lAssemblee nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1791]. 251 nant, déterminer et indiquer au roi les circonstances ou le roi devra l’avertir de se réunir. » (Adopté.) M. Thouret, rapportear. L’article 34 ayant été précédemment décrété, nous passons à l’article 35 ainsi conçu: « Art. 35. Si, dans les cas mentionnés en l’article précédent, le roi négligeait de convoquer le Corps législatif, la convocation sera faite par le président de ce corps, qui était en fonctions lorsqu’il s’est séparé. Le président adressera sa lettre de convocation aux directoires des départements, qui seront tenus de la faire publier. » M. Buzot. Je demande que le président ne puisse pas quitter le lieu de la séance pendant les vacances. M. Ménard de La Groye. Certainement on pourrait accuser de beaucoup d’imprévoyance la mesure que vous propose le comité; car le dernier président peut ne pas faire cette convocation pour bien des motifs : il peut être mort ou malade. On pourrait accuser la cour ou même le ministère de l’avoir pratiqué, pour qu’il ne fît pas cette convocation. Je propose à l’Assemblée nationale que la législature, avant de se mettre en vacance, nomme dans son sein quatre commissaires qu’elle chargera de ce soin. M. de Follevüle. Je demande le renvoi de cet article au comité comme présentant des mesures insuffisantes. Je ne sais pourquoi on fait dormir à cet égard la responsabilité des ministres ; car c’est le ministre de l’intérieur qui devrait être chargé de cette convocation. (L’article 35 est renvoyé au comité.) Art. 36. « Le Corps législatif aura la police du lieu de ses séances, et de l’enceinte extérieure qu’il aura déterminée. » (Adopté.) « Art. 37. Il aura aussi la disposition des forces nécessaires au maintien de sa sûreté et du respect qui lui est dû. » M. de Montlosier. Je demande la question préalable sur cet article. Un Corps législatif ne doit point avoir de force à ses ordres. C’est le roi qui doit protéger tout le royaume. (Murmures.) M. Le Chapelier. On met, contre tous vos principes, l’armée entre les mains du Corps législatif. M. de Montlosier. Parbleu, c’est bien clair. M. Le Chapelier. Je ne partage pas les opinions du préopinant; mais je dis qu’il faut mettre une expression plus précise pour que le Corps législatif irait à sa disposition que le corps qui sert à sa garde ; car toute sa sûreté consiste dans la bonté de ses opérations; et nous ne devons pas faire un article qui place à sa volonté toutes le3 forces de l’Etat. Je demande que l’article soit rédigé ainsi : le Corps législatif aura à sa disposition la garde nécessaire au maintien de sa sûreté. M. Thouret, rapporteur. J’adopte cette rédaction. M. de Hoailles. Je demande le renvoi au comité. En Angleterre, lorsque lord Gordon voulut arrêter le mouvement du Parlement et s’emparer de plusieurs de ses membres, il avait su exciter dans Londres même une telle sédition, que si le Parlement n’avait pas eu, dans ce cas-là, le droit d’appeler à sa sûreté les forces nécessaires, la Constitution d’Angleterre était ruinée, le Parlement était dissous. M. Démeunier. Le préopinant se trompe absolument dans le fait et dans le droit. Lors de la sédition de lord Gordon, 20,000 personnes à peu près environnaient les salles de Westminster; mais la Chambre des communes ne donna ordre à aucun soldat. Le roi fit marcher un demi-bataillon des gardes qui sont à Londres. Il est de principe en Angleterre que la Chambre des communes a le droit de faire garder son enceinte. Je demande qu’on mette aux voix l'article sauf rédaction. (L’article 37 est adopté, sauf rédaction.) Art. 38. « Le pouvoir exécutif ne pourra faire passer ou séjourner aucun corps de troupes de ligne en deçà de 30,000 toises de distance du lieu des séances du Corps législatif si ce n’est sur sa réquisition, ou avec son consentement exprès. » (Adopté.) « Art. 39. Le Corps législatif, fera tous les règlements qu’il jugera nécessaires pour l’ordre de son travail et il pourra prononcer, contre ses membres, qui s’écarteront de leurs devoirs, la censure, les arrêts à temps , ou même l'exclusion , suivant la gravité de leurs fautes ou délits. » M. Buport. Il me semble qu’une simple réflexion sur l’exclusion de ses membres parle Corps législatif, démontrera combien cette attribution est contraire aux principes, et serait absurde dans ses conséquences. Les délibérations de l’Assemblée passant à la majorité, il est évident que la majorité aurait le droit d’exclure de son sein la minorité; et cependant un règlement n’est fait que pour protéger les droits individuels contre la volonté de tous. Lorsque des hommes peuvent non seulement être renvoyés, mais lorsqu’ils peuvent en concevoir la crainte, alors vous ôtez tout moyen d’expliquer la vérité ; et si vous chassez la justice et la vérité de l’Assemblée nationale, je ne sais pas où elles se trouveront. (Applaudissements.) M. Le Chapelier. Je ne me dissimule pas qu’au premier coup d’œil, et surtout avec la rédaction de l’article sans aucune modification, il ne puisse paraître susceptible de plus graves inconvénients, et tout à fait contraire au droit de la représentation nationale; cependant je vous prie de considérer qu’il peut arriver qu’il y ait tel membre qui oppose par ses clameurs une malveillance si persévérante aux délibérations des Assemblées (Murmures à gauche ), qu’il soit nécessaire de prendre une mesure contre lui. Que vous propose-t-on de substituer à l’exclusion absolue? Une exclusion momentanée. Hé bien! cela est plus défavorable au département représenté que l’exclusion absolue; car, comme vous adopterez sans doute la mesure des suppléants, si un membre est exclus tout à fait, son suppléant le remplacera; s’il ne l’est qu’à temps, le département sera privé d’un représentant. Il reste maintenant l’objection la plus grave; c’est que la majorité dominante peut exclure de son sein la minorité brave ; car il n’y a de vraie 252 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1791.1 bravoure que dans la minorité. Pour éviter ce danger, je propose que l’exclusion ne pourra être prononcée qu’aux dix douzièmes des voix; alors il n’y a aucune espèce d’inconvénient.. M. Barnave. Ce n’est point du tout des intérêts des départements qu’il s’agit dans cette circonstance, mais des intérêts de la nation, de la vérité, de la fermeté et du courage. Or, en mettant à la place du membre exclu, on ne fait rien pour ces intérêts; car il arrivera très fréquemment que le suppléant sera directement du parti opposé au membre qu’on aura exclu. Le mode des suppléants n’est pas connu en Angleterre ; mais je suppose qu’il existe et que le suppléant de M. Fox fut voué au ministère. Je demande ce qu’il en reviendrait à la nation si la majorité des communes usant de son ascendant excluait M. Fox, et mettait son suppléant à sa place. Je dis que le mode qu’on a proposé pour conserver l’intérêt national ne va point du tout à ce but; car les dix douzièmes de la totalité de l’Assemblée ne seront jamais d’accord sur ce point; et vous manquerez un principe, pour un résultat impossible. Messieurs, ce ne sera point sur des membres ordinaires que porteront ces espèces de proscriptions. On prononcera, contre un député brouillon qui troublera momentanément l’Assemblée, la peine des arrêts, peine très suffisante puisqu’elle l’exclut des séances jusqu’au moment où il sera corrigé; mais vous verrez que le terrible mot de l’exclusion ne sera jamais prononcé que contre ceux dont le courage et les talents seront véritablement redoutables. J’ai souvent entendu vanter ici le principe de l’ostracisme, et c’est véritablement un ostracisme qu’on reproduirait par le décret qui vous est proposé; mais l’ostracisme fut exercé souvent contre la vertu, toujours contre la fermeté, par ceux dont la fermeté et la vertu auraient été sacrifiés à d’autres intérêts. L’ostracisme d’ailleurs est un mode conservateur dans la République, parce qu’il empêche qu’un grand citoyen n’attire sur lui cette affection et ce crédit avec lequel on monte à la première place, avec lequel on crée un trône, là où la Constitution n’en avait pas créé; mais l’osiracisme injuste est la perte des pays libres sous une monarchie. C’est par l’ostracisme contre l’homme vertueux qu’on fait dominer le pouvoir seul; c’est en portant la persécution contre celui qui n’a de défense que ses talents et sa fermeté, que l’on finit par mettre tout dans les mains du dépositaire du pouvoir. Je demande formellement la question préalable sur cette partie de l’article. ( Applaudissements .) (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’exclusion.) M. de Hoalïles. Messieurs Duport et Barnave ont fort bien établi que la souveraineté nationale ne permettait pas qu’un député fût exclu de ses fonctions. Il en résulte naturellement qu’on ne peut l’exclure d’une séance quelconque. Je demande donc que l’article s’exprime de façon qu’on puisse envoyer un député aux arrêts, en prison même, si on le juge convenable; mais qu’il puisse toujours, par des moyens qu’on prendra, assister aux séances, y discuter les intérêts de la nation et enfin ceux de ses commettants. M, Couppé. La proposition de M. de Noailles est absolument distinctive du projet du comité; car il n’y a pas d’autre moyen de rendre le calme à une délibération troublée par les clameurs indécentes et opiniâtres d’un membre quelconque, comme nous l’avons vu au milieu de nous, que de l'empêcher de revenir pendant qu’on traitera la même question. Je demande donc la question préalable sur la proposition de M. de Noailles. M. Begnand (de Saint-Jean-d' Angèly). A l’appui de l’amendement de M. de Noailles, je vais vous présenter un exemple possible : je suppose qu’il soit question de délibérer sur la paix ; un de ceux qui aura cette opinion contraire au système de la cour et des ministres, parlera avec beaucoup de force et d’énergie ; il lui échappera peut-être, dans le cours de la discussion, quelqu’un de ces élans véhéments qui échappent au génie et à la meilleure intention; il sera répréhensible. Il méritera la peine des arrêts pendant plusieurs jours, pour avoir défendu dans une forme répréhensible la meilleure cause, et sur laquelle lui seul peut-être aura des notions. Qu’arrivera-t-il? La majorité livrée au parti ministériel profitera de cette occasion, ordonnera les arrêts à ce membre pour tout le temps de la discussion; et' alors, faute d’entendre un homme qui aura de l’influence par ses talents ou ses connaissances, on décrétera la guerre au lieu de décréter la paix. Je crois qu’il n’est nulle objection à faire à cette observation, qui au reste peut s’étendre et se multiplier à l’infini. Quant à l’observation de M. Couppé, elle ne tendrait qu’à exclure de la séance seulement le membre qui se serait oublié. J’appuie l’amendement de M. de Noailles. M. Thonret, rapporteur. C’est en montrant les conséquences des principes qu’on dépasse le but ; et il est très aisé, quand on fait des hypothèses pour y appliquer des principes, de donner de la consistance à ce qui n’en a réellement pas. Nous devons respecter la représentation nationale; mais il ne faut pas que ce respect nous fasse manquer à nos devoirs. La délibération du Corps législatif doit donner des lois à la nation. Les représentants sont envoyés pour remplir le vœu commun; si une section de l’Empire se trompe sur la moralité de son choix, si son député fait tort à la chose publique par sa conduite, il faut nécessairement qu’on puisse réprimer un excès contraire au bien public. Je demande s’il est vrai qu’on applique mal le respect dû à la souveraineté nationale, en disant que le Corps législatif a le droit de réprimer les écarts commis par une partie de ses membres qui se sont écartés de leurs devoirs, et qui se montrent constamment récalcitrants, après des avertissements répétés. Si un représentant exerce des violences dans l’Assemblée ou s’il menace un orateur qui défend les intérêts du peuple, il faut qu’il puisse être réprimé, et il ne suffit pas de le faire sortir de l’Assemblée. A parler franchement c’est une mesure indécente, car cela équivaut à le mettre à la porte. Il faudrait des correcteurs dans le sein de l’Assemblée nationale pour exécuter ce genre de régime. (Rires.) Quant à i’amendement de M. de Noailles, je réponds qu’il est de tels écarts dont un député peut se rendre coupable au milieu de l’Assemblée nationale, qu’il faut des châtiments grands. Les Anglais connaissent celui de l’envoi à la Tour ; ils connaissent cependant les principes de la sou- 253 1 Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (20 mai 1791. J veraineté nationale. Il serait inconvenant et illusoire que celui qui a violé la décence et le repos de l’Assemblée, pût rentrer dans le sein de cette même assemblée. Il vaut mieux faire éprouver une abstention à celui qui a mauqué à la souveraineté nationale. Une partie de la nation, qui a choisi un mauvais sujet, ne peut pas porter préjudice à la nation entière qui n’a voulu former une Assemblée de représentants que pour s’assurer de ses intérêts. Pour la limitation du temps des arrêts et à la prison à temps, comme le maximum des peines de l’intérieur de l’Assemblée du Corps législatif, je l’adopte. Voici, en conséquence, la rédaction que je propose : Art. 39. « Le Corps législatif fera tous les règlements qu’il jugera nécessaires pour l’ordre de son travail et pour la discipline de ses séances; mais il ne pourra prononcer contreceux de ses membres qui s’écarteront de leur devoir, d’autre peine que la censure, les arrêts, qui ne pourront être étendus à plus de 8 jours, et la prison, qui ne pourra l’être à plus de 3. » {Adopté.) M. Thouret, rapporteur , donne lecture de l’article 40, ainsi conçu : « Le public sera admis aux séances, en se conformant aux règles qui seront établies pour le maintien du bon ordre; le Corps législatif pourra faire arrêter et punir correctionnellement ceux qui troubleraient ses fonctions ou lui manqueraient de respect. » M. lie Chapelier. Je demande que le principe de la publicité des séances soit exprimé d’une façon plus formelle dans l’article et qu’on dise : « Les délibérations du Corps législatif seront nécessairement publiques.” (Cette motion est adoptée.) En conséquence, l’article est mis aux voix dans les termes suivants : Art. 40. « Les délibérations du Corps législatif seront nécessairement publiques, mais le Corps législatif pourra faire sortir les assistants, s’ils troublaient la délibération, même faire arrêter et punir correctionnellement ceux qui apporteraient quelque trouble aux fonctions du Corps législatif, on lui manqueraient de respect.» {Adopté.) (La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.) M. le Président lève la séance à 3 heures. ASSEMBLÉE NATIONALE PRÉSIDENCE DE M. TREILHARD, EX-PRÉSIDENT. Séance du vendredi 20 mai 1791, au soir (1). La séance est ouverte à 6 heures du soir. Un de MM. les secrétaires fait lecture : 1° du procès-verbal de la séance d’hier au soir, qui est adopté ; 2° d’une adresse de la Société des amis de la Constitution, séant à Clermont-Ferrand , département du Puy-de-Dôme , par laquelle elle demande le licenciement momentané des officiers des troupes de ligne et se plaint de l’incivisme de plusieurs d’entre eux. (Cette adresse est renvoyée au comité militaire.) 3° d’une Adresse des Juifs domiciliés à Paris , ainsi conçue : « Les Juifs résidant à Paris, prenant la liberté d’exposer à l’auguste Assemblée nationale que la plupart d’entre eux ont de père en fils, plus de cent ans d’habitations dans cette capitale; Su’ils s’y sont toujours comportés comme des dèles sujets et de braves citoyens, qu’ils ont fourni des preuves de leur patriotisme dès le commencement de la Révolution, et qu’ils se sont montrés, des premiers, les zélés partisans de la Constitution; qu’ils se sont fait inscrire dans la garde nationale aussitôt sa formation ; qu’ils ont fait des dons patriotiques, suivant leurs facultés, et ont payé avec empressement leur contribution patriotique, et qu’ils sont toujours prêts à répandre leur sang pour la gloire de la nation et le soutien de la liberté; qu’ils élèvent leurs enfants dans ces principes et qu’ils les instruisent des lois et des décrets de l’Assemblée nationale, qu’ils regardent comme un catéchisme que tout bon français doit faire apprendre à ses enfants pour leur faire aimer leur patrie, défendre leur liberté, et se soumettre et obéir à la Constitution et aux décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés par le roi. « Les exposants ne dissimuleront pas qu’ils voient avec la plus grande joie que leurs frères, les Juifs espagnols et portugais, ont obtenu le titre de citoyen actif avec tous les droits qui en dépendent, mais qu'ils voient en même temps avec la plus grande peine, qu’ils sont privés de cette faveur, quoique plusieurs d’entre eux aient des lettres de maîtrise, et quoiqu’ils soient de la même famille, tous descendants de Jacob, fils d’Isaac, dont la généalogie est d’autant plus certaine que la tradition parmi eux vaut titre. « L’Assemblée nationale a décrété que les étrangers résidant en France, jouirait, après 5 ans de résidence, des droits de citoyens français. Par quelle fatalité les exposants seraient-ils réputés moins que des étrangers et seuls exclus des droits que la nature donne et que les décrets de l’Assemblée nationale rendent à tous les hommes. Considérés comme juifs, ils font partie des citoyens français, puisqu’ils en remplissent les fonctions et les devoirs ; considérés comme étrangers, quoique la plupart soient nés en France, ils ont, au terme de la loi, acquis le titre de citoyens français, qu’une longue habitation dans la capitale leur donne, donc ils doivent jouir de tous les droits qui en dépendent. « La municipalité est à la veille de faire une liste des citoyens actifs et éligibles* conformément au décret du 29 décembre 1790. Un décret récent en ordonne la prompte exécution ; c’est un nouveau motif pour les exposants, également propre à justifier leur instance et leur vive sollicitude, et à déterminer l’Assemblée nationale de régler leur destinée. « Le vœu des sections de la capitale en faveur des exposants lui est connu ; une députation des représentants de la commune de Paris a porté dans son sein l’expression de ce vœu authentique contenu dans leur arrêté du 24 février 1790, et la réponse de M. le Président, l’évêque d’Au-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.