590 [Assemblée nationale.] des assemblées primaires. Là partie de sa motion relative à ce dernier objet est ajournée. M. le «jointe de Mirabeau présente une exclusion nouvelle pour les électeurs et les éligibles. On l’engage à se renfermer dans la question, qui n’a pour objet que l’éligibilité. 11 développe, sous unautre point de vue, la distinction entre domesticité et état servile. M. Barrère de Vleuzac (1). Messieurs, l’état de serviteur à gages comprend, d’une manière plus expresse et plus concise, la classe des individus qui doivent être exclus de la représentation politique, parce que les serviteurs à gages n’ont pas une volonté propre, libre et indépendante, telle qu’elle est nécessaire pour l’exercice du droit de .cité, Le nom de domestique, plus rapproché de l’expression vulgaire, est un mot vague dont l’acception est trop étendue. Domesticité et domestique comprennent, en effet, dans l’idiome des lois, une foule de citoyens respectables que votre intention n’est pas de priver de l’exercice des droits politiques. Les domestiques sont ceux qui vivent dans la même maison et mangent à la même table sans être serviteurs. Aussi les diverses ordonnances du royaume, entre autres celles qui ont trait aux preuves civiles et aux procédures criminelles, donnent une grande latitude au mot domestique . Chez le Roi, ce mot comprend une infinité de personnes distinguées qui ont des charges ou des emplois considérables ; chez les autres citoyens, il comprend une foule de personnes dignes d’égards, telles que des instituteurs, des secrétaires, etc. Il faut donc employer d’autres expressions que celles de domesticité et restreindre la condition sous un rapport plus exact. 11 faut que l’exclusion de la loi frappe expressément sur les serviteurs à gages , ce qui comprendra les individus attachés aux personnes des citoyens, aux valets de service, aux valets laboureurs et aux valets vignerons. Mais il faut bien distinguer de cette classe les fermiers particuliers et les colons partiaires. Ces hommes utiles et nécessaires, qui exercent le premier des arts, ne peuvent pas être compris parmi ces hommes dépendants, dont la volonté n’est pas libre ; il serait aussi injuste qu’impolitique de décourager ainsi les campagnes, on ne saurait répandre trop d’émulation parmi les agriculteurs. Le Dauphiné avait élevé cette question dans un temps où des privilèges odieux existaient encore, mais depuis qu’il n’y a plus ni privilèges, ni privilégiés, les fermiers sont plus libres et ces agriculteurs méritent plus d’égards ; je propose donc d’exprimer ainsi la cinquième condition, de n’être pas alors serviteur à gages. M. le marquis de Foucault. Dans ma province on exclut les vignerons, les colons, les métayers, et sans doute cette injustice ne peut être consacrée; ils doivent être admis à toutes les assemblées ; ils doivent élire et être élus, pourvu qu’ils ne soient aux gages de personne. M. Regnaud de Satnt-Jean-d’Ângélÿ n’adopte point l’opinion deM. Barrère ; dans plusieurs provinces beaucoup d’habitants des cam-(1) Le discours de M. Barrère de Vieuzac n’a pas été inséré au Moniteur. [27 octobre 1789.] pagnes rendent des services momentanés et reçoivent une rétribution en nature; ils ne sont pas pour cela serviteurs; il faut expliquer qu’on entend seulement par ce mot, « celui qui est payé annuellement en argent et qui est nourri chez celui qui le paye. » M. l’abbé *** propose de rédiger ainsi : « Dans un état de domesticité servile. » M. de La Fîlle-au-Bois. Les ordonnances royales excluent de plusieurs fonctions civiles les serviteurs et domestiques indéfiniment. Les uns et les autres doivent être éloignés des assemblées primaires. M. Camus. Pour concilier les diverses opinions, on pourrait dire : « N’être pas serviteur, domestique à gages, sans domicile personnel. » La rédaction conforme à la proposition deM. Barrère est adoptée comme il suit : « N’être pas dans un état de domesticité, c’est-à-dire serviteur à gages. » M. le eomte de Mirabeau. Avant que vous finissiez l’examen des caractères à exiger pour être électeur ou éligible, je vais vous proposer une loi qui, si vous l’adoptez, honorera la nation. (11 s’élève quelques murmures.) Si la loi que je vous propose est faite pour relever la morale nationale, c’est moi qui aurai raison, et ceux qui murmurent auront eu tort. Je reprends. Avant que vous finissiez l’examen des conditions d’éligibilité, je vais, Messieurs, vous en proposer une qui, si vous l’adoptez, honorera la nation. Tirée des lois d’une petite république non moins recommandable par ses mœurs et par la rigidité de ses principes, que florissante par son commerce et par la liberté dont elle jouissait avant que l’injustice de nos ministres la Ini eût ravie, elle peut singulièrement s’adapter à un Etat comme la France, à un Etat qui, aux avantages immenses de la masse, de l’étendue et de la population, va réunir les avantages plus grands encore de ces divisions et de ces sous-divisions, qui le rendront aussi facile à bien gouverner que les républiques mêmes dont le territoire est le plus borné. , Je veux parler de cette institution de Genève, que le président de Montesquieu appelle avec tant de raison une belle loi, quoiqu’il paraisse ne l’avoir connue qu’en partie ; de cette institution qui éloigne de tous les droits politiques, de tous les conseils, le citoyen qui a fait faillite, ou qui vit insolvable, et qui exclut de toutes les magistratures, et même de l’entrée dans le grand conseil, les enfants de ceux qui sont morts insolvables, à moins qu’ils n’acquittent leur portion virile des dettes de leur père. Cette loi, dit Montesquieu, est très-bonne. Elle a cet effet qu’elle donne de la confiance pour les magistrats ; elle en donne pour la cité même. La foi particulière y a encore la force de la foi publique. Ce n’est point ici, Messieurs, une simple loi de commerce, une loi fiscale, une loi d’argent ; c’est une loi politique et fondamentale, une loi morale, une loi qui, plus que toute autre, a peut-être contribué, je ne dis pas à la réputation, mais à la vraie prospérité de l’Etat qui l’a adoptée, à cette pureté de principes, à cette union dans les familles, à ces sacrifices si communs entre les parents, entre les amis, qui le rendent si recom-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 octobre 1789.] 591 mandable aux yeux de tous ceux qui savent penser. Une institution du même genre, mais plus sévère (1), établie dans la principauté de Neufchâ-tel en Suisse, a créé les bourgs les plus riants et les plus peuplés, sur des montagnes arides et couvertes de neiges durant près de six mois. Elle y développe des ressources incroyables pour le commerce et pour les arts, et dans ces retraites que la nature semblait n’avoir réservées qu’aux Bêtes ennemies de l’homme, l’œil du voyageur contemple une population étonnante d’hommes aisés, sobres et laborieux, gage assuré de la sagesse des lois. Dans l’état présent de la France, dans la nécessité où nous sommes de remonter chez nous tous les principes sociaux, de nous donner des mœurs publiques, de ranimer la confiance, de vivifier l’industrie, d’unir par de sages liens la partie consommatrice à la partie productive, c’est-à-dire à la partie vraiment intéressante de la nation, des lois pareilles sont, non-seulement utiles, mais indispensables. Assez longtemps une éducation vicieuse ou négligée a dénaturé en nous les notions du juste et ae l’injuste, a relâché les liens qui unissent le fils à son père, nous a accoutumés à ne rien respecter de ce qui est respectable ; assez longtemps une administration, dirai-je corrompue ou corruptrice ? a couvert de son indulgence des écarts qu’elle faisait naître pour qu’on n’aperçût pas les siens propres. Retournons à ce qui est droit, à ce qui est honnête. Ouvrons aux générations qui vont suivre une carrière nouvelle de sagesse dans la conduite, d’union dans les familles, de respect pour la foi donnée. vainement, Messieurs, vous avez aboli les privilèges et les ordres, si vous laissez subsister cette prérogative de fait qui dispense l’homme d’un certain rang de payer ses dettes ou celles de son père ; qui fait languir le commerce, et qui trop souvent dévoue l’industrie laborieuse de l’artisan et du boutiquier à soutenir le luxe effréné de ce que nous appelons si improprement l’homme comme il faut. Laissons à cette nation voisine dont la Constitution nous offre tant de vues sages dont nous craignons de profiter, cette loi injuste , reste honteux de la féodalité, qui met à l’abri de toutes poursuites pour dettes le citoyen que la nation appelle à la représenter dans son parlement. Profitons de l’exemple des Anglais, mais sachons éviter leurs erreurs ; et au lieu de récompenser le désordre dans la conduite, éloignons de toute place dans les assemblées, tant nationales que provinciales et municipales, le citoyen qui, par une mauvaise administration de ses propres affaires, se montrera peu capable de bien gérer celles du public. C’est dans ce but que je vous propose les articles suivants : Art. 1er. Aucun failli, banqueroutier ou débiteur insolvable, ne pourra être élu ou rester membre d’aucun conseil ou comité municipal, non plus que des assemblées provinciales, ou de l’Assemblée nationale, ni exercer aucune charge de judicature ou municipale quelconque. Art. 2. Il en sera de même de ceux qui n’auront pas acquitté dans le terme de trois ans leur portion virile des dettes de leur père mort insolvable, c’est-à-dire la portion de ses dettes (1) La loi de Neufchâlel lie toute la postérité d’un homme à l’acquittement de ses dettes. dont ils auraient été chargés s’ils lui eussent succédé ab intestat. Art. 3. Ceux qui, étant dans quelqu’un des cas ci-dessus, auront fait cesser la cause d’exclusion en satisfaisant leur créancier, ou en acquittant leur portion virile des dettes de leur père, pourront, par une élection nouvelle, rentrer dans les places dont ils auront été exclus. Ce projet de loi est reçu avec une grande faveur. C’est en interrompant les applaudissements que M. de La Rochefoucauld obtient la parole. M. le duc de La Rochefoucauld. J’ai vu moi-même les heureux effets que cette loi a produits a Genève ; mais elle me paraît contenir une disposition trop rigoureuse à l’égard des enfants des pères banqueroutiers. Sans doute c’est un beau sentiment de la part d’un fils d’acquitter les dettes de son père ; mais il faut laisser à la vertu à conseiller ce qui est honnête : les lois doivent se borner à prescrire ce qui est juste. Il ne faut pas étendre la punition sur les enfants déjà trop malheureux des torts de leur père ; les fautes sont personnelles; les enfants ne peuvent être punis de celles de leurs pères. La justice rigoureuse et la morale la plus pure font une loi de ce principe. Je ne puis donc adopter une rédaction qui consacrerait cette absurde responsabilité, et je demande à cet égard la division de la proposition du préopinant. M. de llontlosiei1. Nous décréterons sans doute, et nous nous conformerons en cela à l’opinion publique, que l’infamie d’un père condamné au supplice ne s’étendra point à ses enfants ; et nous pourrions vouloir qu’ils partageassent un malheur, plus souvent l’effet des circonstances que de l’inconduite ! La division est décidée. La première partie de l’article se trouve rédigée ainsi : « Aucun failli, banqueroutier ou débiteur insolvable, ne pourra être éligible ni électeur qu’il n’ait préalablement satisfait aux condamnations contre lui prononcées.» M. de Dieuzie propose d’ajouter les interdits et repris de justice. M. Faydel. Et ceux qui ont obtenu des lettres de surséance et de répit. M. de Lachèze. Le mot repris de justice est trop vague. On s’exprimerait d’une manière plus exacte en disant : ceux contre lesquels il aurait été prononcé des peines afflictives et infamantes, et ceux qui n’ont obtenu qu’un hors de cour. M. Gourdan. L’Assemblée ne laissera pas sans doute subsister les lettres de surséance, et par ce fait l’amendement de M. Faydel serait inutile. On propose ce sous-amendement : « même les débiteurs dans l’état actuel de surséance. » Cet amendement est mis aux voix, et la majorité paraît douteuse. M. Demeunier attaque ce sous-amendement. M. le marquis de Clermont-Lodève le défend. M. Populus. Je pense qu’il ne faut pas souiller notre Constitution du nom d’un abus aussi odieux.