[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.) 877 décret seul de l’Assemblée nationale, revêtu de la sanction du roi, pour les dépenses générales. Art. 11. Les dotations, souscriptions, qui se feront à l’avenir au profit des pauvres, et qui ne contrarieront pas b s lois du royaume, seront suivies dans toute leur intention, pendant l’espace de cmquanie années, et toujours durant la vie des donateurs ou souscr pteurs. Le nom des souscripteurs ou donateurs sera gravé sur un des murs, dans le lieu le plus apparent du principal établissement. Art. 12. Après la révolution des cinquante années, ou après la mort des donateurs et fondateurs, s’ils vivent plus longtemps, les fonds des donations rentreront dans les mains de la nation : les immeubles seront aliénés, et les revenus qui eu résulteront, rentreront dans la masse destinée à l’assistance publique. Art. 13. L’administration des fonds des secours et établissements qui en dépendent appartiendra, comme toutes les autres, aux départements, et sera exercée par les districts, sous leur autorité. Art. 14. Il sera formé dans chaque département une agence, au conseil de secours, composée d’autres citoyens que les membres de ces assemblées, qui sera chargée parle département, et sous ses ordres, des soins et détails de l’administration générale. Art. 15. L’agence, au conseil des secours, sera, dans les départements, composée de quatre personnes » hoisies par les électeurs. Art. 16. Elle sera composée de deux seulement dans les districts, choisis de même. Art. 17. Indépendamment de ces agences, il sera formé un comité de surveillance pour le régime et la police intérieure de chacune des maisons de correction ou d’hospices. Ce comité, composé de quatre personnes, dont deux de l’agence du district, et doux domiciliés dans le canton, nommés par les électeurs, sera présidé par le juge de paix du canton ; de manière que, si, dans le même district, mais dans des cantons différents, il se trouvait deux établissements de cette espèce , les deux mêmes membres de l’agence du district seront du comité de surveillance pour les deux, tandis que ceux qui ne seraient pas de ceite agence, ne pourraient être attachés qu’à celui de leur canton. Art. 18. Les membres des agences de secours et des comités de surveillance ne recevront aucun traitement. Art. 19. Les assemblées de départements pourront déléguer aux municipalités l’administration et la surveillance des établissements compris dans leur ressort. Art. 20. Le roi nommera six commissaires, chargés de parcourir annuellement tous les départements, de visiter les divers hôpitaux, hospices, maisons de correction, d’examiner si les lois sont scrupuleusement observées pour la distribution des secours. Art. 21. Ces commissaires rendront compte au roi de l’état où ils auront trouvé les départements qu’ils auront parcourus, dans le rapport des secours, et ce compte sera rendu public tous les ans. Art. 22. En conséquence des dispositions précédentes, les biens dont les revenus sont aujourd’hui destinés à l’entretb n des hôpitaux, maisons de charité, les biens régis par les ordres hospitaliers, les fonds affrétés aux maladreries, et autres établissements du même genre, sous quelque dénomination que ce puisse être, sont déclarés biens nationaux, et toutes les dispositions des lois relatives auxdits biens, leur seront communes; la question sur les bi< ns assignés à l’ordre de Ma te demeurant ajournée. Art. 23. Sont pareillement comprises auxdites dispositions toutes fondations particulières d’hôpitaux o i de charité. Art. 24. A l’égard, néanmoins, de toutes fon-datons faites pour soulager certains cantons, certain nombre de communautés dans les campagnes, certains quartiers dans les villes, les parties intéressées présenteront leur mémoire aux assemblées de département, pour, sur leur avis, être statué définitivement parle Corps législatif. Art. 25. Les nouvelles dotations et souscriptions comprises dans l’article 9 seront administrées seulement d’après les intentions des donateurs et souscripteurs, sous la surveillance des districts et déparlements. Le compte détaillé de leur administration sera, ainsi que ceux de tous les établissements de secours, rendu public tous les ans. Art. 26. Les conditions pour être inscrit sur le rôle des secours seront : 1° d’être domicilié dans le canton; 2° de ne payer aucune imposition au-dessus du prix d’une journée d’ouvrier; 3° de n’être ni domestique, ni aux gages de qui que ce soit; 4° de faire constater son besoin réel des secours publics, par le serment de deux citoyens éligibles, domiciliés dans le canton. Art. 27. Les rôles de secours seront formés tous les ans par municipalités, et arrêtés par cantons, en présence des maire et procureur de la commune de chacune des municipalités réunies, p >ur les discuter contradictoirement. Ces listes seront adressées aux directoires et districts de départements, pour recevoir leur approbation. Art. 28. Il sera fait un second rôle, où seront inscrits ceux qui ne payent que de deux ou trois journées d’ouvriers; Ci ux-ci, dans des cas particuliers et accidentels, pourront avoir droit aux secours publics, en remplissant les autres conditions énoncées en l’article 25. Art. 29. Dans le cas où une famille, ou un individu, prétendant avoir droit d’être inscrit sur le rôle des pauvres, n’y seraient pas compris par la municipalité, ils pourront présenter leur réclamation au directoire du district, qui statuera sur le rapport de l’agence de secours, sauf l’appel au directoire du département. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 21 JANVIER 1791. Suite du rapport (1) fait au nom du comité de mendicité des visites faites dans les divers hôpitaux de Paris (2). Hôtel-Dieu de Paris. L’Hôtel-Dieu est le plus grand et le plus important de tous les établissements formés à Paris (1) Voyez la Ire partie de ce rapport, Archives parlementaires, tome XVII, page 111. (2) Ces visites ont été faites par MM. de Colbert-Seigneiay, évêque de Rodez, Guillotin, députés à l’As-semblee natiouale ; Thouret, agrégé au travail du comité; à celle de l’Môtel-üieu se sont trouvés aussi MM. Moulinot et Lambert, agrégés du même comité. 378 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.1 pour la réception et le traitement des pauvres malades. Cet hôpital, situé au centre de la ville, couvre une superficie de 3,600 toises carrées, ou de quatre arpents, mesure de Paris. Deux bâtiments construits, l’un sur la rive méridionale de la Seine, l'autre sur celle du nord, se communiquent entre eux par deux ponts, dont l’un, appelé I q pont Saint-Charles, et destiné uniquement à l’usage de THôtel-Dieu, est fort large; il a un côté couvert dans toute sa longueur, et un côté découvert; le premier sert à l’approvisionnement du bâtiment méridional et de passage au public ; le second est le seul promenoir qu’ait l’Hôtel-Dieu pour les hommes convalescents; il n’v en a pas pour les femmes qui sont relevées de maladie. L’autre pont, appelé le pont aux Doubles, parce qu’on n’y passe qu’en payant un double , est situé à la partie orientale de l’Hôtel-Dieu, entre la rue de la Bûcherie et le parvis Notre-Dame. Les seules personnes à pied y passent, et cela pendant le jour. Sur un côté de ce pont, et dans toute sa longueur, on a élevé un assez beau bâtiment qui contient plusieurs salles, lesquelles établissent aussi une communication entre les deux bâtiments de l’une et l’autre rive. Le bâtiment méridional est élevé de quatre étages, entouré de petites rues et de vieilles maisons; il occupe un espace de 970 mètres carrés; plusieurs escaliers conduisent aux différentes salles, mais ils sont étroits et insuffisants pour le service. Plusieurs des salles de ce bâtiment méridional sont adossées les unes aux autres; elles sont trop basses, mal aérées et exposées, presque toutes, au bruit perpétuel d’un passage très fréquenté. Le bâtiment construit sur la rive du nord, a moins d’élévation que celui de la partie méridionale; les salles y sont mieux disposées, reçoivent un meilleur air et en plus grande quantité. Les bâtiments élevés sur le pont Saint-Charles et sur le pont aux Doubles, procurent sans doute plusieurs avantages à l’Hôtel-Dieu ; mais on pense généralement qu’ils nuisent à la salubrité de l’air, dont ils interceptent le courant. Dans l’un et l’autre bâtiment on trouve plusieurs grands souterrains qui communiquent immédiatement avec la rivière ; c’est là qu’on a placé les cuisines, les buanderies, les bûchers, les étuves à sécher; les greniers, la tuerie des gros bestiaux, la fonderie des suifs, la chaudronnerie, les magasins de charbon, d’huiles, d’eaux-de-vie; enfin tous les lieux et toutes les matières nécessaires pour le service de cet immense établissement. Ces souterrains sont immédiatement au-dessous des salles des malades, et l’on ne doute pas que cette proximité ne leur soit nuisible et n’in-llue sur l’insalubrité de l’atmosphère qui les enveloppe. Elle a un inconvénient non moins frappant : c’est le danger du feu, auquel expose continuellement la quantité immense de matières combustibles et inflammables dont les souterrains sont remplis. Que d’accidents en effet à craindre au milieu de tant d’objets accumulés dans un espace si resserré 1 c’est d’une fonderie que partit, en 1772, le feu qui réduisit en cendres une grande partie du bâtiment septentrional. Si l’incendie éclatait dans le bâtiment méridional, on ne voit pas comment il serait possible de sauver un seul des malades qui en occupent les parties élevées, vu le petit nombre d’issues, leur étroitesse et les embarras multipliés qui en gênent le service. L’Hôtel-Dieu contient vingt-cinq salles pour les malades; douze sont destinés aux hommes ; il y en a treize pour les femmes. Ces salles sont garnies de 1877 lits, grands, petits ou moyens. Les grands contiennent quatre et quelquefois jusqu’à six et huit malades à la fois. Chacun des petits lits n’est occupé que par une seule personne; les lits moyens sont partagés en deux par une cloison de planches, et reçoivent deux malades couchés ainsi séparément. La position de l’Hôtel-Dieu, T'espace resserré qu’il occupe, la hauteur et la disposition de ses bâtiments et les inconvénients immenses qui en sont la suite, ont toujours été un objet de pitié, de censure et de réclamation pour tous les bons citoyens qui s’en téressen tau sort des pauvres. Le gouvernement s’est occupé, à plusieurs reprises, des moyens de remédier aux maux infinis qu’entraîne un établissement ainsi disposé. Divers projets ont été agités, celui surtout de diviser THôtel-Dieu en plusieurs hôpitaux placés dans les divers quartiers de la capitale; mais de toutes ces discussions il n’a jusqu’à présent résulté qu’une preuve de bonnes volontés et d’intentions bienfaisantes, mais peu efficaces. On s’est borné à quelques additions que Ton a faites au bâtiment du nord et à quelques améliorations dans celui du côté méridional. C’est aux régénérateurs de la France et la nouvelle administration municipale de Paris qu’est réservée sans doute la gloire d’effectuer des projets dont tant d’intérêts sollicitent l’accomplissement. L’Hôtel-Dieu est toujours ouvert à tous ceux qui veulent y avoir recours. Tout malade attaqué d’un mal curable, quel que soit son pays, son âge, sa religion, peut s’y présenter; la maladie est le seul titre dont on ait besoin pour y être reçu; il faut en excepter la gale quand elle n’est pas jointe à une autre maladie, et les maux vénériens que Ton ne traite pas dans cette maison. Mais les établissements de Bicêtre et de Saint-Louis y suppléent pour le traitement de ces maladies, ainsi que pour celui de plusieurs autres maux regardés comme contagieux. La maison de Saint-Louis est une dépendance de l’Hôtel-Dieu. Les malades ne sont reçus à l’Hôtel-Dieu qu’après avoir été visités, les hommes par un chirurgien, les femmes par une personne de leur sexe, appelée visiteuse. Ceux que Ton a admis sont aussitôt inscrit dans un registre où Ton marque leurs noms de baptême, de famille, le lieude leur naissance, leur domicile habituel etle diocèse auquel ils appartiennent. Ce qui est marqué sur le registre est aussitôt transcrit sur une petite bande de parchemin que Ton attache au bras du malade, et sur laquelle est aussitôt mentionné, la date de l’entrée et la feuille du registre où le nom est écrit. Si le malade vient à mourir, le billet de parchemin est rapporté au bureau d’entrée, et la mort est écrite en marge du registre à côté du nom. On observe comme un défaut essentiel, que ce registre ne contient aucune colonne pour indiquer la sortie de ceux qui ont été traités dans la maison ou à ses frais. Par c.dte omission, il devient impossible de voir d’un coup d’œil le nombre des journées de chaque malade, et d’apprécier la dépense qu’il a pu coûter. C’est un véritable abus qu’il faut se hâter de corriger ; il a les plus fâcheuses conséquences pour l’économie et le bon ordre. Les malades admis, enregistrés et reçus sont 379 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791. J sur-le-champ distribués dans les salles destinées au genre de maladie dont ils sont attaqués. Ici se présente une observation importante. Sur les vingt-cinq salles de l’Hôtel-Dieu, on n’en trouve qu’une seule qui soit destinée aux maladies contagieuses, c’est la salle des variolés; mais la petite vérole n’est pas la seule maladie qui porte la contagion; la gale, les fièvres malignes, la fièvre de prison, certaines dyssenteries et une infinité d’autres maux, se communiquent, et devraient être traités à part. À l’Eôtel-Dieu tous les malades sont mêlés ensemble dans les diverses salles qui n’ont pas une destination particulière et déterminée; les galeux même y sont reçus lorsque cette maladie se joint à une autre dans le même individu. Combien ne résulte-t-il pas de maux cruels et funestes de ce mélange 1 surtout si l’on considère la réunion des malades dans les mêmes lits, respirant de si près le même air, et s’infectant mutuellement par leur dangereux contact 1 Le nombre des malades reçus, et existants habituellement à l’Hôtel-Dieu, sans compter ceux de Saint-Louis, est de 2,200 ou 2,300. Plus de 700 personnes sont employées à leur service, parmi lesquelles 72 religieuses hospitalières, professes ou novices, 155 domestiques à gages, 20 filles de la chambre, appelées aussi Filles brunes , à cause de la couleur de leur habillement; plus de 200 convalescents sans gages, qui restent dans la maison en attendant le retour de leurs forces, et font les services les plus bas des salles. Les officiers de la maison sont une communauté de 24 prêtres, les médecins, les chirurgiens, apothicaires et autres employés de toute espèce qui servent l’Hôtel-Dieu et 'ont des appointements fixes. L’administration spirituelle a été jusqu’à présent sous l’inspection immédiate du doyen et du chapitre de Notre-Dame de Paris. Le gouvernement temporel a été jusqu’à présent confié à un bureau de direction, composé de M. l’archevêque de Paris, des premiers magistrats et de plusieurs notables bourgeois, lesquels se partageaient entre eux les divers départements de l’administration extérieure et intérieure de ce grand établissement, et remplissaient leurs importantes fonctions, sans autre intérêt que celui du bien public. Les religieuses hospitalières, cloîtrées, qui servent à l’Hôtel-Dieu, suivent la règle de Saint-Augustin ; elles font les trois vœux de la religion, et un quatrième de se consacrer pour toujours, et dans la clôture, au soin des malades. Elles ont la direction de toutes les salles, et sont chargées de presque tous les départements de l’intérieur, elles président au traitement des malades, à l’administration des remèdes et à la distribution des aliments. Tous les domestiques de la maison leur sont subordonnés; elles sont maîtresses absolues de la police des salles, sous la direction néanmoins du bureau d’administration et la conduite des médecins. Elles sont sans doute respectables par leur zèle, leur pitié et leurs soins assidus auprès des malades. Nous aimons à répéter le témoignage que leur rendent tous les jours ceux qui éprouvent les effets de leur charité ; mais quelque mérite que puisse être cet éloge, nous ne pouvons pas uous dispenser d’y mêler quelques observations, d’après des faits récents et bien avérés. Les administrateurs, sur l’avis des officiers de sauté, ayant formé le projet d’introduire dans l’Hôtel-Oieu plusieurs réformes salutaires, particulièrement dans le service des salles, pour lu distribution des remèdes et des aliments, et de rétablir dans toutes les parties un système régulier de manutention et de discipline, ont rencontré différents obstacles à des vues aussi larges et aussi justes : l’opposition des religieuses a été la première et la plus forte; elle a éclaté avec scandale, et les tribunaux ont plus d’une fois retenti de ces fâcheuses discussions : il en a résulté une espèce de guerre intestine qui a banni de ce séjour la soumission et la paix qui sont si désirables dans la conduite d’un établissement aussi important. Nous ne pouvons donc pas nous empêcher de croire que c’est principalement à l’empire qu’exercent les religieuses dans l’Hôtel-Dieu, et à leur résistance à toute autorité, que l’on doit attribuer la perpétuité de plusieurs abus, et de très grands inconvénients dont nous n’hésitons pas de dénoncer ici les fâcheux effets. Nous convenons, à la vérité, que le premier et principal vice de cet hôpital vient de l’emplacement qu’il occupe, du peu d’étendue de sou local, de l’élévation excessive de ses bâtiments, de la multiplicité prodigieuse des objets que l’on trouve accumulés dans un espace si resserré, de la forme, de la dimension des salles, ainsi que de toutes les autres dispositions dont nous avons fait mention ci-dessus : mais il nous paraît en même temps évident que tout ce qui se passe dans l’intérieur de la maison est une source féconde de maux; un des principaux provient de la quantité immense de pauvres que l’on réunit dans le même lieu pour les traiter dans leurs maladies ; ia seule salle, appelée de Saint-Charles, et celle de Saint-Antoine, que l’on doit regarder comme formant un même ensemble, renferment plus de malades qu’aucun des plus grands hôpitaux du royaume, si nous en exceptons celui de Lyon. Dans ces deux salles, ainsi que dans presque toutes les autres de l’Hôtel-Dieu, chaque individu n’a qu’une toise et demie, et au plus deux toises cubes d’air libre à respirer ; tandis que, d’après les observations des plus habiles médecins, un malade a le besoin indispensable d’une quantité d’air trois fois plus forte, pour que l’atmosphère qui l’enveloppe ne lui devienne pas toujours dangereuse et souvent funeste. Mais lorsque dans des lieux aussi étroits et déjà infects par le nombre immense de leurs habitants, l’on voit des malades entassés dans un même lit ; lorsque des corps attaqués de maux ou de même genre ou de nature différente, très souvent contagieux et toujours d’un dégoût insupportable, sont rapprochés les uns des autres sous les mômes couvertures, s’agitant, s’échauffant mutuellement, tourmenlés et de leurs propres maux et des plaintes douloureuses de leurs tristes compagnons, quelle âme ne serait pas touchée et ne frémirait pas d’un pareil spectacle ? Faut-il s’étonner que l’établissement qui renferme de tels objets soit si décrié par le traitement que l’on y reçoit et par la mortalité qui y règne ? Cet entassement des corps dans un même lit est surtout pernicieux dans les cas de fièvres malignes, de dyssenterie, de petite vérole, de rougeole, de gale et d’autres maux contagieux ; il l’est particulièrement aux femmes enceintes et aux accouchées ; il n’en faut pas d’autres preuves que les effets constamment observés à l’Hôtel-Dieu, lorsqu’on les compare avec ceux que présentent les autres hôpitaux connus, soit dans le royaume, soit dans les pays étrangers. Les calculs les plus exacts, d’après une longue suite d’observations faites avec soin, prouvent que dans les autres hôpitaux la mortalité commune n’excède jamais 380 lAssemblée nationale J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 179 1.) le sixième des malades reçus ; dans la plupart elle est d’nn septième, dansplusieursd’un dixième; mais à l’Hôtel Dieu, elle n’est jamais inférieure au cinquième du nombre de? malades, et le plus souvent elle est d’un quart ou d’un quart et demi. Sur le nombre des femmes accouchées, il meurt dans les autres hôpitaux à peu près le cinnuante-cmquièmetà PHôtel-Dieuil en périt 1 sur 13. Plusieurs opérations chu urgicales y sont si redoutables qu’on en revient difficilement ; celle du trépan, dont le succès partout ailleurs est si commun, est presque toujours funeste à l’Hôtel-Dieu ; il est peu d’exemples qui n’attestent que cette opération y a été constamment suivie de la mort. Le nombre des enfants nés morts n’est, dans un autre hôpital, connu au d elà d’un dix-huitième, il est ici del sur 13. L’Hôtel-Dieu envoie à l’hôpital des enfants trouves, tous les ans environ 1,300 à 1,400 enfants au-dessous d’un an ; il en périt dans une proportion infiniment plusforte que de ceux qui viennent de la province, et même des autres endroits de la ville de Paris. Un grand nombre des sujets venus de l’Hôtel-Dieu sont attaqués d’une maladie presque toujours mortelle, le muguet ; on l’attribue principalement à l’élément corrompu où ces enfants sont venus au monde. Nous ne présentons ici qu’une légère esquisse des maux inséparables de l’état actuel de l’Hôtel-Dieu de Paris; ils sont l’effet certain du trop grand nombre d’individus accumulés dans un hôpital si considérable et en même temps si resserré. Gt s maux ne peuvent cesser que par la division de cet établissement en plusieurs parties séparées, par la formation d’hospices, d’infirmeries ou d’autres hôpitaux répandus dans les divers quartiers de la capitale, et surtout par le traitement à domicile, qui est préférable à tous les autres, lorsque des raisons particulières ne s’opposent pas à ce parti salutaire. Si l’on fore e de nouveaux hôpitaux, il sera essentiel de déterminer le nombre des malades qu’il sera permis d’y recevoir; il sera essentiel de séparer les maux contagieux de ceux dont le voisinage n’est pas à craindre; il sera essentiel auedans tout hospice, inttrmerieet hôpital, chaque malade ait au moins six toises cubes d’air libre à respirer, et il faut bannir à jamais l’usage homicide de réunir plusieurs malades dans un même lit; il sera enfin essentiel d’établir dans les nouveaux hôpitaux un autre ordre, une autre manutention que ceux qui existent actuellement à I Hôtel-Dieu . Nous avons tracé quelques-uns des maux qui lègnent dans cet hôpital, nous croyons en avoir indiqué les principales causes; tout ce qui s’y passe nous confirme de plus en plus dans l’opinion qu’un grand changement y est nécessaire. Les médecins font tous les jours la visite des lits, ils sont accompagnés des autres officiers de santé et ils rendent leurs ordonnance-! ; mais en vain en espérerait-on l’exécution, si les religieuses qui président aux salles, sont d’un avis opposé à celui du médecin. Il s’établit ainsi une lutte odieuse entre ces deux autorités, et les malades ne sont que trop souvent les victimes de cette mésintelligence. Parmi ceux que l’on traffe à l’Hôiel-Dieu, il en esL un grand nombre à la diète; c’est cependant un fait avé'é que tous les jours le nombre des portions entières préparées dans les cuisines, est égal au nombre d’individus qui se trouvent réellement dans l’hôpital. L’usage de nourrir ainsi et si mal à propos les malades est souvent suivi des plus funestes effets il en résulte pour l’hôpital un gaspillage intolérable dans la dépense. La consommation, se faisant arbitraireme tt et sans mesure, devient immense, et la comptabilité ne peut plus remédier à rien, parce que, dans un pareil état des choses elle ne porte sur aucune base certaine; mais deux choses sont évidentes : la première, que les malades de l’Hôtel-Dieu sont toujours exposés à un grand danger par le traitement même qu’ils reçoivent, si les ordonnances des médecins ne sont pas exactement observées; la seconde, que la déprédation et le gaspillage continueront de déranger les affaires de cet hôpital, tant que l’ordonnance du médecin ne sera pas l’unique règle de la distribution des remèdes et des aliments, et tant qu’on allouera, dans la reddition des comptes, des articles de dépenses faites pour les malade-, qui ne seront pas justifiées par des feuilles du jour, régulièrement dressées, d’après la vi-ite des lits, et signées exactement par celui qui seul est compétent pour ordonner, à l’exemple des hôpitaux militaires, où l’ordre est si essentiel et où l’intérêt des directeurs répond de l’économie scrupuleuse qui y règne. Si les pauvres de l’Hôtel-Dieu qui ont subi toutes ces épreuves, échappent à la maladie, de nouveaux dangers, les attendent à la convalescence, et de nouvelles dissipations se préparent alo'sdan� les revenus de l’hôpital. On ne sépare pas les convalescents des malades, on ne redouble pas de soins et de ménagements pour hâter leur entier rétablissement et leur sortie; mais ils restent toujours confondus dans les salles avec les malades et les mourants, ils se couchent avec eux dans les mêmes lits, ils continuent d’essuyer les mêmes dégoûts, les mêmes communications contagieuses. Il est arrivé souvent que ceux qui occupent ces lits y changent de place, et que ce changement les expose à un véritable danger et à des méprises funestes. Il arrive qu’un convalescent qui n’a besoin que de restaurants, est quelquefois saigné ou purgé au lieu d’un malade, lequel à son tour prend le repos du convalescent; l’un meurt d’indigestion, l’autre dun remède administré par cette déplorable erreur. Ce ne sont pas des suppositions hasardées que nous faisons ici, mais une observation importante, et justifiée par des faits. Si les convalescents se lèvent pour changer d’air, ils n’ont pour se pro mener que la partie découverte du pont Saint-Charles; au-dessus de ce pont on trouve des éiemioirs où l’on expose à l’air les draps mouillés de l’Hôtel-Dieu; l’humidité que ces étendoirs répandent fait souvent les plus fâcheuses impressions sur les convalescents, dont les corps exténués et affaiblis par de longues souffrances, sont affectés par la moindre altération dans l’atmosphère qui les enveloppe. Ces mêmes convalescents, lorsqu’ils se promènent ainsi, même dans les saisons les plus rudes, ont les jambes nues, car l’hôpital ne leur fournit point de bas, et leurs pieds ne sont garantis que par des sandales légères qui s’attachent avec une simple courroie. Vainement ils redemanderaient les bas et les vêtements qu’ils avaient en entrant à l’Hôtel-Dieu, tous ces objets sont gardés en magasin, et il est de règle et d’usage de les y laisser tant que les malades restent dans la maison. Ges promenades pernicieuses prolongent la convalescence, occasionnent des rechutes, et multiplient à l’infiui le nombre des journées. On 381 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] compte habituellement dans la maison environ huit cents convalescents; leur intérêt et celui de l’Hôtel-Dieu se réunissent et exigent qu’ils sortent aussitôt que leurs forces le leur permettront; ils respireront dehors un meilleur air, et l’adrni-nislratiun ne sera pas dans le cas de faire une dépense en pure perte, en nourrissant et en soignant plus longtemps qu’il n’est nécessaire, des hommes qui ne cherch mt qu’à prolonger leur séjuur pour rester oisifs, et à abuser d’une fausse commisération qu’ils s'efforcent d’inspirer pour se dispenser de reprendre le travail. C’est donc encourager la paresse que de traiter ainsi les convalescents, et rien ne prouve mieux les abus et les vices de l’administration que cette énorme multitude de gens déjà rétablis, qui persistent à vouloir rester dans la maison et y restent en effet, malgré les administrateurs. Lorsq .Ym entre dans tous ces détails, on n’est plus étonné de voir que l s revenus de cet établissement, quelques cou.-idérables qu’ils soient, ne sutfisent cependant pas à �s charges: les revenus de l’Hôtel-Dieu montent à plus de treize cent mille livres, et proviennent de biens-fonds, de maisons, de rentes et de secours publics; ceux-ci, à la vérité, ont éprouvé une diminution depuis les nouveaux changements arrivés dans les droits d’entrée de Paris; mais nous ne doutons pas que la nation ne remplace ce déficit de quelque autre manière en faveur des pauvres. La comparaison que n >us avons laite du nombre des journées des malades avec, le montant des revenus, a donné pour ré-uttat que dans l’étal actuel ctiaque malade coûte 29 à 30 sous par jour, et nous ne faisons pas entrer dans ce calcul Tinté; êi que représentent et l’emplacement et la construction de cet hôpital et son premier ameublement; nous n’y comprenons pas non plus les terrains occupes par les autres établissements qui appartiennent à l’Hôtel-Dnu, les frais dépensés également pour leur construction et leur arrangement intérieur. L’intérêt de ces sommes, s’il était compté, serait très considérable, et augmenterait notablement dans notre calcul le prix de la journée des malades reçus et traités dans cet hôpital. Telle est l’idée que nous nous sommes formée de l’Hôtel-Dieu de Paris, après l’avoir parcouru et examiné avec attention ; tel nous a paru son état actuel et la situation des malades qu’il renferme. Nous devons rendre justice aux adminis-trateors qui fout tout ce qui est en leur pouvoir pour repondre à la confia ce publique; mais il leur est impossible de remplir l’oujet de cette immense fondation, tant qu’elie occupera l’emplacement actuel, et qu’elle recevra dans un même lieu le même nombre d’individus qui sont à sa charge. Ces abus sont infinis, et perpétuent de grands maux dans la capitule; il est cependant indubitable que cet établissement est nécessaire jusqu’à ce qu’on ait pourvu d’une autre manière au secours de ceux qui sont dans le cas d’y avoir recours ; mais tous 1< s bons citoyens doiveut soupirer après cette réforme ; il faut qu’elle soit prochaine; elle est indispensable; car l’existence mè ne de i’Hôtel-Dieu, tel qu’il est dans sou emplacement actuel, est le premier de ses abus ; il faut d’autres ressources dans cette capiiale à l’homanité souffrante ; le comité proposera celles qu’il croit les pius efficaces et les plus iuf 1 1 li b les pour remplir promptement les vues bienfaisantes de l’Asseinblee nationale. Hôpital Saint-Louis. L’hôpital Saint-Louis est, comme nous l’avons observé, une dépendance de l’Hôtel-Dieu : il a été bâti et fondé par Henri IV, pour la réception et le traitement des malades attaqués de maux contagieux. Les bâtiments en sont fort beaux et très spacieux : ils forment deux grands carrés concentriques: celui de l'intérieur est divisé en plusieurs salles, dont quatre fort vastes, élevées et bien aérées reçoivent la plus grande partie des malades qui sont envoyés à cet hôpital, on en traite le reste dans les salles du rez-de chaussée, quoiqu’elles soient trop trop basses, humides et mal aérées. Le carré extérieur contient les logements des gens employés au service de l’hôpital, l’apothi-cairerie et toutes les autres choses nécessaires à l’hôpital. Cet etablissement confient habituellement 6 ou 700 malades attaqués de maux contagieux ou de maladie dégoûtantes, qu’il est indispensable de séquestrer et de traiter à part, quoiqu’ lie ne soient pas contagieuses ; tels eont les cancers, les plaies provenant d’un sang vicié, scrofuleux ou appauvri, le scorbut, etc., etc. 158 personnes desservent cette maison; médecins, chirurgiens, infirmiers, domestiques, officiers el tiens à gages, et plusieurs religieuses hospit uières de l’Hôte i-Dieu, envoyées à Saint-Louis pour conduire Cet hôpital. Tout ce qui se consomme ici est fourni par l’Hôtel-Dieu ou à ses frais : ceux qui y servent les malams en viennent également. L’on trouve autour de l’bô dtal Saint-Louis des potagers immen-es, et, dans les deux enceintes des bâtiments, des cours très vastes, et toutes les commodités que l’on peut désirer pour le service et pour faire prendre l’air aux malades. Le service se fait à Saint-Louis comine àl’Hôtel-Dieu, et l’ou y trouve à peu près les mêmes abus : plusieurs malades y sout couchés ensemble dans le mê ne ht, quoiq l’ils soient attaqués de maux contagieux et des maladies les plus dégoûtantes. Lorsque nous y avons demandé l’état de la mortalité, l’on nous a renvoyés aux registres de THôtel-Dieu; ainsi nous n’avons pu en avoir une idée bien exac e; mais nous sommes persuades qu’elle est intérieure à celle qui règne à f’Hôtei-lheu. Si le plan de diviser ce dernier établissement s’exécute et si l’on convertit ce grand ensemble en plusieurs hôpitaux, hospices, infirmeries ou traitements répandus proportionnellement dans les divers quartiers de Paris, il sera facile de tirer le plus grand parti de l’emplacement et des bâ-timeuts de Saint-Louis; mais il sera nécessaire d’y procurer de meilleures eaux que celles que l’on y trouve à présent. Nous regardons cet hôpital comme un objet du plus grand intérêt, sous tous les rapports. C’est i’asile u’une multitude de malheureux attaqués de maux graves qu’envoient, pour y être soignés, THôtel-üieu, Bicètre et la Salpêtrière. C’est en même temps une grande décharge pour ces lieux infects et un moyen qu'il est tacile d’empl >yer avec succès et d étendre avec avautage pour le bien de l’humanité. Hôpital Sainte-Anne. L’hôpital de Sainte-Anne, fondé par Anne d’Au- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.J 3g2 [Assemblée nationale.] triche, reine de France, avait la même destination que celui de Saint-Louis; c’était de recevoir pour y être soignés les malades attaqués de maux contagieux. 11 est situé sur la rivière de Bièvre, qui se jette dans la Seine au-dessus de Paris. Cet établissement n’a jamais été achevé, et l’on en a rarement fait usage pour l’objet de la fondation. Le local pouvait contenir un hôpital considérable et devenir une ressource importante pour le soulagement des malades de la partie méridionale de Paris; mais l’on a détruit en dernier lieu tous les bâtiments, et à peine en reste-t-il assez aujourd’hui pour y loger un fermier. L’hôpital Sainte-Anne dépend, ainsi que celui de Saint-Louis, de l’Hôtel-Dieu; mais pour pouvoir en tirer parti, il faudrait le rebâtir à neuf, ce qui serait une immense entreprise. On peut se rappeler à cet égard ce qui s’est passé en 1788. Le gouvernement, ayant pris une dernière résolution de diviser l’Hôtel-Dieu en plusieurs établissements partiels, ouvrit alors une souscription pour fournir à une partie de la dépense de ce grand et important projet; cette souscription produisit des soumissions pour une somme de 2,200,000 livres, dont une partie a déjà été réalisée. Le gouvernement établit aussi une loterie, calculée pour rendre un bénéfice de 1,200,000 livres au profit de l’Hôtel-Dieu ; mais, pressé dans le temps par le besoin d’argent, il consomma les fonds et de la souscription et de la loterie, et ces objets réunis font aujourd’hui un article de la dette exigible. Hôpital des Incurables. La dame Le Bret, l’abbé Jean Joullet de Châ-tillon et un illustre cardinal de la maison de la Rochefoucauld furent les premiers fondateurs de l’hôpital des Incurables. Touchés du sort d’un grand nombre d’infortunés qui joignaient à une extrême misère le malheur d’être atteints de maux irrémédiables, ces bienfaiteurs de l’humanité résolurent d’ouvrir un asile à cette espèce de pauvres et fondèrent pour eux l’établissement dont il est ici question. L’objet qu’ils eurent en vue est exprimé dans les titres de l’œuvre qu’ils ont fondée : ce lut de secourir et de soulager ceux des pauvres malades qui seraient attaqués de maux invétérés, dont il ne leur resterait aucun espoir d’être radicalement guéris; mais ils exclurent de cet asile les personnes attaquées de maux contagieux, ainsi que les fous, les épileptiques et les autres infirmes, qu’il est nécessaire de séquestrer et de traiter clans des lieux séparés. On fit des règlements adaptés à ces intentions; et c’est d’après ces principes que les administrateurs doivent gouverner l’hôpital des incurables ; les règlements spécifient dans une longue énumération, les maux pour lesquels on peut être admis dans la maison, et ceux qui doivent servir de motifs d’exclusion ; ils ajoutent qu’aucun malade n’y peut être reçu, s’il n’est âgé de plus de vingt ans, s’il n’est dépourvu de rentes, de revenus et de toute espèce de biens de la fortune, ainsi que de la possibilité de gagner sa vie par le travail ; enfin ils exigent qu’il présente un certificat de bonne conduite, de catholicité et d’admission aux sacrements de l’église. Tel est le genre de secours que voulurent préparer aux pauvres ces illustres fondateurs: leur exemple fut imité dans la suite par un grand nombre de personnes charitables, qui augmentèrent considérablement par leurs dons ce pieux établissement. Ces accroissements successifs en ont porté les revenus à une somme de près de 400,000 livres, sans y comprendre l’intérêt des capitaux que représente un emplacement immense, et la construction de bâtiments très considérables et très solides. Dans la vaste enceinte qu’occupe cet hôpital, on trouve plusieurs cours séparées, qui se communiquent entre elles, et un promenoir spacieux, planté d’arbres, qui est d’une grande ressource pour les infirmiers. Les bâtiments principaux sont deux grands corps de logis, séparés par une église assez vaste et ouverte au public : l’un de ces bâtiments est destiné aux hommes, l’autre est pour les femmes incurables. Le logement des sœurs grises qui desservent la maison est à part et tient au quartier des femmes; il est commode et suffisant pour l’usage auquel il est destiné; presque tous les départements, mais plus particulièrement ceux au bois, au charbon, la cuisine, la boulangerie, sont séparés les uns des autres, ainsi que des bâtiments principaux, pour éviter les dangers du feu. Chaque bâtiment a sa lingerie particulière : celle des femmes est remarquable par l’abondance, l’ordre et la propreté qui y régnent. La maison n’a pour son usage qu’environ cinq pouces d’eau que lui fournissent les fontaines de la Charité et du Luxembourg ; ces eaux se rassemblent dans deux réservoirs trop peu élevés pour que la distribution s’en fasse aussi bien qu’on le désirerait. L’on a arrangé dans la maison plusieurs appartements commodes, loués chèrement à des particuliers de l’un et de l’autre sexe; le prix de ces loyers est un article intéressant de revenu. Dans les deux principaux bâtiments on trouve plusieurs salles disposées en croix : celles du rez-de-chaussée sont grandes, élevées et très bien aérées; mais on leur reproche l’inconvénient d’être trop froides en hiver pour des vieillards et des infirmes; les salles placées au-dessus des premières ont moins d’élévation, moins d’air; mais elles ont l’avantage d’être plus facilement chauffées, et plus commodes à habiter dans les temps froids et humides. Ces salles contiennent 446 incurables; savoir : 199 hommes et 247 femmes : elles sont divisées en plusieurs compartiments, dont chacun renferme un lit, une table, une chaise, un réchaud et quelques autres meubles nécessaires à une personne, c’est dans ces compartiments qu’habitent les incurables, reçus à cet hôpital, chacun d’eux seul, à côté de son voisin, mais séparé de lui par un rideau qui leur tient lieu de cloison. Tous les jours, matin et soir, on leur porte leur portion de pain, de vin et de viande : le linge et l’habillement leur sont aussi fournis, ainsi que tous les secours temporels et spirituels qu’exige leur état : ils sont de leur côté astreints à une règle qui leur impose l’obligation de s’occuper d’un léger travail pour l’utilité de la maison : le refus de s’y soumettre serait regardé comme une rébellion, et pourrait être puni par l’exclusion. L’hôpital des Incurables est desservi par 74 employés, savoir : par 4 prêtres, 4 officiers, 43 sœurs de la congrégation de Saint-Vincent de Paul, et 22 domestiques à gages fixes. Un ancien usage, que l’on a toujours regardé comme un abus, a aussi introduit dans le service des salles, plusieurs femmes étrangères à la maison, et con- 383 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] nues sous le nom de commissionnaires , lesquelles, sans aucune mission ne ta part des administrateurs, remplissent diverses fondions, où leur ministère, loin d’être nécessaire, est au contraire nuisible, incommode et embarrassant pour le service; c’est d’ailleurs une source féconde de tracasserie, de gaspillage, de petits désordres et d'une multitude d’inconvénients contre lesquels l’administration a constamment et] jusqu’à présent inutilement cherché à se défendre. Nous avons dit que les revenus de cet établissement montaient à près de 400,000 livres : les calculs les plus modérés les portent, année commune, à 336,000. Le nombre des] journées, en supposant les 446 lits toujours occupés, est de 162,790 par an : ainsi, en appréciant la dépense totale par le nombre de ceux auxquels cet œuvre est destinée, il se trouve que chaque incurable coûte près de 42 sous par jour, sans comprendre dans cette appréciation le prix de remplacement des bâtiments et de l’ameublement, tous objets dignes d être considérés, et d’entrer en ligne de compte. Les mêmes personnes qui gouvernent l’Hôtel-Dieu sont aussi chargées de l’administration des incurables; mais sans confusion de menses, chacune d’elles ayant sa destination distincte et particulière. Les places dans cette maison sont possédées par ceux que les fondateurs ou leurs représentants nomment pour les remplir. On peut devenir fondateur d’une place moyennant la somme de 10,500 livres une fois payée. Ceux qui se présentent en vertu d’une nomination ne sont admis aux salies qu’après avoir été visités et examinés par les médecins et chirurgiens de la maison, dont le rapport décide de l’admission ou de la rejection du présenté. La mortalité dans cette maison est de 40 personnes décédées par an sur la totalité de toutes celles qui y habitent, c’est-à-dire sur le nombre de 528; c’est dans la proportion d’un à 13. Mais il faut observer que ces 520 personnes ne sont pas toutes des malades; les unes sont en pleine santé, les autres en état de maladie, et le reste doit être regardé comme étant daus un état moyen entre la santé et la maladie. Nous ne connaissons aucun établissement public sur l’administration duquel on élève plus de réclamations et de plaintes, que sur celle de l’hôpital des Incurables ; soit que ces reproches aient des motifs réels, soit qu’ou doive en attribuer une grande partie à une espèce d’inquiétude et de mauvaise humeur, que l’on peut assez naturellement supposer dans des individus qui souffrent et qui s’ennuient parce qu’ils s’occupent trop peu pour se distraire. Ils se plaignent surtout de la parcimonie avec laquelle on les traite, tant pour les aliments que pour tous les autres objets de nécessité ou d’agrément : ils sont également mécontents du service des sœurs et des domestiques attachés à la maison; ils accusent les premières de dureté et de despotisme, les seconds de négligence et de mauvaise volonté. La rareté des visites des médecins et des administrateurs est un autre grief sur lequel ils insistent, et à cet égard ils invoquent les règlements de la maison, qui portent, en termes exprès, que les médecins viendront souvent pour soigner les malades, et que les administrateurs paraîtront pour corriger les abus, s’opposer aux irrégularités et améliorer le sort des pauvres, dont le soin leur est confié : ils ajoutent que ces mêmes administrateurs agissent perpétuellement en contravention aux titres de la fondation, en recevant dans la maison des infirmes, qui ne doivent pas y être admis, ou parce que la nature de leurs infirmités a dû les exclure, ou parce qu’ils sont en état de gagner leur vie par le travail, ou enfin parce qu’ils ont d’ailleurs des ressources suffisantes de fortune. — Nous n’avons pas eu le temps d’approfondir ces divers objets de réclamations que nous croyons exagérés; cependant il nous a paru résulter de tout ce que nous avons vu et entendu relativement à l’hôpital des Incurables, que l’administration y est fort loin de la perfection, dont elle serait susceptible, et nous aurions désiré que l’on eût maintenu dans cet établissement plus d’ordre, d’économie et d’exactitude aux règlements qui doivent le diriger. Nous avons observé avec quelque peine que, de tous les incurables qui vivent aux dépens de la fondation, aucun ne nous a paru content de sa position. Ne serait-il pas possible de tirer un meilleur parti de cet établissement, pour le soulagement, et même pour le bonheur d’un beaucoup plus grand nombre d’individus? Si l’on supprimait entièrement une maison qui n’est point nécessaire pour l’objet que les fondateurs ont eu réellement en vue ; si l’on séparait des individus qui n’ont jamais pu être heureux dans leur commune habitation; si l’on aliénait l’emplacement, les bâtiments, etc., on épargnerait des frais immenses de réparations, d’entretien et d’employés; on tirerait une somme très considérable de la vente des objets, et nous n’hésitons pas de croire que par ce moyen il serait facile de porter les revenus de l’établissement au delà de 450,000 livres. On distribuerait cette somme en pensions anuuelles à des pauvres qui seraient dans le cas de participer au bienfait de la fondation : on leur fournirait à domicile de quoi subvenir à leurs besoins, de quoi soigner leurs intirmités au milieu de leurs parents, de leurs voisins, de leurs amis. On graduerait les secours suivant les besoins et les circonstances, et aucune partie de cette importante dotation ne serait employée que pour ceux que les fondateurs ont eu en vue de soulager. Nous croyons qu’au lieu de 446 incurables qui, dans l’état actuel des choses, se plaignent tous de leur position, on pourrait secourir efficacement 1,000 à 1,500 individus de même espèce, qui combleraient de bénédictions leurs bienfaiteurs, et apprécieraient avec reconnaissance les ressources que la providence leur aurait préparées. Nous soumettons ces vues à la considération d’une municipalité éclairée et juste. Hôpital des Frères de la Charité. L’hôpital des frères de la Charité est situé à Paris entre les rues de Taranne, Saint-Benoît, Jacob et des Saints-Pères, sur un terrain en pente, très favorable à l’écoulement des eaux et à la propreté ; il contient 208 lits de malades, distribués dans 6 salles ; cet hôpital est, sans contredit, l’un des mieux ordonnés de tous les établissements de ce genre à Paris. Les salles en sont spacieuses et bien aérées; les lits rangés des deux côtés à des distances convenables avec un espace au milieu de 13 à 14 pieds de largeur. Chaque malade est couché séparément, et a pour le moins 6 toises cubes d’air libre à respirer. La plupart des lits y sont fondés par des bienfaiteurs particuliers ; il en coûtait ci-devant 10,100 livres pour cette fondation ; mais aujourd’hui elle revient à 12,000 livres. 384 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] Les familles fondatrices ont le droit de nommer les malades qui doivent occuper ces lits; mais lorsque ces familles négligent leurs droits, les frères de la Chaiiié l’exercent pour elles, en recevant d’autres pauvres qu’ils traitent aux frais de leurs fondations ; car il est rare que les lits de l’hôpital de la Charité restent vides. La modalité y est à peu près d’un septième et demi; il semble qu’elle ne devrait fias être si forte dans un lieu où le traitement est si bon, et l’on a soupçonné qu’elle venait de quelque cause particulière : on a cru découvrir cette cause dans la trop grande proximité de la salle des blessés, de celle où l’on traite les lièvres malignes. L’on a observé, en effet, que dans cet hôpital, les opérations chirurgicales ont souvent des suites fâcheuses, ce qu’on croit venir de l'altération de l’air dans un lieu dont l’atmosphère se trouve, par un effet de ce voisinage, nécessairement chai gé de particules fébriles et corrompues. On ne reçoit les malades à l’hôpital de la Charité qu’à de cei tains jours, à des heures marquées, et avec des conditions qui ont des inconvénients très graves. Nous remarquons entre autres celui de restreindre le bienfait aux seuls catholiques, et d’exiger que les malades, qui se présentent pour être reçus, commencent par se confesser, comme si les secours de la charité ne devraient pas être communs à tous les hommes, quelle que puisse être leur croyance, et quelque religion qu’ils professent. Nous ne croyons pas que l’on puisse alléguer aucune bonne raison pour justifier cet usage. La i éception des malades et leur enregistrement se font d ns la même forme qu’à l’Hôtel-Dieu : les lits sont numérotés; les malades revêtus de l’habit de la maison pendant le séjour qu’ils y fout, et reprennent en sortant les vêtements qu’ils avaient en y entrant. Les salles sont chauffées, pendant l’hiver, avec des poêles dont la chaleur se répand au moyen de tuyaux de cuivre, et entretientdans toutes les parties de l’hôpital une température douce et saine. La comparaison que l’on a faite dans cet hôpital du nombre des blessés, avec celui des autres malades qui y sont traités, donne la proportion de 5 à 18; celle des convalescents est comme 2 sont à 5. Le nombre des personnes employées au service de ces malades est, en comitaut les religieux, de 102; c’est une personne pour un plus que 2 malade s: mais il faut remarquer que cet hôpital est en même temps maison ne noviciat, et une école de chirurgie pour les jeunes gens; ce qui augmente le nombredes religieux au delàde ce qu’exigerait naturellement le service des malades. Les frères de la ChariLé ont présenté un état de leur recette et de leur uepense. La recette est de 247,000 livres, la dépense est de 253,000 ; le déficit conséquemment de 6,000 livres. Il résulterait de ce calcul que chacun des 208 malades soignés à la Charité, coûterait, par jour, plus de 50 sous; niais, à cet egard, il faut observer que les revenus de cet etablissement sont grevés d’une somme annuelle de 99,217 livres pour des dépenses fixes; savoir : le payement de rent< s, les unes viagè e.-, les autres perpétuelles, les frais de régie des biens, les imposition.', etc. Ainsi le revenu net ne se moute qu’à la somme de 147,783 livres. — Le nombre des journées de malades pendant une année, en supposant les 208 lits constamment occupes, serait de 75,920. Si leur dépense était de 147,783 livres, chaque journée reviendrait à environ 39 sous ; mais il faut considérer cet établissement sous le double rapport d’hôpital et de communauté religieuse. Il faudra conséquemment, à l’avenir, défalquer de la somme du ri venu net, celle qui sera nécessaire pour la pension d’environ 50 religieux; il restera près de 100,000 livres pour les malades. La journée de chacun d’eux reviendrait ainsi à un peu moins de 30 sous; mais on ne comprend pas dans ce calcul la somme que représentent l’emplacement, la construction des bâtimeuts et le premier ameublement ; articles qui, s’ils entraient en ligne de compte, augmenteraient considérablement l’estimation du prix de chaque journée. Il est bon d’observer que sur les articles de dépenses fixes, il y a 18,918 livres de rentes viagères, et que la nation duit aussi regarder comme rente viagère, la pension alimentaire qu’elle fera aux religieux; quunegiamie partie des biens de cet hôpital consiste en fonds ne terre et en autres objets susceptibles d’augmentation, dont la vente doit produire un bénéfice très considérable; de manière qu’un peut se flatter d’avoir, au milieu de Paris, un établissement pour les malades dont les revenus, encompreuant dans leu révaluation la somme représentée par les intérêts du prix de l’emplacement, de la construction des bâtiments, etc., pourront un jour monter à plus de 100,009 écus. G est un objet de grande [importance pour cette capitale, et il sera essentiel d’en tirer un parti convenable. Il est bien à désirer que ceux qui succéderont aux frères de la Charité, héritent de leur zèle et de leur habileté dans le traitement des malades : il faut convenir qu’aucun établissement de ce genre ne parait comparable à celui que ces religieux ont formé. Hôpital des convalescents. La dame Angélique Faure, veuve de M. Claude de Builion, surintendant des finances, touchée du sort de plusieurs compagnons et ouvriers qui, en sortant de l’hôpital, ne se trouvaient pas encore en état de reprendre le travail, leurs forces n’étant pas entièrement rétablies, ou qui, a lès ce rétablissement, étaient embarrassés de trouver de l’emploi et les moyens de gagner leur vie, fonda pour eux, eu 1631, l’hôpital des convalescent. Elle crut devoir en exclure les prêtres, les soldats et les domestiques en maison. Elle a supposé que les premiers avaient une ressource dans l’honoraire de leurs messes ; les seconds, dans leur paye, et que les troisièmes pouvaient se retirer chez leurs maîtres. Celte maison, peu considérable, est située dans la rue du Bac, et le service en est confié aux religieux de la Charité. Les reveuus annuels montent à la somme d’environ 34,009 livres; et si l’on calcule 1 intérêt du capital qui a servi à construire ou à acheter la maison, ce revenu peut, sans exagération, être évalué à la somme de 40,000 livres. L’hôpital des convalescents contient 18 lits ; et en suppusaut chacun de ces lits continuellement rempli, le nombre des journées serait, par an, de 6,570 : le prix de chacune d’elles serait plus que 6 livres. Mais cette maison est un lieu de retraite pour d’anciens religieux de la Charité, que leur âge et leurs inlirmiiés mettent hors d’etat de continuer leurs travaux; et, sous ce rapport, nous devons [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] la regarder comme une espèce de communauté religieuse. Si la nation destine une somme de 6,000 livres pour la pension alimentaire des frères qui y vivent, le revenu disponible en faveur des convalescents se trouvera, dans ce cas, réduit à 34,000 livres ; et le prix de la journée ne serait plus, pendant quelque temps, qu’un peu plus que 5 livres, y compris la valeur de la maison et du jardin. Ceux qui sont reçus dans cet hôpital y sont bien traités, mais la dépense en est excessive ; elle est telle, que nous croyons que cet établissement est en état de secourir trois et quatre fois plus d’individus que nous n’y eu avons trouvés. Cet objet mérite toute l’attention de la municipalité de Paris. Maison royale de santé. Un autre établissement, confié aux frères de la Charité, est la maison royale de santé. Elle est destinée à recevoir et à traiter, dans leurs maladies, des ecclésiastiques et des militaires pauvres. Sa fondation date de 1781. Le clergé de France, alors assemblé, donna une somme de 100,000 livres pour commencer cette œuvre. Avec ce fonds, et quelques autres secours, on fit l’acquisition d’un terrain considérable, dans lequel on éleva un bâtiment assez vaste et très solide pour le logement de ceux auxquels cette nouvelle ressource était destinée. On y trouve au rez-de-chaussée une salle assez élevée contenant seize lits pour les malades. Ce bâtiment a aussi plusieurs appartements commodes, destinés à loger des pensionnaires qui désirent se retirer du monde, et les religieux auxquels est confié le service de l’établissement. L’état qu’on nous a fourni porte les revenus de cet hospice à la somme de 24,778 1. 4 s., et les charges à 4,422 1. 8 s. ; mais, dans ce calcul n’est pas compris l’intérêt du capital qui a été employé en acquisition de terrains et en construction de bâtiments. Ces articles pourraient être évalués à une somme annuelle de 5 à 6,000 livres ; de manière que nous pouvons regarderies revenus de la maison royale de santé comme formant une somme de 25 à 26,000 livres quittes de toutes charges. Il en résulte que le prix de la journée de chaque malade y est au moins de 4 livres à 4 1. 10 s. En examinant cependant le traitement et la situation actuelle de ces malades, leur sort ne nous a pas paru meilleur que celui des malades qui sont reçus à l’hôpital de la Charité ou dans les différents hospices que nous avons visités. Ceux qui gouvernent cet établissement y sont très bien logés; et la maison royale de santé nous a paru employée à l’agrément de ceux qui la desservent, plutôt qu’au véritable soulagement des ecclésiastiques et militaires pour qui elle a été construite à grands frais. Les malades y soat rarement visités par un médecin ; un frère de la Charité fait les fonctions de chirurgien, et soigne en celte qualité ceux qui sont confiés à son zèle : le médecin y paraît tout au plus une fois chaque semaine. En combinant ces défauts avec la cherté des journées, nousavonsconcluque cet établissement, dans son. état actuel, est abusif, et demande une grande réforme. La position de cet hôpital est saine ; les dimensions de la salle des malades assez bonnes. On lre Série. T. XXII. 385 s’y sert d’eau d’Arcueil pour les usages ordinaires : il est difficile d’en avoir de la rivière, à cause de son éloignement. Hôpital de Charenton. Un des établissements les plus intéressants qui appartiennent aux frères de la Charité, c’est l’hôpital de Charenton. Il fut commencé en 1641, au moyen d’une donation faite à cet ordre par M. Sébastien Leblanc, d’une maison située à Charenton, avec ses appartenances et dépendances. Le fondateur ajouta à ce premier bienfait, en 1662, un don d’une autre maison située à Paris, rue des Noyers, et de quelques rentes dont il était propriétaire; le tout à la charge qu’il y aurait à l’avenir dans la maison de Charenton sept lits pour les malades. Le revenu total de cet établissement, en 1641, ne montait qu’à la somme de 1,208 livres. L’économie et le zèle d’une bonne administration le portèrent, en 1670, à celle de 2,214 livres. Le tableau intéressant qu’on nous a présenté des accroissements successifs que reçut cet hôpital en fait monter les revenus, en 1740, à la somme de 12,042 livres, et en 1790, à celle de 29,206 livres, de laquelle il faut distraire 7,927 livres de charges dont ces revenus sont annuellement grevés. Le principal article de ces charges est une rente de 4,656 livres constituée au profit de l’ordre de la Charité : ainsi le revenu net et fixe de l’hôpital de Charenton est de 21,278 livres. Ses dépenses annuelles sont celles qu’exigent 5840 journées de malades, en supposant les 16 lits qu’on trouve dans cet hôpital constamment occupés; celles que •coûtent l’entretien de dix religieuses, dont trois infirmes; les appointements de deux aumôniers, les réparations des bâtiments, la régie des biens, et les secours répandus dans le lieu et aux environs, pour les pauvres, tant en santé qu’en maladie; enfin les impositions publiques. Les malades reçus à cet hôpital y sont bien soignés; chacun d’eux est couché séparément. La maison et l’enclos sont très considérables, et la situation du lieu fort belle. Nous n’avons pas compris dans le calcul des revenus la somme que représentent la valeur des bâtiments et l’emplacement; ce serait sans doute un article important dans leur évaluation. L’état des malades reçus dans celte maison, depuis le 1er janvier 1780 jusqu’au 31 décembre 1789, donne le nombre de 1,336; de ce nombre il n’est mort que 87 ; la mortalité y est donc moindre que de 1 sur j5. Mais ce n’est ni sous le rapport d’hôpital ni sous celui de communauté religieuse, que l’établissement de Charenton présente le plus grand intérêt; il faut le considérer sous un autre point de vue non moins cher à l’humanité et à la religion. C’est un asile ouvert à des infortunés que leur état de démence, de fureur ou d’imbécillité a fait séquestrer de la société, et reléguer dans cette retraite. La maison contenait, lors de notre visite, 87 pensionnaires, logés, soignés et surveillés par les religieux. La moindre pension est de 600 livres, il y en a de 100 louis par an. Le montant des pensions réunies produit, armée commune, une somme de 125,000 livres. Chacun de ses infortunés est gardé dans une chambre part, et 52 domestiques, sans compter les religieux, sont employés à les servir. Il y a dans cette maison de force une infirmerie pour 25 386 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] les fous malades. Les religieux en ont le plus grand soin, et cherchent tous les moyens de rendre leur captivilé aussi douce qu’il est possible, et que l’état des personnes l’exige ou le permet. Cet établissement mérite la plus grande faveur. Hospice [des paroisses de Saint-Sulpice et du Gros-Caillou. C’est aux soins de Mme Necker qu’on doit cet établissement. Ayant réfléchi avec un grand intérêt sur les vices de la plupart des hôpitaux existant dans la capitale, sur le traitement qu’y reçoivent les malades, sur leur administration économique, et sur leur discipline intérieure, Mme Necker pensa qu’il était possible de remédier à tant d’abus et de maux, et elle a prouvé ce que peut, dans un établissement de ce genre, un ordre exact et sévèrement observé. Les malades qui sont reçus dans l’hospice dont il s’agit ici y sont bien traités, et cependant on s’y est renfermé dans une dépense inférieure à tout ce qu’on avait jusqu’à présent vu ou osé espérer à Paris. Mm# Necker forma cet établissement avec une somme annuelle de 42,000 livres qu’accorda le gouvernement, en 1779, pour faire l’essai d’un hôpital de 120 lits. Elle choisit pour cet effet une ancienne maison religieuse dont la communauté avait été supprimée, et dont le loyer coûte chaque année à l’hospice la somme de 3,600 livres. Au moyen de cette ressource et de quelques autres faibles secours, cet hôpital s’est trouvé meublé, les bâtiments réparés et arrangés convenablement pour la réception, la nourriture, le traitement et l’entretien de ceux, ou qui doivent y entrer pour y être soignés dans leurs maladies, ou y rester pour servir les malades. Chaque malade est couché séparément, et tout ce qui est nécessaire lui est fourni avec soin, promptitude et propreté : l’institutrice a néanmoins trouvé dans ses économies de quoi établir 8 lits de plus dans une salle séparée pour les blessés. Tel est l’effet de l’ordre et d’une attention suivie et soutenue jusque dans les moindres détails. Vingt-quatre personnes sont employées au service des malades ou de la maison, savoir : douze sœurs de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul, et douze officiers et domestiques à gages. Des comptes rendus et imprimés chaque année, depuis 1779 jusqu’à 1778 inclusivement, présentent le détail intéressant des moyens qui ont été employés pour la formation de cet hospice, pour y établir une bonne administration, une exacte discipline et y assurer aux malades tous les secours que la charité la plus tendre peut imaginer pour leur soulagement. Chaque sœur, chaque employé et domestique ont leur tâche particulière à remplir. La supérieure embrasse elle seule l’ensemble de toutes les parties de l’administration, elle règle la dépense, tient l’argent, les livres et les registres; un médecin est logé dans la maison et ne s’en absente que très rarement : il fait régulièrement deux visites chaque jour; il y est accompagné de deux sœurs, du chirurgien et de l’apothicaire de la maison; la sœur de chaque salle lui rend compte de tous les événements survenus aux malades depuis sa dernière visite. L’élève de chirurgie veille les malades si leur état l’exige : rien n’est mieux entendu que la distribution du temps et l’ordre qui règne dans cet hôpital. Les comptes imprimés donnent les résultats de la dépense pour tous les articles sans aucuue exception; en les comparant avec le nombre des journées, nous trouvons que le prix de chacune de celles-ci a été : Ces variations si faibles qu’elles soient dans le prix commun des journées des différentes années ont été l’effet des variations survenues dans la valeur des denrées, par l’augmentation des taxes, particulièrement dans l’article du bois à brûler. Cette année 1790, le prix de la journée pourra bien se porter à 22 sous; cette augmentation viendra de la suppression de l’exemption des droits d’entrée, et nous devons faire remarquer à ce sujet que l’exemption dont jouissait l’hospice doit être ajoutée au prix des journées des malades des autres années. Les malades sont reçus à l’hospice sur un billet signé par la supérieure ou par le curé de l’une des deux paroisses de Saint-Sulpice et du Gros-Caillou, ou par deux prêtres choisis dans chacune d’elles pour remplir cette fonction. Le modèle de ce billet est convenu et imprimé. Les tables, pour indiquer la mortalité, sont dans une forme particulière à cet établissement. L’on y fait la mention de toutes les maladies dont étaient attaqués ceux qui sont décédés dans l’hospice; mais parmi ces maladies, on ne trouve que celles qui sont susceptibles des secours de l’art, et l’on n’y a pas compris ceux qui ne sont morts que de caducité ou même de phtisie. Il résulte de ces tables que, depuis le commencement de l’année 1779, juqu’à la fin de 1788, il est entré dans cet hôpital 9,941 malades, et qu’il en est mort 1,402. La mortalité est donc un peu moindre que d’un septième. Nous la trouvons excessive, vu le bon traitement que les malades reçoivent dans cet hospice : il est vraisemblable que la maison et les bâtiments n’ayant point été construits pour servir d’hôpital, les salles y sont trop basses, et le nombre de lits, dans chacune d’elles, trop considérable; il en résulte que chaque malade n’a pas une quantité suffisante d’air libre à respirer. Cette circonstance a certainement augmenté la mortalité ; il nous semble donc qu’il faudrait diminuer le nombre des lits dans les salles. Cet hospice est sans doute susceptible de perfection, même dans son administration, et dans le service des malades ; mais tel qu’il est, nous le regardons comme un des hôpitaux les mieux ordonnés de Paris, un établissement précieux et digne de la plus grande faveur. Hospice de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. La paroisse de Saint-Jaeques-du-Haut-Pas doit au zèle charitable de feu M. Cochin, son curé, l’établissement d’un hospice considérable et intéressant. (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791-1 387 Ce digne pasteur, animé d’une tendre sollicitude pour sou peuple, voyait avec une extrême peine qu’un grand nombre de paroissiens, faute d’avoir d’autres ressources dans leurs maladies, étaient obligés de se faire transporter à l’Hôtel-Dieu, et de s’exposer à tous les dangers de ce lieu infect. Il observa aussi que, parmi ses paroissiens, il y avait une classe moyenne, laquelle, sans être dénuée des biens de la fortune, n’en avait cependant pas assez pour pouvoir se passer des secours et de la charité dans leur vieillesse et leurs infirmités. M. Gochin, né d’une famille où la vertu fut toujours héréditaire, augmenta le nombre des hommes distingués de sa race. Il consacra tous ses revenus et la plus grande partie de son patrimoine au soulagement des pauvres, et fit bâtir, à ses frais, l’hospice sur leqnel nous présentons les détails suivants : Le bâtiment fut commencé en 1780, et achevé en 1782; la bâtisse et l’ameublement coûtèrent 180,000 livres. L’on y trouve deux salles, séparées par une chapelle pour les malades des deux sexes. Celle des hommes contient 18 lits ; celle des femmes, 20. Chaque malade est couché séparément et reçoit tous les secours qu’un traitement soigné peut lui procurer. Nous en avons parcouru les détails avec satisfaction, et nous croyons qu’au moyen de quelques perfections, qu’il serait très facile de donner à cet établissement, on n’y laisserait rien à désirer. Les deux salles occupent la partie inférieure de l’hospice : l’étage supérieur contient plusieurs logements séparés pour des pensionnaires âgés et inlirmes, dont les facultés ne sont pas assez considérables pour qu’ils puissent vivre dans le monde; ils trouvent ici une retraite commode et peu dispendieuse. Le taux de la pension est de 450 à 500 livres par an. Le fondateur assujettit les pensionnaires aux heures et aux règles de la maison, et dans leurs maladies, au même traitement que les malades des salles. On ne refuse à cet hospice aucun malade de la paroisse, excepté les scorbutiques, les femmes en couches et les blessés, ayant besoin d’opérations chirurgicales : il est très rare aujourd’hui qu’un paroissien de Sain t-Jacques-du-Haut-Pas ait recours à J’Hôtel-Dieu. M. Gochin ne jouit pas longtemps de son ouvrage et mourut en 1783. A sa mort il restait dû, sur le prix du bâtiment, une somme de 45,000 livres. M. Gochin, en mourant, chargea M. Gochin, payeur des rentes, son frère et son exécuteur testamentaire, de poursuivre des lettres patentes confirmatives de cetie œuvre ; elles furent obtenues et enregistrées au parlement; elles prescrivent la forme d’administration de cet établissement. Le curé, les marguilliers en exercice et deux des anciens et cinq notables citoyens de la paroisse, doivent composer le bureau, avec l’aîné mâle de la famille Gochin, à perpétuité. Les mêmes lettres patentes permettent aux administrateurs de l’hospice de recevoir tous dons et legs dont peuvent être susceptibles les hôpitaux et autres fondations pieuses. L’exemple du respectable fondateur produisit d’heureux effets. A sa mort, en 1783, l’hospice n’avait pour dotation que 2,500 livres de rentes, et comme nous l’avons dit, il était chargé d’une dette de 45,000 livres. Depuis 1783, jusqu’en 1790, le nombre des malades reçus et traités gratuitement à l’hospice est de 923; nonobstant celte dépense, l’établissement s’est libéré des 45,000 livres qu’il devait, et jouit aujourd’hui d’un revenu de 10,500 livres, grevé, à la vérité, d’une pension viagère de 4,000 livres. Les paroissiens se sont attachés à un objet qui présente une si belle ressource aux pauvres, et il est à croire qu’ils lui donneront de nouveaux accroissements. L’hospice de Saint-Jacques-du-Haut-Pas est servi par huit sœurs de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul, lesquelles, outre le service de la maison, sont chargées de visiter les autres malades et d’instruire les jeunes filles de la paroisse. Elles ont cinq domestiques à leurs ordres. Parmi les malades qui sont reçus et traités dans l’hospice, il y en a qui paye*nt en tout ou en partie les journées qu’il y passent. Il y a eu de ceux-là, depuis 1783 jusqu’en 1790, le nombre de 186 ; celui des pensionnaires a été, dans cet intervalle, de 177 ; total des malades ou infirmes : 1,086. Eu y joignant les sœurs et les domestiques, le nombre total des nourris ou soignés dans cette maison a été de 118,255. La dépense totale a monté à 158,752 livres. Le prix de la journée a été de 1 livre 6 sols 10 deniers. La mortalité a été de 280; mais on a observé que le plus grand nombre des malades, reçus et traités dans cet hospice, depuis son établissement, étaient âgés de plus de 60 ans. Il ne faut donc pas s’étonner de cette mortalité, laquelle peut d’abord paraître excessive dans un hospice où le traitement est aussi soigné et aussi bien entendu. Get établissement nous a paru très intéressant. Hospice de Saint-Merri. Une association de citoyens estimables, réunie avec M. Vienet, curé de la paroisse de Saiut-Merri, forma, en 1782, l’établissement dont nous rendons compte. Une maison solidement bâtie, en bon état et élevée de quatre étages, contient au premier six lits pour les femmes malades, un nombre égal de lits au second pour les hommes; au troisième deux places pour des pau vres appelés honteux, et deux au quatrième pour le traitement des maladies contagieuses. Chaque malade est couché séparément, et il nous a paru qu’il serait difficile de rien ajouter à la bonté du traitement que l’on reçoit dans cette infirmerie. La plus grande propreté y règne constamment; les pièces où se trouvent les malades sont assez grandes pour que chacun d’eux ait au moins six toises cubes d’air à respirer. L’hospice est servi par des sœurs de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul ; elles y sont au nombre de huit; mais, outre le soin de l’hospice, elles sont chargées de celui des pauvres malades du dehors, ainsi que de renseignement, dans deux écoles établies pour les petites filles de la paroisse. Il serait difficile d’évaluer le prix de chaque journée de malade dans cette maison, parce que la dépense en est commune avec celle de tous les autres inlirmes de la paroisse qui reçoivent des secours à domicile. L’hospice est abondamment pourvu de linge, d’ustensiles et de toutes les choses nécessaires non seulement aux malades qui y sont traités, mais encore à tous les pauvres* de la même paroisse atteints de maladies et ayant besoin des secours de la charité. Les revenus appartenant à l’établissement de Saint-Merri sont ou fixes ou casuels; les pre- [21 janvier 1791. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 388 [Assemblée nationale.) miers consistent en rentes provenant des sommes placées, ou dans les fonds publics, ou sur des corps de communautés, ou sur des particuliers; les autres sont le produit, ou de quêtes ou d’aumônes, ou de legs testamentaires en faveur des pauvres. La totalité de ces revenus monte à environ 36.0U0 livres. Ils sont perçus par un trésorier nommé ou continué chaque année, et qui rend chaque année ses comptes dans une assemblée présidée par le curé de la paroisse. Le nombre des pauvres reçus à l’hospice de Saint-Merri, depuis l’époque de son établissement jusqu’au jour où nous l’avuns visité, c’est-à-dire pendant l’espace de six ans et demi, a été de 900, sur lesquels il en est décédé 56. La mortalité n’a donc été, dans celte infirmerie, qu’à peu près comme 1 est à 17. C’est un effet du bon traitement que l’on y reçoit : on ne peut donner trop d’éloges à la manière dont s’y fait le service� au zèle des sœurs qui y soignent les malades et à l’ordre qu’y font observer les administrateurs charitables, fondateurs de cette maison. Cet ordre est prescrit et détaillé dans des statuts très sages qui sont exactement exécutés. Hospice des écoles de chirurgie. En 1774, le roi fonda, dans les écoles dé chirurgie, un hospice de six lits en faveur des malades indigents de l’un et de l’autre sexe, attaqués de maladies chirurgicales graves et extraordinaires, dont le traitement long et dispendieux ne pourrait pas être suivi dans les autres hôpitaux, et le gouvernement accorda, pour cette fondation, une somme de 7,000 livres payable annuellement par les receveurs des domaines de Paris. Les premiers fonds de cet intéressant établissement ne furent reçus qu’en 1775. Les constructions qu’il fallut faire dans le bâtiment destiné à recevoir les malades, les dépenses qu’elles occasionnèrent, ainsi que l’acquisition qui eut lieu des ustensiles nécessaires au service, ayant absorbé une partie des revenus, ce ne fut qu’au mois de septembre 1776 que l'on reçut des malades, et cela en proportion des fonds qui restaient. En 1783, le roi fonda six nouveaux lits. Par l’édit portant cet accroissement de fondation, il fut permis à l’administration de l’hospice d’admettre tout malade attaqué de maladie chirurgicale, en donnant cependant la préférence aux maladies graves et extraordinaires. Ce fut cette même année que M. de La Marti-nière, premier chirurgien du roi, ajouta à la fondation dix nouveaux lits. Il fallut employer des fonds considérables en achat de lits, de linge, d’ustensiles proportionnés au nombre des malades que l’hospice allait recevoir, et ce ne fut qu’en 1786 qu’il fut possible de mettre l’établissement en pleine activité. Le nombre des malades reçus dans cette infirmerie depuis le 1er janvier 1786 jusqu’au 1er juillet 1790, monte à 420; le nombre des morts a été de 60. La mortalité y est donc entre le sixième et le septième. Les titres de celte fondation portent l’établissement de deux professeurs : l’un de chimie, l’autre de botanique. L’hospice des écoles de chirurgie jouit de 24,000 livres par an, dont 2,C0Ü livres pour les appointements des deux professeurs, et 22,000 livres destinées plus particulièrement à la dépense des malades. Si nous supposons tous les lits exactement remplis, le nombre des journées sera chaque année de 8,030 et le prix de chacune d’elles entre 50 sous et 3 livres. Ces malades sont couchés dans plusieurs chambres assez grandes et bien aérées, chacun dans un lit séparé; ils y sont bien soignés. La nature des maladies que l’on traite dans cet hospice en rend le traitement plus dispendieux. Lorsque nous en avons fait la visite, les affaires de l’établissement étaient fort gênées, il y avait déjà plusieurs termes échus sans aucune rentrée de ses revenus, et il lui était dû une somme d’environ 50,000 livres ; cependant l’hôpital n’était arriéré pour le payement de ses dépenses, que de 12 à 1,500 livres. Il est donc démontré qu’on pourrait l’augmenter considérablement, multiplier les lits et par là étendre un secours précieux en faveur des malades de la capitale. Hôpital militaire de la garde nationale parisienne . Des lettres patentes du mois de septembre 1759, enregistrées au parlement le 18 août 1760, autorisèrent M. le maréchal de Biron à établir un hôpital à l’usage des soldats malades du régiment des gardes françaises, et affectèrent pour cette dépense le produit de la vente des enseignes de ce régiment. Cet hôpital, aux termes de la loi, devait être gouverné par le colonel dudit régiment, le lieutenant-colonel, le major et les autres officiers que le colonel choisirait pour cet objet intéressant. L’administration acheta trois maisons contiguës dans la rue Saint-Duminique, au Gros-Caillou, et en 1765 l’hôpital y fut établi : il s’accrut dans la suite par l’augmentation des ressources, et quand la dépense excédait la recette, la caisse du régiment suppléait au déficit. Lorsqu’au mois d’aoûl 1789, les gardes françaises furent incorporées dans la garde parisienne, le régiment vendit à la commune de Paris toutes ses propriétés dont l’hôpital était la plus considérable, et depuis cette époque l’hôpital a constamment été régi pour le compte et aux frais de la ville de Paris : le département de la garde nationale parisienne a succédé à l’ancienne administration des gardes françaises, et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, on a cru devoir continuer le même régime et le même ordre qui était observé précédemment. La paye des soldats malades, moins deux sous qui sont réservés pour leur décompte, forme le premier fonds de recette, et l’excédent, quel qu’il soit, est payé par la caisse de ville, sur une ordonnance du dt partement de la garde nationale. Sous l’administration du régiment des gardes françaises, il y avait dans cet hôpital 300 lits; mais depuis qu’il est destiné pour la garde nationale soldée, le nombre des malades est augmenté, et le département, chargé de l’administration, y a fait préparer de nouvelles salles, de sorte que cet hôpital peut recevoir aujourd’hui environ 500 lits. Le plus grand nombre de malades qui y ait été josqu à présent est de 450, et le moindre, de 250 a 300. Ceux qui sont employés pour le service de l’hôpital sont excessivement multipliés, et nous croyons qu’il serait possible et très utile d’en réduire le nombre. Leurs seuls appointements montent à la somme de 24,314 livres, sans compter leur nourriture et leur entretien. (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES; (21 janvier 179 1.) Ces employés sont : 1° un économe chargé de la police et de la comptabilité; 2° 3 sergents-majors, chargés, sous les ordres de l’économe, des détails des subsistances, de l’inspection des magasins, et de la surveillance des ouvriers, et de la police militaire et particulière; 3° 6 commis employés dans les bureaux à tenir les registres de l’administration, ceux d’entrée et de sortie des malades; à expédier les billets de ceux qui sortent, assister aux visites des médecins et chirurgiens, à écrire le régime de chaque malade, à faire les bulletins des différentes salles, à distribuer le vin et les aliments matin et soir, etc. Un de ces commis est do garde pendant le jour et ne peut s’absenter sous aucun prétexte, un autre pendant la nuit, pour surveiller les infirmiers de service, et faire les distributions ordonnées; 4° Un aumônier chargé de dire la messe tous les jours, de faire la prière du soir, d’administrer les malades, et de leur procurer tous les secours spirituels dont ils peuvent avoir besoin ; 5° Un médecin, dont on n’a pas encore déterminé le traitement, fait sa visite générale tous les jours matin et soir ; les médicaments qu’il ordonne sont marqués par un apothicaire et un élève chirurgien; le premier les prépare, l’autre les distribue aux malades ; 6° 2 chirurgiens-majors sont chargés du traitement des blessés, et font aussi leur visite matin et soir, accompagnés d’un apothicaire, de plusieurs élèves chirurgiens et d’un commis; 7° 2 chirurgi ns aides-majors sont chargés, sous la surveillance du premier chirurgien, du traitement des maladies vénériennes; 8“ 10 élèves chirurgiens sont employés à suivre les médecins et chirurgiens dans leurs visites, à exécuter leurs ordonnances; 2 d’entre eux sont de garde jour et nuit, afin de porter des secours en cas d’accidents imprévus, partout où il en sera besoin; 9° Un apothicaire en chef et 2 aides sont chargés de la pharmacie, et préparent les médicaments ordonnés; 10° 30 à 35 infirmiers servent les malades; leur nombre varie suivant les besoins; mais il n’est presque jamais au-dessous de 30; 11° Il y a aussi 2 barbiers pour l’usage des malades ; 12° Un cuisinier en chef, ayant sous lui un second et 6 aides de cuisine, reçoit tous les matins, des mains d’un commis, un bulletin général des différents régimes ordonnés par le médecin et les chirurgiens, et s’y conforme : il prépare en conséquence les aliments nécessaires pour chaque espèce de régime et ceux qui sont destinés à tous les employés de l’hôpital; 13° Un sommelier est chargé du soin et de la distribution du vin, sous l’inspection de celui des sergents-majors à qui sont confiés les détails des subsistances ; 14° 2 boulangers sont employés à faire le pain; il y a aussi un employé aux gros travaux de la boulangerie et au soin des greniers; 15° Un magasinier et 2 aides sont chargés de distribuer et de changer le linge et les vêtements des malades, ainsi que des lessives, etc., sous l’inspection d’un sergent-major qui doit tenir un registre de tous les mouvements de cette partie et y maintenir l’ordre; 16° 3 tailleurs sont employés à l’entretien et à la réparation du linge et des vêtements des malades; 389 17° Le même hôpital a aussi à ses gages divers artisans pour chacun des objets dont il a besoin, tels que des matelassiers ,' serruriers, vitriers, ferblantiers, menuisiers, maçons, trois jardiniers et leurs apprentis, deux charretiers et des valets, enfin un portier chargé de visiter tout ce qui entre et ce qui sort de la maison. Tels sont les détails dans lesquels nous avons pu entrer à l’égard de cet hôpital, qui est très con-idérable et bien bâti. Les malades y sont couchés séparément, et se louent en général du traitement qu’ils y reçoivent. Pendant l’espace de 13 mois, à commencer au 1er septembre 1789 jusqu’au 1er octobre 1790, on a reçu à cet hôpital 5,000 malades; on compte 163 morts, dont 19 n’étaient déjà plus en vie lorsqu’ils y furent portés; le nombre de ceux vraiment décédés à l’hôpital durant ces 13 mois est donc de 144; la mortalité y a été conséquemment de i/44e. La dépense, pendant le même intervalle, y a été de 214,744 livres et de 400 sacs de farine; en supposant le prix de la farine à 50 livres le sac, nous aurons la somme de 20,000 livres à ajouter aux 214,744, total 234,744 livres. Le nombre des journées a été de 139,161 ; chaque journée de malade y est donc revenu à environ 36 sous. Quoique ce prix soit trop fort, l’établissement en lui-même n’en est pas moins intéressant ; son administration est organisée d’après de bons principes ; mais elle est susceptible de perfection, et nous sommes persuadés qu’on pourrait y introduire beaucoup plus d’économie. Nous exhortons la municipalité de Paris à porter une attention particulière sur un objet destiné au soulagement des défenseurs de l’ordre public. Hospitalières de la Place royale . Cette maison fut établie en 1625, en vertu de lettres patentes enregistrées en 1627. Sa destination fut de recevoir une communauté de religieuses hosptalières, et de servir au soulagement d’un certain nombre de femmes el de filles malades. Vingt-trois lits y ont été successivement dotés par des fondateurs particuliers ; mais la mense des malades et celle des religieuses doivent se confondre, aux termes des constitutions. Les fondateurs ou leurs ayants cause nomment les malades qui doivent occuper les lits. L’état des revenus que l’on nous a fourni les fait monter à 33,374 I. 4 s. 3 d. De ces revenus, il y a des rentes viagères constituées sur la tête de diverses religieuses, pour la somme annuelle de 2,283 livres. Les autres biens constituent en rentes perpétuelles sur l’Etat ou en loyers de maisons et d’appartements, soit en dehors, soit en dedans de ce couvent. Les revenus sont grevés de 549 livres de rentes et redevance annuelle. La communauté est composée de 15 religieuses professes, de 10 sœurs converses, de 5 postulantes et de 9 tourières ou filles de service. S’il ne fallait considérer cet établissement que comme un hôpital consacré au soulagement des pauvres malades, le prix des journées serait excessif ; mais comme il est en même temps communauté religieuse, le calcul doit être différent; il faut alors distinguer la dépense des malades de celle de la communauté : celle-ci, à raison de 700 livres par tète, pour 15 religieuses professes et de 300 livres pour chacune des 390 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] 6 sœurs converses, coûtera désormais 12,300 livres, somœequi diminuera par les extinctions successives. Il reste, pour l’entretien de l’hôpital et le soin de 23 malades, 21,074 livres. Il est évident que la nation, par la suppression de la communauté, fait un gain considérable, à ne considérer l’objet que sous des rapports pécuniaires ; nous ne comprenons pas même dans notre évaluation l’intérêt du capital que représente la valeur des bâtiments. Nous sommes également portés à croire que la suppression de cet hôpital serait un bien pour le publie. Car, d’après les états que l’on nous a fournis de la mortalité qui y règne, nous avons frémi de voir que, depuis 1770 jusqu’à 1779 inclusivement, le nombre des malades reçus s’est porté à 2,155, et que, celui des personnes décédées a été de 649 ; la mortalité a été conséquemment de près d’un tiers. Que depuis 1780 jusqu’à et y compris 1789, le nombre des entrées a été de 1542, celui des morts de 492; la mortalité à la seconde époque est donc dans la même porportion qu’à la première; c’est la première que nous ayons encore trouvée dans aucun des hôpitaux que nous avons visités. Nous sommes en peine de savoir à quelle cause il faut l’attribuer ; peut-être la maison est-elle malsaine, peut-être la plupart des malades qui y sont reçues n’y ont-elles recours que lorsque la maladie est déjà très avancée. La salle qui sert d’hôpital est grande, mais peu élevée et nous ne croyons pas que l’on y respire un bon air. Cet objet mérite toute l’attention de la municipalité. Religieuses hospitalières de la Roquette. Cette communauté religieuse est un démembrement de celle des Dames hospitalières de la Place royale. Ce fut en 1790 qu’un décret de l’archevêque de Paris, revêtu de lettres patentes enregistrées au parlement, ordonna cette translation dans un des faubourgs de Paris, où ces dames occupent un local très vaste et fort beau. Leur hôpital contient 23 lits, dont 16 sont fondés, les autres sont occupés par des malades qui payent 20 sous par jour. Les lits fondés sont pour les personnes que les fondateurs ou leurs ayants cause nomment pour les remplir; on ne devrait y recevoir que celles qui sont attaquées de maladies aiguës, passagères et curables; mais il s’est introduit à cet égard beaucoup d’abus, et un grand nombre de lits sont occupés par des infirmes qui y restent constamment ; elles regardent cette ressource comme une retraite commode que les fondateurs seraient en droit de procurer aux personnes qui les intéressent, ou dont ils ont à récompenser les services. Le traitement que reçoivent les malades dans cet hôpital nous a paru bon. Chacune d’elles est couchée séparément; la salle est assez vaste, et paraît bien tenue et bien aérée. Nous avons eu conséquemment lieu d’être surpris d’apprendre que la mortalité y est excessive. En effet les états qu’on nous en a fournis depuis 1780 jusqu’à 1790, font monter le nombre des malades reçues à 466 et celui des mortes à 158; cette proportion est très forte. L’état des revenus de cet établissement les fait monter à 45,473 livres et dans cette évaluation n’est pas compris l’intérêt des capitaux que représentent l’acquisition du terrain, la construction des bâtiments, et le premier ameublement. De ces 45,473 livres il faut déduire 1,400 livres de rentes viagères que doit la maison. Le revenu net est donc actuellement de 44,073 livres. Ces revenus sont le produit : 1° de fonds et de rentes sur le Trésor public pour la somme de 36,908 livres; 2° des sommes payées par les malades qui occupent les lits non fondés, et du loyer de plusieurs chambres qu’occupent des dames retirées dans ce couvent, ces deux articles montent ensemble à la somme de 8,565 livres. Les charges de la maison sont actuellement : 18 religieuses de chœur; 6 sœurs converses; 1 novice; 3 postulantes ; 6 filles de service ; 16 dames de chambre ; 2 chapelains; 1 sacristain. 8,395 journées de malades, en supposant les 23 lits constamment remplis. Il convient de considérer cet établissement sous le double rapport d’hôpilal et de communauté religieuse; ainsi, en calculant la dépense à venir, elle reviendra pour 18 religieuses, à 700 livres chacune, à la somme de .......... 12,600 liv. 6 sœurs converses à 300 livres chacune ......................... 1,800 Total ........... 14,400 liv. En déduisant cette somme des 44,073 livres ci-dessus, il restera pour l’hôpital, etc., 29,673 livres. Le nombre des journées étant de 8,395, il en résulterait que le prix de chacune d’elles serait de 3 à 4 livres. Tel est le résultat des renseignements que nous avons pris sur cet établissement, qui est remarquable par l’étendue et la beauté du terrain au milieu duquel il est situé. Religieuses hospitalières de Saint-Mandé. Cette communauté était originairement établie dans le village de Gentilly, près Paris, et fut transféré à Saint-Mandé, dans le bois de Vincennes, en 1705. Elle estactuellement composée de 24 religieuses de chœur et de 6 sœurs converses. Elles ont soin d’un hôpital où sont placés 27 lits destinés à des femmes âgées et iniirmes. Cette maison est moins un hôpital qu’un lieu de retraite. Des 27 lits 11 seulement sont occupés gratuitement. L’état des revenus ne les porte qu’à 16,509 livres ; mais dans cette évaluation n’est pas compris le produit d’un terrain composé de 60 arpents, qui forme le potager et l’enclos. La maison est vaste et belle. Cet établissement est d’une grande ressource pour les personnes que leur âge et leurs infirmités mettent dans le cas d’y avoir recours ; il nous a paru que les religieuses en avaient grand soin. Religieuses hospitalières de la rue Mouf fêtard. Cette communauté est aussi venue du village de Gentilly, près Paris : elle est actuellement composée de 17 religieuses de chœur et de 7 sœurs converses. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (21 janvier H91.J 391 Elles sont chargées d’un établissement de 40 lits destinés à recevoir de pauvres filles et femmes malades. Le traitement nous y a paru bon; chaque malade est couchée séparément et reçoit tous les secours nécessaires. Les revenus destinés, soit pourla communauté, soit pour l’hôpital, forment une masse de 33,767 1. dont il faut déduire, pour les charges, 7,130 1. La dépense sera, pour les religieuses de chœur, de la somme de ........... 11,900 liv. Pour les sœurs converses de. . . . 2,100 Total ...... 14,000 liv. En déduisant ces 14,000 livres de 26,637 livres de revenu net, il ne restera pour la dépense de l’hôpital que 12,637 livres. Si l’on supposait les 40 lits constamment remplis, le nombre des journées serait de 14,600 et le prix de chacune d’elles ne serait que d’environ 17 à 18 sous. Mais dans l’évaluation des revenus nous n’avons pas compris l’intérêt de la somme capitale que représentent l’emplacement, la construction ou l’achat et l’ameublement des bâtiments. Ces objets sont peu considérables, car le local est fort borné et la maison n’est pas vaste. Il ne paraît pas que les affaires de cette communauté soient en bon état : lors de notre visite, les religieuses nous ont présenté un compte de leurs dettes actives et passives. Les premières, suivant cet état, sont de 29,759 livres, les secondes de 47,160 livres. Il en résulte que cet établissement est actuellement endetté de 14,401 livres. Il est d’une grande ressource pour les pauvres de ce quartier, qui sont en grand nombre, et les citoyens qui l’avoisinent paraissent attachés à sa conservation : mais l’état de ses affaires exige que l’on ne remplisse pas exactement les 40 lits, que l’on en réduise même le nombre. Nous avons été vraiment affligés de voir que, nonobstant les soins et la charité des dames hospitalières envers les malades qui leur sont confiées, la mortalité dans cet hôpital est effrayante. Le nombre de malades reçues pendant les 10 dernières années, est de 304, et celui des mortes, suivant l’état qu’on nous en a fourni, est de 139. La mortalité y est donc de plus d’un tiers; ce qui est inconcevable dans un hôpital où rien ne paraît manquer à la bonté du traitement. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 21 JANVIER 1791. Seconde suite du rapport fait par le comité de mendicité , sur ses visites dans les divers hôpitaux de Paris (1). Hôpital des Quinze-Vingts . L’opinion générale est que saint Louis est le fondateur des Quinze-Vingts; il n’existe aujour-(1) Voyez la lre partie de ce rapport, Archives parlementaires, tome XVII, p. 111. d’hui de la munificence de ce souverain qu’une rente de 36 livres sur les domaines. On ne sait si sa pieuse générosité borna ses dons à ces revenus, se confiant, pour le soutien de cet établissement, dans la charité des fidèles qui, dans ces temps de barbarie, élevait et soutenait tant d’ordres mendiants. Ce prince leur donna un terrain situé hors de Paris, qui par suite s’est trouvé enclavé dans le quartier Saint-Honoré. C’est ce même terrain qui, vendu sous l’administration du cardinal de Rohan, a occasionné tant de réclamations que vous avez renvoyées à votre comité des rapports, et dont votre comité de mendicité n’a pas cru devoir prendre connaissance, puisqu’il ne doit considérer l’hôpital des Quinze-Vingts que comme maison de secours. C’est un conte digne d’orner la légende dorée, que celui qui fait renvoyer à saint Louis, par le sultan Saladin, trois cents gentilshommes auxquels on avait crevé les yeux. Belleforet, qui écrivait plus de 3 siècles après saint Louis, est le premier qui fasse mention de cet événement, que le sire de Joinville, tout à la fois si pieux et si crédule, n’aurait pas manqué de rapporter, s’il eût eu le plus léger fondement. Un homme qui croyait bonnement que le Nil avait sa source dans le paradis terrestre, et que le vent y faisait tomber les épices, aurait sûrement donné, dans son style naïf, des détails sur une cruauté si étrange. Mais comme tout ce qui tient du merveilleux est facilement cru, cette fable a dû, dans des temps d’ignorance, être avidement saisie ; et l’édit de François Ier, du mois de mai 1546, relatif aux Quinze-Vingts, la rapporte encore de bonne foi. Tout ce qui reste de monuments historiques du temps de saint Louis, les ordonnances de ce roi, la bulle du pape, enfin les historiens du temps, annoncent que la maison a été fondée pour des pauvres aveugles, et il n’y est pas question de gentilshommes. Il paraît, d’après les recherches faites à la bibliothèque du roi, que du temps de Saint-Louis les pauvres aveugles jouissaient déjà, dans Paris, de quelques privilèges pour la mendicité, et qu’ils formaient une espèce de congrégation informe, qui successivement est devenue plus régulière. Le plus ancien des règlements connus sur cet hôpital est de Michel Debraché, aumônier du roi Jean ; il a été succédé par beaucoup d’autres, dont le dernier est de 1786. Tous s’accordent pour prouver que l’association des pauvres aveugles est une association religieuse ; le nom de frère, qu’ils ont conservé jusqu’à ce jour, l’obligation de réciter un office particulier, la tenue d’un chapitre, l’état de minorité qui leur défend de vendre ou d’acheter, enfin la renonciation qu’ils font à la propriété de leurs biens, au préjudice même de leurs enfants légitimes : tout annonce les règles, les usages et les abus de la monasti-cité. Cette opinion est confirmée par un édit de Philippe le Bel, qui oblige les aveugles des Quinze-Vingts à porter une fleur de lys sur leur robe, pour les distinguer des autres associations religieuses. Trois cents frères ou sœurs habitent la maison des Quinze-Vingts. On les disiingue en aveugles et en voyants ; ils ont seuls droit aux distributions qui se font en argent tous les mois. 11 est défendu à un frère aveugle d’épouser une femme aveugle, et celle-ci ne peut se marier qu’à un voyant. On sent quel est le but de cette loi ; on a supposé que la cécité avait besoin de conducteur. Aussi les premiers règlements bornant le nombre des