SÉANCE DU 7 BRUMAIRE AN III (28 OCTOBRE 1794) - N° 30 153 fectionner l'individu, elle essaie d'améliorer l'espèce : c’est aux bons livres élémentaires et à des ouvrages capables de guider les instituteurs, qu'il est donné d'atteindre toutes les fins de l'instruction publique. Les ouvrages envoyés jusqu'ici au concours ouvert pour cet objet, n'ont pas encore rempli vos vues ; en général, les auteurs ne se sont pas contenus dans les limites du travail qui leur étoit demandé, de telle sorte que ces divers ouvrages n'empiétassent pas les uns sur les autres, qu'il n'en manquât aucun d'utile et que tous ensemble pussent offrir un système complet d'enseignement national. Les citoyens qui ont travaillé pour ce concours, ont généralement confondu deux objets très différens, des élémentaires avec des abrégés. Resserrer, coarcter un long ouvrage, c'est l'abréger; présenter les premiers germes, et en quelque sorte, la matrice d'une science, c'est l'élémenter. Il est facile de faire un abrégé de Mezeray, tandis qu'il faudroit un Condillac, pour faire des élémens de l'histoire. Ainsi, l'abrégé, c'est précisément l'opposé de l'élémentaire : et c'est cette confusion de deux idées très distinctes, qui a rendu inutiles pour l'instruction les travaux d'un très grand nombre d'hommes estimables qui se sont livrés, en exécution de vos décrets, à la composition des livres élémentaires. Quoi qu'il en soit la nation ne sera pas long-temps frustrée du grand bienfait des livres élémentaires ; le comité a pris toutes les mesures pour en assurer la prompte publication. Il a interrogé le génie, sa réponse sera prompte et digne de vous et de lui. Il restoit un dernier objet à examiner; je parle des moyens d'entretenir dans les écoles nationales cette émulation généreuse qui fait éclore les talens, les vertus, les belles actions, et sans laquelle le génie le plus heureusement né ne produit rien de grand. Votre comité a vu tous ces avantages se réunir dans la célébration de la fête de la jeunesse. Là, en présence du peuple, juge tout-à-la-fois et spectateur, des prix d'encouragement seront distribués aux élèves; là encore seront solem-nellement proclamés habiles à exercer des fonctions publiques, ceux de nos jeunes citoyens qui n'ayant pas suivi les écoles nationales, seront néanmoins jugés suffisamment instruits dans les différentes parties de l'enseignement national. Car vous voulez concilier ce qu'on doit à la société avec le droit imprescriptible et sacré qu'a tout homme libre d'instruire lui-même son fils, et de façonner à la vertu son ame neuve et docile. Je finis par une réflexion nécessaire ; la France ne gémiroit pas aujourd'hui sur le vide de l'instruction publique, la patrie ne seroit pas alarmée sur le sort de la génération qui nous recommence, si les principales bases du plan que nous vous présentons, n'avoient pas été rejetées dans la séance du premier juillet dernier, ( vieux style ) sur la motion de Robespierre (68); il avoit ses vues pour faire (68) M. U., XLV, 251, à la place de Robespierre utilise la périphrase suivante : « du tyran que vous avez arreté sur les marches du trône pour l'envoyer à l'échafaud. » repousser ces idées régénératrices ; votre comité dont j etois alors, comme aujourd'hui, l'organe près de vous, avoit les siennes aussi pour les proposer. Voici le projet de décret : CHAPITRE PREMIER. Institution des écoles primaires. Article premier. - Les écoles primaires ont pour objet de donner aux enfans de l'un et l'autre sexe, l'instruction rigoureusement nécessaire à des hommes libres. Art. II. - Les écoles primaires seront distribuées sur le territoire de la République, à raison de la population ; en conséquence il sera établi une école primaire par mille habitans. Art. III. - Dans les lieux où la population est trop dispersée; il pourra être établi une seconde école primaire, sur la demande motivée de l'administration du district, et d'après un décret de l'Assemblée nationale. Art. IV. - Dans les lieux où la population est pressée, une seconde école primaire ne pourra être établie que lorsque la population s'élèvera à deux mille individus, la troisième à trois mille habitans complets et ainsi de suite. Art. V. - Dans toutes les communes de la République, les ci-devant presbytères sont mis à la disposition des municipalités pour servir tant au logement de l'instituteur, qu'à recevoir des élèves pendant la durée des leçons. Art. VI. - Dans les communes où il n'existe pas de ci-devant presbytère à la disposition de la nation, il sera accordé, sur la demande des administrations de district, un local convenable pour la tenue des écoles primaires. CHAPITRE II. Jury d'instruction. Article premier. - Il y aura près chaque administration de district un jury d'instruction composé de trois membres nommés par le conseil d'administration du district, et pris hors de son sein. Art. IL - Les fonctions du jury d'instruction seront d'examiner, d'élire et de surveiller les instituteurs et les institutrices des écoles primaires. Art. III. - Le jury d'instruction sera renouvelé par tiers à chaque nouvelle administration. Le commissaire sortant pourra être réélu. CHAPITRE III. Des instituteurs. Article premier. - Les nominations des instituteurs et des institutrices élus par le jury d'instruction, seront soumises à l'approbation de l'administration du district. Art. II. - Si l'administration refuse de confirmer la nomination faite par le jury, le jury pourra faire un autre choix. Art. III. - Lorsque le jury persistera dans sa nomination, et l'administration dans son refus, elle désignera pour la place vacante la 154 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE personne qu'elle croira mériter la préférence. Les deux choix seront envoyés à la commission d'instruction publique qui prononcera définitivement entre l'administration et le jury. Art. IV. - Les plaintes contre les instituteurs et les institutrices seront portées directement au jury d'instruction. Art. V. - Lorsque la plainte sera en matière grave, et après que l'accusé aura été entendu, si le jury juge qu'il y a lieu à destitution, sa décision sera portée au conseil général de l’administration du district, pour être confirmée. Art. VI. - Si l'arrêté du conseil général n'est pas conforme à l'avis du jury, l'affaire sera portée à la commission d'instruction publique, qui prononcera définitivement. Art. VII. - Tous ceux qui rempliront l'honorable mission d'instruire les enfans de la République dans les écoles primaires, seront placés au rang de fonctionnaires publics. Art. VIII. - Les instituteurs et institutrices des écoles primaires seront tenus d'enseigner à leurs élèves les livres élémentaires composés et publiés par l'ordre de la Convention nationale. Art. IX. - Ils ne pourront recevoir chez eux comme pensionnaire, ni donner de leçon particulière à aucun de leurs élèves ; l'instituteur se doit tout à tous. Art. X. - La nation accordera aux citoyens qui auront rendu de longs services à leur pays, dans la carrière de l'enseignement, une retraite qui mette leur vieillesse à l'abri du besoin. Art. XI. - Le salaire des instituteurs sera uniforme sur toute la surface de la République. Il est fixé à 1200 L pour les instituteurs et 1 000 L pour les institutrices ; néanmoins, dans les communes dont la population s'élève au-dessus de vingt-mille habitans, le traitement de l'instituteur sera de 1500 L, et celui de l'institutrice de 1200 L. CHAPITRE IV. Instruction et régime des écoles primaires. Article premier. - Les élèves ne seront pas admis aux écoles primaires avant l'âge de six ans accomplis. Art. II. - Dans l'une et l'autre section de chaque école, on enseignera aux élèves, 1° à lire, à écrire et les exemples de lecture rappelleront leurs droits et leurs devoirs. 2° La déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et la constitution de la République française. 3° On donnera des instructions élémentaires sur la morale républicaine. 4° Les élémens de la langue française, soit parlée, soit écrite. 5° Les règles de calcul simple et de l'arpentage. 6° Des instructions sur les principaux phénomènes et les productions les plus usuelles de la nature. On leur fera apprendre le recueil des actions héroïques et les chants de triomphe. Art. III. - Dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, l'enseignement se fera en même temps dans l'idiome du pays et en langue française, de manière qu'elle devienne dans peu de temps d'un usage familier à tous les citoyens de la République. Art. IV. - Les élèves seront instruits dans les exercices les plus propres à entretenir la santé et à développer la force et l'agilité du corps. En conséquence, les garçons seront élevés aux exercices militaires auxquels présidera un officier de la garde nationale désigné par le jury d'instruction. Art. V. - On les formera, si la localité le comporte, à la natation : cet exercice sera dirigé et surveillé par des citoyens nommés par le jury d'instruction, sur la présentation des municipalités respectives. Art. VI. - Il sera publié des instructions pour déterminer la nature et la distribution des autres exercices gymnastiques, propres à donner au corps de la force et de la souplesse, tels que la course, la lutte, etc. Art. VIL - Les élèves des écoles primaires visiteront plusieurs fois l'année, avec leurs instituteurs, et sous la conduite d'un magistrat du peuple, les hôpitaux les plus voisins. Art. VIII. - Les mêmes jours ils aideront, dans leurs travaux domestiques et champêtres, les vieillards et les parens des défenseurs de la patrie. Art. IX. - On les conduira quelquefois dans les manufactures et les ateliers où l'on prépare des marchandises d'une consommation commune, afin que cette vue leur donne quelqu'idée des avantages de l'industrie humaine et éveille en eux le goût des arts utiles. Art. X. - Une partie du temps destiné aux écoles sera employée à des ouvrages manuels de différentes espèces utiles et commîmes. Art. XI. - Il sera publié une instruction pour faciliter l'exécution des deux articles précédens, en rendant la fréquentation des ateliers et le travail des mains vraiment utiles aux élèves. Art. XII. - Des prix d'encouragement seront distribués tous les ans aux élèves, en présence du peuple, dans la Fête de la Jeunesse. Art. XIII. - Le comité d'instruction publique est chargé de publier sans délai, les réglemens sur le régime et la discipline interne des écoles primaires. Art. XIV. - Les jeunes citoyens qui n'auront pas fréquenté ces écoles seront examinés en présence du peuple à la Fête de la Jeunesse; et s'il est reconnu qu'ils n'ont pas les connois-sances nécessaires à des citoyens français, ils seront écartés, jusqu'à ce qu'ils les aient acquises, de toutes les fonctions publiques. Art. XV. - La loi ne peut porter aucune atteinte au droit qu'ont les citoyens d'ouvrir des écoles particulières et libres, sous la surveillance des autorités constituées (69). (69) Décret d'ajournement sur les écoles primaires, Guyomar, rapporteur, selon C* II 21, p. 19. M. U., XLV, 124.