[Astembléo nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1790.] Tant que l’impôt est modéré, le peuple le paye sans réclamation; s’élève-t-il ? on cherche à s’y soustraire; devien t-t-il exorbitant? alors la fraude se montre à découvert. Toutes les ressources de l’imagination soot mises en mouvement pour ne pas payer; et, si l’on vous rapportait quelques exemples des inventions qui ont été pratiquées pour éviter le passage des barrières, vous seriez étonnés des moyens imaginés pour les exécuter. La position de la capitale est telle, aujourd’hui, qu’une multitude de particuliers commettent la fraude à découvert ; ils s’attrounent, ils s’arment, ils en imposent aux commis. La municipalité a établi des compagnies de chasseurs pour les soutenir. Mais, pour le malheur de l’humanité, il s’engage, presque toutes les nuits , des combats, entre les fraudeurs, d’une part, les commis et les chasseurs , de l’autre ; souvent il y a des blessés de part et d’autre. Il est même arrivé que quelques-uns d’eux eu perdant la vie, ont été les victimes ou de leur devoir ou de leur cupidité ; et néanmoins , la fraude ne s’arrête pas; l’excès est poussé si loin, qu’il y a, dans la capitale et ses environs, des compagnies d’assurances qui, moyennant une rétribution propo-tionnée à la valeur des droits, se chargent de rendre les marchandises franches et exemptes, au détriment du Trésor public. Il résulte, Messieurs, de cette surcharge, une autre espèce d’inconvénient qui n’intéresse pas moins le bon ordre, c’est que le négociant qui fait son état avec franchise et loyauté n’a pas les ressources de celui qui fait la contrebande; il est impossible d’établir entre eux une concurrence; celui qui a éludé les droits donnera à meilleur marché et vendra davantage. L’honnête homme reste dans l’indigence , tandis que celui qui a été moins délicat acquiert l’opulence. Il est de l’équité des législateurs, de réparer les abus qui troublent aussi fortement la société; nous ne craignons pas de dire qu’en retranchant les droits déjà supprimés par vos décrets, ou mal à propos continués , la capitale éprouverait une diminution de plus de moitié de ses impôts indirects. Sans doute, Messieurs, en établissant une égalité entre tous les citoyens, entre tous les départements, en distribuant ainsi tous les avantages, vous suivrez le même mode pour les charges. Vous vous déterminerez d’autant plus facilement à suivre ces principes par rapport à la capitale, qu’il vous a été démontré que ses ressources étaient considérablement diminuées, que sou commerce était ldtiguissant, son industrie paralysée et le peuple dans le besoin. Si cependant, contre votre désir , les circonstances du moment ne vous permettaient pas de statuer sur la totalité de nos demandes, la commune de Paris espère de votre justice que vous vous porterez volontiers à supprimer, lorsque vous décréterez le nouveau mode d’imposition, les droits qui se perçoivent sur te beurre, sur les œufs et, en général, sur les denrées de première nécessité, lesquelles donnent un faible produit et pèsent sur la classe la plus indigente ; elle espère aussi que vous modérerez, au moins à la moitié, les impôts indirects, que le lise est accoutumé à percevoir sur les antres denrées. Il nous semble que le Trésor public ne souffrirait pas de cette réduction: en effet, si la capitale a le bonheur de reprendre son ancienne splendeur, les denrées étant à meilleur compte, la consommation sera plus considérable; l’appât du bénéfice n’étant plus le même, la fraude disparaîtra insensiblement; par une suite naturelle, le Trésor regagnera d’un côté ce que, de l’autre, il paraîtrait perdre, et le peuple sera soulagé. Il nous reste, Messieurs, une respectueuse remontrance à vous faire : par le nouveau plan de municipalité les habitants de Paris se trouvent chargés de subvenir aux frais de l’illumination et de ceux nécessaires pour conserver la propreté des rues. Mais les propriétaires des maisons avaient racheté et payé au Trésor public cet impôt, qui forme un capital de plus de 15 à 20 millions ; par ce moyen, les frais connus sous le nom de boues et lanternes étaient à la charge du Trésor, il ne serait point juste de les faire supporter aujourd’hui aux habitants ; on ne pourrait raisonnablement les en grever, qu’eu restituant à la ville les sommes qu’ils ont payées, et, jusqu’à ce remboursement, il paraît de toute justice de laisser ces dépenses au nombre de celles qui se prennent sur le Trésor public. Nous venons, Messieurs, vous exposer avec franchise, l’objet de nos réclamations; nous ne cherchons point à faire valoir les sacrifices que la capitale a faits pour la Révolution ; elle s'en honore; elle n’en sollicite point la récompense. Nous venons vous montrer notre position et réclamer votre justice ; nous y avons été engagés par la vigilance du district de Saint-ütienne-du-Mont, qui, dans tous les temps, a donné des preuves de sagesse et de patriotisme; uous y avons été engagés par notre propre-conscience, qui nous impose de veiller aux intérêts de la capitale. L’esprit d’éqbité qui a toujours dirigé les travaux de votre auguste assemblée, nous fait espérer que vous voudrez bien prendre notre adresse en considération ; bous pouvons vous assurer, au nom de la commune, d’une entière résignation au décret que votre sagesse dictera-. M. le Président ae répond point à la députation. M. Camus. L’Assemblée a dû être surprise de la pétition qu’elle vient d’entendre. La commune de Paris n’en a point été instruite. Samedi derT nier les députés de Paris, réunis à M. le maire et à plusieurs membres de la commune, ont passé la nuit à délibérer, et nous n’avons point été instruits des demandes qu’on vient de vous faire. J’ose le dire, cette démarche ne tend qu’à égarer le peuple. Non seulement il n’est pas chargé de plus d’impôts qn’auparavant, mais vous allez être convaincus qu’il en supportait dont il n’est plus chargé. On vous a parlé d’entrées sur le beurre, les œufs, etc. Il semble qu’on ait choisi cette cir-■% constance pour reproduire une motion que vous avez déjà écartée. On dit que Paris est surchargé d’entrées, et on a la maladresse de dire ensuite qu’on fraude tous les droits. Si on les fraude, on n’en est donc pas surchargé. Tandis qu’on envoie à Lyon des troupes pour maintenir lejs barrières, il est bien étonnant qu’on veuille les détruire à Paris. On dit que la ville est chargée de la garde natio naie: le fait est faux, et j’ai vu l’état de cette dépense payé par le Trésor public. 11 y a des précautions à prendre pour que le peuple de Paris ne paye pas trop. Il n’y a que de mauvais citoyeüs qui puissent rapprocher des époques si distinctes, et entre lesquelles on ne peut établir de comparaison. On a dit que Paris avait racheté deux fois les droits sur les houes et lanternes. Je suis pro� priétaire; je les ai rachetés comme les autres; mais je ue dois pas pour cela m’exempter de les 712 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1790.] payer, parce que jamais le remboursement n’en a été fait que sur le pied du capital de l’emploi actuel. Aurait-on donc eu l’idée de flatter le peuple, en lui présentant des idées chimériques? Les membres de la commune qui vous présentent celte pétition ont fui, pour délibérer, la présence du maire, élu à la majorité de 12,000 voix des députés de Paris et des sections. Paris n’a point tout perdu à la Révolution : il était privé du séjour de son roi, et il le possède. Que dirai-je du bonheur d’avoir dans son sein les représentants de la nation? On est, à la vérité, privé de quelques gens frivoles qui venaient fréquenter les spectacles; d’autres viennent admirer la sagesse de vos décrets. Cette fête, dont l’histoire ne nous fournit pas d’exemple, qui a amené tant de milliers d’hommes dans la capitale, n’a-t-elle donc pas versé d’argent dans le commerce? Je déclare, au nom des députés de Paris et de tous les Parisiens qui m’entendent, que la pétition indécente qu’on vous propose n’est pas le vœu de la capitale. Pleine de confiance dans votre sagesse, elle sera toujours soumise à vos décrets; les esprits ne seront points séduits par la pétition de quelques citoyens isolés, qui viennent ici reproduire une motion faite, je le dirai, par M. l'abbé Maury. (Plusieurs fois ce discours est interrompu par les plus vifs applaudissements.) La séance est levée à dix heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 10 AOUT 1789. Pièces justificatives jointes au discours de M. Ou-dart ( voy . plus haut, page 708 ) prononcé devant V Assemblée nationale, au nom du comité des recherches de la municipalité de Paris. N° 1. Arrêté du comité des recherches de la municipalité de Paris , du 23 novembre 1789, tendant à dénonciation des délits commis , le 6 octobre précédent, dans l'intérieur du château de Versailles. Le comité s’est attaché, depuis sa création, a rechercher, avec un zèle infatigable, les auteurs de la conspiration formée, au mois de juillet dernier, contre l’Assemblée nationale et contre la ville de Paris; conspiration dans laquelle, sous prétexte de conciliation et de précautions pour la tranquillité publique, on a si cruellement surpris la religion d'un roi protecteur de la liberté, et le premier ami de son peuple. Le comité s’est également empressé de rechercher les auteurs d’une autre conspiration, dont le but paraît avoir été de lever clandestinement des troupes, d’exciter des troubles et d’en profiter pour entraîner le roi loin de son séjour, et rompre la communication entre lui et l’Assemblée nationale. Le comité se propose aujourd’hui de dénoncer un autre crime, dont la recherche ne l’a pas moins occupé depuis son origine; crime qui paraît appartenir à une source différente, et qui a excité l’indignation et la douleur de tous les bons citoyens; crime déjà constaté par la notoriété publique, et qui serait déféré depuis longtemps, si le comité n’avait pas cru devoir .employer d’abord tons les moyens qui sont eu sou pouvoir, pn.ur en r chercher les auteurs. Le forfait exécrable qui a souillé le château de Versailles, dans la matinée du mardi 6 octobre, n’a eu pour instruments que des bandits, qui, poussés par des manœuvres clandestines, se sont mêlés et confondus parmi les citoyens. Le comité ne rappellera point tous les excès auxquels ces brigands se sont livrés, et qu’ils auraient multipliés, sans doute, s’ils n’avaient été arrêtés par les troupes nationales, destinées à réprimer les désordres et à assurer la tranquillité du roi et de l’Assemblée nationale. Elles remplirent, à leur arrivée, cet objet sacré dont elles s’étaient fait la loi, par le serment de fidélité et de respect pour le roi, qu’elles avaient renouvelé à leur entrée à Versailles. Placées à l’extérieur du château, dans les postes que le roi avait ordonné de leur confier, elles s’occupèrent à y maintenir le bon ordre. Tout paraissait calme, grâces à leur zèle et aux dispositions sages de leur commandant; la confiance et l’harmonie régnaient partout ; on ne parlait que de reconnaissance, d’amour de fraternité ; lorsqu’entre cinq et six heures de la matinée du mardi, une troupe de ces bandits armés, accompagnés de quelques femmes et d’hommes déguisés en femmes, fit, par des passages intérieurs du jardin, une irruption soudaine dans le château, força les gardes du corps en sentinelle dans l’intérieur, enfonça les portes, se précipita vers l’appartement de la reine, massacra quelques-uns des gardes qui veillaient à sa sûreté, et pénétra dans cet appartement que Sa Majesté avait eu à peine le temps de quitter pour se retirer près du roi. La fureur de ces assassins ne fut réprimée que par les gardes nationales, qui, averties de ce carnage, accoururent de leurs postes extérieurs pour les repousser et arrachèrent de leurs mains d’autres gardes du corps qu’ils allaient immoler. Le comité, considérant que des attentats aussi atroces, s’ils restaient sans poursuite, imprimeraient à l’honneur de la capitale et au nom Français une tache ineffaçable, Estime que M. le procureur-syndic doit, en vertu de la mission qui lui a été donnée par les représentants de la commune, et en continuant les dénonciations précédemment faites d’après les mêmes pouvoirs, dénoncer les attentats ci-dessus mentionnés, ainsi que leurs auteurs, fauteurs ou complices, et tous ceux qui, par des promesses ou dons d’argent, ou par d’autres manœuvres, les ont excités et provoqués. Fait audit comité, ce 23 novembre 1789. Signé : Agier, Perron, Oudart, Garran de Goulon et Brissot de Warville. N° Il Déclaration du comité des recherches de la municipalité de Paris, dulk avril 1790, sur la dénonciation des délits du 6 octobre. Le comité de recherches de la ville de Paris, instruit que l’on dénature la dénonciation qu’il a estimé devoir être faite de l’attentat commis au château de Versailles dans la matinée du 6 octobre dernier; qu’on étend cette dénonciation sur des faits qui se sont passés Ja veille, et même à