[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (22 avril 1790.1 hommes, a fait feu sur les délinquants et en a tué un. Le juge de Mirebel a informé et décrété. Ce sodI ces décrets que casse le parlement de Grenoble, sur la requête du sieur de Jonage qui soutient que l’ile n’est pas sous la juridiction du juge de Mirebel, et qu’un Dauphinois, en vertu de ses privilèges* ne peut être traduit à un tribunal étranger; cependant il a été produit au comité des rapports une procédure du sieur de Jonage, devant le juge de Mirebel, à raison de la même île. Le comité pense que l’arrêt doit être proscrit, comme contraire à l’ordre public. 1° Le parlement a jugé sans voir les charges et informations, contre la disposition expresse de l’ordonnance criminelle qui défend aux juges de se prononcer sans ce préalable; 2° Le décret du 4 août abolit tout privilège de province. En conséquence, le comité propose de décréter que le président se retirera par devers le roi, pour supplier Sa Majesté de faire révoquer l’arrêt de la chambre des vacations du parlement de Grenoble, du 10 décembre dernier, qui casse les décrets du juge de Mirebel. M. Pison du Galand fait remarquer que le comité des rapports s'éloigne de ses attributions et empiète singulièrement sur celles des juges. Adopter son projet de décret, ce serait par le fait. trancher une question sur laquelle l’Assemblée n’a pas de renseignements certains. M. Groupll de Préfeln appuie l’observation du préopinant et propose la question préalable. M. Carat, l’aîné, trouve qu’il ne s’agit au fond que d’une question de compétence et d’attribution judiciaire, laquelle ne relève que du roi, chef suprême de la justice. (L’Assemblée, consultée, décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer.) M. de Vis eu es, membre du comité des domaines , fait un rapport relatif à des bois dépendant de l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen et vendus par le cardinal de Loménie. Un arrêt du conseil, du 18 décembre 1787, avait autorisé M. le cardinal de Loménie à disposer de deux réserves dépendant de son abbaye de Saint-Ouen de Rouen, l’une appelée la forêt verte, de contenance de 939 arpents, l’autre de 100 arpents, dans la forêt de Gany. La première était estimée 469,740 livres, la seconde 5,000 livres seulement. L’arrêt charge M. de Loménie de quelques payements; et quant au surplus du prix, il lui permet d’en disposer à sa volonté sans que cette grâce puisse tirer à conséquence, même pour f avenir et le dispense, pour la coupe de ces deux réserves, de la formalité des lettres patentes et autres prescrites par l’ordonnance de 1669. — Cette 'grâce est assurée par un bon du roi. Le cardinal vend, le 15 janvier 1788, les deux réserves au prix total de 662,000 livres. Cependant la loi ne permet de toucher aux futaies etquarts de réserve des bois ecclésiastiques, qu’en vertu de lettres patentes : ici, il n’y en a point. Premier vice. La loi ne permet de couper les quarts de réserve qu’à 40 ans. Les procès-verbaux constatent que les 939 arpents ont depuis 17 jusqu’à 30 ans et que les cent arpents de Gany n’ont que 24 ans. Deuxième vice. Les causes de vente ne se présentent point M. de Loménie ne donne les emplois que pour 260,000 livres. Il est donataire du surplus. Le parlement de Rouen a rendu un arrêt, le 25 février 1789, qui défend la continuation de la coupe de ces bois. M. de Loménie en a demandé la cassation: il a présenté d’autres emplois du prix. Un second arrêtdu 20 décembre dernier casse l’arrêt de Rouen, et ordonne l’exécution des ventes faites en conséquencede l’arrêt du conseil de 1787. Le sieur Tollay, acquéreur, continue à exploiter 200 arpents de la forêt verte. Il s’est engagé à fournir à la manufacture des cuirs de Ponl-Aude-mer cent mille bottes d’écorces en cinq années. On allait faire ces écorces iorsque le décret du 18 mars a sursis à toute exploitation de coupe exlraordinairedes bois dépendant d'établissements ecclésiastiques, si elles n’ont été autorisées dans les formes légales. Le sieur Tollay, adjudicataire, et le sieur Martin de Poct-Audemer, demandent que le sursis soit levé pour l’intérêt du commerce; d’ailleurs, l’acquéreur a contracté de bonne foi, d’après l’arrêt du conseil de 1787 ; une nouvelle vente ne se ferait pas avec autant d’avantage; la résiliation de la vente nécessiterait des opérations longues et embarra-santes; le sort d’un établissement aussi intéressant que la tannerie de Pont-Audemer mérite des égards; c’est une branche d’industrie conquise sur nos voisins. Le comité propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport des comités des domaines ecclésiastique, a déclaré qu’il doit être permis à l’acquéreur du quart de réserve de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen, de continuer et de parachever l’exploitation de ladite réserve, à la charge par lui de verser dans la caisse de l’administration des Domaines, ce qui reste dû sur le prix de la vente, aux termes portés par lecontratdu 15 janvier 1788, sauf aux administrations dans le ressort desquelles les bois dont il s’agit sont situés, à poursuivre par les voies de droit, contre le cardinal de Loménie, la restitution des sommes qu’il peut avoir reçues sans cause légitime et en vertu d’un titre illégal. » (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.) M. le Président annonce qu’il va se retirer par devers le roi pour présenter divers décrets à sa sanction. M. Camus, ex-président, prend place au fauteuil. M. Heurtanlt de Lamerville, au nom du comité d’agriculture etde commerce, lit un Avant-propos de la discussion du projet de décret sur le dessèchement des marais du royaume (1). Le rapporteur s’exprime ainsi qu’il suit : Messieurs, l’éloignement où nous sommes du jour que j’ai eu l’honneur de vous faire le rapport du comité d’agriculture et de commerce, sur le dessèchement des marais du royaume, me paraît rendre indispensable de vous en rappeler les principales idées avant d’en présenter le projet de décret à votre discussion (2). Elles renferment un respect éclairé pour les propriétés, un coup d’œil rapide sur la loi qui en est la sauvegarde, une protection constante pour les hommes sans propriété. Votre comité n’a pas imaginé de moyen plus (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Un décret de l’Assemblée a ajourné définitivement cette discussion au samedi 1er mai. i [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 avril 11790. J $59 juste pour dédommager le propriétaire, et cependant opérer des dessèchements, que de lui payer son terrain fantreux ou inondé, le prix qu’il vaut avaut d’être desséché, ou de lui assurer, à son choix, autant d’étendue de son marais desséché qu’en pourrait payer la somme de la valeur de tout le terrain avant “le dessèchement. Tel est notre moyen simple et général. Si vous me le permettez, je développerai entièrement le principe, afin qu’il ne reste aucune obscurité sur cette importante discussion. Je vous proposerai quelques réflexions sur les défrichements et je répondrai, en peu de mots, à quelques observations d’un membre de cette Assemblée. Il est incontestable, Messieurs, que tout propriétaire a le droit de faire dessécher ses marais. Il est non moins évident que le remboursement du fonds d’un terrain quelconque, suivant son produit actuel, devient un acte de souveraineté que peut exercer la nation quand ce terrain est utilement réclamé pour le bien général. Il est également prouvé qu’une partie d’un marais desséché vaut mieux que la totalitéqui ne produisait rien, et ne pouvait rien produire. Un propriétaire dira-t-il qu’il perd l’espérance de pouvoir améliorer son terrain, que les moyens pourraient lui en être offerts par l’avenir, par d’heureuses circonstances, par les fruits de son travail, de son économie, de son industrie; enfin que ce serait une espérance qu’il pourrait laisser uses enfants? C’est la seule objection, vraie en intérêt personnel, qui nous ait été faite. On répondra au propriétaire ce qui nous a paru sans réplique : la loi ne peut protéger que ce qui concourt visiblement au bien général; la loi doit détruire tout ce qui est nuisible à la société. Vous n’avez, dans aucun cas, le droit d’attenter à la vie d’un homme; vous n’avez donc pas le droit de le détruire lentement par les influences pestilentielles de votre marais. Plus vous poserez, Messieurs, le droit de propriété sur des bases équitables, et plusil sera solide, inébranlable, et plus le temps et la raison le rendront sacré. Il ne peut l'être trop, et il le sera chaque jour davantage, à mesure que les lumières pénétrant dans le peuple entier le convaincront que le propriétaire de terres, ou d’autres biens, n’en jouit que comme d’un fruit de ses travaux ou de ceux de ses pères, ou comme d’un don de l’amitié, ou comme d’une récompense de la patrie. Le respect pour les propriétés sera profond, lorsque chacun se dira que tout homme a l’espoir de devenir propriétaire par son travail et son industrie. Le respectreligieuxetéclairé pour les propriétés sera à son comble, quand tout le monde fera cette réflexion : que personne, sans le droit de propriété, ne serait assuré de posséder, deux jours de suite, ce que la loi permet de posséder toute la vie, et de transmettre à ses descendants, et qu'ainsi tout est juste dans la loi. C’est donc servir les propriétaires que de ne point leur déguiser les vérités suivantes : Le droit naturel de propriété existait avant la loi, mais il était soumis aux variations et aux injustices de la force. Le droit social de propriété ne doit la naissance qu’à la loi. La propriété, qui, avant l’établissement de la société, n’était gardée que par la force précaire et individuelle, entre, au moment de l’association, sous la sauvegarde publique ; mais reste soumise, par la convention, à l’intérêt de la société entière. En secondant le bien général, le propriétaire ne peut jamais craindre que la loi brise son ouvrage, ou pour mieux dire sou chef-d’œuvre, le droit de propriété. Le propriétaire de terres, d’après le développement de ce principe, est d’autant plus protégé par la loi, qu’il fait mieux valoir sa propriété, et qu’il remplit mieux le devoir qu’il a contracté comme dispensateur des subsistances, puisque la première loi fondamentale de l’Etat est la culture du territoire. Ainsi tout boD système social ne peut faire qu’un seul et même intérêt, et du véritable intérêt particulier et du véritable intérêt public. C’est pour l’intérêt particulier, comme pour l’intérêt général, que la loi doit tendre à Indivision des propriétés, parce que cette division attache un plus grand nombre d’individus au main tien de la Constitution ; c’est pour l’un comme pour l’autre de ses intérêts que la loi doit rendre inviolables toutes les propriétés qui ne sont pas nuisibles, qu’elle doit inviter ainsi le pauvre à travailler pour acquérir, eu lui assurant le pouvoir de conserver, et qu’elle doit promulguer en même temps que c’est pour mieux consacrer ce principe qu’elle opposera constamment son autorité à ce qui contrarierait l’utilité de la patrie, et à ce qui rebuterait cette classe précieuse d’hommes quin’ayant point de propriétés ne doit point payer de subsides directs, cette classe précieuse d’hommes, qui vivifie, qui soutient de ses bras les empires, qui fait partout le plus grand nombre, et que de bonnes lois peuvent seules attacher à une partie de Funivers plutôt qu’à une autre. S’il pouvait rester du doute, Messieurs, que le droit de propriété fût soumis dans toute son étendue au bien généra), j’ajouterais : portez vos regards sur les lois anciennes ; aussitôt que l’intérêt public craint d’être compromis, voyez les exceptions s’élever de toutes parts pour ie défendre. Faut-il assurer la durée des forêts? Le législateur met des formalités dans leur exploitation. Les grands chemins sont-ils nécessaires aux communications d’une province? Le législateur ordonne qu’ils soient ouverts à travers les propriétés, en dédommageant le propriétaire de la valeur exacte du terrain qu’il perdra. Les mines de toute expèce sont-elles indispensables à la société? Le législateur favorise tous les entrepreneurs qui se présentent pour les arracher de la terre, et pour les façonner. La subsistancedes citoyens est-elle incertaine? Le législateur met des entraves à l’exportation des blés. Puisque le droit de propriété est subordonné au bien général, la conséquence en est qu’il tient à des devoirs, dont la culture des terres est le principal. Réfléchissez encore un instant, Messieurs, sur le mécanisme de toute association politique et daignez me permettre deux suppositions. Si un propriétaire riche ne cultivait jamais de sa propriété que la portion indispensable à sa subsistance, aurait-il un droit bien pur sur le reste? Serait-il un bon citoyen? ..... Si un propriétaire ne voulait même pas faire valoir de sa terre la portion nécessaire à sa subsistance, que, usant du droit d’un insensé, il ne voulût point non plus affermer sa propriété, et que cependant il vécût d’une manière quelconque sur les produits des propriétés des autres citoyens, pourrait-il s’autoriser du grand principe : je possède parce que je possède , ce qui veut dire en sens clair et raisonnable : je possède parce que je jouis ? Un tel propriétaire posséderait sans jouir, il empêcherait les autres de jouir et de posséder ; il serait le fardeau de la société ; il eu serait l’ennemi. L’effet nécessaire et prompt de cet abus répété serait que les propriétaires pourraient, à leur volonté, 260 [ÀssemWéè taâtrcfriale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 avril 1790.] ôter les subsistances aux hommes sans propriété, que, les riches ne posséderaient sous peu que des déserts, où ils mourraient de faim eux-mêmes, et. que la société se déchirerait, se dissoudrait, ou établirait bientôt un meilleur ordre de choses. Ces suppositions sont forcées sans doute, mais de tout ce que je viens de vous exposer, Messieurs, il découle cette grande vérité, plus sentie qu’avouée, et aussi religieuse que politique, c’est que l’esprit de la loi qui protège les propriétés est de les faire prospérer autant pour la subsistance des pauvres et des ouvriers que pour la félicité des propriétaires et des riches. La morale et la politique se sont entendues pour prononcer cette loi, première de toutes. La morale a dit :je veux produire le bien général. La politiquea dit : essayez de le fonder sur l’intérêt particulier, et la propriété s’est établie. C’est en 'quoi Lycurgue avait erré. Sparte, par ses lois toutes contraires aux nôtres, avait des esclaves et point de propriétaires : aussi Sparte n’a-t-elle vécu qu’un instant. Sans propriétaires libres et actifs, point de constitution durable, et sans lois sages et aimées, point de propriétés tranquilles. Tels sont les grands principes qui n’ont jamais abandonné votre comité, et qui sont consignés dans le rapport sur le dessèchement des marais, dont nous ne vous répéterons pas quels sont tous les effets pernicieux. Je me bornerai à vous dire, Messieurs, que les marais de la France sont de douze à quinze cent mille arpents, que ces perfides terrains n’ont d’autres effets remarquables dans la nature que de détruire l’espèce humaine, d’opposer aux rayons du jour des vapeurs empoisonnées, et de former ces orages dévastateurs des récoltes; et que ces terrains étant récréés, pour ainsi dire, par l’industrie de l’homme, procurent autant de richesses et de jouissances qu’ils ont causé de calamités. Je vais passer à ce qui est relatif aux défrichements. Une grande quantité de propriétaires, de pau vres colons, qui on t défriché des terres vaines et vagues, enfin des entrepreneurs se plaignent qu’ils sont injustement troublés par leurs paroisses, dans l’exemption d’impositions que la déclaration du roi de 1764 leur accorde. Ils représentent que ce n’est point à titre d’un privilège exclusif, mais fondés sur un contrat synallagmatique, passé entre le gouvernement et eux, qu’ils ont entrepris leurs travaux, et fait à la terre des avances dont ils ne sont pas encore remboursés. Ils représen-tentqu’un gouvernement qui donnait des primes en argent pour l’importation des blés de 1 étranger, a pu sans doute promettre aux cultivateurs français, des primes d'une autre espèce, pour les engager à faire produire à nos terres incultes les subsistances qui peuvent manquer à nos concitoyens. L’Assemblée nationale trouvera sûrement cette réclamation juste. Votre comité vous prie de déterminer aussi quel genre d’encouragement les défrichements auront à l’avenir. Beaucoup de mémoires, chaque jour, demandent une décision à cet égard. L’incertitude de l’encouragement met obstacle à de nouvelles entreprises, et àla continuation de celles qui sont commencées. Votre comité n’a cependant pas méconnu qu’il y a une grande différence entre les défrichements et les dessèchements ; les terres incultes ne sont qu’inutiles; les marais, les lacs et les terres inondées sont nuisibles. Les devoirs de leurs propriétaires envers la patrie ne sont donc pas les mêmes. Considérés sous le rapport du produit que l’Etat peut tirer de ces divers terrains, les propriétaires ont aussi une grande différence entre eux, et cette différence doit mettre de l’inégalité dans les encouragements que la nation a la générosité ou l’intérêt de leur accorder. Les défrichements des terres élevées, sèches, sans fond, sont bien peu propres à t’augmenta-•tion des subsistances, et enlèvent les pâturages les plus salutaires aux belles races de bêtes à laine. Si cos terrains avaient été les meilleurs, ils ne seraient pas demeurés incultes. Leur superficie, enrichie par le repos et parles éléments, fait tout leur prix. Quelques-uns produiront avec abondance durant quelques années, et la plupart seront bientôt dans le cas de ne plus payer les avances du labourage et de la semence. Les montagnes, les pelouses hautes, sont dece nombre. Mais, Messieurs, la nation a un intérêt sensible aux défrichements des terres basses et aux replantations des forêts. Les terres cultivées payeront moins d’impositions lorsque les terres, qui sont encore incultes, seront mises en valeur, et chaque propriétaire de ces dernières, devenu plus utile, remplira mieux son devoirdecitoyen. C’est sous ce rapport, surtout, qu’il convient d’envisager tous les encouragements. Je me permettrai de remettre sous les yeux de l’Assemblée, que si nous n’avions pas craint de préjuger ses opinions,1 nous lui aurions proposé de n’établir d’imposition sur toutes les terres iucuites que suivant leur produit actuel, fût-il presque nul, et de n’augmenter cette légère imposition, en quelque circonstance qui se présentât, tant que le défricheur ou le replanteur, soit propriétaire, soit fermier, ferait valoir par lui-même les terrains qu’il aurait rendus à la culture. Si, de plus, vous ne permettiez pas, Messieurs, que, par la suite, il fût fait des baux trop courts, vous animeriez infiniment l’agriculture, et vous engageriez les fermiers, par leur intérêt constant, comme les propriétaires, à entreprendre toutes les améliorations dont le terrain qu’ils exploiteraient serait susceptible; et cependant, dans l’ensemble du projet d’encouragement, la nation ferait, selon moii un moindre sacrifice, vu la brièveté de la durée commune de la vie des hommes, que celui de quinze années d’exemption d’impositions accordée par l’édit dernier, pour les défrichements. J’aurai l'honneur de vous observer encore que, si vous vous déterminiez à laisser subsister l’exemption d’impositions de toute espèce, pendant quinze années, pour tous les défrichements entrepris à l’avenir, selon la teneur de la déclaration du roi de 1764, il conviendrait d’expliquer qu’en outre de l’encouragement de vingt années d’exemption d’impositions pour les dessèchements, ui ne mettent encore le terrain qu’en état d’être éfriché, nul terrain desséché ne jouirait ensuite de l’encouragement attaché aux défrichements, parce que vous n’aurez pas l’intention probablement d’accorder, dans aucun cas, aux entrepreneurs des dessèchements, 35 années d’exemption d’impositions, au lieu de 20. Quoique ces deux objets d’encouragement n’aient jamais été cumulés, je ne dois pas vous laisser ignorer, Messieurs, que la déclaration du roi de 1764 et les subséquentes n’étaient point assez claires sur cet objet, et je crois de mon devoir d’ajouter que l’encouragement accordé jusqu’à ce jour, en faveur des défrichements, serait trop fort proportionnellement à celui offert aux dessèchements, va la différence des frais que ces diverses entreprises occasionnent, et parce que Je propriétaire d’un marais serait forcé par le décret qui vous est [Assemblée nationale;} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 uvril 1790!.] 261* proposé, de perdre une partie de son terrain, s’il ne le faisait pas dessécher lui-même, obligation à laquelle le propriétaire des terres incultes et non marécageuses ne peut être assujetti. Il est encore à désirer que l’Assemblée nationale prononce sur les exemptions à accorder aux laisses de mer. Vous savez, Messieurs, que le laisse de mer est formé des matières queles fleuves charient dans leurs cours. C’est un atterrissement qui se forme très lentement par le flux de la mer, et par l’effort des vents qui roulent des sables, et déposent de la vase sur le rivage. et qui élèvent ses bords, de manière que peu à peu il n’est plus couvert par les flots, et que la criste-marine qui y croît en fait bientôt un terrain fertile. Ce terrain, ordinairement formé par la nature, appartient nécessairement à la nation, comme un accroissement accidentel du territoire, et comme une propriété publique. Mais l’homme qui, dans une concession faite par le gouvernement, ou dans une propriété non concédée, aurait porté l’industrie jusqu’à trouver le moyen très simple, quoique dispendieux, d’accélérer la formation de ces laisses, en retenant par des espèces de batardeaux les sables et les vases queles marées amoncellent, et en empêchant les marées suivantes de les remporter; cet homme, dis-je, ne mériterait-il pas de jouir des mêmes exemptions que pour un marais desséché, et serait-il même injuste qu’il eût la propriété du terrain créé par lui? Je n’ai pas besoin de dire qu’il existe, en France, des hommes qui ont eu cette industrie; mais, quant à la propriété, cet objet me paraît regarder le comité des domaines. Je n’ai eu à l’envisager que dans son rapport avec les exemptions protectrices de l’agriculture; et c’est sous ce rapport que l’Assemblée est priée de prendre en considération les faits et les observations qui suivent. Plusieurs paroisses ont soumis à la nouvelle imposition des ci-devant privilégiés ces laisses de mer, ainsi que les terrains mis en valeur sur la foi de la déclaration du roi de 1764. Cette anticipation de la part des paroisses les obligera à une restitution, si les imposés ont payé ieur taxe, �t si l’Assemblée juge, ainsi que son comité, que les exemptions de cette nature doivent être respectées jusqu’au terme prescrit par la déclaration du roi. Vous penserez sans doute, Messieurs, que c’est une raison de plus pour faire parvenir aux assemblées de département, dès leur formation, le décret que vous allez rendre sur les dessèchements. Les autres raisons sont d’offrir, dès leur naissance, à la vigilance de ces assemblées administratives, le moyen d’ouvrir des ateliers lucratifs aux nombreux ouvriers, d’améliorer le territoire, d’inviter, sans délai, les entrepreneurs à s’attacher à la terre, et d’éveiller le patriotisme des capitalistes citoyens. Il me reste à vous parler, Messieurs, des observations imprimées d’un membre de cette Assemblée, qui ont été répandues dans les comités et dans les bureaux, sur le rapport que j’ai eu l’honneur de vous faire au nom du comité d’agriculture et de commerce, le 7 février. M. l’abbé Grégoire, manifestant les sentiments d’un bon citoyen, regrette que votre comité ne se soit pas plus occupé des moyens de trouver des premiers fonds pour entreprendre, dès à présent, des dessèchements de marais. La lecture du rapport de votre comité a pu vous convaincre quùl a éprouvé une grande sollicitude à cet égard ; qu’il a plusieurs fois exprimé le vœu de l’établissement d’une caisse d’encouragement pour l’agriculture, et le regret que le moment présent ne fût point favorable à l’exécution de ce projet. Pouvions-nous vous indiquer, pour fonds d’ar-geat à appliquer aux dessèchements, une partie des dons patriotiques, quand nous savions que vous aviez l’idée, que vous avez remplie depuis, d’en faire un usage aussi populaire qu’utile, de les assigner au soulagement des petits rentiers? Les circonstances soût pénibles ; le Trésor national a cautionné la Dette publique, les petits rentiers sont, pour la plupart, des hommes pauvres qui ont confié au gouvernement le faible et unique prix du travail de toute leur vie. Ëtait-il possible d’en faire un meilleur emploi? Pouvions-nous indiquer d’autres sommes à lever sur la nation? Le devions-nous dans ces cir-contances, malgré notre attachement à l’agriculture et au commerce? Votre comité a pensé nue dans l’extrême rareté du numéraire, dans la perception lente des impôts, il ne devait pas inviter l’Assemblée nationale à commuer dès aujourd’hui en encouragements pour l’agriculture, si accoutumée à être négligée en France, une partie des fouds des retranchements dans les dépenses. Nous aurions craint de troubler les importantes opérations du comité des finances Les finances sont les angles du grand édifice politique, et nous ne pouvons trop nous hâter de les reconstruire et de les consolider, bien assurés qu’ils seront ensuite les appuis indestructibles de la laborieuse agriculture et du commerce protecteur, ainsi qu’elle, des pauvres et des hommes sans propriété. N’était-ce pas en effet annuler les retranchements réels et augmenter, du moins en partie, l’impôt sur les propriétés, qui sont toutes, petites ou grandes, les ateliers naturels des ouvriers? Nous avons cherché à tirer les fonds d’encouragement de la partie des marais qui entrera dans le domaine public. Combien les biens nationaux et les domaines du roi, dont vous surveillerez l’administration, ne vous offrent-ils pas maintenant d’opérations utiles en ce genre!... Votre comité a pensé que l’opération générale des dessèchements des marais du royaume ne pouvait s’opérer plus sûrement qu’en la confiant d’une manière un peu indéfinie aux assemblées de départements, aux assemblées de districts, aux municipalités. Votre comité a cru qu’elles seules seraient à même de juger du bien général, concilié avec l’intérêt particulier, soit des propriétaires, soit des entrepreneurs. Nous avons refusé de tomber dans la précipitation des systèmes, dans la crudité des idées, dans quelque opération particulière qui aurait pu dégoûter des entreprises générales, dans les effets funestes ou dans la nullité des auciens édits, arrachés par l’importunité à l’aveugle complaisance, de ces édits qui ont produit tant de procès ruineux et stagnants, et qui ont si peu facilité le cours des eaux pernicieuses de l’immensité des marais. Votre comité, pénétré des principes de l’Assemblée nationale, a unanimement conclu que ce n’est qu’en avançant d’un pas ferme dans la constitution de l’empire que nous arriverons à ce terme de nos travaux régénérateurs, où s’opéreront tous les avantages promis, et particulièrement le dessèchement des marais, le plus grand des biens pour l’agriculture, toutefois après de bonnes lois constitutionnelles et l’établissement d un régime sage dans les finances; car on ne peut trop le répéter, Messieurs, sans lois et sans finances dans un grand royaume, plus de propriétés, plus d’existence sociale : tout rentre dans le désordre moral, dans Mg [Assemblé* nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 avril 1790.] Faridité physique; la stagnation est universelle, et ce bel empire que, depuis Î400 ans, les efforts de l’agriculture, du commerce, du courage et du génie ont fait approcher de son point de perfection, manquerait son but, se diviserait, échapperait à la liberté ; vous n’auriez gravé vos noms, Messieurs, que sur des ruines, et que dessiné sur le sable un superbe édifice. L’auteur des observations désire que l’Assemblée nationale ajoute quatre articles au décret du comité. Le premier article est qu’il soit fait uu fonds de prêt pour les dessèchements des marais, et que ce fonds soit de 1,200,000 livres, en différents lots, dont le plus fort n’excédera pas 50,000 livres, à la charge du remboursement dans trois ans. Je ne puis qu’applaudir individuellement à cette disposition, si elle devient la vôtre; d’autant plus que M. l’abbé Grégoire offre ces avances aux propriétaires comme aux entrepreneurs, et que son véritable but est d’employer le plus tôt possible les ouvriers inactifs. Le deuxième article demande l’impression du mémoire de la Société royale de médecine. Ce mémoire est excellent et mérite cette distinction; mais il me paraît inutile d’en faire un article d’un décret dans des lois générales, et je crois qu’il suffit d’un ordre de l’Assemblée, qui sera constaté dans le procès-verbal. Par le troisième article, il vous est proposé de charger un homme expérimenté dans l’art des dessèchements de composer un ouvrage sur cette matière, qui aurait l’utilité d’enseigner les procédés les plus économiques et les plus éclairés dans les difficiles opérations. J’observerai que tout ce que les Anglais, les Hollandais et même lès Français ont écrit sur les dessèchements des marais est très suffisant pour instruire ceux qui tourneront leurs fonds, leur génie et leurs projets de fortune vers ces entreprises patriotiques. D’ailleurs, vous n’oublierez pas, Messieurs, que les départements ont dans leur sein des ingénieurs instruits, dont le sort est encore incertain, et qui pourront être d’un grand secours. Le dernier article voudrait qu’il fût accordé des primes à tous ceux qui feront des dessèchements : 48 liv. par arpent desséché dans le cours de l'année 1790, 24 par chaque arpent desséché en 1791, et 12 liv. par arpent desséché en 1792. Sansdoute, l’intention de l’auteur des observations est que ces primes soient accordées aux propriétaires ainsi qu’aux entrepreneurs, puisque les propriétaires ont le droit les premiers d’entreprendre ces améliorations, de réaliser ainsi l’es-Îrérance de leur propriété, et d’en faire disparaître 'abus et le danger. Si vous approuvez cette idée, Messieurs, il est vraisemblable que vous voudrez mettre ces primes à la disposition des départements, qui décideront quels seront les marais dont les difficultés du dessèchement peuvent exiger ces justes secours, et quels marais seront desséchés les premiers. Au reste, ce qui nous paraît manquer au projet de décret, et ce qui est une idée du comité, c’est d’accorder constamment une prime désignée, en outre du salaire journalier, à tout ouvrier qui aura travaillé avec assiduité au dessèchement d’un marais, jusqu’à la perfection de l’entreprise; jamais encouragement extraordinaire n’appartint mieux à des ouvriers: les travaux des marais sont rebutants, et souvent destructeurs de leur santé. Je crois avois mis sous vos yeux, Messieurs, tout ce dont il était convenable de vous occuper préliminairement. Je vais présentement avoir l’honneur de vous faire lecture du projet de décret, auquel le comité n’a pas changé un seul mot, ayant cru devoir laisser à vos lumières à le perfectionner. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant qu’un de ses premiers devoirs est de veiller à la conservation des citoyens, à l’accroissement de la population, et à tout ce qui peut contribuer à l’augmentation des subsistances, qu’on ne peut attendre que de la prospérité de l’agriculture, du commerce et des arts utiles, soutiens des empires; considérant que le moyen de donner à la force publique tout le développement qu’elle peut acquérir est de mettre en culture toute l’étendue du territoiré; considérant qu’il est de la nature du pacte social, que le droit sacré de propriété particulière, protégé par les lois, soir, subordonné à l’intérêt général; considérant enfin qu’il résulte de ces principes éternels que les marais, soit comme nuisibles, soit comme incultes, doivent fixer toute l’attention du Corps législatif, a décrété ce qui suit : Art. 1er. Chaque assemblée (1) de département s’occupera des moyens de dessécher les marais, les lacs et les terres inondées de son territoire, en commençant, autant qu’il sera possible, ces améliorations, par les marais les plus nuisibles à la santé, et qui pourraient devenir les plus propres à l’accroissement des subsistances; et chaque assemblée de département indiquera le meilleur plan, et emploiera les moyens les plus avantageux aux communautés, pour parvenir au dessèchement de leurs marais. Art. 2. Les municipalités enverront, sous trois mois, à l’assemblée de leur district un état raisonné des marais ou terres inondées de leurs cantons, et l’assemblée de district sera tenue d’en Instruire deux moisaprès l’assemblée de département; cet état contiendra les noms des propriétaires de ces marais, l’étendue de ces terrains, le préjudice qu’ils portent au pays, les avantages qu’il pourrait en retirer, les causes présumées du séjour des eaux, les moyens d’effectuer le dessèchement et l’aperçu des dépenses qu’il entraînera. Art. 3. Les assemblées de département communiqueront à toutes personnes qui voudront en prendre connaissance, les mémoires qui leur auront été adressés sur cet objet; elles feront vérifier sur le lieu, de la manière qui leur conviendra, la nature des objets dont le dessèchement leur sera indiqué, et les observations des mémoires qui le concerneront; le procès-verbal en sera rendu public par la voie de l’impression, et envoyé à toutes les municipalités, et le rapport de tous les mémoires, ainsi que du procès-verbal de vérification, sera fait à la plus prochaine assemblée du département. Art. 4. Lorsqu’une assemblée de département aura déterminé de faire exécuter le dessèchement d’un marais, le propriétaire de ce marais sera requis de déclarer, dans l’espace de six mois, s’il veut le faire dessécher lui-même, le temps qu’il demande pour l’opérer, et les secours dont il a besoin pour cette entreprise; l’assemblée de département pourra, suivant les circonstances, accorder un délai au propriétaire ; et, dans tous les (I) Il est principalement question dans ce décret des assemblées administratives.