462 (Assemblée nationale . ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 octobre 1790.] ce moment que les bases de l’imposition générale, convaincu que la dette appelée exigible sera payée par la vente des biens nationaux, suite de vos sages opérations, supposant que la somme de l’imposition ne montera pas a plus de 500 à 520 millions et donnant au trésor national quelques millions de latitude, j’ai l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant. Projet de décret. Art. 1er, Les impositions de la France seront composées d’un impôt territorial, d’une contribution personnelle et d’un subside indirect. Art. L’impôt territorial est fixé à 240 millions, qui seront prélevés sur le revenu approximatif du territoire, et sur toute l’étendue du royaume, et payés par tous les citoyens, en proportion des anciennes contributions directes et rectifiées, de chaque département. Art. 3. La contribution personnelle est fixée à 80 millions. Elle sera assise, d’une part, sur les meubles non territoriaux et fictifs, et, d’autre part, sur les maisons des villes, sur les maisons de plaisance et leurs enceintes, et sur tous les logements, jardins et enclos des propriétaires, cultivateurs ou fermiers ; elle sera graduée, par classes déterminées, sur le prix du bail de ces maisons, ou de leur loyer estimés au taux du pays. Cette contribution s’éteindra de législature en législature, en même proportion que les rentes viagères dues par la nation. Art. 4. Le subside indirect sera subdivisé en divers droits dont l’Assemblée nationale décrétera les dénominations, Je mode de perception et le tarif. Voix nombreuses : L’impression du discours ! Autres voix : Oui 1 oui ! ainsi que du discours de M. Delley-d’Agier. (L’impression des deux discours est ordonnée.) M. le Président. M.de Boislandry à la parole. M. de Boislandry. Pour ne pas abuser des moments de l’Assemblée, je lui ferai distribuer les observations que j’avais à lui soumettre sur l’impôt. (Voyez ce document annexé à la séance). M. de I�a Rochefoucauld. Je m’empresse de reconnaître que les préopinants ont répandu une grande lumière sur la question de l’impôt qui est agitée en ce moment. Je déclare que l’intention du comité est que l’évaluation doit être faite, comme si un fermier, par exemple, voulait prendre à bail une terre; ce fermier considère tous les objets qui peuvent lui donner des revenus, il tire la probabilité du profit d’après lequel il fait des offres au propriétaire. Au reste, le comité n’a proposé une évaluation que pour 1791 : ensuite on travaillera d’année en année à perfectionner ce travail et on parviendra annuellement à la confection d’un cadastre général, Relativement au projet de M. Rey, consistant à demander à chacun, en particulier, quel est son revenu, je pense que cette mesure nous priverait du moyen le plus puissant pour assurer l’égalité de répartition, c’est la contradiction entre les contribuables. Dans la combinaison du comité, l’assemblée générale des contribuables détermine au contraire la proportion dans laquelle l’impôt sera réparti . Je propose de voter dès aujourd’hui sur l’article premier du projet de décret du comité, s M. Brillat-Savarlu . Je propose de percevoir l’impôt en nature. (On entend des réclamations de toutes parts) . M. Prieur. J’observe que c’est une erreur dans laquelle sont tombées plusieurs provinces; il est important que M. Brillât soit entendu afin que toute la France sache que l’Assemblée s’est déterminée pour le parti le plus raisonnable. M. Brillat-Savarin. Je me bornerai à quelques mots. Aucune base ne peut présenter un moyen plus facile de percevoir l’impôt. Il n’y aurait à rendre que trois décrets : le premier fixerait la quotité à raison du rapport des terres ; le second déterminerait quels seraient les immeubles qui, ne pouvant payer en nature, payeraient en argent; le troisième indiquerait la nature des fonds sur lesquels l’impôt serait prélevé. M. Dubols-Crancé. La question de l’impôt en nature n’a pas encore été soulevée dans l’Assemblée nationale : elle mérite d’être discutée. Je demande donc que l’Assemblée suspende sa décision jusqu’à demain et qu’il n’y ait pas de vole sur l’article 1er du projet du comité. M. Rœderer. Je pense que l’Assemblée ne peut se dispenser d’entendre ceux qui veulent parler sur la question; je puis d’avance indiquer quelques-unes des raisons qui ont porté le comité d’imposition à rejeter ce projet dont Vauban est le père, que des hommes très éclairés ont défendu, mais qui aujourd’hui, d’après l’expérience qui en a été faite, ne peut plus soutenir l’examen. Les notables assemblés par M. de Galonné ont démontré que les frais de perception de l’impôt en nature montaient à 25 0/0. On sait que M. de Calonne répondit au clergé, qui avait beaucoup aidé à faire cette démonstration, qu’il était évident, par conséquent, que la dîme devait lui être payée en argent pour éviter les frais de perception. L’Assemblée nationale a depuis appliqué ce principe. La seconde raison contre l’impôt en nature, c’est qu’il enlève au laboureur le gain qu’il ferait sur des grains en les vendant à propos et comme il lui plairait. Enfin, une des causes qui ont le plus attaché le peuple à la Constitution, c’est la suppression de la dîme que cette perception rétablirait avec infiniment plus d’étendue. M. le Président. Je reçois une note de M. le garde des sceaux qui demande quel jour M. de Santo-Domingo, mandé à la barre, sera entendu par l’Assemblée. L’Assemblée assigne la séance de jeudi soir. M. Thouret. Le bruit s’est répandu qu’un complot avait été formé pour enlever le roi et l’emmener à Rouen. Je suis chargé de vous présenter à ce sujet une adresse et une proclamation du corps municipal de la commune de cette ville. Je vais en donner lecture : 463 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 octobre 1790.] ADRESSE de la municipalité de Rouen à l'Assemblée nationale. Messieurs, un écrit imprimé, qui se répand ici depuis quelques jours, annonce que des ennemis du bien public ont conçu la possibilité d’établir à Rouen le foyer d’une contre-révolution. Ce soupçon est une injure, que les représentants de la commune de Rouen s’empressent de repousser. Ils vous déclarent, Messieurs, et ils attestent à la France entière, que la très grande majorité de leurs concitoyens, pleine de confiance dans les lumières et la sagesse des représentants de la nation, maintiendra toujours l’exécution de leurs décrets, par tous les moyens et avec toute l’énergie qu’inspire-le sentiment de la liberté. Ils vous attestent que la garde nationale rouen-naise, le régiment de Salis-Samadeet les dragons-Dauphin ont déployé dans toutes les occasions les sentiments du civisme le plus pur, et le dévouement le plus entier pour ia défense de la Constitution. Et quel intérêt, Messieurs, pourrait trouver à la contre-révolution une cité industrielle et commerçante, qui sait que l’industrie et le commerce ne peuvent prospérer que par la liberté ? Que pourrait-elle regretter à la désorganisation d’un gothique et barbare gouvernement, où les arts utiles étaient sans appui, sans encouragement, sans considération ; d’un gouvernement où la protection des ministres et les bienfaits du monarque n’atteignaient jamais que l’intrigue et la faveur; d’un gouvernement enfin où, par un système révoltant et digne du despotisme oriental, quelques castes privilégiées étaient seules admises aux dignités publiques, sans supporter aucunes des charges de l’Etat ? Regretterait-elle un droit oppressif (1), dont en vain, depuis plusieurs siècles, elle sollicitait la suppression, que vous avez prononcée avec celle du régime féodal ? Regretterait-elle les régimes non moins odieux de la gabelle et du tabac, dont la destruction (qui vous a mérité les bénédictions du pauvre) ouvre de nouveaux canaux au commerce et à l’industrie, et fournit à l’agriculture de nouveaux moyens de prospérité et de richesse ? Regretterait-elle enfin la vénalité des charges et de la justice, les privilèges des anciens ordres, l’autorité arbitraire des ministres, les lettres de cachet, les droits de chasse et colombier, les banalités, et tant d’autres abus déshonorants pour une nation éclairée, et que vous avez eu le courage d’attaquer et de détruire, malgré les efforts réunis des préjugés, de l’intérêt, de l’orgueil et du fanatisme? Non, Messieurs, nos concitoyens ne sont pas à ce point indignes de vos bienfaits; ils sentent trop vivement la difficulté et le prix de vos travaux ; et pénétrés de reconnaissance et d’admiration, il n’est rien qu’ils n’entreprennent pour la défense d’une si belle cause, et pour déconcerter les efforts téméraires et criminels, par lesquels on voudrait vous arrêter au milieu de votre carrière, Ce n’est pas cependant, Messieurs, que l’orgueil humilié de quelques individus n’ait cherché, ici comme ailleurs, à égarer un peuple simple et crédule, et à lui rendre suspecte la main de ses bienfaiteurs; mais les yeux constamment ouverts sur leur conduite, nous ne cesserons pas d’observer leurs manœuvres, et nous pouvons assurer qu’ils ne troubleraient pas impunément l’ordre public et la tranquillité générale. Et ce peuple simple et crédule qu’ils cherchent à égarer, ce peuple sage qu’on voudrait armer contre lui-même, ce bon peuple qui nous a honorés de sa confiance, nous ne l’abandonnerons pas aux insinuations perfides de ses ennemis; nous lui dévoilerons leurs embûches se-erèies ; nous ne cesserons de l’éclairer sur ses véritables intérêts, et lui persuader que vous êtes ses meilleurs amis, et que son bonheur dépend ce moment de sa confiance en vos travaux et son obéissance à vos décrets, sanctionnés par le meilleur des rois. Heureux I si par notre vigilance constante et infatigable, nous pouvons jusqu’à la fin épargner à nos concitoyens ces scènes orageuses et sanglantes, qui, dans quelques-unes de nos provinces, ont attristé le réveil de la liberlé. Nous venons d’exposer aux yeux du peuple une proclamation, dont le but est de donner uu nouveau témoignage de notre inaltérable patriotisme; de manifester à toute la France l’attachement inviolable de notre commune à la Constitution; de prémunir nos concitoyens de plus en plus contre les suggestions trompeuses des ennemis du bien public, et de faire connaître toute l'horreur que nous inspire le projet d’enlever le roi et de le conduire dans cette cité, qui sera toujours fidèle à la patrie. Nous sommes avec respect, Messieurs, vos très •humbles et très obéissants serviteurs; Les ofjiciers municipaux de la ville de Rouen ; D’Estouteville, maire; Ribard, Fremont; Auvray, curé; Bomaioville, Jacq. Collombel, Tarbé, Cb. Deuspine, Lachesnerheude, le jeune ; Ducastcd, Deschamps, P. Bonrmien, L. Boucher, Vulgis, Hujardin, Belhoste, Th.-L. As-selin, Vimar; Havard, secrétaire-greffier. Extrait des registres des délibérations du corps municipal de la commune de Rouen. Cejourd’hui deux octobre mil sept cent quatre-vingt-dix, quatre heures de relevée, en rassemblée du corps municipal, où étaient Messieurs D’Estouteville, maire, Ribard, etc.; M. le procureur de la commune a dit : Messieurs, des journaux annoncèrent, il y a quelques jours, un nouveau projet d’enlever le roi. Un imprimé ayant pour titre : Avis aux habitants de Rouen , dit que les ennemis de la Constitution voulaient le conduire eu cette ville. On répandait qu’ils s’agitaient avec moins de réserve, et que leur audace indiquait des préparatifs alarmants. M.Duval (ci-devant d’Epréniesnil), membre dé l’Assemblée nationale, lui proposa d’abandonifer tout ce qu’elle avait fait, comme si elle était menacée d’une chute prochaine; ce fut à cette occa�- sion qu’un autre membre de l’Assemblée nationale, combattant cette proposition insensée ou ipa-licieuse, assura que le projet d’enlever le roi et de le conduire à Rouen était formé. On disait ici, que dans certaines assemblées tenues au grand salon, la motion d’inviter le rqi à venir en cette ville avait été adoptée; qu’une adresse faite en conséquence avait été portée de (l) Le droit de vicomté. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 octobre 1790.] 464 maisons en maisons ; que des signatures avaient été mendiées et surprises, sous l’insidieux prétexte que la présence du roi ramènerait ici l’abondance du numéraire. Enfin, on a distribué d’abord dans Paris, ensuite dans Rouen, un imprimé, qui contient d’étranges détails sur le projet d’enlever le roi et de le conduire dans nos murs. Il parait certain que cet imprimé est la copie d’une lettre adressée à M. le maire de Paris, et remise par ce citoyen révéré au comité des recherches de l’Assemblée nationale. Mais d’avance nous soutenons qu’elle inculpe faussement les chefs de notre garde citoyenne et ceux de nos troupes de ligne; ces différents chefs sont dignes des corps qu’ils commandent, et qui donnent sans cesse l’exemple du patriotisme le plus ardent et d’une fidélité inviolable. Le projet d’enlever le roi serait aussi insensé que criminel. L’exécution de cet affreux dessein serait impossible, quand le roi y consentirait. Combien plus le serait-elle, puisque le roi en déteste jusqu’à l’idée. Ce prince, le meilleur des monarques que le ciel ait donné à la France , ce prince qui chérit son peuple, dont il est le bienfaiteur et l’idole ; ce prince qui réunit toutes les vertus de l’honnête homme et du citoyen, a juré de maintenir la Constitution et promis solennellement de ne se point séparer de l’Assemblée nationale. Si donc le roi était enlevé, la France entière s’armerait pour punir ce crime détestable ; si le roi était conduit à Rouen, cette cité serait aussitôt le théâtre du carnage et le séjour de l’horreur. Serait-il possible que quelques-uns de ses habitants eussent désiré et préparé la perte de leurs concitoyens et le malheur de l'Etat? Auraient-ils d’ailleurs conçu le fol espoir de poser les fondements d’une contre-révolution au sein même du patriotisme? Auraient-ils oublié que notre garde citoyenne a fait le serinent inviolable d’être fidèle à la patrie et au roi, de défendre la Constitution de toutes sesforces