590 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mai 1790.] la Constitution de déclarer la guerre, il sera impossible qu’il n’en envisage pas les malheurs, et qu’il ne voie pas la malédiction des peuples s’élever contre lui. Mais si l’Assemblée nationale se réserve ce droit, ne dira-t-il pas : Si la guerre est malheureuse, on ne s’en prendra pas à moi ? Permettez que je vous cite un exemple très connu. Le roi Guillaume, roi en Hollande, et stathouder en Angleterre, décidait la guerre en Hollande, et ne la faisait jamais par lui-même en Angleterre. Le droit de déclarer laguerre appartenait cependant en Hollande à une assemblée représentative, en Angleterre au roi seul. J’avoue que, quant à moi, je suis frappé de l’idée que nous ne donnons as assez au roi. Quand on veut avoir une famille éréditaire sur le trône, il faut la regarder comme le chef héréditaire d’une grande famille. Si le roi est vraiment le père de son peuple, il ne peut être étranger à aucune des opérations de ce peuple. Il ne peut y avoir entre notre chef et nous une continuelle défiance. Nous assurerons notre liberté en l’encourageant à nous défendre, en lui montrant des dangers, s’il usait de ses droits pour nous opprimer. Je passe au second point, la gloire et la prospérité de la nation. Je fais, tout comme un autre, le vœu de voir se réaliser l’impraticable paix de l’abbé de Saint-Pierre. La nation française aura toujours intérêt d’être juste ; les nations voisines seront toujours un peu injustes. Une nation si favorisée par la nature doit être continuellement pour la justice; mais les nations artificielles, pour ainsi dire, arrivées à un degré de gloire que semblait leur interdire la nature, doivent chercher à avilir celles à qui la nature a tout donné. Gela posé, attendons-nous à des guerres injustes; il nous faudra devenir nation commerçante, et toutes les nations commerçantes sont toujours un peu injustes. Puisqu’il est certain que nous serons en état de guerre, donnons-nous doncJes moyens d’entretenir un équilibre indispensable. Aujourd’hui l’argent est l’unique moyen de s’assurer des avantages : celui qui en a le plus finit toujours par être victorieux. Si l’Angleterre se réunissait avec l’Espagne, elle aurait cet avantage, et la nation française ferait inutilement des actions de valeur, qui couvriraient les enfants de la gloire que les pères ont acquise. Il nous faut donc des alliances. Pour faire les alliances, il se présente deux moyens : le premier, noble et généreux, est la publicité de tous nos projets; le second, qui paraît être bien eu généreux, est le mystère dans nos opérations. 'injustice se cache et travaille dans le silence : . c’est un moyen heureux pour elle, mais dangereux pour la justice. La plupart des nations sont régies par un seul homme, dont les passions disposent de la prospérité des peuples.... On ne fait jamais la paix que dans une position peu sûre. Geini qui est victorieux désire souvent la paix, • mais il cherche à voir quelle est au juste la position du vaincu, pour être plus ou moins difficile avec lui. Ainsi, celui qui donne la paix et celui , qui la reçoit sont également intéressés à cacher : les motifs qui les déterminent. Si l'on considère ensuite les traités d’alliance et de commerce, tout change : il s’agit alors d’un étal durable qui peut être discuté publiquement. Dans un traité de paix on doit laisser au roi une grande latitude. Quant aux traités de commerce, chacun y est intéressé, chacun doit y concourir par ses représentants. Les traités de commerce doivent donc être discutés par l’Assemblée nationale. On n’attaquera pas les traités que je n’appellerai plus pactes de famille; ce nom ne leur convient pas. L’Espagne ne va-t-elle pas chercher pour vous dans un autre hémisphère, lorsqu’elle n’arrache à la terre qu’en prodiguant la vie des hommes? La Bretagne ne reçoit-elle pas d’elle dix millions de piastres pour des toiles ? Nos provinces méridionales ne donnent-elles pas à 1 Espagnedes denrées pour de l’or?.... Je pense donc qu’il faut accorder au roi le droit de déclarer la guerre et celui de faire la paix, et que les alliances ainsi que les traités de commerce doivent être discutés dans l’Assemblée, et ne peuvent être consommés sans elle. J’ai entendu dire que, dans ce moment, il était dangereux de laisser au roi l’exercice du droit de guerre. Qu’on fasse, si on le veut, des restrictions provisoires ; mais n’oublions pasquenousformons une Constitution, que nous travaillons pour les siècles. Je n’entends pas ce que veulent dire ces mots ; révolution, contre-révolution. La Constitution ne pourra être attaquée si elle est bonne; si elle était mauvaise, c’est-à-dire si elle ne plaisait pas à la nation, rien n’empêcherait qu’elle ne fût détruite. On dit qu’elle sera examinée; la raison doit être son juge, mais ce juge pourrait-il en ce moment faire entendre ses oracles? La raison fuit toujours devant la guerre et n’habite jamais que le séjour de la paix. M. de Menou. J’ai l’honneur d’observer à l’Assemblée qu’au moment où je suis monté à la tribune, M. Paul Nairac, député de Bordeaux, m’a dit qu’il venait de recevoir des dépêches importantes relatives aux troubles de Montauban, et que du parti que vous prendriez dépendait peut-être le salut de cette ville. Si l'Assemblée le veut, je lui céderai la parole, en réclamant mon tour, quand on aura délibéré sur cet objet. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide que son ordre du jour seru interrompu et que les pièces relatives aux troubles de Montauban lui seront communiquées. M. Paul Hairac II m’a été envoyé par la municipalité de Bordeaux un courrier porteur de deux lettres adressées à l’Assemblée nationale; je les ai remises à M. le président, qui me lésa ensuite confiées, pour me laisser la satisfaction de vous ea faire la lecture. LETTRE DE LA MUNICIPALITÉ DE BORDEAUX. « Messieurs, les nouvelles les plus alarmantes viennent jeter le désespoir dans Pâme de tous nos cencitoyens. Ce sont vos décrets, Messieurs, qui sont attaqués; c’est une Constitution qui doitfaire le bonheur d’un grand empire, que des ennemis du bien public et de leur propre félicité, osent tenter de renverser. Il est une ville où les bons patriotes, les vrais Français gémissent sous l’oppression, et où ceux que le glaive a épargnés sont dans les fers ou errants sans asile ; c’est à Montauban, Messieurs, que se passent ces scènes désastreuses; et le détail des maux qui affligent cette ville vient troubler le bonheur et la paix dont jouissent nos concitoyens et qu’ils ne doivent qu’à vos travaux et à leur respect pour tout ce qui émane de votre sagesse. « Ils n’ont pas vu avec indifférence le malheur de leurs frères, de ces bons patriotes, avec lesquels un pacte d’union et de fraternité les a si étroitement unis. Ils n’ont pas cru devoir rester dans l’inaction lorsqu’on opprimait, lorsqu’on égorgeait Leurs amis et leurs frères. Pénétrés [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mai 1790.) J591 du véritable esprit de vos décrets, ils ont cru que leur zèle ne devait pas se renfermer dans la limite de la ville qu’ils habitent, et que partout où il y avait des opprimés, ils doivent chercher à en être les libérateurs {Vifs applaudissements.) « Tous les volontaires de la garde nationale voulaient voler au secours de leurs malheureux frères; tous, Messieurs, nous pressaient également de les laisser partir et ceux qui sont privés, par la loi du sort, du bonheur d’aller déployer leur patriotisme, gémissent de se voir réduits à ne former que des vœux pour le maintien de la Constitution et pour la félicité de ceux qui la respectent. « La prudence, Messieurs, guidera la marche de ceux qui vont au secours de ces Français malheureux; mais ils ne croient pas que notre approbation doive leur suffire, c’est la vôtre, Messieurs, qui peut' seule leur persuader qu’ils feront bien en suivant l’impulsion de leur courage et de leur patriotisme. A Moissac, à quatre lieues de Montauban, ils attendent vos ordres et n’agiront que d’après votre volonté qu’ils vous supplient de leur faire connaître ( Nouveaux applaudissements dans la salle et dans les tribunes) . « Nous nous estimerons heureux si notre conduite peut mériter votre suffrage qui sera toujours la plus flatteuse récompense de nos travaux. « Nous sommes avec un profond respect, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. « Le maire et les officiers municipaux de la ville de Bordeaux. « Signé : Basseterre, secrétaire-greffier. » Lettre de la garde nationale. « Bordeaux, ce 17 mai 1790. « Nosseigneurs, « Instruits par la clameur publique, qu’une division cruelle s’est élevée à Montauban entre la municipalité et les vrais amis de la Constitution ; « Que les suites de cette division ont produit une lutte sanglante où les généreux défenseurs de vos décrets ont eu le malheur de succomber; « Que plusieurs d’entre eux, victimes de leur attachement aux bons principes, ont péri sous les coups de leurs concitoyens ; que d’autres, couverts d’opprobre et d’ignominie, ont été jetés dans les cachots : nous n’avons pu douter, un seul instant, que d’aussi grands malheurs n'excitassent votre vive sollicitude. Pressés même par le serment qui nous lie au maintien de la Constitution, par l’union et la fraternité qui nous attachent à la garde nationale de cette ville affligée, nous avons cru remplir ce double devoir en prenant d’avance les plus sages mesures pour donner à nos frères les secours qu’ils ont droit d’attendre de nous et pour assurer, autant qu’il sera possible, l’exécution de vos décrets et le rétablissement de l’ordre et de la tranquillité publique. « C’est dans ces vues que nous avons unanimement délibéré de partir au nombre de 1,500 hommes. Mais notre inviolable respect pour la loi nous a fait subordonner bette résolution à le réquisition de nos officiers municipaux. « Combien ils se sont honorés, aux yeux de la cité entière en applaudissant de tout leur cœur, aux sentiments qui nous animent, en s’empressant de pourvoir aux frais de notre marche patriotique, pour en accélérer le succès. Cet heureux concert, entre les organes de la loi et ses défenseurs, sera pour nous, Nosseigneurs, le plus sûr garant de votre approbation. « En vain les coupables auteurs de ces désordres, que votre sagesse se hâtera de réprimer, emploieront-ils auprès de vous les ressources des lâches: l’imposture et la calomnie ; en vain affecteront-ils le langage spécieux de l’innocence persécutée 1 Vous n’oublierez pas qu’ils ont fait mourir une partie de leurs compatriotes et qu’ils tiennent encore l’autre dans les fers; vous saurez prévoir les nouveaux excès qui pourraient résulter de leur impunité 1 Ah! si leurs forces répondaient à leur rage, nous perdrions hientôt la liberté que vous nous avez donnée et l’espoir de jouir du bonheur que vous nous préparez. « Pardonnez, Nosseigneurs, si nos expressions se ressentent de la douleur et de l’indignation qui agitent nos âmes; nous vous écrivons à l’ombre de nos drapeaux déjà déployés. Ils deviennent communs à nos braves camarades de Champagne; réunis à eux et jaloux de vous donner une preuve éclatante de notre zèle et de notre soumission, nous nous efforcerons de contenir, dans une sage limite, l’ardeur qui nous fait mouvoir : rendus à Moissac, à la distance de quatre lieues de Montauban, nous y attendrons dans la plus respectueuse inaction les ordres que nous vous supplions de nous transmettre : nous jurons, une seconde fois, dans vos mains, de verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour en maintenir l’exécution. « Nous sommes avec respect, Nosseigneurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. » La garde nationale bordelaise; « Signé: le duc de Duras, président du conseil. « Par nous, secrétaire du conseil, Dizouàrd. » M. Paul Halrac, après cette lecture, ajoute : Je suis convaincu, Messieurs, qu’aucune de ces précautions ne sera démentie, lorsque l’intérêt de la patrie l’exigera ; vous trouverez toujours des légions bordelaises prêtes à déconcerter les ennemis de la liberté. Je vais vous proposer un décret qui renferme tout à la fois, et les mesures nécessaires pour arrêter le désordre, et les témoignages de satisfaction qu’ont droit d’attendre de l’Assemblée nationale les volontaires de Bordeaux. « L’Assemblée nationale, instruite par des lettres qui lui ont été directement adressées, qu’un détachement de 1,500 hommes de la garde nationale de Bordeaux, s’est transporté dans la ville de Moissac, à l’effet de rétablir le calme dans celle de Montauban, approuve le zèle de ladite municipalité et de la garde nationale et l’attachement qu’ils ont témoigné aux décrets de l’Assemblée acceptés ou sanctionnés par le roi ; décrète que son président sera chargé d’écrire au maire et officiers municipaux de la ville de Bordeaux, ainsi qu’au détachement de 1,500 hommes envoyés à Moissac pour le maintien de l’ordre, et de leur témoigner la satisfaction de l’Assemblée nationale, sur leur patriotisme, leur générosité et leur zèle à défendre les décrets constitutionnels ; décrète, en outre, que son président enverra audit détachement une expédition du décret du 17 de ce mois, pour le rétablissement de l’ordre dans la ville de Montauban, et qu’il se retirera par devers le roi pour le supplier