504 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1789.] admis en remplacement de M. de Bussy, démissionnaire. M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, demande à s’absenter pendant quinze jours pour affaire de famille. L’Assemblée y consent. La communauté de Montigny-les-Cherlieu , offre en don patriotique, une somme 20,000 livres, sur le produit d’une futaie de 60,000 livres dont elle a depuis longtemps demandé la vente au conseil. M. le Président dit que les dames, femmes d'artistes, qui avaient déposé le 25 novembre dernier sur l’autel de la patrie leur offrande de la valeur de 16,000 livres réclamaient l’inscription du tribut de leur dévouement dans les procès - verbaux de l’Assemblée. Un des commissaires chargés de la recette des dons patriotiques répond que les occupations multipliés de l’Assemblée l’ont empêché de lui en rendre compte et qu’il n’attend que le moment favorable pour réclamer, en faveur de ces dames, les justes éloges qui leur sont dus. M. Camus observe, que pour la satisfaction des personnes que le zèle et l’amour du bien public déterminent à des sacrifices, l’Assemblée avait ordonné que la liste des dons patriotiques serait exactement imprimée et rendue publique. L’imprimeur souvent forcé par des demandes particulières ou par l’impression de différents mémoires, a depuis longtemps suspendu celle des dons patriotiques; en conséquence, l’honorable membre fait la motion de nommer deux commissaires, pour s’assurer, par les précautions convenables, de l’exactitude du service de l’Assemblée. M. le Président ajoute que M. Baudoin, l’imprimeur, sollicite lui-même, depuis longtemps, cette surveillance. La motion mise aux voix est adoptée. Le rapport à faire par le comité des finances sur la ferme en Bretagne est renvoyé à demain à l’ordre du jour de deux heures. M. Ratier de Montguion, député de Sain-tonge, fait une motion sur la forme de répartition des impôts des privilégiés pour les six derniers mois de 1789 et pour l’année 1790. Votre intention est que les sommes qui proviendront de ces impositions tournent à la décharge de tous les contribuables et non du Trésor public, vons en disposerez de la même manière que vous avez disposé de celles qui proviendront de l’imposition pour les 6 derniers mois de 1789 et vous ordonnerez qu’elles seront réparties en moins imposé sur tous les contribuables de la province ou plutôt de chaque département. Cette opération simple, claire et naturelle, lève toutes les difficultés et fait que les privilégiés seront imposés pour 1790, de la même manière que pour les 6 derniers mois de 1789. L’opération de 1789 sera la base de celle à faire pour 1790, qui consistera simplement à doubler, pour 1790, la contribution à payer pour 1789. Cette nouvelle disposition facilitera la confection des rôles. Les sommes imposées pourront se lever sans délai et sans réclamation. Les malheureux jouiront de l’espoir des remises qui leur seront faites par la répartition en moins imposé et cette répartition sera un de plus grands travaux des assemblées administratives que vous allez organiser. Je propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale considérant que l’article 4 de son décret du 26 septembre contient des dispositions dont l’exécution entraînerait de grandes difficultés, consumerait un temps précieux et nécessiterait des délais incompatibles avec la situation critique des finances. « Décrète : « 1° Que en interprétant l’article 4 de son décret du 26 septembre, les ci-devant privilégiés seront imposés pour 1790, dans la même somme et les mêmes proportions que celles prescrites pour les 6 derniers mois de 1789, par l’article 2 dudit décret et par son décret du 28 novembre; « 2° Que les sommes qui proviendront desdites impositions seront réparties en moins imposé sur tous les contribuables de chaque département, de même que celles qui proviendront, des impositions pour les 6 derniers mois de 1789. « Cette motion est renvoyée au comité des finances. La séance est levée. ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 11 décembre 1789. Dénonciation de crime de lese-peuple ou lèse-nation à Nos seigneurs de l’Assemblée nationale et mémoire pour la ville de Bellême au Perche (1); contre les sieurs JulLIEN, intendant d'Alençon , et Bayard-La-VingïRIE , son subdélégué à Bellême (2), par Thoumin, député suppléant du Perche. Si quis Rex, si qua natio fecisset aliquid, in eivem Romanum, ejusmodi, non ne publicè vindicaremus ? Non bello persequeremur ? Num ergo tibi ullam, salutem ullum perfugium putern ? Cicero in Verrem. Si un Roi, si une nation étrangère eût commis un attentat de cette espèce en la personne d’un citoyen ; s’il eût ordonné à ses archers de frapper, de tirer sur des Romains, est-ee que nous n’en demanderions pas une vengeance éclatante? Est-ce que nous ne lui déclarerions pas la guerre ? Puis-je donc croire que vous, qui avez donné un tel ordre, échappiez à la peine, et trouviez un seul coin de terre où vous réfugier ? Cicéron contre Verrrs. C’est pendant que l’auguste Assemblée de la nation est constamment et imperturbablement occupée à détruire les abus, à régénérer le royaume, à recréer, pour ainsi dire, l'homme, pour le rendre à la nature, à lui-même et au bonheur, qu’on voit encore un intendant et un (lj Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Depuis longtemps cette affaire, dénoncée au comité des rapports, eût été référée à l’Assemblée nationale, si le sieur la Vingtrie n’eût intéressé plusieurs médiateurs, et n’eût encore tout récemment reçu avec transport la trop généreuse disposition du représentant de la ville de Bellême, à s’en remettre à la prudence, sagesse et impartialité de M. le comte de P... membre de l’Assemblée nationale, pour aviser aux moyens d’assurer aux habitants de Bellême l’exécution de la promesse verbale, tant de fois donnée par l’accusé, de ne jamais retourner au Perche, et de lui procurer en même temps le loisir d’aller finir sa carrière sous un ciel étranger, sans que la publicité de l'indignation d’une ville entière 505 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1789.] subdélégué se faire un jeu des plus cruelles injures et des plus terribles conspirations contre une ville entière. L’houneur, la liberté, la vie des autres, ne sont d’aucun prix à leurs yeux. L’intendant, par un libelle atroce, exhale tout ce que peut le délire du despotisme expirant. Le subdélégué, aveuglément soumis à son maître, s’affiche hautement l’oppresseur et l’assassin des citoyens. Tout les deux se liguent avec le lieutenant de maréchaussée du district, pour former et mettre à tin une procédure prévôtale contre l'élite des habitants de Bellême. Ils sollicitent des lettres de cachet contre ceux qu’ils n’ont pu faire érir, dans le moment même où l’empire français éclare ennemi des droits de l’homme, criminel de lèse-nation, celui qui provoque, favorise ou accueille cette espèce d’inquisition ministérielle. FAITS. Une disette presque générale affligeait le royaume; elle désolait particulièrement la ville et banlieue de Bellème. A peine comptait-on 40 ou 50 boisseaux de grains au marché du jeudi 10 juin dernier, lorsque la consommation commune était de 7 à 800 par semaine. Déjà l’herbe servait de nourriture à quelques malheureux, et la stérilité de la halle achevait de répandre la consternation. Dans ce moment, passent 4 voitures chargées de grains; il en passait fréquemment, et le peuple savait que la plupart de ces grains allait à Mortagne, et de là se perdre dans les porls de Honfleur, du Havre, ou à Rouen. On s’attend que les premiers officiers de Bellême, le maire, le lieutenant général, le subdélégué, se hâtent d’inviter les voituriers à se défaire de leur denrée; qu’ils se disputent de zèle pour nourrir le peuple. Si le lieutenant général ou le subdélégué ont des intérêts opposés à ceux des citoyens, s’ils ont des intelligences criminelles, le maire , qui n’est ni l’homme du parlement, ni l’homme de l’intendant, mais l’homme de la ville, veillera pour eux A Bellème, le sieur de la Vingtrie était à la fois maire, lieutenant général civil et criminel et sub délégué ; il avait acheté toutes ces charges, et leur incompatibilité l’avait rendu sourd aux cris des habitants ; il dormait profondément sur leurs besoins. La prévoyance des magistrats voisins aurait au moins dû le rendre s’attachât ostensiblement à son évasion. Le sieur la Vingtrie a saisi ce imoment de bienveillance, pour se dérober aux yeux de la nation, et au décret qu’elle allait rendre, en surprenant de M. le procureur général un arrêt sur requête portant attribution à la sénéchaussée du Mans, siège de la famille nombreuse et de la fortune de sa femme, de la connaissance de la même affaire contre les habitants de Bellême. La date de cet arrêt du 27 octobre, démontre qu’à l’instant ou l’accusé, en personne, excitait encore la pitié et la commisération aux comités, il saisissait récriminatoirement le parlement de Paris, et le présidial du Mans, où il espérait plus d’indulgence qu’au Châtelet, seul tribunal compétent pour juger définitivement. La ville de Bellême .accusatrice, a cru devoir, par précaution surabondante, former son opposition à l’arrêt, par défaut, et la dénoncer aux officiers du Mans, ainsi qu’au sieur la Vingtrie, qu’on sait avoir eu pendant un certain temps l’agrément d’une partie du conseil de Monsieur, pour la charge de lieutenant criminel du Mans, ce qui donne à la ville de Bellème un nouveau motif de récusation contre les juges de ee tribunal. - circonspect sur son indifférence meurtrière, mais ces modèles ne servaient que d’aliment à la plus criminelle inertie, à la plus indicible sécurité. Ainsi , dans un seul homme sommeillait Y édile, le prêteur et le proconsul. Abandonnée de tous ses magistrats, la ville ne s’abandonne pas elle-même. Un peuple qui voit arriver la famine, est-il coupable de prolonger son existence en arrêtant des grains destinés peut-être à l’exportation, à des ennemis, ou au moins à des hommes qui ne peuvent en avoir un plus pressant besoin? D’abord, quelques femmes, leurs enfants dans les bras, conjurent les voituriers de vendre leur marchandise; sur leur refus, le peuple commande, il veut que les sacs soient conduits à la halle. Le sieur de la Vingtrie survient; il approuve la réclamation des habitants: il promet solennellement que les grains resteront en dépôt; mais il étudie les mouvements du peuple , qu’il voit dévorer des yeux cette manne terrestre. Il profite de ce moment de respect des malheureux, pour inspirer aux conducteurs la liberté de vendre arbitrairement leur grain, de le porter à un si haut prix que le peuple ne puisse en acheter. Le vendeur l’estime un quart au delà du courant; le S le en gémit, il souffre, et se console encore 'espoir de trouver le lendemain les marchands plus humains et plus traitables. Déjà le substitut de l’intendant écrit à Mortagne. Vingt-cinq dragons accourent à sa voix, et à la faveur de la nuit, les sacs doivent disparaître. Tout arrive comme le subdélégué l’avait projeté... Qu’on juge à présent de l’indignation du peuple. Le 17 du même mois, 150 boisseaux sont arrêtés de nouveau au passage de la ville. Cette fois, les femmes avertissent les ouvriers de la forêt; ces gens vivent aux dépens des approvisionnements de Bellème : trente ou quarante arrivent pour garder la halle pendant la nuit. Sans chef, sans ordre, confondus avec le peuple, ils n’étonnent point les habitants, on les voit même avec une sorte de satisfaction; ils conduisent au marché une voiture qu’ils trouvent à la porte du nommé Bouvier, marchand de grains, toute chargée et prête à partir pour l’étranger , on la regarde comme appartenant au sieur la Vingtrie, ou au moins de communauté avec Bouvier, qui transportait à Mortagne, pendant les nuits, une partie du pain qui se fabriquait à Bellème. Ce particulier eut l’indiscrétion de dire publiquement au peuple, qui murmurait à la halle contre lui, que si l’on pillait ses sacs, le sieur la Vingtrie y perdrait plus que lui : effectivement plusieurs des sacs étaient marqués au nom du subdélégué, qui jura le même jour, à l’hôtel de ville, de se venger juridiquement des propos tenus par Bouvier; il prit meme le nom des témoins qu’on lui indiqua, et l’on ne peut qu’applaudir à sa grande prudence de n’avoir pas tenu parole. La prévoyance des gens de la forêt et du peuple faisait bien naître l’espoir d’avoir du pain le lendemain , mais le subdélégué ne pouvait , à bien des égards, supporter la vue des observateurs qui dérangeaient ses plans ; il n’ose cependant faire de réclamation personnelle; il calcule secrè tement une vengeance bien chère à son cœur; il voudrait ne pas se compromettre ouvertement par écrit et se ménager une excuse : voici donc le réquisitoire captieux que le sieur Dubosq , maréchal des logis de la maréchaussée de Bellème, son cousin et son ami, a dit avoir reçu de lui. « Nous, etc.... Sur l'avis qui vient de nous être donné, et ayant vu par nous-même environ 506 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1789.] 400 particuliers etc. (1), prions et requérons M. Dubosq de monter à cheval sur-le-champ , pour maintenir le bon ordre et dissiper cette troupe. » Ce mot dissiper s’explique de lui-même. Dans l’intention du subdélégué, c’est l’injonction d’un massacre. En effet, s’il n’y eût pas eu de voies de fait à commettre, il n’eût pas été besoin de réquisitoire, les maréchaussées connaissent le but de leur institution, et savent que, sans réquisitoire, elles peuvent et doivent veiller au maintien de l’ordre; mais, comme le sieur Dubosq, malgré son aveugle déférence pour son parent, avait pressenti la suite des assassinats qu’il allait exécuter, d’après l’injonction verbale qu’il avait reçue, il avait exigé du subdélégué un écrit qui pût lui valoir une apparence de justification. Il crut voir d’abord dans ces mots dissiper la troupe , et son excuse et le mérite de son pardon. Dissiper cette troupe ! Voilà la preuve écrite des projets et des ordres barbares donnés par le subdélégué de Bellème, et confirmés par la déclaration ci-après du sieur Dubosq, dont on ne peut diviser la confession. Ce dernier, devenu depuis l’objet de la censure publique, s’est rendu de'son propre mouvement à une assemblée générale des habitants le 30 août dernier, où il a témoigné ses regrets , et demandé à être entendu avant qu’on passât à la discussion de la matière qui réunissait la ville. Voici la déclaration qu’il y fit; elle explique l’ordre mystérieux et perfide qu’il avait eu par écrit. Elle’ porte que « venant de recevoir son changement sur des plaintes adressées par la ville à ses supérieurs, il a désiré manifester ses regrets et prier ses concitoyens de vouloir bien au moins lui laisser emporter leur estime, si les moyens de justification qu’il avait à alléguer pouvaient la lui rendre. « En outre, que le 17 juin dernier, montant à cheval à la tête de sa brigade, et d’un détachement de dragons qui étaient en garnison àBellême, M. la Vingtrie, en présence de quelques personnes, lui avait expressément enjoint de balayer les rues et de sabrer tout ce qui se présenterait, en lui disant : Tuez-moi tous ce Scgueux-là. Que le même jour, la maréchaussée de cendue de cheval, M. la Vingtrie lui avait reproché de n'avoir pas tué au moins cinq ou six personnes. » Le sieur Dubosq a signé. y Balayez-moi les rues.' Sabrez-moi tout ce qui se présentera! Tuez-moi tous ces gueux-là! Vous êtes un lâche, Dubosq : vous m'avez désobéi : pourquoi ne m'en avoir pas tué au moins cinq ou six? C’est un maire de ville qui parle ainsi! Non, c’est un subdélégué; c’est un homme accoutumé à voir des bourreaux , des roues, des bûchers , qui se plaint , qui gémit de ne pas voir du sang ....... Cet homme cruel, encore ému de colère, quelques ours après, dit qu’il ne serait jamais content, qu’il n’eût vu une douzaine de citoyens de Bellême accrochés sur la place : on lui fait grâce d’un autre propos que les Phalaris, les Néron, les Chris-tiern eussent été jaloux qu’un petit tyran eût inventé... Revenons un peu sur nos pas. (1) Le subdélégué grossit le nombre au moins de 350 pour colorer son réquisitoire ; il y avait au plus 40 à 50 personnes de la forêt, toutes connues et incapables de mal faire ; il a vraisemblablement compté pour autant d’étrangers, pour autant de séditieux, pour autant de victimes dévouées à son caprice, les ouvriers de la forêt réunis à une partie du peuple de Bellême. Un verra par les suites qu’il n’en faisait pas de distinction. L’ordre donné aux cavaliers et dragons de s’armer, de charger à balle, de monter à cheval le sabre à la main, de frapper et de tirer impitoyablement sur le peuple, n’eut pas plus tôt transpiré, qu’un citoyen s’approchant du subdélégué maire, qui était présent à la cavalcade, lui représenta à voix basse et en particulier, le danger qu’il y avait pour quinze à vingt hommes, d’attaquer tout un peuple; combien il était inquiétant pour les habitants de Bellême et de la forêt, et dangereux pour lui-même, de montrer un tel appareil, de prendre un parti aussi violent, aussi injuste, et qui devait, à la première explosion, faire perdre la tête à des malheureux dont l’objet unique de réunion était d’avoir du pain pour leur argent. Famés , Hoc scelus erat. Le subdélégué répondit : Je m'en f ... ; il faut à quelque prix que ce soit, balayer de la ville les gens qui viennent d'y entrer , et le peuple qui prendra leur parti. Cependant, cavaliers et dragons, Dubosq à leur tête, partent au galop, traversent une grande partie de la ville, cinq de front, et comme si elle venait d’être prise d’assaut. Les personnes qui sont dans les rues échappent à peine aux pieds des chevaux, en se jetant précipitamment contre les murailles ou dans les maisons. Le même particulier qui venait de faire des représentations infructueuses au subdélégué, ne se rebute, ne se fatigue point; il prend une route abrégée, court vers la troupe qui se rangeait en bataille, se jette sans armes, et saisit la bride du cheval de celui qui se trouve en tête, le conjure d'épargner le sang, de ne faire de mal à personne, et Dubosq lui-même, qui venait de porter des coups de sabre, en criant comme un forcené : Tue ! Tue ! point de quartier ! impose silence à la multitude, pour que le citoyen se fasse entendre. Ce dernier ne parle que pour assurer à la troupe que les gens de la forêt et le peuple n’ont aucuD mauvais dessein, qu’il vient très-directement de s’en instruire; que ces infortunés, à la solde des marchands de bois de la ville, s’expliquaient hautement; qu’il serait affreux de verser du sang lorsqu’il n’y a pas d’ennemis, lorsqu’il n’y a pas de criminels, lorsque tout est peuple, et que tout le peuple est citoyen ; lorsque la ville n’est alarmée que par les ordres exterminateurs du subdélégué, qui était précédemment convenu de laisser en dépôt, pour le marché du lendemain, les grains arrêtés ; et lorsqu’enfin le peuple assemblé ne demande que ce dernier moyen de prolonger, quelques instants de plus, sa misérable vie et celle de ses enfants. Le peuple s’était déjà dispersé sans s’être mis en défense, sans avoir fait les moindres menaces ou tenu les moindres propos répréhensibles, et néanmoins se rapprochait toujours, comme malgré lui, par différents côtés, des sacs de grains, dont il redoutait si naturellement l’enlèvement. L’ardeur des cavaliers et dragons se calme, et le subdélégué n’en devient que plus furieux; il veut ranimer le courage, souvent aveugle, du soldat, et comme il venait de répondre à quelqu’un qui lui exposait la nécessité de se contenir, et qu’un homme en place ne devait jamais perdre la tête, qu’il ne se connaissait effectivement bientôt plus : il en donne la preuve la plus complète, en faisant faire, à son de caisse, cette extravagante proclamation : De la part de M . la Vingtrie, il est enjoint à 11 décembre 1789.1 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. tous particuliers de cette ville, de rentrer chez eux, a peine de risquer d'être blessés. Cet ordre, postérieur aux représentations qui venaient de rétablir la paix, annonce de nouveau que les cavaliers et dragons vont faire feu et frapper ; on ne sait plus où l’on est ; le subdélégué, désespéré de la nullité d’une première tentative, et de ce qu’il n’y avait pas eu de citoyens tués ou au moins mutilés, fait un second effort. L’alarme recommence et la terreur devient universelle; on veut étouffer le cri sinistre du tambour de ville, et les habitants, bien loin de rentrer chez eux, sortent en foule. Tout manifeste le péril le plus imminent, parce que la troupe est encore en ordre d’attaque. Tout le monde, saisi de la plus juste indignation contre l’auteur de tant de maux, court éploré dans les rues; les cavaliers et dragons inquiets eux-mêmes', ne voyant que des gens tranquilles, point de coupables et personne qui méritât la mort, ne méconnaissent plus leurs frères dans cette multitude livrée aux coups de fusil et au tranchant des sabres, et disparaissent. Le subdélégué eut ainsi la pleine mortification de ne pas voir au moins une demi-douzaine de cadavres (ce sont ses expressions), et ce fut alors qu’il fit les reproches les plus vifs au sieur Dubosq, de ne lui avoir pas apporté quelques têtes. Que le sieur la Vingtrie ne répète pas, ainsi qu’il a eu l’inpudente audace de le dire une fois, qu’il n’avait donné l’ordre de tirer sur le peuple et de lui faire la chasse à coups de sabre, que pour l'intimider. On lui répondrait : 1° Vous seul portiez ombrage dans la ville, et vous seul prétextiez un trouble pour vous procurer le plaisir barbare de voir du sang ; 2° il est constant et par la déclaration authentique de Dubosq, et par celle qui sera faite au besoin de la part de l’officier de dragons, pour lors à Bellême, et par deux ou trois autres personnes qui vous ont entendu, que cet abominable assassinat a été par vous ordonné purement et simplement, et sans aucun retentum ; que cet ordre a été le commentaire, l’explication de votre réquisitoire, et que ceux qui ont eu cet affreux commandement à exécuter, en ont frémi d’horreur ; 3° vous avez eu l’humiliation de donner pour excuse l’ordre même que vous aviez reçu du sieur Jullien, intendant, et vous avez mê*me exhibé à une multitude de personnes, et notamment à plusieurs de MM. les députés, une lettre de cet intendant, par laquelle il vous faisait des reproches d’avoir été trop doux, lorsque vous ne regrettiez véritablement que de n’avoir pas vu couler le sang-dans les rues (1). On a vu que le subdélôgué s’était réellement abouché avec l’intendant pour exterminer le peuple dès que l’occasion s’en présenterait et qu’il avait décrit la scène comme devant être fort tragique, puisque l’intendant reproche à son subdélégué d’avoir été trop doux, et qu’il trouve qu’on (1) Il est bien pardonnable, dans une matière de la nature de celle-ci, et où l’on ne peut, sans préjudicier à ses propres intérêts, user de la modération moralement et civilement inséparable de la discussion de tous autres sujets, tremper ses pinceaux dans l’encre de l’amertume et de l’indignation, pourvu qu’on ne s’écarte pas de la vérité. Ménager ses idées, ses expressions, ses couleurs, c’est nuire à son sujet. Ombrer avec la gaze la plus légère le buste qui doit être mis au grand jour, c’est, en sens contraire, découvrir des nudités qu’on veut cacher. 507 n’ait pas versé de sang, quoiqu’il fût bien convaincu que ce subdélégué en était encore plus fâché que lui. Si le subdélégué de Bellême eût réussi à faire égorger les gens de la forêt et le peuple, les sacs de grains eussent été une seconde fois enlevés de la halle. Ces 150 boisseaux d’extraordinaire, vendus au marché du 18 juin, ne purent cependant aider que très-faiblement à la subsistance du jour; on se plaignit amèrement du manquant, et il ne fut plus permis de temporiser. Tous les habitants demandent une assemblée ; le maire est obligé de la convoquer ; la cloche sonne, la caisse bat, on se porte en foule à l’hôtel de ville. On avait envoyé chercher deux fois le sieur la Yingtrie ; le subdélégué s’y rend, comme malgré lui, sur les 4 à 5 heures du soir. On lui demande d’abord s’il vient comme maire, comme lieutenant général ou comme subdélégué : il ne rougit pas, à la face de ses concitoyens assemblés , de rejeter le titre glorieux de leur maire, pour retenir des fonctions pleines de servitude et d’oppression. Il quitte le fauteuil ; un échevin le remplace, et par la délibération il est arrêté, entre autres choses, que « vu la disette des vivres (1), augmentée encore par le surcroît des bouches inutiles qu’avait mandées le subdélégué, et vu la difficulté des logements (2), il serait enjoint au détachement de dragons de se retirer à leur garnison (3), et au sieur Dubosq d’être plus circonspect, de ne plus courir les rues en foulant les citoyens aux pieds des chevaux et en les effrayant par les cris assassins qu’il avait fait entendre : qu’on demanderait au ministre la permission de conduire à la halle les grains qui passeraient par la ville (4), qu’on solliciterait la (1) La disette des grains augmentait tous les jours à Bellême, La nouvelle consommation des dragons et de leurs chevaux fut pour le sieur la Vingtrie un moyen certain de désespérer le peuple, qui se nourrissait alors avec un mélange d’orge et d’avoine. N’avait-on pas raison d’être jaloux que 50 chevaux absorbassent an aliment que l’on avait tant de peine à trouver ? (2) Le subdélégué a fait jeter sur le pavé les meubles de 4 à 5 ménages d’une même maison, en a fait expulser les locataires, pour loger plus commodément la troupe ci-devant répartie chez le bourgeois. En vain le propriétaire réclama-l-il contre cet acte hostile; il fut menacé et il fallut céder à la toute-puissance du vice-intendant. (3) La notification du renvoi de la troupe n’a pas eu lieu ; on n’inséra même cet article dans la délibération que pour calmer l’esprit du peuple, qu’on savait aigri de ce que les dragons n’avaient été mandés ni par l’hôtel de ville, ni par les officiers de police assemblés, mais seulement et sourdement par le subdélégué. On observait que les troubles n’avaient commencé qu’à l’arrivée des troupes, et qu’on pouvait aussi bien les suspecter à Bellême qu’à Versailles et à Paris. (4) Le peuple ne croyait qu’à l’exportation à l’étranger dès qu’il voyait passer des grains qui ne s’arrêtaient pas dans la ville ; et cette ferme persuasion, produite et soutenue par leur rareté et cherté excessive, le faisait aisément confondre les deux mots Circulation, Exportation. 11 est néanmoins certain que si tous les voituriers eussent eu des destinations claires et fixes, et non des destinations souvent verbales et vagues, le peuple de Bellême n’eût pu, sans transgresser les lois, s’opposer à la circulation; mais, sous prétexte d’approvisionnement de Mortagne et d’autres villes voisines, les accapareurs faisaient faire double voyage, double et triple charge des voitures dont on perdait la trace, lorsqu’elles échappaient aux vérifications; et c’était ce manège diabolique, combiné par tant d’agents, qui révoltait l’àme du peuple contre des papiers équivoques, informes pour la plupart, et qui, bien loin d’être d’une fidélité avouée, 508 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [li décembre 1789.] liberté d’un laboureur père de famille, détenu en , vertu d’ordre arbitraire (1). Enfin la ville décrète que 21 commissaires nommés par la même assemblée se partageront la ville et le bailliage en 7 districts, et se transporteront dans les greniers de leur département pour y constater la quantité de grains, et sur leur rapport être ordonné à tous ceux qui en auraient au delà du nécessaire, d’apporter à chaque marché, jusqu’à la récolte, cette portion de leur superflu. » Cette délibération, revêtue des signatures les plus respectables exprime les vœux unanimes d’une ville entière. Voici la lettre ostensible que l’intendant d’Alençon écrit à ce sujet à son digne subdélégué, rédacteur secret d’un procès-verbal contre cette délibération : « A Alençon, ce 29 juin 1789 (2) « J’ai vu, Monsieur, et votre procès-verbal (3) et la copie (4) de cette insolente délibération n’avaient que l’empreinte différente d’une précaution étudiée, et d’une ambiguité trompeuse. Le projet de demander au ministre la permission d’ar-ïèter les grains, marque l’extrême pénurie du peuple, et combien il était cependant éloigné de manquer au respect de la loi qui autorisait la circulaiion. Cette permission ne pouvait être accordée ; aussi ne l’a-t-on as sollicitée, et ne l’a-t-on même admise que pour onorer le citoyen qui s’offrait de faire gratuitement la démarche auprès du ministre. (1) Ce laboureur, après un mois de prison, a été élargi sur les vives réclamations de deux citoyens de Bellème, et sur le vu de ses titres justificatifs. M. le maréchal duc d’Harcourt, gouverneur de Normandie et non du Perche, s’était permis, à l’aide et conseil du subdélégué et de l’inséparable Dubosq, d’expédier un ordre en façon de lettre de cachet, pour emprisonner, au temps précieux de la Saint-Jean, ce laboureur qui tenait en herbager et terres labourables pour 2,000 livres de ferme, et qui n’avait contre lui que d’avoir eu un procès avec deux gentilshommes, et d’avoir triomphé complètement. C’était ainsi qu’à Bellême, tout ordre était interverti, la liberté violée, et tout sentiment d’humanité éteint chez ceux-là même à qui l’autorité n’était confiée que pour la faire respecter. A Bellême, on ne savait de combien d’hommes on dépendait ; il semblait que tous les pays voisins s’en fussent originairement disputé la conquête et partagé l’empire. Cette ville est de l’évêché de Séez, relève du parlement de Paris et de la cour des aides de Rouen, du présidial de Chartres, de l’intendance et bureau des finances d’Alençon, ayant pour maire un subdélégué. M. d’Harcourt est gouverneur de Normandie; M. le marquis de la Vaupallière est gouverneur du Perche. M. d’Harcourt donne ses ordres pour faire emprisonner les habitants du Perche, et M. le duc de Beuvron y envoie des troupes. L’intendant d’Alençon traite les citoyens de Bellème comme des galériens (on va le voir à l’instant), et le maire subdélégué, lieutenant général, civil et criminel, enjoint à son cousin Dubosq de les sabrer et fusiller... Quelle divinité tutélaire a pu préserver jusqu’à ce jour la ville de Bellême d’un embrasement général ou d’une désertion totale, elle qui n’avait dans son sein que des chefs malfaisants pour la gouverner, ou, pour mieux dire, des tvrans pour la détruire ? (2) L’original de ce libelle est déposé chez M. Rouen, notaire à Paris. (3) C’est ce procès-verbal du subdélégué, c’est cette fameuse pièce, germe de la conspiration, qu’il s’agit de représenter pour en faire la décomposition ; c’est de C6tte pièce primitive, qui doit être d’une force étonnante et d’une lourberie incroyable, puisque l’intendant, sans réfléchir sur la nullité du caractère d’un subdélégué et les bornes de son pouvoir à lui-même, prend sur-le-champ fait et cause de son subalterne, en détachant un des limiers du grand prévôt pour concerter une information qui ne peut .être que l’ouvrage des ténèbres et le résultat de la plus odieuse persécution, c’est disons-nous, de cette pièce, de ce procès-verbal que découle la machination de 4 tyrans qui se sont disputés ou l’honneur de commander, ou la bassesse d’obéir. (4) La copie. Le subdélégué eût bien pu envoyer la (1), arrêtée, sans doute, par lesplus mauvais sujets de votre ville. Ces gens (2) mériteraient d’être fouettés dans tous les carrefours de la ville, portant écriteau devant et derrière, qui les annoncerait comme perturbateurs du repos public. Le minute ou la porter lui-même au sieur Jullien, puisqu’on l'absence du greffier de l’hôtel-de-ville, ainsi qu’on le rapportera plus amplement ailleurs, il s’est emparé du registre qui ne doit jamais se déplacer. On vérifiera par la suite les autres abus, altérations, falsifications, radiations et soustractions que ce subdélégué a fait ou fait faire pendant la détention furtive du registre. (1) Insolente délibération. En quoi donc la délibération de l’hôtel de ville est-elle insolente ? Est-ce parce que les habitants ont osé manifester leurs plaintes, contrarier les vues de l’intendant d’Alençon et de son subdélégué, si parfaitement d’accord pour faire périr le peuple par la famine, par le fer ou par le feu ? L’homme qui autorise le pouvoir arbitraire, ou qui respecte la tyrannie, n’est-il pas digne du plus souverain mépris ? N’est-il pas lui-même coupable? Quiconque existe sous des tyrans, en admirant leur puissance comme quelque chose de sacré, sans chercher à la détruire, n’est-il pas aussi dangereux, aussi corrompu dans son apathie que dans sa morale ? (2) Ces gens, les plus mauvais sujets de la ville, ces gens méprisables, voici une partie de leurs noms et de leurs qualités. Nota. On ne suivra point l’ordre d’ancienneté, de naissance ou d’état. L’inscription des noms, telle qu’elle a eu lieu sur le registre, servira de marche et de preuve de l’heureuse confusion de titres et de personnes qui régnait à Bellème dès le 18 juin. Ceux dont les noms sont précédés d’une *, ont été par la même délibération, nommés commissaires à la recherche des grains. MM. Duval, arpenteur royal. * Julien Dubois, doyen des avocats, lieutenant en la maîtrise des eaux et forêts de Rêno et du Perche, notable. Blin, avocat, lieutenant de la garde nationale. G. Chevalier, entrepreneur d’ouvrages publics. * Binois, bourgeois. Pitou, jardinier. Collin, marchand. De Phillemain, chevalier de Saint-Louis et mes-tre de camp. Beliard, marchand. Gouevrot de Blandé, ancien officier de chasseurs, major de la garde nationale de Bellême. (Beau-frère du sieur la Vingtrie.) * Paris, bourgeois, capitaine de la garde nationale. Tremier, entrepreneur d’ouvrages publics. Caly-Rousselière, officier au grenier à sel, sous-lieutenant de la garde nationale. * Mousset, officier de la maison de M. le comte d’Artois, et capitaine de la garde nationale. 4 Pivan", marchand, capitaine de la garde nationale. * J.-J. Paignard, fils, marchand, capitaine de la garde nationale. Deculant, marchand. * Desvaux, apothicaire, sous-lieutenant de la garde nationale. * Pierre, prêtre et principal du collège. * Le chevalier de Suhard, capitaine de la garde nationale. * Chartier des Rieux, avocat, officier au grenier à sel, sous-lieutenant de la garde nationale. Perrier, négociant. * Thoumin, avocat, ancien bâtonnier de l’ordre, substitut en l’élection du Perche, député suppléant de la province à l’Assemblée nationale, et capitaine de la garde nationale. * Triger-Duhamel, marchand. * Got, procureur. * Angot, lieutenant du premier chirurgien du Roi, lieutenant de la garde nationale. * Rebours, procureur du Roi au grenier à sel, " notable, et capitaine de la garde nationale. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il décembre 1789.] 509 parti de la clémence (1) que vous prenez pour ce qui vous concerne, De m’étonne pas; cette espèce de gens est trop méprisable, pour que vous puissiez être entaché de leur injures (2). Je veux bien, Monsieur, en rendant compte au ministre, comme je le dois, de cette affaire, lui dire que vous désirez qu’elle n’ait pas de suite contre eux (3); et je m’y porte d’autant plus volontiers, que c’est éviter à la famille innocente des coupables, le déshonneur qui retomberait sur elle de la peine infamante qu’ils auraient reçue. La crainte, sans doute, des châtiments qu’ils ont mérités, les a rendus plus sages, puisque la tranquillité est réta-* Mousset-la-Vilatte, bourgeois, lieutenant de la garde nationale. La Ronce fils, bourgeois, lieutenant de la garde nationale. * Chevessaille de la Grand-Noë, bourgeois. Coutard, maître d’école. * De Fontenay, écuyer, ancien officier de cavalerie, colonel de la garde nationale. * Du Moulinet de Hardemart, avocat. * Chandru, docteur en médecine, et médecin de Monsieur. Petitbon-Paty, changeur. Petitbon-Gilonnière, marchand, lieutenant de la garde nationale. Poulard, ancien procureur du Roi au bailliage, et conseiller honoraire au même siège. L’Epinette, marchand aubergiste. * Martin, notaire et greffier, etc., etc., etc. (1) Clémence... Tel est l’agiotage et le mode de la correspondance des intendants avec leurs subdélégués. Ces derniers craignent toujours la révélation de leurs manœuvres, la punition de leurs turpitudes; et comme un intendant, il y a quelques mois, pouvait être impunément prévaricateur et tyran à découvert ; il prenait volontiers pour lui touies les imprécations, toutes les malédictions du peuple, pourvu qu’il conservât à ses commis les moyens de commettre de nouvelles indignités, en les montrant justes, pacificateurs et cléments, lorsque ces subalternes n’existaient naturellement que pour la ruine, la désolation et le désespoir de ceux qui avaient le malheur de leur déplaire. Espions des cités qu’ils habitent encore, ils ne cessent d’aspirer le sang des hommes, soit en réalité, soit par les impôts dont ils font arbitrairement surcharger, par les intendants, quiconque a manqué à Monseigneur où à eux-mêmes. (2) C’est d’abord nn problème de savoir si l’on peut, si l’on ose injurier un subdélégué. En le supposant, uelles injures a-t-on faites, a-t-on dites au sieur la ingtrie ou au sieur Julien? Il est vrai que c’est faire injure à leurs principes que de demander du pain, que de demander à vivre... Hoc tamen scelus erat... Mais aussi, c’est par le subdélégué de Bellême commettre la plus grande indiscrétion et l’injure la plus caractérisée envers les citoyens de cette ville, que de penser jamais à rentrer dans leurs murs, ou au moins dans leur estime. Summum , crede nefas, animam præ-ferre pudoH, et propter vitam, vivendi perdere causas. Juven. Sat. 8. (3) Homme perfide î homme pervers ! homme dénaturé I vous feignez, par une lettre mendiée à votre maître, de solliciter la paix, lorsque vous voulez du sang, lorsque vous êtes, par votre mystérieux procès-verbal, et par l’acquisition prévôtale plus mystérieuse encore, seul auteur des maux qui ont alarmé les campagnes et désolé la ville pendant votre criminelle régence!... Vous désirez que l’affaire n'ait pas de suite !... et vous avez porté le seul coup de poignard dont vous ayez pu disposer à votre aise, dans le sein de votre propre beau-frère, M. de Blandé, encore dans les liens d’un décret, dont nous aurons occasion de parler ; lorsque vous êtes encore prêt à aider le jeu de la prétendue toute-puissante machine qui doit, .d’un seul ressort, accaparer tous les citoyens d’une ville, et les blie dans votre ville (1). J’espère qu’elle s’y maintiendra ; car si le trouble s’y renouvelait ils seraient tous emprisonnés sans nouvelle information (2). « J’ai l’honneur d’être très-sincèrement, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. « Signé Julien. » Au bas de la page : « M. La Vingtrie. » Si la ville de Bellême eût brisé la statue du prince ou des dieux, eût-il été possible à aucun homme d’entrer dans une plus grande colère que celle exprimée par cette lettre? Telles sont cependant les expressions d’un intendant vis-à-vis d’un hôtel de ville, vis-à-vis d’une ville entière. Si l’aristocratie en personne eût écrit aux serfs du Mont-Jura, eût-elle pu tenir un langage plus altier, plus assassin que celui du sieur Julien? Des outrages ne se pardonneraient-ils pas plutôt qu’un tel mépris? On voit quels sont les citoyens que l’intendant, d’accord avec son subdélégué, se permet d’appeler les plus mauvais sujets de la ville, et à qui il a l’air de faire grâce du fouet et des galères. Quelle espèce de despote est-ce donc qu’un intendant, et quelle idée sa grandeur se fait-elle de sa stature colossale ! Tous seront emprisonnés sans nouvelle information! On ne peut se fatiguer de la répétition ..... En vérité cette démence est plonger miraculeusement dans les cachots !... Vous osez révéler toutes ces inepties, nous menacer encore des foudres d’un intendant, lorsque la nation française assemblée ne reconnaît de puissance que la justice et l’humanité !... Vous calculiez avec l’intendant d’Alençon, avec le lieutenant de la prévôté, avec votre parent Dubosq, le nombre de têtes, de bras, de jambes dont vous vouliez voir nos rues jonchées ; et dans le temps où vous machiniez, où vous commettiez de gaieté de cœur toutes ces horreurs, répétons-le, la nation était assemblée!,., et dans ce temps le peuple se faisait avidement justice des coupables, se trompait quelquefois dans sa fureur, mais vous... vous vivez encore !... oui, vous vivez, mais, au moral, vous n’existez plus. (1) Jamais le trouble n’y a régné que depuis qu’elle est commandée par le despotisme combiné des sieurs Julien et la Vingtrie. Le jour même où le subdélégué a vu une insurrection qui n’existait que dans le désir qu’il avait d’en supposer une, pour faire répandre du sang, le peuple était fort tranquille et très-rassuré sur les gens de la forêt, qui n’étaient venus qu’à sa réquisition, et pour le seconder dans les moyens de vivre. Est-ce aux intendants et aux subdélégués seuls à juger du mérite ou démérite d’une assemblée d’habitants? Est-il à supposer que tous soient coupables, parce qu'un seul homme, parce qu’un subdélégué le donne à entendre ? Quel trouble eùl-on vu dans la ville, si le sieur la Vingtrie ne s’y fût pas trouvé, s’il n’eut pas été subdélégué ? On ne peut raisonnablement regarder comme un trouble l’expression de la volonté générale d’une municipalité; on ne doit croire au désordre que lorsque les opinions sont tumultueusement partagées ; or, le vœu de tous était de vivre ; le subdélégué seul s’y opposait ; quel est le coupable ? (2) A ce langage, qui ne croirait d’abord tous les habitants de Bellême criminels ? Qui ne croirait que l’intendant put leur faire grâce ? Point du tout : ce libelle du sieur Jullien, adroitement lancé dans le public, n’est qu’un appât pour faire revenir sous la main des [sbires, et sous le fer du bourreau, le citoyen que le subdélégué désignait pour principale victime. Tous emprisonnés sans information ! Ne voilà-t-il pas la ville entière jetée dans les cachots, comme d’un coup de filet? Ne semble-t-il pas que tous les habitants sont comme des moutons parqués, à la disposition du berger, et sous le couteau du boucher ? Quelle absurdité de croire pouvoir ce qu’on veut, lorsque l’homme le plus puissant est s souvent borné dans ses volontés 1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1780. fflO [Assemblée nationale.) telle, que l’indignation en devient bientôt ridicule. On croit entendre Harpagon qui crie : des archers, des prisons, des bourreaux, et qui veut que tout le monde soit pendu... Mais le peuple qui a faim, n’est pas toujours philosophe ; il aura toujours la folie de vouloir vivre, même aux dépens de ses tyrans. Il ne tint pas au sieur la Vingtrie que dès lors plusieurs notables de Belême ne fussent réellement emprisonnés sans forme de procès; il intrigua avec l’intendaDt pour obtenir, dans les bureaux, quelques lettres de cachet, notamment contre trois des commissaires. Ils ne pouvaient prendre plus mal leur temps; les tours des prisons d’Etat allaient tomber; et voyant déjà que les cachots ministériels étaient fermés à leur vengeance, et qu’il ne leur restait plus que ceux de la prévôté, ils manœuvrèrent de ce côté-là. Tu pater et rerurn invsntor ! Tu patria nobis suppeditas prœcepta. Lucret., lib. III. Un intendant, un subdélégué, un prévôt, se tiennent toujours par la main ; il n’était besoin que d’un prétexte pour provoquer l’inquisition, et établir à Bellême un tribunal contre les citoyens. Voici le piège qu’imagina le subdélégué. On se souvient des 21 commissaires nommés pour constater la quantité des grains du bailliage, et pour approvisionner la ville. Le sieur la Ving-trie exhorta, de toutes ses forces, ces commissaires à acquérir des grains, à arrêter les voituriers qui en seraient chargés, promettant de prêter main-forte. Il n’en fallait pas davantage pour faire déserter la grand’route, et arrêter la circulation. Dans la vue de la rétablir, le zèle des commissaires allait au-devant des conducteurs, afin de les rassurer; ils leur délivraient des certificats, ces certificats attestaient une vérification qui n’avait pas eu lieu, et leur servaient de passeport ; d’où l’on voit que, loin de gêner la circulation, la conduite des commissaires en assurait au contraire la liberté, et que le sieur la Vingtrie seul avait pu, par sa menace, détourner les voitures de la grand’route. Cependant, que fait le sieur la Vingtrie? Il présente ces certificats qu’il avait nécessités , qu’il avait malignement commandés, comme des pièces de conviction contre les commissaires. Ces certificats, dit-il, déposent contre eux ; ils prouvent qu’on arrête les voituriers , qu’on avarie leurs marchandises par des perquisitions éternelles, que la grand’route n’est point libre; c’est une contravention à l’arrêt du conseil, qui autorise la libre circulation ; c’est une insurrection, c’est une révolte : voilà le corps de délit trouvé, et il y a lieu à des assises prévôtales. En môme temps, pour ôter aux commissaires tout moyen de justification, le subdê-légué abuse de sa place de maire; il commet un double larcin ; il sait que le greffier est absent, il court au greffe, détourne, emporte le registre qui contient et la nomination des commissaires, et l’ordonnance par lui rendue au pied du réquisitoire. Muni de ce registre, il offre à quelques personnes qui avaient signé la prétendue insolente délibération du 18 juin, de rayer leur signature : une seule a été biffée par pure inconsidération de son auteur, connu trop honnête pour l’avoir fait avec réflexion. L’intendant, plein d’admiration pour l’esprit de ressource de son subdélégué, et pour son habileté à trouver des crimes et ordonner une accusation, expédie sur-le-champ à Bellême un lieutenant de maréchaussée et un greffier. La prévôté est un tribunal ambulant, toujours à la suite et aux ordres des intendants, qu l’en voient dans les villes, comme une troupe de marionnettes, y établir des tréteaux où sa grandeur, cachée derrière la toile, tient le fil, et Fait jouer l'automate. Cet appareil d’un tribunal si expéditif, et contre lequel tous les cahiers, d’un bout de la France à l’autre, contiennent des imprécations, jeta l’effroi dans la ville. Plusieurs commissaires, consultant moins la pureté de leur conscience, que la crainte d’une autorité coupable, se voient obligés de céder au vœu de leur famille, de leurs voisins, de leurs amis , en prenant la fuite. Ils reviennent, ils repartent : leur innocence les rappelle, et la perversité du subdélégué les éloigne. Faîsis terroribus implet, Ut magus. Horat. V.,Epist. I, L. II, 211. Enfin, ils tiennent ferme, et se disent à eux-mêmes: On ne nous doitque delà reconnaissance, nous ne désemparerons plus de nos maisons. Il y a des encouragements prodigieux accordés dans ce pays à l’art de trouver des coupables, et le cordon de Saint-Michel, dont est décoré le sieur la Vingtrie, est la récompense d’avoir fait expirer sur la roue quatorze à quinze malheureux, en moins de deux ans. A Nogent-le-Rotrou, ville près de Bellême, on a vu sept ou huit mères de famille, arrachées à leur domicile et à leurs enfants, sans autre crime que celui de la faim ; elles ont été jetées dans les prisons d’Alençon, où il a fallu des ordres itératifs du ministre, pour faire tomber de leurs mains les chaînes prévôtales. Ces exploits avaient élevé un peu trop haut le cri de la misère et de la faim; cette diversion à Nogent ne ralentissait point l’ardeur du lieutenant de maréchaussée, qui se sentait les facultés de desservir en même temps les deux villes de Bellême et de Nogent. Le lieutenant général, civil et criminel, le maire, le subdélégué, le chevalier de Saint-Michel, le sieur la Vingtrie, en un mot, soutenait la fatigue de son ami; il allait à la campagne, dans la forêt, dans la ville, à la découverte des témoins. Ce maire, avide de sang, couchait sur son agenda le nom des plus courageux, et rapportait le butin à son aide de camp, qui ne restait pas oisif. Tout le monde était dans la dernière des inquiétudes; et comme le sieur la Vingtrie ne comptait plus d’amis parmi les citoyens de Bellême, on ne savait qui devait être la victime expiatoire. On reconnut bientôt que son beau-frère, le sieur de Blandé, officier de dragons, était l’objet du sanglant sacrifice. Le sieur la Vingtrie n’avait pu se contenir à son égard le jour de Rassemblée du 18 juin; il lui avait dit quN7 était son plus mortel ennemi; aussi le triumvirat l’avait-il peut-être déjà jugé à mort ; mais pour le faire périr, il fallait l’arrêter (l); et sa prudence l’avait fait se (1) Quel préjugé terrible contre . un juge, contre un 'maire, contre un subdélégué, contre un frère ! La ville de Bellême donne au sieur de Blandé des témoignages d’estime publique, lors même qu’il est fugitif ; le décret qui l’éloigne est un titre qui le rapproche de ses concitoyens. Qu’il était beau pour la ville de Bellême* mais qu’il était terrible pour le sieur la Vingtrie, pour le lieutenant de la prévôté, pour l’intendant, ce jour où le drapeau de la liberté se déploya pour la première fois hors les murs de la ville, pour recevoir sous sa protection et y placer le sieur de Blandé, en signe d’inviolabilité de sa personne devenue encore plus as- 511 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1789.] jeter dans les bras de sa famille, au Mans, et dans ceux du régiment de Chartres-Dragons, qui l’accueillirent comme il s’y attendait. Huit cavaliers de maréchaussée étrangère, mandés exprès, postés secrètement pendant la nuit du 12 au 13 juillet, dans un blé attenant au jardin du sieur de. Blandé, apprirent à toute la ville le dessein du sieur de la Vingtrie. Ces cavaliers, ceux de Bellême, le cousin Dubosq à leur tête, et vingt dragons, entrèrent chez l’innocent proscrit, pour le constituer prisonnier ; mais tout cet éclat, cet étalage, cette solennité se réduisit, pour l’avantage public, à précipiter la perte de l’auteur de cet effrayant spectacle. Il n’est pas indifférent de rapporter ici la lettre que M. le curé de Saint-Sauveur de Bellême écrivit à ce sujet à M. le François, curé du Mage, député du Perche à l’Assemblée nationale : « Monsieur et cher confrère, « Je suis on ne peut plus reconnaissant de votre bon souvenir ..... Nous sommes ici dans la misère par la cherté des grains et la faculté de s’en procurer ; on ne parle que de révoltes ; nous ne sommes pas tranquilles, surtout depuis le jour de la petite Fête-Dieu. On a arrêté des grains qu’on transportait ailleurs, ce qui a occasionné une révolte dont les suites sont fâcheuses pour beaucoup de nos honnêtes citoyens qu’on accuse d’en être les auteurs, et qu’on poursuit à l’extraordinaire, quoique dans le fond ils n'aient cherché qu’à l'apaiser. En voulant faire le bien , on ne leur veut que du mal. M. le comte de Fontenay, que vous avez sûrement vu à Versailles, est, dit-on, un de ceux qu’on poursuit. On a investi lundi dernier la maison de M. Blandé, pour le constituer prisonnier, disant qu’ü était un des principaux auteurs de la révolte. Le bruit court ici qu’il y en a au moins vingt qui sont décrétés. Ce sont tous honnêtes gens et des meilleures familles de Bellême. Nous sommes tous ici dans la consternation de voir poursuivre des personnes qui, sur la connaissance que j'en ai en mon particulier, n’ont cherché qu’à apporter le calme dans l’émeute qui s’est passée. Voilà la malheureuse nouvelle de notre ville où tout est dans la transe. Donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles..,, et recevez l’assurance, etc. « Monsieur et cher confrère, « Votre très-humble et très-obéissant serviteur, « COUREUIL , curé de Saint-Sauveur de Bellême. » Grossie par tant de torts réunis, l’indignation publique vient se déborder le 11 août, comme un torrent, contre le sieur la Vingtrie. Les fruits de la cabale sont à leur trop grande maturité ; la haine des ligueurs est à découvert; la victime est connue, poursuivie et vouée à la passion ignominieuse de son beau-frère; le son de la cloche et surée par le grade de major de la garde nationale, que ses malheurs et son patriotisme lui ont mérité ! Ces faveurs avaient été prévenues par une lettre honorable que M. le comte de la Galissonnière, colonel du régiment où le sieur de Blandé avait servi dix à douze ans, en qualité d’officier, venait d’écrire à Bellême .Tous les officiers du même corps s’étaient empressés à rendre une justice égale au sieur de Blandé, qui n’oubliera jamais d’avoir eu l’honneur de servir dans le même régiment avec M. le comte de Clermont-Tonnerre, ex-président de l’Assemblée nationale. le tambour appellent les habitants à l’hôtel de ville. Presque tous ont à se plaindre, l’un du lieutenant général, l’autre du maire, l’autre du subdélégué ; chacun fait l’énumération de ses griefs contre cet homme à double, à triple caractère, et l’on sta’ue à l’unanimité que M. Thoumin, avocat en la même ville, député suppléant de la province du Perche à l’Assemblée nationale, sera invité à dénoncer, sur-le-champ, à l’auguste Assemblée de la nation, les crimes du sieur la Vingtrie. Les officiers du bailliage arrêtent qu’ils ne communiqueront plus avec leur ancien chef ; les avocats, qu’ils ne plaideront plus devant lui ; enfin les procureurs, qu’ils ne postuleraient plus sous sa présidence. Chargé par ses compatriotes de dénoncer le subdélégué de Bellême à l’Assemblée nationale , M. Thoumin, à l’exemple de l’Angleterre, de la Grèce et de Rome, dans leurs plus beaux jours, s’honore de faire revivre le premier dans la nation, le titre d’accusateur que la ville de Bellême lui a imposé. Assez longtemps il a été réservé de provoquer la vindicte publique, au parquet et à des mains trop souvent complices ou intéressées à l’étouffer. Il est aisé de gagner un seul homme ou de mettre son silence à prix. Que le crime, à présent, redoute autant d’accusateurs qu’il y aura de bons citoyens. Les lois alors ne seront plus comme des toiles d’araignée que l’homme puissant est presque toujours sûr de briser ; alors on ne pourra plus échapper à la vigilance du ministère public, lorsque ce ne sera plus un homme qui veillera, mais la nation qui ne sommeille jamais, tout entière; alors, la peine du crime ne sera plus seulement l’indignation universelle et le mépris de toutes les âmes honnêtes ; l’homme en place, s’il est coupable, ne lira pas seulement cette même indignation dans tous les yeux ; il fa lira encore affichée sur les murs et dans les tribunaux. Parmi cette foule de griefs qui furent verbalement énoncés contre le subdélégué de Bellême, il y en eut d’étrangers au crime de lèse-nation ; il serait conséquemment superflu de rapporter en détail tout ce que le cri public fit entendre. On laissera donc de côté la vie privée du sieur la Vingtrie, les séductions, les malversations, les oppressions, les prévarications, les exactions dont il fut accusé, pour s’occuper exclusivement des objets qui, intéressant plus directement l’Assem-semblée nationale, réclamant avec plus d’instance et de confiance le sérieux examen et la juste sévérité de ce tribunal suprême. Le subdélégué de Bellême a commis, entre autres, trois crimes de lèse-peuple ou lèse-nation et la ville de Belème, par son représentant, en réclame vengeance sur la nouvelle dénonciation qu’elle en fait à l’Assemblée nationale. Premièrement , ce subdélégué, par les discours les plus calomnieux, et les plus séditieux contre l’Assemblée nationale, a exposé les habitants à des découragements , à des ligues, et à des malheurs qui devaient ou servir ses intérêts personnels, ou le détestable parti des ennemis de l’Etat. Que l’héroïsme et le génie des représentants de la nation viennent à braver et à vaincre l’aristocratie, détruire tout germe d’abus, et créer des lois, et je ne suis plus rien, se dit le sieur la Vingtrie; je perds tout. Si, au contraire, avec mes faibles ressorts , je puis au moins ébranler une des pierres du grand et nouvel édifice; je vois tant de monde disposé à seconder mes secousses, que la 512 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1789.] chute pourrait bien s’en suivre. Voici les faits qui fondent ces dangereuses probabilités : 1° Lors de l’ouverture et lecture qui se fait régulièrement à Bellême, en présence du peuple assemblé en quelque lieu public, des nouvelles que le correspondant reçoit directement de l’Assemblée nationale, le sieur la Vingtrie, dans ces premiers temps nébuleux (le dimanche 14 juin dernier) où les hommes ne se croyaient pas encore de la même famille, et où le subdélégué de Bellême, ennobli depuis cent.... semaines, voyait à peine la lumière subdiviser les abus pour les anéantir ensuite avec moins de difficulté, et plus indigné que de coutume contre les talents sublimes et entraînants des ..... . des — . , des ..... . des ..... . etc., nommant précisément sept ou huit des membres de l’auguste Assemblée, qui, par leur majestueuse éloquence , leur profonde érudition, et leurs grands moyens, toujours fondés sur le bien public et la félicité de l’homme, étaient alors à la tête des autres défenseurs de la patrie; ce subdélégué osa vingt fois interrompre le lecteur pour s’écrier : l'Assemblée nationale n’a pas le sens commun; elle se laisse conduire par six ou huit têtes fêlées (pardon, mille fois, pardon à l’auguste Assemblée de la nation, de rapporter les mots mêmes qu’un profane a prononcés ; ils sont essentiels à répéter. Les dieux peuvent-ils s’offenser de la folie d’un homme ?), qui , tôt ou tard, mettront le royaume de France à sa perte. Mais vous verrez, Messieurs , les Etats généraux ne tiendront pas longtemps. Les auditeurs manifestèrent leur improbation et leur indignation contre le juge-maire-subdélégué, et ce séditieux calomniateur ne rougit pas de ses blasphèmes contre une Assemblée dont il n’a jamais pu se faire élire membre. 2° Contre le vœu de la nature, contre le vœu de tous les Français, et malgré l’anathème prononcé par tous les cahiers, confirmé par décret de l’Assemblée nationale, contre tous solliciteurs, fauteurs et distributeurs de lettres de cachet, les sieurs intendant d’Alençon et subdélégué de Bellême en ont sollicité et fait solliciter auprès du ministre (la preuve en est dans les bureaux), contre les sieurs Julien Dubois, doyen des avocats; de Fontenay, ancien officier de" cavalerie, et de Blandé, ancien officier de dragons, beau-frère du subdélégué. Ces deux agents de l’autorité ont ainsi attenté à la personne de ces trois citoyens, et à leur liberté individuelle, depuis que la nation assemblée l’a déclarée sacrée et inviolable; ils ont ainsi, et autant qu’il a été en eux, précipité ces trois citoyens dans les cachots, et les y ont laissés pourrir sans forme de procès. C’est l’intention, en effet, et non la consommation réelle qui fait le crime. Le brigand dont l’arme a porté à faux, dont j’ai su détourner le fer, ne m’a pas moins assassiné. 3° Enfin, que peut alléguer le subdélégiié de Bellême, pour se disculper de l’ordre, de l’injonction expresse par lui donnée le 17 juin au sieur Dubosq et à l’officier de dragons, d’égorger le peuple, en disant : Tuez-moi ces gueux-là? Qu’avaient donc fait ces citoyens, pour être traités de gueux ? Qu’avaient-ils fait pour être massacrés? Avaient-ils abusé de la religion et de ses ministres, ou profané ses temples pour séduire des filles? Avaient-ils payé la confiance de quelque acquéreur par des escroqueries ? S’étaient-ils fait payer ce qui ne leur était pas dû? Etaient-ils concussionnaires ou exacteurs? Menaçaient-ils hautement de prison leurs créanciers? S’acharnaient-ils à faire périr des malheureux sur l’échafaud, par cela seul que des citoyens humains et justes s’intéressaient à leur salut? Pour monter aux honneurs, s’étaient-ils fait des degrés avec les corps entassés des hommes qu’ils avaient livrés au fer des bourreaux? Avaient-ils dénaturé et anéanti des jugements rendus? Avaient-ils calomnié publiquement le corps de la première magistrature du royaume? Avaient-ils enlevé le3 registres et les actes des greffes? Avaient-ils tendu des pièges aux citoyens pour les faire tomber dans les cachots ? Et, comme le sieur la Vingtrie, avaient-ils préféré le titre de subdélégué à celui de père des citoyens? Etaient-ils taxés publiquement d’accapareurs de grains , sans s’être disculpés? Avaient-ils tenté, comme lui, d’étouffer le germe naissant de l’espérance et de la confiance publique, en excitant la défiance, et même la sédition, contre les opérations de l’Assemblée nationale? Avaient-ils, à l’exemple de l’intendant et de son subdélégué , tenté de priver leurs semblables de la liberté commune à tous les hommes? Enfin, comme les sieurs Julien et la Vingtrie, avaient-ils ordonné des massacres? S’il se rencontrait de ces gueux-là, encore serait-ce un crime dans la bouche d’un subdélégué de dire froidement à un cavalier de maréchaussée : tuez-les-moi... Quelle ignorance de principes! Quelle stupiditél Quelle impudence! Quelle audace dans cette proclamation : De la part de M. la Vingtrie, on va mutiler les citoyens à coups de sabre, on va tirer à balle sur eux. L’absurdité de cet ordre, de cette proclamation ôte bientôt à son atrocité, et l’on reste, pour ainsi dire, suspendu entre l’indignation et le rire de la pitié. L’ordre, l’injonction, la proclamation n’étaient pas simplement comminatoires , on l’a prouvé. Un subdélégué menace les habitants d’une ville du fil de l’épée; de quel droit? Il menace! Il croit donc en avoir la puissance? De qui la tient-il? De l’intendant?... Voilà ces agents, ces délégués de l’ancien pouvoir ministériel qui voudraient encore se reproduire sous le règne sage des nouveaux ministres ..... Voilà ces despotes subalternes qui, sous le meilleur prince que la France ait vu naître, se complaisent à tyranniser les hommes ..... De tels abus d’autorité seraient seuls crimes de lèse-nation. Ce n’étaient point de simples menaces, on l’a déjà dit; les murs demeurent empreints des coups de sabres; on est obligé de les parer en se sauvant : si personne n’a péri, c’est que des citoyens se sont précipités au devant du chef de bataille, ont arrêté son cheval, et l’ont réduit à lui faire comprendre qu’un subdélégué n’avait pas le droit de punir d’avoir faim, n’avait pas le droit d’ordonner une Saint-Barthélemy. Le sieur la Vingtrie reproche à Dubosq, au retour de l’expédition manquée (dans un moment et dans un lieu où il n’était plus besoin, ni possible d’en imposer par des apparences), de n’avoir pas jeté au moins six personnes sur le carreau; il convient lui-même que telle était son intention; il ne s’excuse auprès de beaucoup de membres de l’Assemblée nationale et d’autres personnes, qu’en exhibant une lettre impérative de l’intendant, ou celle qui lui reproche d’avoir été trop doux ou trop maladroit, comme si cet ordre exécrable qui ne justifierait pas un soldat, pouvait disculper un magistrat. L’intendant ne pouvait, à 8 lieues de Bellême, voir ce qui s’y passait, que par la plume de son subdélégué. Ce dernier n’a pas dû induire l’intendant dans une erreur aussi grossière, et l’intendant ne devait pas s’en rapporter aussi aveuglément à son subdélégué. Il n’y avait à 513 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il décembre 1789.] Bellême de séditieux que les tyrans du peuple; ce n’était point au subdélégué seul à juger s’il y avait dans la ville des gens dignes de coups de sabre , dignes d’être fusillés ou d’être fouettés dans les carrefours. C’était à la ville elle-même à juger du besoin de réprimer des troubles qu’elle aurait aperçus, mais elle était infiniment tranquille lorsque le subdélégué y a donné le signal de la guerre entre les habitants et la troupe. Il ne peut jamais y avoir de trouble, d’émeute, de sédition, lorsque le peuple, lorsqu’une ville entière est tranquille et sûre des individus qu’elle renferme; la seule inquiétude qu’elle avait et qu’elle devait avoir, était donc de savoir en son sein celui qui, d’accord avec l’intendant de la province, voulait en faire massacrer les habitants. Si nos législateurs, en multipliant à l’infini les crimes de lèse-majesté dans la personne du prince, ont gardé le plus profond silence sur les crimes de lèse-nation , ce crime n’est pas pour cela un de ceux dont le châtiment demande des lois préexistantes : cette maxime, vraie à l’égard du droit positif, n’a point d’application, en matière de droit naturel. Il n’est pas besoin de lois prohibitives; ainsi, les parricides n’étaient pas moins punis de mort quoiqu’il n’y eut pas de lois contre les parricides. Antérieurement à toutes les institutions sociales , il est une loi vivante dans tous les cœurs, qui nouscriequ’un subdélégué est criminel de faire fusiller militairement, et sur sa simple réquisition, des citoyens honnêtes et tranquilles, bien que le bras des exécuteurs ait été arrêté dans sa course. Nous ne sommes point de vils troupeaux dont les chefs, soit qu’on les appelle ministres, intendants ou subdélégués, puissent commander une boucherie quand il leur plaît. Il est impossible que l’Assemblée nationale regarde indifféremment ce forfait, et que la dignité de sa justice et l’éminence de ses lumières laissent jamais au sieur la Vingtrie l’espoir de retourner dans les murs qu’il a voulu teindre du sang des hommes. Sa conduite est démonstrativement un crime de lèse-nation au premier chef, dévolu au tribunal du Châtelet. Si le crime de l’intendant d’Alençon, et si principalement le crime du subdélégué de Bellême, n’étaient pas jugés crimes de lèse-nation , il n’en existerait donc pas, et ce serait déclarer au peuple qu’on lui laisse le soin de sa vengeance. Ce serait constituer le pouvoir exécutif juge dans sa propre cause, parce que les fonctions du pouvoir exécutif se bornent à faire exécuter la loi écrite, et il ne fait qu’appliquer la loi positive; or la loi positive manque ici dans une espèce inconnue à tous les criminalistes et législateurs, et le renvoi au pouvoir exécutif serait même évidemment un renvoi au Châtelet. Qu’on ne croie pas que le sieur la Vingtrie puisse obtenir du temps l’oubli de ses crimes. Vainement , sous le masque ordinaire de son hypocrisie, a-t-il présenté sa fatale position à une multitude de personnes respectables : il est certainement criminel sans être à plaindre; lors même qu’il ne se dit qu’accusé sans s’avouer coupable. Il a eu le bonheur d’intéresser un ancien président de l'auguste Assemblée de la nation, et de le déterminer à écrire à la ville de Bellême pour l’engager à recevoir le proscrit. Voici la réponse intéressante que l’hôtel de ville, assemblé à cet effet, eut l’honneur d’adresser à M. le comte de Clermont-Tonnerre, lors président : « Monseigneur, « Nous avons eu l’honneur de recevoir dans son temps le procès-verbal de l’Assemblée nationale, ensemble les ordres du Roi pour la pleine et entière exécution des sages décrets relatifs à la tranquillité publique ; jamais devoir ne nous fut plus doux à remplir que de les notifier aux habitants de Bellême. « Toute notre milice nationale, notre ville entière, Saint-Martin du vieux Bellême, la plus considérable paroisse du bailliage, ont, avec zèle, prêté serment devant nous, de servir pour le maintien de la paix et la défense des citoyens. Mais, depuis longtemps, tous les citoyens ne regardent plus comme tel le magistrat qui vient d’être assez heureux pour vous intéresser un moment; nous venons de leur donner lecture de la lettre dont vous nous avez honorés, et plus de 500 personnes présentes ont déclaré ne vouloir jamais consentir au retour du sieur la Vingtrie. « Il a osé vous tromper, Monseigneur; c’est un crime de plus à punir : oui, il vous a trompé, et les citoyens de Bellême ne demandent, pour vous en convaincre, qu’un coup d’œil de votre justice sur l’exposé qu’ils auront incessamment l’honneur de vous faire présenter par deux députés, dignes de discuter les grands intérêts qu’ils leur ont confiés. « Jamais, Monseigneur, les habitants de Bellême n’ont attenté aux jours du sieur la Vingtrie. Plus d’un mois s’était écoulé depuis le premier moment où ils s’étaient réunis pour manifester leur mécontentement jusqu’au jour de son départ. Il était seul tranquille dans ses foyers, lorsque toute notre ville, lorsque toute la France prit les armes pour repousser des brigands qu’une terreur universellement répandue croyait avoir à combattre; et dans ces jours affreux où toutes les provinces fournissaient des scènes d’horreur, dans ces jours de vengeance où l’accusé était au même instant déclaré coupable et sacrifié, le sieur la Vingtrie en butte à toute une ville qui avait déjà formé ses projets de plainte contre lui, le sieur la Vingtrie ne reçut pas la plus légère insulte d’un peuple armé par la circonstance. « Les habitants de Bellême, toujours soumis aux lois, voulaient livrer le coupable à leur sévérité; ils choisirent un homme de loi pour dénoncer le sieur la Vingtrie à l’Assemblée nationale. M. Thourain tenta une voie plus douce que celle qui lui avait été prescrite; il donna connaissance à son adversaire des griefs qu’il était chargé de fournir contre lui, et lui proposa, pour le soustraire à une peine plus ignominieuse, de se démettre de toutes ses charges entre les mains de M. le garde des sceaux : le sieur la Vingtrie jura qu’il ne reviendrait jamais à Bellême, mais il refusa la démission qu’on exigeait de lui. « Cependant il en coûtait beaucoup aux habitants de Bellême, de se déterminer à dénoncer les actions du sieur la Vingtrie, quand il semblait que sur chacune d’elles la loi avait une peine à prononcer : il fallait être lui pour leur faire un crime de leur modération. « Qui eût présumé que ce magistrat, devenu odieux à la plus grande partie de la province, chargé d’une foule d’inculpations graves, dont la ville de Bellême offre les preuves les moins équivoques, oserait se présenter à vos yeux, Monseigneur, comme une victime innocente du préjugé ou de l’insubordination? qui eût pu soupçonner que le sieur la Vingtrie, supposé 33 lre SÉRIE, T. X. 514 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1789.] aussi innocent qu’il se permet de le dire, voudrait s’exposer à la fureur de mille mécontents, dont il s’est attiré la haine? Quelle contradiction avec ses promesses! « Puisqu’il redoute si peu les lois, la ville de Bellême déclare ne vouloir plus avoir de ménagement pour lui, et les députés qu’elle a choisis, après vous avoir communiqué, Monseigneur, leurs sujets de plainte contre le magistrat qui réclame le pouvoir exécutif pour le réhabiliter dans ses charges, le dénonceront à tous les tribunaux, même à celui de l’opinion publique qu’ils espèrent intéresser par la sagesse de leur conduite et la justice de leur cause. « Si les officiers municipaux, si les membres du comité de cette ville, pouvaient encore, dans ces circonstances, quelque chose sur l’esprit de tout un peuple grièvement offensé; si leurs efforts pouvaient ramener leurs concitoyens à cette voie de conciliation qu’ils n’ont pas désapprouvée dans le principe, iis prendraient la liberté, Monseigneur, de vous solliciter d’exiger du sieur la Vingtrie la démission qu’avait demandée leur représentant ; mais l’indignation que nous venons de remarquer chez tous les membres d’une nombreuse assemblée, nous laisse peu d’espoir de les rappeler à cette modération si désirable. « Nous sommes avec le plus profond respect, Monseigneur, « Vos très-humbles et très-obéissants serviteurs, etc., etc., etc., membres de la municipalité et du comité de la ville de Bellême. » Plus d’une fois la fausse nouvelle du retour du sieur la Vingtrie a fait prendre les armes à la garde nationale, pour prévenir toute insurrection contre lui; et si l’on eût vu le peuple s’écarter de sa sagesse ordinaire, la municipalité et le militaire se seraient réunis pour prendre le coupable sous leur sauvegarde, lui servir même d’escorte jusqu’aux portes de l’Assemblée nationale, s’il eût été besoin, et là, déposer au temple sacré de la nation, le criminel qui l’avait offensée de tant de manières, et encore ès personnes de 5 à 6,000 citoyens de Bellême. Le sieur la Vingtrie prétendrait-il donc forcer l’opinion publique? Gela n’est pas possible. Cette loi statue souverainement sur les actions dont la loi civile ne prend point connaissance; le mépris estla peine qu’elle inflige ; l’estime est la récom-erise qu’elle accorde. Jamais le subdélégué de ellème ne peut la fléchir; elle a pour base et la vérité et la justice, et les babitantsde Bellême ont pour eux l’une et l’autre. Séditieux public, le sieur la Vingtrie a troublé le repos de la ville et des campagnes, en alarmant les consciences sur les opérations de l’Assemblée nationale, en en présageant la dissolution avec une espèce de certitude, et présentant cette dernière ressource de l’empire français, comme le fléau et la désolalion de l’Etat. Conspirateurs , Ubellistes, solliciteurs de lettres de cachet, l’intendant d’Alençon et son subdélégué de Bellême ont voulu couvrird’une tache indélébile, des citoyens vraiment recommandables, et attenter à leur liberté par des moyens flétris depuis tant d’années dans l’opinion générale, et proscrits textuellement par l’Assemblée nationale. Assassins du peuple, ces deux agents se voyant dans l’impuissance d’arracher de leurs foyers des pères de familles, des hommes intéressants par leur zèle pour la cause des malheureux qui mouraient de faim, les ont impitoyablement, et avec tout le sang-froid de la plus lâche combinaison* livrés collectivement à la fureur soldée des cavaliers (1) et dragons, sûrement appelés à Bellême à cet effet, puisque la ville assemblée a demandé inutilement le renvoi des troupes. Eh! comment l’eût-elle obtenu ce renvoi? Que fait-on? N’a-t-on pas vu les plus terribles conspirations éclore, les plus grandes révolutions s’opérer , et qui n’avaient pas un germe aussi incendiaire, un développement plus hostile, que la chaîne des menaces et des tentatives des sieürs Julien et la Vingtrie? Dans ces temps critiques, les noms d’intendant et de subdélégué n’étaient-ils pas assez suspects, pour que ces vampires éveillassent encore la frayeur du peuple, en lui montrant des sabres et des fusils? Le citoyen ne devait-il pas être continuellement en garde contre ses ennemis naturels, surtout lorsqu’en les voyant insulter jusqu’à l’Assemblée nationale, fronder ses décrets, attenter à la liberté des Français, et attacher leur destinée à l 'humanité prévôtale ? Le tyran prêt à descendre du trône, ménage-t-il le sang des hommes, lorsqu’il n’entrevoit de ressource que dans un bouleversement général? Et le dernier trait qui part de la main du désespoir n’est-il pas toujours empoisonné? L’audace du premier séditieux, le premier coup qu’il porte, est souvent le signal du ralliement etde la démarche progressive et rapide du carnage. Le massacre du premier habitant de Bellême fixait peut-être le sort de la province, celui de plusieurs millions d’hommes, et du royaume entier. Cependant le subdélégué de Bellême s’expose encore au grand jour, il est encore libre! ..... Pourquoi ne pas faire revivre parmi nous cette loi ancienne, mais infiniment sage, qui veut que tout citoyen puisse faire arrêter celui qu’il accuse en se constituant prisonnier lui-même? La notoriété des délits, des crimes commis par le subdélégué de Bellême, l’infaillibilité des preuves offertes par les habitants de cette ville, sont telles qu’il n’en est aucun qui ne s’aidât volontiers de la ressource extrême de cette loi, pour assurer la vindicte publique. Ah ! que la position des habitants de Bellême était déplorable ! Ils avaient un maire, et n’avaient point de protecteur, un juge, et point de gardien des lois, enfin un subdélégué toujours oppresseur. Les yeux se sont heureusement dessillés au premier soupçon de conspiration, se sont ouverts au premier choc; et cet heureux rayon de la liberté naissante n’assure-t-il pas la palme du triomphe, et l’olivier de la paix à l’innocent opprimé qui, défendant sou honneur et sa vie, combat aussi pour le peuple et pour la nation entière, devant la nation elle-même? Thoumin, avocat à Bellême, député suppléant de la province du Perche à l’Assemblée nationale, et député ad hoc de la ville de Bellême. Nota . 11 est incroyable combien le sieurla Vingtrie, pendant l’impression de ce mémoire, montre d’activité dans l’information que les officiers de la sénéchamsée du Mans prennentsur leur compte, de continuer sans relâche contre les habitants de Bellêmt, malgré l’opposition qui leur a été signifiée avec celle faite à l'arrêt de la Cour qui les commet à cet effet. Ce qui devrait cependant rendre (1) Nous aimons à faire exception des sieurs Belet, Brière et le Roi, dont la ville est très-satisfaite. [12 décembre 1789.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] infiniment circonspect l’officier qui préside à l’instruction, et l’arrêter dans sa marche, c est la notification juridique de la dénonciation faite du sieur la Vingt' ie à l'Assemblée national�, dont le greffier a où lui donner avis. Oppositions, dénonciation, protestations de nullité, déclarations, récusations, tou* ces actes ne font que provoquer la précipitation du juge délégué, ou plutôt ne font que le compromettre, puisque le témoignage d’une ville entière u’est pas récusable, surtout en fait de délit public. C’est demain jeudi, 10 décembre, que doit se discuter à l’Assemblée nationale l’inutilité et l’abus d’une autorité quelconque, entre le pouvoir executif souverain, et les administrations de departements. Espérons que ce jour mémorable sera le terme de l’exisience des intendants et de leurs subdélégués, dont les commissions se trouveront de droit anéantis, par 1e plein exercice des municipalités. — Le sieur la Vingtrie répand dans le public s’être fait décharger de l’accusation au comité des recherches : cela ne peut pas être parce que les habitants de Bellêrne n’ont jamais dénoncé 1 accusé à ce comité, mais seulement à celui des rapports, où ils ont déposé toutes leurs pièces. Le comité des recherches n’a donc pu prononcer contradictoirement. ASSEMBLÉE NATIONALE. La loi et le Roi. Du 11 décembre 1789. Le comité des recherches de 1’ Assemblée nationale ayant examiné les pièces qui se trouvent en ses mains, concernant le sieur de La Vingtrie, lieutenant général de Bellème, et considérant qu’une accusation annoncée depuis longtemps contre lui, n’a pas encore élé effectuée, malgré les délais multipliés qui ont été demandés et obtenus; que, dans cet étal de choses, les mémoires et noies qui ont élé fournis, sont plutôt un dépôt de confiance, qu'uneproduction authentique qui autorise l’Assemblée nationale à en connaître; que, dans tons les cas, les parties n’ont pu perdre le droit de se pourvoir devant les tribunaux, à raison de leurs plaintes et prétentions respectives ; Ledit comité a unanimement pensé que le sieur de La Vingtrie n’étant point accusé, mais seulement menacé d’une accusation qui, jusqu’ici, ne s’est point réali-ée, il n’existe aucun motif pour entretenir l’Assemblée de cette affaire, et que le cours de la justice ne doit pas êire interrompu. Fait au comité des recherches de l’Assemblée nationale, le onze décembre mil sept cent quatre-vingt-neuf. Signé : le marquis de Foucault-Lardimalie, président; lemarquis de Monspey; Chabrol ; Yver-nault; Turpin; Cortois de Balore, évêjue de Nîmes; Tuault; Emmery; üurget, l’aîné; Tail-hardat de Maisonneuve; Henry de Longuève, secrétaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. présidence de m. fréteau de saint-just. Séance du samedi 12 décembre 1789 au matin (1). M. le vicomte de Beauharnais, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture des adresses suivantes : Délibération du conseil permanent de Saint-André-de-Valborgue en Gévennes, par laquelle il adhère, dans tout son contenu, à l’adresse du conseil permanent de Nîmes à l’Assemblée nationale, du 11 novembre dernier. Adresse de félicitations, remercîments et adhésion de la ville de Saiut-Flour en Auvergne; elle demande d’êire le chef-lieu d’un département. Adresse du même genre de la ville de Saint-Loup en Poitou; elle demande le quart du revenu des biens ecclésiastiques situés dans l’étendue de sa paroisse, pour être employé au soulagement des pauvres, et en outre la conservation de son hôpital et de sou école publique. Adresse de la milice nationale d’Amiens, du même genre; elle jure de verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour assurer le succès de l’heureuse révolution qui a changé la face de la France. Adresse de la ville d’Oloron eu Béarn, qui persiste dans son adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale, dans son abandon de ses droits et privilèges particuliers, et donne des pouvoirs généraux et illimités aux députés des communes de la province; elle demande une augmentation d’arrondissement pour sa justice royale. Adresse de la communauté de Bruges en Béarn, contenant une adhésion pure et simple à tous les décrets rendus et à rendre par l’Assemblée nationale. Les habitants consacrentencore, dans leur délibération, leur amour constant et leur fidélité inviolable envers notre auguste monarque. Adresse des religieuses de Tussori, ordre de Fontevrault en Poiiou, qui se font un devoir d’adhérer, avec soumission, à tous les decrets émanant de l’Assemblée national ■; mais,jusqnà ce que leur sort suit définitivement réglé, elles la supplient d’ordonner qu’elles ne soient pas troublées dans la jouissance de leurs revenus, et que leurs tenanciers suiemt obligés de leur payer les rentes échues et arréragées. Adresse des religieux bénédictins de l’abbaye de Saint-Micbel-en-l’Hermiie en Bas-Poitou, qui offrent à l’Assemblée nationale la jouissance de tons leurs biens, dont le revenu monte au moins à 60,000 livres, mais sous la condition de 1,800 livres à chacun des religieux, avec les meubles de sa chambre particulière, et en outre de l’habileté à posséder les bénéfices cures, et à remplir les chaires de l’enseignement public avec la moitié seulement des honoraires attachés auxdites places. Un de MM. les secrétaires lit le procès-verbal de la séance du jeudi soir, 10 de ce mois. On lit ensuite un extrait du procès-verbal delà bénédiction des drapeaux de la garde citoyenne et nationale de la ville de Tours : cet extrait porte qu’après la bénédiction, le colonel de la milice nationale, à la lête de son corps, a élé offrir au régiment d’Anjou, en garnison à Tours, e (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.