’elle dit avoir ôté usurpés par les k religieux de l’ordre de Saint-Bernard de Ghehery. 6° Adresse de la municipalité de la ville de Beaumont en Gâtinais, tendant à obtenir un bailliage royal. � 7° Délibérations de la ville de Saïllans en Dauphiné, contenant l’adhésion la plus entière aux décrets de l’Assemblée nationale, et les protestations les plus fortes contre la convocation des Etats de la province, et du doublement, faite par la commission intermédiaire. 8b Adresse de la communauté des Feuillants de l’abbaye de Belle-Fontaine, où ils abandonnent tous ieurs biens à la nation, s’en rapportant à ce que l’Assemblée nationale jugera nécessaire pour la conservation de leur existence. > 9° Adresse de la municipalité de la ville de Chalon-sur-Saône, qui demande l’interprétation du décret de l’Assemblée nationale sur les gabelles, étant à cel égard en contestation avec les agents de la Ferme. 10° Adresse de la ville de Guéménée en Bretagne, qui demande l’interprétation de l’article IV du décret de l’Assemblée nationale, du 6 octobre , dernier, concernant la contribution patriotique. 11° Délibération de la ville de Couches, où elle prononce la confiscation de marchandises, chevaux et voitures contre les faux-sauniers et contrebandiers. 12° Adresse du comité général et permanent de la ville de Caen en Normandie où il exprime d’une manière énergique les sentiments d’admiration et de reconnaissance dont il est � pénétré pour l’Assemblée nationale, la supplie de s’occuper sans cesse de l’organisation des assemblées provinciales et des municipalités, et soumet à sa sagesse un plan de municipalité propre à ladite ville de Caen. 13° Arrêté du juge royal de la ville de Pertuis en Provence, de rendre la justice gratuitement, jusqu’à ce qu’il ait été pourvu à un nouvel ordre > judiciaire. 14» Délibération des officiers municipaux et habitants de la ville de Montmédy, contenant félicitations, remerciements et adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale; néanmoins ils réclament avec instance l’abolition entière de la gabelle, et offrent de compenser dès à présent cet impôt par une contribution égale à sa perception, pour être versée immédiatement entre les mains de l’administration. 15° Délibération des huissiers-commissaires-priseurs de Paris, par laquelle ils offrent gratuitement et sans aucune rétribution, non-seulement les prisées et les ventes d’effets appartenant à la chose publique , mais également le service, comme huissiers dans l’intérieur de la salle de l’Assemblée nationale; ils la supplient d’accueillir favorablement leurs offres. 16° Adresse des religieux bénédictins du monastère de Notre-Dame-de-Novy en Champagne, où ils supplient l’Assemblée nationale de les conserver, offrant de fournir à l’Etat tous les secours qui seront en leur pouvoir. 17° Adresse des officiers de judicature et municipaux du marquisat de la Pierre et bourg de Collonges, contenant félicitations, remerciements et adhésion aux décrets de l’Assemblée. Ils offrent de rendre la justice gratuitement, renoncent à tous leurs privilèges particuliers et demandent une justice royale. M. le Président a arinoncé que le maire de Paris avait demandé à obtenir audience : l'Assemblée a décidé qu’elle lui serait accordée demain à deux heures. M. Se Président a fait lecture d’une lettre de M. de Sassenay, député à l’Assemblée nationale, par laquelle il annonce avoir donné sa démission ; ce député ayant un suppléant, M. le comte de Rully, prêt à le remplacer, l’Assemblée a consenti à le recevoir. M. le Président a également annoncé que MM. Darche, Petiot, Picard de la Pointe, et de Harchies, membres de l’Assemblée nationale , avaient demandé des passe-ports pour une absence de quinze jours; ces passe-ports leur ont été accordés. M. le Président fait lecture d’une lettre de M. üuval d’Eprémesnil, député de la vicomté de Paris, qui demande la permission de se rendre à Malfosse, près Bolbec, où il est appelé par la mauvaise santé de son épouse. La permission lui est accordée. La discussion est reprise sur le plan de division du royaume. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, je n’ai pas besoin de vous faire sentir l’importance de l’examen qui vous occupe; si le plan que voüs aurez adopté s’exécute dans les provinces, la plus heureuse des révolutions sera consommée, le crédit rétabli, et la force publique affermie. Tous nos succès tiennent à ce succès; il renferme à la fois toutes nos espérances et toutes nos craintes, et jamais plus grande cause ne fut plus digne de votre attention. De grandes objections se sont élevées contre le plan du comité et contre le mien, je me propose de les discuter et de les comparer ; mais , avant tout, je dois voüs tracer la marche des idées qui m’ont conduit à vous proposer un plan particulier sur une matière que vous aviez confiée aux mains les plus habiles. Mon objet n’a point été de chercher des objections ; je me suis au contraire défié de la facilité ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 1789.] 732 [Assemblée nationale.] d’attaquer un plan quelconque; mais j’ai voulu appliquer la théorie du comité à des divisions réelles qui me fussent connues ; et, sans m’en apercevoir, j’ai fait en cela l’objection la plus invincible contre ce même plan que je me proposais de soutenir. J’ai pris des cartes géographiques, j’ai tracé des surfaces égales de trois cent vingt-quatre lieues carrées, et qu’ai-je aperçu? Là, une surface entière n’était composée que de landes, de déserts ou de hameaux ; ici, dans la même surface, plusieurs grandes villes se trouvaient rapprochées ; partout j’avais le même territoire ; mais je n’avais nulle part ni la même valeur, ni la même population, ni la même importance, et je me disais : si on a voulu faire des départements inégaux, il ne valait pas la peine de leur donner la même surface ; si on a voulu les rendre égaux, comment se fait-il qu’on ait choisi précisément la mesure la plus inégale ? J’ai tenté vainement de refaire les divisions de mille manières ; j’ai mis les mêmes surfaces, tantôt en triangles, tantôt en carrés ; mais c’est en vain que j’ai épuisé toutes les figures géométriques ; la distribution inégale de la population et des richesses se jouait de mes efforts. J’étais d’ailleurs sans cesse arrêté par cette donnée principale, que ce n’est pas précisément le royaume, mais chaque province qu’il faut diviser ; et, réduite par cela même à un moindre nombre de combinaisons, l’inégalité des mêmes surfaces n’en devenait que plus évidente. Je me suis dit ensuite : le principal objet de la nouvelle division du royaume est de détruire l’esprit des provinces, comme on a cherché à détruire l’esprit de tous les corps ; or, est-il bien vrai que quatre-vingts divisions remplissent ce but important ? Les gouvernements actuels sont inégaux: vingt d’entre eux, en ne supposant que quatre-vingts divisions dans le royaume, subiraient trois ou quatre divisions ; par cela même, vingt autres gouvernements, restant tels qu’ils sont, conserveraient, avec leurs anciennes limites, le germe des anciennes prétentions. Voilà la première idée qui m’a fait porter le nombre des départements jusqu’à cent vingt. D’un autre côté, j’ai découvert une foule d’objections contre l’établissement de sept cent vingt communes, que l’on suppose devoir être de trente-six lieues carrées; il est facile de voir que ces sous-divisions seraient encore plus inégales que celles des départements. Sur une moindre surface, les lacunes de la population doivent être plus sensibles. Entre des espaces plus resserrés, les compensations en tous genres sont moins faciles. Cette prétendue unité d’administration, que l’on veut mettre dans le royaume, serait ainsi formée d’éléments qui n’auraient aucune proportion. Il est évident pour quiconque connaît le royaume, qu’il y aurait des divisions de six lieues sur six, qui ne renfermeraient pas même assez d’habitants pour former une assemblée primaire ; et je demande sous quel rapport et pour quel objet un tel district serait alors érigé en commune ? Il est évident que plusieurs autres surfaces de la même étendue renfermeraient à peine neuf mille âmes, c’est-à-dire quinze cents citoyens actifs, c’est-à-dire trois assemblées primaires : je demande donc encore à quoi servirait une administration communale pour un aussi léger intérêt, pour une aussi modique population. Il est évident que l’on trouverait plusieurs surfaces de trente-six lieues carrées, où il n’y aurait qu’une seule ville ; je demande si, dans un tel district, l’assemblée communale serait autre chose que l’assemblée de la ville ? 11 est évident que plusieurs divisions de trente-six lieues carrées seraient composées d’une seule ville et d’un petit nombre de villages : je demande encore si les députés qui seraient envoyés par les assemblées primaires de la ville ne seraient pas en trop grand nombre relativement aux députés des assemblées primaires des villages, s’ils n’auraient pas sur ces derniers une prépondérance trop sensible, s’ils ne décideraient pas du sort du scrutin dans toutes les élections, s’ils ne dirigeraient pas l’administration d’une manière absolue ? Ce dernier motif est celui qui m’a décidé le plus fortement contre l’établissement des communes : nous avons attaqué tous les genres d’aristocratie ; celle que pourraient exercer les villes sur les villages serait-elle moins dangereuse? Les petites agrégations politiques ne cessent de la redouter ; plus elles sont faibles, plus elles craignent d’être opprimées. Le but de toute bonne société ne doit-il pas être de favoriser les habitations de la campagne, je dis plus, de les honorer, de leur faire sentir à elles-mêmes leur propre importance ? D’ailleurs, en considérant cette multitude d’assemblées intermédiaires que le comité vous propose d’établir, je me suis demandé : ne peut-on pas créer une bonne administration sans en trop multiplier les ressorts ? La représentation accordée au peuple serait-elle moins bonne si elle n’était pas indirecte ? Les objections que je me suis faites contre l’établissement de six mille quatre cent quatre-vingts cantons, chacun de quatre lieues carrées, m’ont paru encore plus insurmontables. Et d’abord, comment peut-on supposer que chaque surface de quatre lieues carrées aura six cents citoyens actifs, ce qui suppose trois mille six cents âmes ? Qui de nous ne sait pas qu’en divisant le royaume en six mille quatre cent quatre-vingts surfaces égales de quatre lieues carrées, il y en aurait au moins la moitié sur lesquelles on ne trouverait pas un seul village, pas un seul hameau ? Le comité répond que, dans un système quelconque, les déserts ne comptent pour rien ; mais ce n’est pas une exception, c’est un cas presque général qu’on lui oppose. Tout son système est fondé sur la répartition de vingt-cinq millions d’âmes sur la totalité de la surface du royaume ; mais ne se serait-il pas aperçu que l’excédant de population de toutes les surfaces de quatre lieues carrées où se rencontrent de grandes villes emporte à une très-grande distance la population qu’il a supposée dans les autres surfaces ? En ne parlant même que des lieux d’une population commune, combien de villages, avec quatre lieues de surface, n’auront pas cependant plus de douze cents âmes, c’est-à-dire, plus de deux cents citoyens actifs I Et dès lors comment serait-il possible de former des assemblées primaires dans ces cantons, quoique, d’après le plan du comité, tout canton doive renfermer une assemblée primaire ? On observe dans le plan du comité que ce qui manquera en population dans quelques cantons se trouvera en excédant dans les autres ; mais cela ne répond à rien : car là où il y aura excédant, les assemblées primaires seront multipliées; mais 733 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 1789.] là où la population sera nulle ou insuffisante, le plan du comité ne dit point comment on y sup ¬ pléera. Je me suis dit encore, Messieurs : le comité suppose, à la page 9 de son rapport, qu’il y aura toujours une assemblée primaire dans chaque canton, quelque faible que soit la population, il ajoute cependant à la page 12, « que chaque assemblée primaire nommera un député par deux cents votants », ce qui suppose douze cents âmes dans chaque canton : or ces deux dispositions ne sont-elles pas contradictoires? Il y aura certainement des cantons qui n’auront pas 200 votants ; je demande dans ce cas si de pareils cantons n’auront point d’assemblée, ou s’ils auront un député sans avoir 200 votants. Dira-t-on que la formation de l’assemblée primaire exigera souvent la réunion de plusieurs villages ? L’objection reste la même ; car par cela seul que les cantons doivent être bornés à une surface de quatre lieues carrées, il sera dès lors tout aussi difficile de trouver deux villages dans un espace aussi resserré, que d’y en trouver un seul qui, par ses propres habitants, puisse former une assemblée primaire. Le même embarras subsiste, si l’on considère les cantons dans leur rapport avec les assemblées communales : comment trouvera-t-on toujours neuf cantons dans chaque commune, c’est-à-dire au moins cinq mille quatre cents âmes dans une étendue de six lieues sur six lieues? N’y aura-t-il pas une foule de ces divisions où chaque canton n’ayant que deux cents votants ne pourra envoyer qu’un seul député, où l’assemblée communale ne sera formée par conséquentque de neuf personnes? Et quelle proportion y aurait-il entre ces communes et celles qui seront composées de neuf assemblées primaires complètes, c’est-à-dire de 17,400 personnes ? Il y a plus encore, Messieurs : c’est que, d’après le plan du comité, chaque canton peut avoir plusieurs assemblées primaires ; que le nombre de ces assemblées n’est pas même limité ; qu’il est dit cependant par le neuvième article : « que chaque assemblée primaire députera directement à l’assemblée de la commune » ; et par l’article onzième : « que chacune de ces assemblées députera un membre sur deux cents votants ». Il pourra donc arriver qu’un canton ait cinq ou six assemblées primaires ; que la totalité des cantons d’une commune ait trente ou quarante assemblées de la même nature. Or voyez ce qu’il résulterait d’une pareille opposition. Trente assemblées primaires complètes formeraient des communes de quatre-vingt-dix membres, tandis que d’autres communes n’auraient que neuf députés ; il y aurait ainsi des assemblées communales qui seraient plus nombreuses que celles des départements; elles seraient d’ailleurs toutes inégales entre elles, quoique pour une étendue égale de territoire. Ne serait-il pas à craindre que cette extrême différence ne donnât à certaines communes une prépondérance funeste sur toutes les autres, soit pour l’administration du département, soit pour la députation à l’Assemblée nationale ? Quel est donc le principe qui a dirigé le comité? Il a voulu distinguer le pouvoir municipal du pouvoir national. Selon lui, le premier n’a trait qu’à l’intérêt privé, le second est relatif à l’intérêt de tous ; mais cette distinction est inutile. Les assemblées municipales doivent être peu nombreuses et permanentes ; les assemblées électives doivent être générales et momentanées : ce premier caractère suffirait donc pour les distinguer, et les pouvoirs municipaux et nationaux ne seraient pas confondus, quand même on n’adopterait pas le plan du comité. Mais cette distinction n’est-elle pas une vaine subtilité ? Ne faut-il pas les mêmes éléments à tout l’empire, et le royaume est-il autre chose qu’une grande municipalité? Toute municipalité ne doit être désormais que l’assemblée représentative, plus ou moins nombreuse des habitants d’une communauté, comme une assemblée de département sera l’assemblée représentative d’un district, et le corps législatif l’assemblée représentative du royaume. Accoutumons les citoyens à choisir librement les organes de leur volonté, et à n’obéir, dans tout ce qui tient à l’administration publique, qu’aux représentants de la volonté générale ; lions, par ce principe, toutes les parties de cet empire, et affermissons ainsi les fondements de la félicité nationale. Après avoir considéré toutes les difficultés d’exécution dans le plan du comité, je me suis senti entraîné à former un autre plan général, et voici la progression de mes idées. Premièrement, j’ai pensé qu’il était possible d’augmenter le nombre des départements de manière que les assemblées communales devinssent inutiles sans que l’administration perdît de sa force ou de sa surveillance ; le nombre de cent vingt assemblées m’a paru remplir ce but : il ne permettrait de laisser à aucune province son étendue actuelle, se prêterait à des divisions plus exactes, et produirait des fractions moins considérables dans la division des provinces. Une pareille division ne supposant que des surfaces de quatorze lieues, sur quinze lieues, et trente-six mille citoyens actifs pour chaque département, l’administration serait aussi rapprochée qu’elle devrait l'être ; il n’y aurait presque pas de chef-lieu plus éloigné de sept ou huit lieues de l’extrémité du district. Beaucoup de départements n’auraient pas plus de cent villes ou villages ; d’autres n’en auraient pas cinquante ; plusieurs n’en auraient pas dix : comment pourrait-on supposer qu’une pareille administration fût trop étendue? 2° M. Thouret a fait l’aveu que la division du comité ne peut être exécutée que par les assemblées de département, et qu’il faut se borner à la formation provisoire de ces assemblées : j’ai pensé que dans l’état malheureux d’anarchie où se trouve le royaume, rien ne serait peut-être plus dangereux qu’une telle conduite. Ne laissons pas aux provinces le soin d’exécuter un plan à peine ébauché : mille obstacles naîtraient de l’amour même du bien, et combien de difficultés ne susciteraient pas ceux qui nous ont rendu jusqu’à présent nos fonctions si difficiles ! Dans le plan que je propose, l’Assemblée se suffit à elle-même. Chaque province a parmi nous trente, quarante et même cinquante députés : chacun connaît parfaitement son district, son bailliage, sa sénéchaussée ; et la réunion de toutes nos connaissances locales suffira pour compléter la division. 3° J’ai admis pour principe, dans le plan que j’ai formé, de ne donner d’autre égalité aux départements que celle de population et d’importance. J’ai déjà montré que l’égalité de territoire ne peut pas être prise pour base des départements, à moins de vouloir les rendre nécessairement inégaux. J’ai adopté l’égalité qui est dans la nature des choses, celle qui est relative à l’administration, celle qui donne des droits égaux ; elle sera facile à déterminer par les députés de cha- 734 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 navembïe U89-1 que province. II n’est aucun député qui ne cnn-: naisse la propriélé delà sienne, sa population, sa contribution, sa force et son poids relatif, le rapport de telle ville à telle autre ville, de tel village à tel autre village ; il n’en est aucun qui ne connaisse quelles sont les villes, quels sont les villages qu’il est plus à propos de réunir, pour établir les communications les plus faciles et choisir les chefs-lieux les plus convenables. 4° Je n’ai pas non plus supposé qull fallût une population rigoureusement égale ; je pense, au contraire, Messieurs, que la véritable égalité politique résulte d’une foule de données qui doivent être compensées les unes par les autres. La valeur réelle du sol tient lieu de son étendue ; l’industrie supplée au territoire ; l’inégalité de population est compensée par les richesses : c’est en combinant tous ces moyens qu’il sera facile de donner à chaque département une égalité susceptible de la même administration et de la même députation dans l’Assemblée nationale. 5° J’ai pensé qu’en promettant à chaque ville et à chaque village de nommer un nombre de-députés relatif à telle quotité de population, il serait facile, par cela seul, de corriger l’inégalité des agrégations politiques, et de ne leur don ¬ ner qu’un concours véritablement proportionnel, soit à l’administration, soit à l’élection. D’un autre côté, il m’a paru évident, qu’après avoir accordé la moitié de la députation pour l'Assemblée nationale à la seule qualité de département, il n’y aurait point d’inconvénient d’en accorder l’autre moitié à des quotités de population égales entre elles. Il est plus vrai qu’on ne pense, que des quotités égales de population, prises en masse, supposent à peu près la même somme de contribution. Ce n’est point par l’effet du hasard que les hommes sont distribués sur la terre : la population suppose les subsistances ; les subsistances désignent les valeurs ; les valeurs règlent les impôts : la seule donnée de population tient donc lieu de beaucoup d’autres, et je ne l’applique d’ailleurs qu’à corriger l’inégalité très-légère qu’on n’aurait pu éviter en fixant les départements. Je vais maintenant répondre, Messieurs, d’une manière plus directe aux objections qu’a proposées M. Thouret dans la dernière séance. Il a voulu prouver que la division en départements ne devait pas avoir pour base la population, mais l’étendue territoriale ; Qu’il est plus convenable d’établir quatre-vingts départements que cent vingt; Que la division dn royaume en sept cent vingt communes peut offrir les plus grands avantages; Qu’il faut également admettre la division par six mille quatre cent quatre-vingt cantons ; Que le plan que j’ai eu l’honneur de présenter ressemble, dans ses grandes bases, à celui du comité. M. Thouret veut prouver que l’étendue territoriale doit être prise pour base de la division des départements, parce qu'il y aurait des inconvénients à prendre la population pour base. Je réponds : Il pourrait être démontré que la base de population est insuffisante, sans qu’on fût autorisé à conclure que l’étendue teriitoriale est une meilleure base ; mais, dans mon plan, je n’ai pas adopté la population pour base unique. Selon M. Thouret, cent vingt départements exigeront aussi des fractions de provinces qu’il faudra joindre à d'autres provinces. Cette objection est commune aux deux systèmes ; mais je réponds qu’elle est plus forte dans le sien, parce qu’en simple règle d’arithmétique, des divisions plus fortes donneront des fractionsplus considérables. Je dis encore que, dans mon système, l’égalité de département devant être fondée sur la combinaison de plusieurs données, les fractions seront beaucoup plus faciles à éviter que dans son système, qui n’admet qu’une seule donnée d’égalité. Autre objection de M. Thouret. En admettant la population pour base, il sera nécessaire de resserrer ou d’étendre les limites de chaque département, toutes les fois que leur population changera; ce qui serait intolérable. JNe vaudrait-il pas mieux s’exposer à changer la division des départements, lorsque la différence dans leur population serait remarquable, que d’établir des départements sans population? M. Thouret se fait dans son plan tout le mal qu’il craint dans celui des autres; il s’embarrasse fort peu que ses départements soient peuplés, et il s’inquiète beaucoup de ce que dans mon système la population pourra cesser d’être égale. Il craint que mes départements ne deviennent inégaux par l’accroissement ou le décroissement de la population ; comme si les départements qu’il préfère ne deviendraient pas moins inégaux par la même cause ! Qu’importe d’ailleurs cette objection dans mon système ? La population n’est pas ma seule base ; elle est compensée par le territoire, par les arts, par l’industrie: dans mon plan, un désert ne vaudra qu’un désert; une ville pourra valoir cinquante lieues de surface. Les départements proposés par le comité seront égaux aux yeux des géographes et des géomètres ; j’aimerais mieux qu’ils parussent égaux aux yeux des hommes d’Etat. Troisième objection. Dans le plan du comité, on a soin de rectifier l’inégalité de valeur politique qui peut se trouver entre des surfaces égales, en les balançant sans cesse par la force de population et de contribution. Cette inégalité est précisément moins corrigée dans le plan du comité que dans le mien. J’accorde une égalité de députation à des masses à peu près égales en valeur et en importance. M. Thouret accordé cette députation à des masses seulement égales en surface. Voici la seconde partie des arguments de M. Thouret. Pourquoi établir 120 départements au lieu de 80? Il faut une division commune qui se prête tout à la fois à la représentation proportionnelle et à V administration ; et sous ce rapport le nombre de 80 déjmrtements est plus convenable . Cette première difficulté suppose précisément ce qui est en question. Je crois que la division que j’ai proposée suffit sans intermédiaire pour Tadministratiop du royaume et pour la formation de l'Assemblée nationale. Il s’agit donc de prouver que je me trompe, et non pas le supposer. Mais 120 départements qui n’auraient chacun que 36,000 citoyens actifs ou 200,000 âmes ne formeraient-ils pas de trop petits ressorts pour chaque administration provinciale ? La division par 120 départements a trois avantages qui lui sont propres. Elle rapproche l’administration des personnes administrées et fait concourir un plus grand nombre de citoyens à la surveillance publique. Elle n’exige plus aucune sous-division, ni l’établissement des assemblées communales, et par cela seul la marche de l’administration est considérablement simplifiée. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 1789.] 735 Enfin elle est plus propre que toute autre à détruire l’esprit des grands corps. Mais en Bretagne , mais en Normandie, continue M. Thouret, ihj aurait 10 départements; il y en aurait plus qu'on n'y compte dans ce moment de bailliages. Il faut précisément que la Normandie et la Bretagne aient deux divisions, pour que telle autre province en ait deux ou telle autre trois : je demande lequel vaut mieux, de s’exposer à laisser plusieurs provinces telles qu’elles sont, ou donner quelques divisions de plus aux grandes provinces? J’observe d’ailleurs que la division que j’ai proposée n’est que d’un tiers moins forte que celle que l’on m’oppose ; chaque département devrait être de 300,000 âmes, d’après le plan du comité : or, qu’importe que deux provinces aient 10 divisions, ou qu’elles n’en aient que 7 ? Les dépenses seront plus fortes avec 120 départements qu'avec 80. Elles seront moins fortes sans assemblées communales qu’avec 720 communes. On a multiplié les découpures des provinces et on les morcelle davantage que dans le plan du comité. Il est très-vrai que je multiplie davantage les divisions de chaque province, et en cela, je crois détruire plus efficacement l’esprit de ces grands corps ; mais je m’exposerai moins à réunir les citoyens d’une province avec ceux d’une autre ; j’aurai moins de grandes fractions, je blesserai moins d’intérêts et j’arriverai au même but, M. Thouret finit cette partie de sa discussion par demander quels sont les avantages de la division en 120 départements ; est-ce, dit-il. pour éviter la translation d'une province à l'autre ? mais cet inconvénient reste le même. J’ai déjà montré que cet inconvénient était beaucoup moindre. Est-ce pour éviter de prendre la terre pour base plutôt que les hommes ? Mais dans ce plan l'on a égard à la valeur foncière tout comme à la population. Cette objection se résout d’elle-même. Si je prends deux bases, je n’en prends pas une seule ; et d’ailleurs je n’ai jamais entendu que l’égalité des valeurs foncières fût une égalité de surface. Dans le plan qui est opposé à celui du comité , l'on accorde 3 députés sur 6 au territoire. Ce n’est pas au territoire, mais à la qualité de département, que j’accorde trois députés. Or d’après mon plan, l’égalité des districts ne sera pas une égalité de territoire. On reconnaît dans le même plan que les trois autres députés seront accordés d'après la population , pour corriger l'inégalité qui pourrait se trouver entre des valeurs de surfaces égales. Je réponds, mais c’est pour répondre à .tout, et même à des citations inexactes. J’ai dit seulement que, l’égalité rigoureuse de population servant de seule base pour former la moitié de la députation à l’Assemblée nationale, on corrigera par ce moyen l’inégalité, soit de population, soit d’importance, qu’on n’aura pu éviter dans la formation des départements. M. Thouret a voulu prouver la nécessité d’établir des communes. L’ administration, a-t-il dit, ne sera jamais active, vigilante, efficace, si l'on ne place pas des corps subordonnés et intermédiaires entre V Assemblée supérieure et les communautés des villes et des villages. Je réponds à M. Thouret : Voulez-vous parler des assemblées d’élection ou de celles d’administration ? S’il s’agit des premières, vous ne prouverez pas facilement qu’il faille des intermédiaires entre la volonté des premiers mandants et le Corps législatif. Ne voulez-vous parler que des assemblées d’administration ? Je conviendrai que si l’on admet 80 assemblées principales, les sous-divisions seront nécessaires; mais si on établit 120 départements, je regarde les sous-divisions comme inutiles, et je l’ai démontré. M. Thouret ajoute que ses commettants l'ont chargé de demander la conservation des assemblées secondaires; que la Normandie en a retiré des avantages , et que si l'on n' admettait que 120 départements, sans sous-divisions, le ressort moyen aurait environ 900 communautés, ce qui formerait certainement une trop grande étendue, Je réponds que nous ne pouvons pas écouter le mandat d’une province plutôt que celui de toute autre; que la Normandie retirera plus d’avantages de dix grandes assemblées que d’une foule de petits districts sans activité et sans pouvoir ; et d’ailleurs il est impossible que le ressort moyen d’un département soit, je ne dis pas de 900 communautés, mais de 300 et de 200. Chaque département, en les supposant égaux en nombre, ne sera que d’environ 200,000 âmes: or, c’est déjà beaucoup d’admettre que 200,000 âmes forment plus de 200 communautés, un village étant compensé par l’autre, et les petites agrégations étant compensées par les villes. Je dis plus : il y aura au moins 25 départements sur 120 qui n’auront qu’une grande ville et quelques villages. D’autres ne seront formés que de 20, que de 30 communautés. Gomment de pareilles assemblées auraient-elles besoin de 9 sous-divisions, dont chacune serait divisée elle-même en 9 autres divisions ? Que l’on place dans un département quelconque Marseille, Lyon, Bordeaux, Rouen, Bennes, Nantes ou Toulouse ; comment parviendrait-on à former 9 communes parmi les petites agrégations qu’il faudrait joindre à chacune de ces villes ? J’ajoute encore que si 200,000 âmes supposaient 900 communautés ou collectes, comme le dit M. Thouret, chaque communauté n’aurait donc que 222 personnes, c’est-à-dire 37 citoyens actifs; encore faudrait-il supposer que les communautés fussent égales. Mais il est nécessaire de prouver que les sous-divisions en 720 communes ne sont pas nécessaires, lorsque je puis démontrer qu’elles sont impossibles, Si les 80 départements étaient égaux, ils auraient chacun 300,000 âmes , mais comme dans le plan du comité l’on n’a égard qu’au territoire pour fixer l’égalité respective des départements, il est permis de supposerqu’il y aura telle de ces divisions où la population sera quatre fois moindre que dans une autre. Un tel département n’aurait donc alors que 75,000 âmes. Si l’on divise maintenant cette population en 9 communes, et chaque commune en 9 cantons, on n’aura que 150 citoyens actifs par canton et 1,388 par commune. Ce n’est point assez. Il est encore possible de supposer qu’il y ait des communes égales en surface, et quatre fois moins peuplées que d’autres; elles n’auraient donc alors que 347 citoyens actifs, et chaque canton n’en aurait que 36. M. Thouret ne s’est pas moins trompé lorsqu’il a cru que la division actuelle de la Provence en vigueries pouvait autoriser la division par communes. En efiet, si les assemblées des vigueries sont 736 utiles en Provence, c’est qu’il n’y a dans ce moment qu’une grande assemblée administrative pour 800,000 âmes. . J'ai dit en second lieu qu’une foule des vigue-ries de la Provence avait en étendue environ le quart de sa valeur foncière ; et de là je conclus que ces districts ne seraient plus nécessaires si on établissait quatre départements principaux dans la Provence. Il me restait à répondre à la dernière partie du système de M. Thouret ; il a prétendu que le plan que j’ai proposé était conforme à celui du comité, et qu’ainsi ces deux plans ne pouvaient pas être opposés l’un à l’autre. Veut-on parler d’une conformité dans les principes? j’avoue que j’admets plusieurs principes du comité de constitution ; mais je ne reconnais point que les moyens proposés par le comité soient les meilleures déductions de ces mêmes principes. Veut-on parler d’une conformité dans les moyens d’exécution ? nos deux plans sont sous les yeux de l’Assemblée ; elle pourra décider que le plan du comité doit être préféré ; mais elle ne décidera certainement point que deux plans aussi opposés soient les mêmes. Je finis cette trop longue discussion. Votre décision est attendue des provinces ; elle l’est même avec inquiétude. Jamais la situation des affaires publiques n’exigea plus de sagesse, plus de facilité dans les moyens d’exécution, et, j’ose le dire, plus de ces ménagements heureux que la prudence sait concilier avec les principes. Ce discours est vivement applaudi. M. Thouret, désirant répondre à quelques objections, en demande communication, pour user de représailles avec M. de Mirabeau, auquel il avait confié le sien. L’Assemblée y consent. M. Pison du Galand (1). Messieurs, deux principaux systèmes d’organisation politique vous ont été présentés : l’un par votre comité de constitution ; l’autre par M. le comte de Mirabeau ; je me propose de les discuter successivement, et de vous soumettre un résultat différent. PROJET DU COMITÉ. Ce projet embrasse quatre grands rapports : la formation de l’Assemblée nationale ou du corps législatif; celle des assemblées administratives provinciales ; celle d’assemblées administratives inférieures ; enfin les municipalités. Le comité propose de partager la France en quatre-vingts départements égaux en surface ; De diviser chaque département en neuf arrondissements, sous le nom de communes; De sous-diviser chaque arrondissement ou commune en neuf cantons ; De rassembler tous les habitants de chaque canton par assemblées primaires, dont le nombre moyen serait de six cents votants. Dans cette hypothèse, chaque canton doit nommer un député sur deux cents votants ; et, en supposant les cantons égaux, ils nommeraient chacun trois députés. Ces députés de cantons, au nombre de vingt-sept (trois par canton), doivent (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. Pison du Galand. [10 novembre 1789.] se réunir dans les chefs-lieux de commune et y nommer neuf députés, pour se rendre au chef-lieu de département, et s’y trouver au nombre de quatre-vingt-un. Ces quatre-vingt-un députés doivent nommer les députés à l’Assemblée nationale. C’est une autre opération, ce sont presque d’autres éléments pour former l’assemblée provinciale. Les assemblées primaires ou de cantons doivent nommer, non plus un député sur deux cents votants, mais un sur cent, c’est-à-dire six par canton, en continuant de supposer les cantons égaux. Ces députés de cantons, réunis au nombre de cinquante-quatre dans chaque commune, doivent y nommer une assemblée administrative communale de vingt-six membres. Les neuf administrations communales doivent élire chacune six députés pour former l’assemblée administrative provinciale, au nombre de cinquante-quatre membres. C’est un troisième genre d’opération pour former les assemblées municipales. Les assemblées primaires doivent nommer un député par assemblée, de quelque nombre de votants qu’elles soient composées, et ces députés doivent se réunir dans le chef-lieu de l’arrondissement communal et y former l’assemblée municipale. Quatrième genre d’opération. Nomination d’un bureau municipal dans chaque localité. Il me semble, Messieurs, qu’il suffit d’énoncer les différents termes de ce projet pour se convaincre qu’il ne peut pas être adopté. La seule difficulté de l’exécuter vous ferait une loi de le proscrire, dans un temps surtout, où les hommes ne se tenant presque plus que par leurs habitudes, non-seulement il faudrait les leur faire quitter, mais il faudrait exiger d’eux plus de concordance pour les vaincre, qu’il ne leur en reste en les conservant. Mais les inconvénients de détail me paraissent bien plus graves. Formation de l’Assemblée nationale. Première opération. Assemblée primaire dans chaque canton (les cantons doivent être de quatre lieues de surface), et députation à la commune de trois députés par canton. Cette réunion des habitants de plusieurs paroisses, communautés ou villages, répandus sur une surface de quatre lieues, pour se former en assemblées primaires, est une difficulté capitale. Il faut faire quatre lieues, deux pour aller, deux pour venir, et je suppose les cantons réduits à des carrés parfaits, sans quoi la difficulté s’augmente. Il faut vaincre les intempéries du temps. Il faut avoir un jour entier à donuer à ces assemblées, peut-être davantage ; car vous connaissez les longueurs de toutes les opérations dans les assemblées nombreuses, et les assemblées primaires pourront monter jusqu’à huit cent quatre-vingt-dix-neuf votants. Il faut pourvoir à sa subsistance pendant la durée de ces assemblées ; peut-être, et vraisemblablement, à son coucher. Croyez-vous, Messieurs, qu’on puisse raisonnablement exiger, je ne dirai pas ces mouvements, mais ces sacrifices, des laboureurs, des journaliers, des habitants ordinaires de la campagne : et n’est-ce pas exposer les assemblées primaires [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 737 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 1789.] ï à la nullité ; n’est-ce pas les livrer à l’accès des seules personnes aisées ou ambitieuses, que de les environner de tant de difficultés? La formation de ces assemblées peut se concevoir dans une grande ville, où l’on ne se déplace que de sa maison à l’église ; mais je ne crains pas de dire qu’elles seraient impraticables et impra-tiquées dans nos campagnes. Seconde opération. Réunion des vingt-sept députés de canton dans les chefs-lieux d’arrondissement, sous le nom de commune , et nomination de neuf députés pour se rendre au chef-lieu de chaque département. Cette seconde opération n’est pas difficile; mais elle me paraît chétive, et rappeler les réductions si souvent critiquées, prescrites par le règlement du 24 janvier. Ce règlement ordonnait aux premières députations de se réduire au quart : le projet du comité propose la réduction au tiers ; la nomination de neuf députés par vingt-sept autres est-elle effectivement autre chose que cette réduction? Troisième opération. Réunion dans le département des quatre-vingt-un députés des communes ou arrondissements, et nomination par ces quatre’ vingt-un députés de neuf députés à l’Assemblée nationale. Cette troisième opération a un premier défaut, celui de commettre à quatre-vingt-une personnes seulement le choix de neuf députés à l’Assemblée nationale, et, par sous-division, la députation d’un membre de cette Assemblée à neuf électeurs seulement. Elle a un second défaut radical, de ne produire à l’Assemblée nationale que des arrière-délégués ou des délégués au troisième degré, ce qui anéantit, pour ainsi dire, la représentation, à force de l’éloigner de sa source. Un partisan de ce projet, qui a senti cette difficulté, l’a présentée comme un mal nécessaire, ataché à la grande population de la France ; mais ce mal n’est point forcé : l’auteur du second projet que j’ai à discuter vous a déjà prouvé qu’il ne l’était pas, et je compte le prouver, à mon tour, d’une autre manière. Le second défaut du projet que j’examine est tel qu’on ne peut pas l’y corriger. Placez, en effet, la nomination des députés à l’Assemblée nationale dans les communes, au lieu de la placer à un degré plus haut dans les départements; vous avez, dans le système du comité, sept cent .vingt communes, répondant aux sept cent vingt [députés 'dont il propose de composer l’Assemblée nationale : on serait forcé, dans cette supposition, de renoncer à toute espèce d’égards à la diversité de population dans chaque commune. L’auteur des Observations sur le Rapport du Comité, fortement imbu des mêmes principes, a proposé de transporter dans les départements les vingt-sept députés qui doivent se réunir dans chaque commune, et là, de leur faire collectivement nommer les députés à l’Assemblée nationale, par proportion à la population de chaque commune; mais les opérations nécessaires pour atteindre cette proportion sont si compliquées, qu’il finit presque par y renoncer lui-même, en ajoutant que celte modification tiendrait encore au système de réduction qu’il désapprouve. ‘ i Le système du comité a un troisième défaut : lelui de rompre la balance ou l’équilibre entre lhaque province et la capitale. La capitale doit former un département, fort des six à sept cent îille habitants dont elle est peuplée ; et il propose de diviser les provinces en quatre-vingts lra Série, T. IX. départements, ce qui, les réduisant à une population moyenne de trois cent mille âmes, les exténuerait de moitié, par comparaison au département de la capitale. Les provinces sont actuellement au pair avec la capitale, par leur population et l’influence nécessaire qui en résulte; pourquoi rompre cette heureuse harmonie? on craint l’esprit de province! mais l’esprit de cité n’a-t-il aucun danger? Il n’existe pas, dira-t-on; mais a-t-on des garants qu’il ne se formera jamais ; et existe-t-il d’autre moyen de le balancer, de le détruire, que par des influences contraires? L’esprit de province ne peut plus exister, dès qu’il n’existe plus de distinction ou de privilèges. Il ne peut plus exister que l’esprit des gens à argent et l’esprit de luxe contre l’esprit d'agriculture et d’économie ; et il convient que ces deux esprits se balancent. Les provinces ont fait leurs preuves vis-à-vis les créanciers du gouvernement; il est donc au moins inutile de les affaiblir. Si la division proposée existait, il faudrait la détruire; gardons-nous donc d’en être nous-mêmes les instruments. Ainsi, Messieurs, ce premier chapitre du projet du comité me paraît inadmissible sous ses divers points de vue. Formation des assemblées provinciales. Première opération. Assemblée primaire dans chaque canton ; nomination d’un député sur cent votants, ou de six députés par canton, en continuant de les supposer à l’égalité. Vous vous rappelez que les assemblées primaires n’ont dû nommer que trois députés pour préparer la nomination à l’Assemblée nationale. Je demande d’abord : pourquoi une assemblée primaire, différente de la première, pour préparer les députations à l’assemblée provinciale ? N’est-ce pas déjà une assez grande difficulté que de rassembler une fois les habitants de quatre lieues de surface, sans les rassembler de nouveau pour une opération qui peut concourir avec la première ? Je demande, en second lieu: pourquoi trois députés seulement, pour préparer l’Assemblée nationale, et six pour préparer l’assemblée provinciale ? La première, bien plus importante que la seconde, n’exigeait-elle pas, au contraire, un plus grand nombre de coopérateurs? Seconde opération. Réunion de ces cinquante-quatre députés de canton dans chaque commune; nomination par ces cinquante-quatre députés, de vingt-six personnes, qui formeront l’assemblée administrative communale. Troisième opération. Nomination par ces vingt-six personnes, de six députés, pour former l’assemblée provinciale, au nombre de cinquante-quatre dans le département. J’ai fait remarquer que la réduction des députés destinés à préparer l’Assemblée nationale était au tiers de vingt-sept à neuf; ctdle-ci est à la moitié, de cinquante-quatre à vingt-six. Je demande : 1° pourquoi ce dédoublement, cette réduction des cinquante-quatre députés de cantons, à vingt-six, afin de leur faire nommer les six députés à l’assemblée provinciale? 2° Pourquoi, du moins, ne pas faire choisir, du premier bond, ces vingt-six députés par les neuf cantons dans leurs assemblées primaires, lors surtout qu’on pouvait même leur en départir le choix dans une sorte de proportion avec leurs forces respectives ? Ce ne sont là peut-être que des singularités; 47 [10 novembre i789.j [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. mais il en résulte un vice réel: c’est que l’assemblée provinciale ne se forme encore qu’au troisième degré de députation ou par des arrière-délégués de délégués. ' Premier degré : députation à la commune par les assemblées primaires. Deuxième degré : nomination de vingt-six membres, par les députés des assemblées primaires. Troisième degré: nomination de l’assemblée provinciale par ces vingt-six membres. Il était si simple de faire nommer les six députés de chaque commune, à l’assemblée provinciale, par les cinquante-quatre députés de canton, ou d’assemblées primaires, qu’il ne m’a pas été possible de concevoir pourquoi on les faisait procéder à une réduction préalable à vingt-six. Formation des assemblées administratives inférieures. Cette formation est comprise dans les opérations précédentes. C’est la réduction des cinquante-quatre députés de canton à vingt-six, ou leur choix de vingt-six personnes dans la commune, qui doit y former une assemblée administrative inférieure. Cette composition a le premier défaut de faire nommer au second degré les membres qui doivent composer celte assemblée, au lieu de les faire nommer au premier degré, à raison de trois par canton, lorsque ce nombre se prête môme à une répartition proportionnelle aux forces respectives de chaque canton. 11 est vrai quepour avoir trois députés par canton, il faut porter à vingt-sept, au lieu de vingt-six, le nombre des membres de l’assemblée administrative communale; mais le comité ne donnant aucun motif pour le retranchement de cette unité, il ne peut pas y avoir d’inconvénient à la rétablir. On pourrait peut-être remarquer que le nombre vingt-sept ne se serait pas prêté à une régénération par moitié ; mais le nombre treize, moitié de vingt-six, ne se prêtant pas non plus à la division en neuf cantons, il n’était pas plus difficile d’avoir à régénérer ou remplacer une fois le nombre treize, et une fois le nombre quatorze, et ainsi alternativement, que d’avoir chaque fois à remplacer le nombre treize. Ce troisième chapitre du projet du comité a un second défaut : c’est de nous accabler de sept cent vingt assemblées administratives inférieures. J’emploie cette expression parce que, pour peu que ces assemblées tombent en discordance avec leurs assemblées supérieures de département, le corps législatif et le pouvoir exécutif pourront être effectivement accablés de la multitude de leurs réclamations. Si l’Assemblée nationale a jamais à calmer les mécontentements de sept cent vingt sous-départements réclamant à l’envi les secours, les encouragements, les préférences pour les ouvrages publics, je craindrais qu’elle ne pût y suffire. De plus, j’ose affirmer qu’une administration permanente, sur six lieues de diamètre, ne peut produire aucun avantage réel, qui, du moins, ne soit surpassé par la dépense ; qu'il ne faut pas une assemblée particulière pour sous-diviser l’impôt à quelques communautés ; qu’un commis suffit pour inspecter des routes sur une étendue de six lieues, etc. C’est l’édit de création des assemblées provinciales qui a produit le système des assemblées administratives inférieures, dont le comité n’a I fait que changer le nom. L’idée de ces assemblées en sous-ordre pouvait se présenter dans de grandes provinces soumises à une seule administration, en les y appliquant en petit nombre ; mais on ne peut pas invoquer cet exemple, en commençant par diviser les provinces en départements/et ou doit bien moins encore l’imiter avec profusion. J’oserai, Messieurs, vous citer une sorte d’expérience. Le Dauphiné fut assujetti aux assem-* Liées provinciales en 1787 ; l’année suivante il secoua le joug et régénéra librement son ancienne constitution ; il usa de sa liberté pour rejeter les administrations inférieures. C’est par les membres mêmes de ses Etats, répandus dans toute la province, après leur séparation, que la commission intermédiaire fait exécuter les décrets des Etats. On a économisé par là des mouvements et ; des dépenses, et l’expérience n’y a fait trouver encore aucun abus. Je crois donc, Messieurs, qu’il sera de votre pru-- dence d'attendre le vœu môme des assemblées , provinciales que vous établirez, avant que de leur donner des administrations inférieures. Formation des municipalités. ■ Députation d’un membre par l’assemblée primaire, réunion de ces membres dans la commune ‘ pour y former un corps municipal commun à toutes les villes, bourgs ou villages de l’arrondissement. Les administrations municipales sont par essence les agents des villes, bourgs et communautés pour leur police locale et l’administration de leurs propriétés particulières ; pourquoi donc réunir les municipalités de plusieurs villes, bourgs ou communautés sur six lieues carées ? pourquoi éloigner de trois, quatre, cinq ou six lieues, l’administration locale et souvent journalière d’un territoire circonscrit et particulier ? pourquoi exiger plusieurs lieues de chemin d’un laboureur, d’un journalier qui auront affaire à l’administration de leur village? on propose, il est vrai, d’établir un bureau municipal dans chaque municipalité, sous la dépendance de l’assemblée municipale établie dans l’arrondissement communal ; mais pourquoi ces deux degrés d’admi-, nistration municipale? pourquoi une assemblée municipale dans le chef-lieu de l’arrondissement i communal, à côté de l’assemblée administrative J communale? pourquoi ne pas confier à cette® assemblée le ressort municipal? pourquoi cei double emploi pour les neuf mêmes cantons de ' la même commune? voilà des questions que je � n’ai pas pu résoudre. " Je vois résulter encore de ces divers établissements des longueurs très-nuisibles dans les affaires, parla multitude des recours; du bureau : local municipal à l’assemblée municipale; de . l’assemblée municipale à la communale ; de la 1 communale à la provinciale ; et enfin, de celle-ci, � à l’Assemblée nationale. Il paraît que le système du comité a pris nais-i sauce dans l’ouvrage de M. l’abbé Sieyès, intitulé : Quelques idées de Constitution applicables à la ville de Paris. La ville de Paris y est considérée� comme un département, et on divise le royaume* en départements. La ville de Paris y est divisé® en districts; on divise les départements d® royaume en communes ; les districts de Paris s® soüs-divisent en quartiers ; on sous-divise le® communes en cantons ; il n’y a de changemen® [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 1789.] 739 que dans les noms ; les communes répondent aux districts, et les cantons aux quartiers ; et comme les assemblées' des quartiers de Paris seront naturellement de cinq à six cents personnes, on propose de former les assemblées primaires du royaume à pareil nombre; et comme la municipalité de Paris descend et se divise dans ses districts, on propose de remonter la municipalité des villes, bourgs et villages des provinces dans les arrondissements, qui, sous le nom de communes, correspondraient aux districts. Mais je réponds: 1° que l'organisation d’un grand royaume agricole ne peut non plus se former à l’imitation d'une grande ville de richesses et de commerce, qu’une grande cité ne pourrait se former à l’imitation d’un grand peuple agricole ; que les différentes villes, bourgs ou communautés ne peuvent non plus renoncer à leur unité particulière pour se donner une municipalité commune dans leur arrondissement, que Paris ne pourrait renoncer à la sienne pour se donner autant de municipalités particulières que de districts; que si le siège du gouvernement et les besoins du commerce ont rassemblé une multitude immense dans Paris, la nature et les besoins d’agriculture ont séparé les habitants de nos campagnes à de grandes distances ; que si les habitants de Paris peuvent se rassembler à tout instant, sans frais, et presque sans peine, nos laboureurs dispersés ne le pourraient pas sans de grandes pertes de temps, sans des dépenses au-dessus de leurs moyens, et souvent sans des peines au-dessus de leurs forces. Paris, sans doute, doit être considéré comme une province, parce que sa seule population, indépendamment de ses richesses, met cette ville au pair d’une province effective ; mais, pour cela, il ne faut pas morceler les provinces, sans quoi Paris serait au pair de deux ou trois à la fois. Paris doit avoir sa municipalité intérieure et locale, organisée sur sa grande population ; mais nos villes de province, dont quelques-unes ont aussi leur importance, nos bourgs, nos villages, qui, comme Paris, ont leur unité particulière, leurs biens, leurs affaires propres, doivent pareillement avoir leur municipalité propre, à la môme proximité, avec la même commodité, et surtout avec économie. Je n’ai point parlé delà fréquence des assemblées primaires pour régénérer les municipalités, les assemblées communales, pour subvenir aux vacances de places, aux transitions d’une assemblée à l’autre, pour nommer des maires et lieutenants de maires, etc., quoique je regarde cette fréquence comme un obstacle constant à la durée de l’édifice, en supposant qu'on vînt à bout de l’élever. SECOND PROJET. Diviser la France en cent vingt départements égaux en population et en importance. Etablir deux assemblées dans chaque département ; une d’élection, une d’administration. Former les assemblées d’élection par un député de chaque ville, bourg, paroisse et communauté, sur cent habitants, en réunissant par rapprochement les communautés qui n’auraient pas le nombre d’habitants nécessaire pour fournir un député électeur. Réunir ces électeurs dans chaque département, et leur faire nommer neuf députés à l’Assemblée nationale, proportionnellement néanmoins à la population respective de chaque département. - Former enfin l’assemblée administrative du département par un député de chaque ville, bourg ou communauté, sur cinq cents habitants, en réunissant par rapprochement les bourgs et communautés au-dessous de ce nombre. Ce projet ne contient rien sur les municipalités. Il est spécieux par sa simplicité ; il évite les principaux inconvénients du premier : les assemblées trop nombreuses, et de membres trop séparés les uns des autres ; la complication des mouvements ; la représentation à un degré trop éloigné, etc., mais il en conserve plusieurs : 1°U conserve celui de la réunion de plusieurs villages, lorsque chacun d’eux ne pourra pas fournir cinq cents habitants pour députera l’assemblée administrative ; sorte de rechute dans les assemblées primaires, facile dans les villes, mais impraticable dans des paroisses éparses. 2° Ce projet prenant uniquement la population pour base de ses divisions, il arrivera, dans un pays dénué de villes, occupé par des bois, des landes, de grandes montago.es, qu’il faudra réunir une grande étendue de territoire pour former un département : ce n’est pas que je n’aie remarqué que l’auteur du projet associe l'importance à la population, mais, le sens de ce mot n’étant pas déterminé, je ne puis pas en faire d’application. 3° Enfin, ce projet a l’inconvénient majeur, selon moi, de diviser, de morceler encore plus les provinces que le premier, de rompre leurs habitudes, de les exposer à de longs débats pour la liquidation de leurs affaires communes, etc. Je ne vous dirai plus que chaque province doit être au pair de la capitale, avoir une influence, une unité pareille à la sienne; j’embrasse déplus grands intérêts. Je suppose que, par une fatalité qui n’arrivera pas, sans doute, mais que l’imagination peut se figurer; je suppose, dis-je, qu’une Assemblée nationale vînt à être subjuguée, séduite, séparée; où serait le refuge de la liberté, si ce n’est dans l’unité considérable des provinces ? La capitale pourrait-elle seule faire renaître la liberté de ses cendres? jN’est-cepas l’unité du Dauphiné, l’unité de la Bretagne, qui ont déconcerté le despotisme ministériel, qui ont ouvert, qui ont facilité Rétablissement de la liberté publique ? Votre génie s'emparera de ces idées sans les développer davantage. Je n'ajouterai plus qu’une considération particulière : Le Dauphiné avait le droit contractuel d’octroyer librement l’impôt ; il s’est librement interdit d’en user, sans en délibérer dans les As semblées nationales. Des privilèges, des distinctions, sont loin de son patriotisme. Mais je ne présume point assez de mes pouvoirs, pour croire avoir la faculté de consentir à séparer ma province d’elle-même, et vous m’excuserez sûrement, pour ma sûreté vis-à-vis de mes commettants, de réserver ainsi que je le fais mon consentement particulier. Je crois donc qu’il faut embrasser d’autres principes. Le premier est, pour proportionner l’influence réciproque de la capitale et des différentes provinces, de diviser le royaume en grands départements, approchant, autant qu’il sera possible, de l’égalité, en conservant les limites caractérisées des provinces. Le principe adopté, les membres de l’Assemblée s'assembleront par généralités ; ils peuvent 740 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 110 novembre 1789.] projeter le ressort ou la limite des assemblées provinciales, pour votre première séance. La nature, autant que les hommes, a fait le plus souvent les limites des provinces, comme celles des empires. L’empire français est borné au levant par des montagnes ; au nord, par des places fortes ; obstacles factices, mais imitatifs des obstacles naturels ; au couchant, par la mer, etc. Plusieurs provinces connaissent des causes semblables de limitation : le Dauphiné est borné au levant et au nord par les Alpes; au midi et au couchant, par un grand fleuve. La Provence et d’autres provinces ont pareillement des limites naturelles. Gomment désunir, pour unir ailleurs, des choses dont la nature elle-même a déterminé le rapprochement ? Personne ne peut me disputer le principe que les départements doivent avoir une influence égale et réciproque dans les Assemblées nationales ; que l’unité de vues qui pourrait animer les habitants de la capitale pour l’intérêt de leur cité doit être balancé par l’unité de vues des habitants d’une province. Gela posé, la capitale ayant une population d’environ sept cent mille âmes, j’estime qu’on doit diviser le royaume en trente-six départements; ce qui, donnant à peu près la même population de 700,000 âmes pour terme moyen, égalisera chacun d’eux au département de Paris en les égalisant entre eux. La nature et l’expérience des temps ont fait presque tous les frais de cette division. Plusieurs provinces ont précisément une population approchante de celle de la capitale ; et l’ancienne division du gouvernement en 32 généralités a appris que leur territoire n’était pas au-dessus des forces d’une seule administration. Quelques provinces sont trop étendues ; mais leur administration est actuellement divisée, ou elles en demandent la division. La Normandie est divisée en trois administrations ; la Champagne, dit-on, en demande deux : d’autres provinces peuvent former le même vœu, en conservant des moyens de rapprochement pour la liquidation de leurs affaires communes. Ajoutez la ville de Paris, et sa banlieue, pour un département, on arrive sans secousse, presque sans novation, au nombre de trente-six que je propose. Considérez d’ailleurs les avantages précieux de cette grande division. Vous ne voulez pas sans doute établir quatre-vingts ou cent vingt tribunaux souverains ; le désœuvrement et l’ignorance qui suivraient d’aussi petits établissements doivent en dissuader, autant que la dépense et la difficulté de trouver le nombre de sujets nécessaires pour les remplir. Je sais qu’on peut réunir plusieurs départements pour former une cour souveraine; mais alors, par quels départements les candidats seront-ils présentés, si vous rendez les magistratures plus ou moins électives? où sera le' contre-poids municipal des compagnies de justice, qui auront au contraire, dans leurres-sort, plusieurs administrations provinciales? La félicité humaine est composée de liberté civile et politique, et peut-être plus encore de la première que de la seconde. Tandis que vous veillerez sur celle-ci, ne privez pas les provinces de la faculté de veiller immédiatement à la garde de l’autre. Et puis vos départements incorporés n’auront-ils pas à payer leurs cours souveraines, leurs autres établissements communs ? Pour régler leurs contributions respectives, il faudra bien qu’ils communiquent : voilà donc des correspondances nécessaires, qui ramènent à l’unité que je propose. 11 faut déjà, de l’aveu du comité, de ces correspondances, pour liquider les affaires communes actuelles de provinces qu’il propose de diviser : il retombe donc lui-même dans l’inconvénient prétendu de l’esprit de province, et il y retombe avec le danger de le voir illégalement reproduire. Cessons de parler d’esprit de province ; il n’est pas plus convenable de le supposer, qu’il ne le serait d’en supposer un particulier à la capitale. Get esprit pourrait naître d’une disproportion d’influence, et c’est nous qui l’aurions fait germer en voulant le détruire. Voulez-vous remplir le vœu des provinces ? laissez-leur l’unité qu’elles ont et qui leur est nécessaire. Ordonnez ce que les Etats de Dauphiné avaient déjà réalisé; ne fixez pas dans les capitales les sessions des assemblées provinciales ; faites-les circuler dans chaque chef-lieu d’arrondissement d’électeurs : par là les déplacements seront réciproques ; toutes les parties des provinces seront vues et visitées ; toutes les plaintes seront immédiatement entendues par les adminisîrationsprovineiales; lenumérairequ’elles dépensent sera reversé dans les différentes parties de leurs territoires. Je crois, Messieurs, que vous combleriez la félicité de la France en étendant cette idée aux sessions de l’Assemblée nationale. Vous verriez tout alternativement par vos yeux, les administrations provinciales, les tribunaux souverains, les universités : tous les grands établissements seraient alternativement soumis à votre censure immédiate; et si quelque esprit particulier venait à germer, vous l’écraseriez par votre présence et le poids de votre patriotisme. Vous vous êtes déclarés inséparables d’un Roi citoyen ; il a pris l’engagement solennel de visiter ses provinces ; vous marcheriez sur ses pas, ou plutôt vous lui ouvririez la voie du bien qu’il veut y faire. Quel sujet de rivalité pourrait-il rester alors dans aucune partie de l’empire, et qui voudrait vivre ailleurs que sous le climat et le gouvernement français ? Ne nous le dissimulons pas: le morcellement de la France amènerait, tôt ou tard, la direction de toute l’administration de l’Assemblée nationale, parce que de petites administrations provinciales ne pourront pas embrasser des objets d’une utilité un peu générale, et nos assemblées provinciales deviendraient illusoires. Je conclus donc : 1° à ce que, pour proportionner l’influence réciproque de chaque province et de la capitale, le royaume soit divisé en trente-six départements d’une population égale, autant qu’il se pourra, en conservant les limites des provinces, et que la ville de Paris, avec la banlieue qui lui sera assignée, soit érigée en département, eu égard à sa population; 2° Qu’il soit établi, dans chaque département, une assemblée administrative provinciale, qui, dans la ville de Paris, pourra se confondre avec l’assemblée administrative municipale; 3° Qu’il soit sursis à l’établissement d’assemblées administratives inférieures jusques après le premier mois de la prochaine session des assemblées provinciales, pour connaître leur vœu sur ce sujet; 4° Que chaque département soit divisé en six arrondissements, aussi égaux qu’il se pourra, pour réunir les députés électeurs, soit à l’Assem- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 1789.] 741 blée nationale, soit à l’assemblée provinciale (1); 5° Que les membres de l’Assemblée nationale, assemblés par la généralité, soient chargés de lui présenter incessamment leurs observations sur le territoire qui doit être provisoirement compris dans chaque département et dans chaque arrondissement et sur les chefs-lieux d’arrondissement, et qu’il soit réservé de ne statuer définitivement sur cet objet qu’après avoir entendu les assemblées provinciales ; 6° Que les assemblées provinciales tiennent leurs sessions alternativement, tous les deux ans, dans chaque chef-lieu d’arrondissement ; 7° Que l’Assemblée nationale tienne alternativement les siennes, tous les deux ans, dans chaque chef-lieu de département ; 8° Qu’il soit établi une administration municipale purement élective, dans chaque ville, bourg, paroisse ou communauté du royaume. On demande et l’Assemblée ordonne l’impression et la distribution du discours de M. Pison du Galland. La suite de la discussion est renvoyée à demain. M. le Président annonce que le recensement du scrutin pour les officiers de l’Assemblée n’a produit aucune majorité pour la présidence. MM. l’archevêque d’Aix, Thouret et Emtnery ont partagé les voix, mais d’une manière très-inégale. La majorité a été plus décidée à l’égard des secrétaires : MM. Rabaud de Saint-Etienne, Salomon et le vicomte de Mirabeau ont réuni le plus grand nombre de suffrages. On s’occupera aujourd’hui d’une nouvelle nomination du président. On reprend la discussion concernant l'arrêté de la chambre des vacations du parlement de Rouen. M. Target lit une motion rédigée en ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant que l’arrêté pris le six de ce mois par la chambre des vacations du parlement de Normandie, et qui lui a été communiqué par les ordres du Roi, est un attentat à la puissance souveraine de la nation ; « A décrété et décrète : 1° que M. le président se retirera devers le Roi, pour le remercier, au nom de la nation, de la promptitude avec laquelle il a proscrit cet arrêté, et réprimé les écarts de ladite chambre ; « 2° Que cette pièce sera renvoyée au tribunal auquel elle a attribué provisoirement la connaissance des crimes de lèse-nation, pour le procès être iastruit contre les auteurs de l’arrêté, ainsi qu’il appartiendra; « 3° Que pendant cette suspension, les présidiaux de son ressort jugeront définitivement toutes matières civiles, leur attribuant à cet effet tout pouvoir et juridiction nécessaires ; « 4° Que les procès déjà jugés par les présidiaux, et portés par appel au parlement de Rouen, seront renvoyés chacun au présidial le plus voisin de celui qui aura prononcé; « 5° Que tous les procès criminels portés par appel, de suite ou autrement, au parlement de (1) Cette division a un avantage, en ce que les arrondissements d'élection se trouveront ainsi au nombre de 216, ce qui rapproche davantage les électeurs que ne le fait M. de Mirabeau, qui ne les rassemble que dans les 120 départements. Rouen, ainsi que ceux qui y seront portés, seront jugés par le présidial de Rouen, auquel elle attribue toutes cour et juridiction. » Plusieurs membres demandent la division de la motion. M. Tanj uinais désire qu’on suspende dès ce moment la chambre des vacations de toutes fonctions ; qued’on nomme des commissaires chargés d’aviser aux moyens de la remplacer sur-le-champ, et de pourvoir dans son ressort à l’admb nistration de la justice. M. Oarat aîné. Si je n’écoutais que les impressions que l’homme et le citoyen ont dû recevoir à la lecture de cet arrêté, je voterais pour les mesures correctionnelles et pénales qu’on vous a proposées, mais je ne prendrais pas conseil de la sensibilité et de l’amour-propre d’un représentant de la nation.... (De violents murmures se font entendre.) Nous avons affaire à un adversaire formaliste ; il faut mettre de notre côté les formes, comme nous avons le fond pour nous. Le Roi a fait, par son arrêté du conseil, ce qu’il devait faire, puisque l’arrêté tend à soulever le peuple contre ses représentants et à jeter le royaume dans l’anarchie en feignant de la craindre ; il le devait encore à son autorité, puisqu’il avait sanctionné le décret qui mettait en vacance les magistrats de Normandie; mais les termes dont le Roi s’est servi sont si dignes de son amour pour ses peuples, qu’il faut délibérer une adresse de remerciements à Sa Majesté. On vous a proposé d’interdire la chambre des vacations ou de la remplacer par d’autres officiers, mais ce serait là un jugement pénal provisoire, que l’Assemblée doit s’interdire ; il suffit de renvoyer au Châtelet, qui ne laissera pas ce crime impuni. , M. de Vrigny. La chambre des vacations est répréhensible, mais sa faute ne peut tomber sur une province entière : la justice est due à tous, et les peuples ne consentiront jamais à perdre leurs juges naturels. Mes commettants m’ont enjoint de réclamer la conservation et l’inamovibilité des tribunaux de la province, et que leur échiquier soit conservé. Je propose de décréter que M. le président se retirera devers le Roi, pour le remercier de la célérité qu’il a mise à casser l’arrêté de la chambre des vacations, à cause de J’attentat qu’elle a commis contre l’Assemblée nationale, et que sur le surplus on déclare qu’il n’y a lieu à délibérer. M. le comte de Clermont-Tonnerre. Messieurs, après avoir lu le décret de l’Assemblée du 3 de ce mois, qui porte que toutes cours et tribunaux, même en vacation, seront tenus de transcrire sur les registres les lois qui leur seront envoyées, sous peine d’élre poursuivis comme prévaricateurs dans leurs fonctions et coupables de forfaiture, la chambre des vacations a bien inscrit sur les registres le décret du 3 novembre, mais il est difficile de reconnaître son obéissance dans les termes qu’elle a employés ; on y reconnaît plutôt tous les caractères de la forfaiture. C’est en rappelant aux peuples du royaume les chagrins du meilleur des rois, que nous aurions voulu lui épargner au prix de notre sang, que cette chambre a voulu consacrer cette résistance, qu’elle se permet de regarder comme fondée... On vous a dit que le tribunal du Châtelet ne pou-