{Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |26 février 1791. J 545 M. Garat, l'aîné. M. Barnave a toujours raisonné dans cette question comme si les faits dont il s’agit étaient prouvés, comme si les crimes étaient parfaitement constatés. Je défie au dialecticien le plus subtil de cette Assemblée de rénondre à l’observation que je vais faire. L’Assemblée ordonne une information; donc les faits ne sont pas certains, donc elle ne peut les affirmer dans son préambule. On a toujours dit : il est prouvé, il est prouvé ; et l’on a perdu de vue l’état dans lequel cette affaire se présente. 11 n’y a dans le rapport qui a été fait qu’une information commencée, qu’un procès entamé dont les témoins n’ont pas été confrontés; je m’étonne que, lorsqu’une procédure n’est pas consommée, on se permette de parler de ce qui n’est pas prouvé comme de crimes parfaitement constatés. Si le préambule de votre décret déclare les accusés coupables, quel tribunal osera les déclarer innocents? Si vous renvoyez pour le jugement, il faut que dans le préambule vous ne décidiez rien sur la nature des crimes; car, autrement, ce serait procéder eu tyrans que de dicter aux juges leur jugement. M. Delavigac. Ce n’est que par une confusion d’idées que le préopinant a prétendu qu’on anticipait sur l’information. Il ne s’agit que de punir ceux qui ont donné le scandaleux exemple d’avoir enlevé le drapeau rouge. Il faut que le préambule contienne les faits qui doivent être la base des informations. Le préambule ne désigne personne, ne calomnie personne. Je demande qu’il soit conservé. Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! M. Tessier de Marguerittes parait à la tribune. Plusieurs membres à gauche : A la barre! à la barre ! M. Madier de Montjau. Il faut que l’accusé soit entendu. M. Verchère de MÈeffye. Qu’il aille à la barre, il sera entendu. Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée. ( Mouvement prolongé.) M. le Président. On demande que la discus-, sionsoit fermée; je mets cette proposition aux voix. (L’Assemblée décide que la discussion est fermée.) M. Bufraissc-Bueliey. Je demande que l’on consigne au procès-verbal le refus opposé àM. de Marguerittes de l’entendre. Plusieurs membres à droite : Allons-nous-en! allons-nous-en ! ( Applaudissements .) (Un grand nombre de membres de la droite quittent leurs places ; après être restés un moment attroupés au milieu de la salie, ils quittent successivement la séance.) M. le Président. On demande la question préalable sur le préambule; je la mets aux voix. (L’Assemblée décrète qu’il y a lieu à délibérer.) M. Tarie. La municipalité de Schelesladt avait été destituée ; mais les factieux se sont fait réélire. Le même argent, qui a déjà été distribué à Nîmes, pourrait encore faire réélire l’ancienne municipalité. Je demande qu’elle soit déclarée inéligible. (Applaudissements.) (Get amendement est adopté.) M. Merlin. Je demande que, pour cette affaire, on ne corresponde pas avec le directoire du département, mais avec le procureur général syndic du dépariement. (Get amendement est adopté.) M. Pétion de Villeneuve. Ii est dit dans le projet de décret que la procédure sera renvoyée au tribunal de Montpellier. Je crois qu’il serait plus prudent de la renvoyer au tribunal d’Arles, et je le propose par amendement. (Get amendement est décrété.) M . Alquier, rapporteur. Voici le projet de décret amendé ; « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comilés des recherches et des rapports, « Considérant que l’élection de la municipalité de Nîmes a été l’effet de l’intrigue et de différentes distributions d’argent ; que cette municipalité a favorisé les troubles, en permettant qu’on arborât la cocarde blanche, ne réprimant pas les projets séditieux manifestés par les délibérations des 20 avril et 1er juin ; « Que les événements désastreux qui se sont passés à Nîmes les 29 mars, 3 mai, 13, 14, 15 et 16 juin 1790, ont été l’effet des séductions employées par les ennemis du bien public, pour égarer le peuple et troubler la paix du royaume : « Considérant que la pins grande partie de ces malheurs n’aurait pas eu lieu si la proclamation de la loi martiale n’avait pas été arrêtée le dimanche 13 juin; que ceux qui ont provoqué ou ordonné des violences contre les officiers municipaux, qui la proclamaient, sont seuls responsables de tous les délits qui ont suivi et doivent en être considérés comme les auteurs, décrète : Art. 1er. « Que la municipalité de Nîmes est destituée et qu’il sera procédé incessamment à l’élection d’une nouvelle, dans laquelle les membres de la municipalité destituée ne pourront être élus ; que le roi sera prié de donner à cet effet les ordres nécessaires au procureur général syndic du département, et de faire passer à Nîmes des forces suffisantes pour assurer la liberté et la tranquillité des élections. Art. 2. « Qu’il sera informé devant le tribunal du district d’Arles, et à la requête de l’accusateur public, contre ceux qui, le dimanche 13 juin, ont donné l’ordre de tirer sur les officiers municipaux, d’enlever à deux fois différentes les drapeaux rouges, d’entraîner et de retenir de force, dans une maison, un des officiers municipaux chargés de la proclamation. Art. 3. « Que la procédure commencée sur les autres événements des 13, 14, 15 et 16 juin, ainsi que celle qui est relative aux journées des 29 mars, 2 et 3 mai, cesseront d’être suivies, seront regar-35 4ro Série. T. XXI1L 546 [Assemblée nationale.] ARÇHIVES PARLEMENTAIRES. [26 février 1791.] dées comme non avenues ; en conséquence, que les accusés seront incessamment remis en liberté. Art. 4. « Enfin, l’Assemblée nationale, profondément touchée des événements désastreux dont on a entendu le récit, invite les citoyens de Nîmes à se prémunir contre les suggestions qu’on pourrait employer encore pour les désunir et pour les plonger dans de nouveaux troubles ; elle les exhorte à sacrifier, pour le bien de la paix, le souvenir et le ressentiment de leurs maux, et à chercher dans l’union la plus durable et dans la tranquillité publique, la consolation et l’oubli des malheurs qu’ils ont éprouvés pour avoir ajouté foi aux perfides insinuations de quelques hommes mal intentionnés. » (Ce décret est adopté.) M. le Président lève la séance à dix heures trois quarts. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ÀSSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 26 FÉVRIER 1791, AU SOIR. Opinion de M. Cortois de Balore , évêque de Nîmes, sur la manière de rétablir la tranquillité dans cette ville (1). Messieurs, les mêmes motifs qui vous ont déterminés à renvoyer par devant d’autres tribunaux que ceux de Montauban et de Schelestadt la connaissance des troubles qui ont agité ces deux villes, vous détermineraient, à plus forte raison, au renvoi de la procédure de Nîmes, dont les malheurs ont été plus déplorables encore, et où se sont développées, avec bien plus de chaleur et d’activité, ces passions violentes qu’il importe si fort d’écarter de l’enceinte des tribunaux. Mais, plus j’ai profondément médité sur les causes de nos funestes divisions, sur leurs effets, sur les moyens les plus efficaces de ramener, dans nos murs désolés, sinon Je bonheur (hélas I combien nous aurons longtemps encore de larmes à verser !) an moins le seul adoucissement qui reste après de grands maux, la douceur de pleurer en paix et de s’attacher insensiblement aux objets de consolation qui nous restent ; plus je me persuade que, pour rélablir sincèrement et solidement la paix dans la ville de Nîmes, ce n’est pas le renvoi, mais l’abolition entière de la procédure qu’il faut vous demander; plus je me persuade qu’un oubli et un pardon général, tant de la part des législateurs et des vengeurs des lois, que de la part même des opprimés, qui se croient en droit d’en réclamer la vengeance, sont le seul remède à leurs maux particuliers, comme à ceux de leur malheureuse patrie. (I) La discussion s’étant prolongée pendant cinq séances, M. l’cvêquc de Nîmes, qui n’a pu obtenir la parole aux quatre premières, s’est trouvé, le jour do la cinquième, très malade d’un violent mal de gorge avec la fièvre, et tout à fait hors d’état d’aller à l’Assemblée. Je ne solliciterais, Messieurs, qu’une seule exception sévère si les inculpations, résultant de la procédure contre quelques ecclésiastiques, paraissent avoir Je moindre fondement, je demanderais que la procédure continuât de s’instruire contre eux seuls; l’honneur même de leur ministère rendrait cette exception nécessaire ; mais, Messieurs, quand la faiblesse même des charges ne les justifieraient pas complètement; quand les actions les plus ordinaires, les plus simples, ne seraient pas travesties en actes coupables et séditieux ; quand ces accusations vagues de fanatisme si fastidieusement répétées de nos jours, et qui n’annoncent plus que le fanatisme de l'irréligion et de l’incrédulité, poursuivant avec acharnement la leligion et ses ministres, ne détruiraient pas dans tous les bons esprits jusqu’au moindre soupçon contre ces ecclésiastiques, leur nom seul me rassurerait aussi ; en effet, et je ne sais par quelle fatalité, il semble que ce soit aux hommes les plus respectables du clergé de cette ville qu’une maladroite calomnie ait osé s’attaquer; à ces hommes dont les noms, depuis une longue suite d’années, se trouvent attachés à toutes les bonnes œuvres, inscrits dans les fastes de toutes nos maisons de charité, connus parmi les pères des pauvres; à des curés, à des pasteurs, dignes imitateurs des Vincent de Paul et des Longuet, l’amour et la consolation de leurs troupeaux ; à ces hommes auxquels il fallait bien chercher des crimes , puisqu’on s’était rendu coupable envers eux des plus violentes injustices, mais dont il était plus facile de piller et de dévaster les maisons, comme ou l’a fait, que d’entacher l’innocence ; à ces hommes enfin que, sur le théâtre de leurs vertus et de leur charité, on est aussi étonné d’entendre calomnier que vous le fûtes, Messieurs, lorsqu’au milieu de vous-même, vous entendîtes tout à coup un nom, dont la loyauté vous était si bien connue, le nom de Toulouse-Lautrec , prostitué dans la fable absurde d’une dénonciation maladroitement concertée entre deux vils calomniateurs et cependant adoptée par les magistrats. Je ne m’abaisserai donc pas à craindre, pour de tels hommes, que leur honneur puisse être même soupçonné; et, lorsque l’abolition entière de la procédure me semble être le seul moyen d’adoucir les maux de notre malheureuse patrie, ces noms chéris et respectés auront beau y être témérairement compromis, je n'en répéterai pas avec moins de persuasion et de confiance à l’Assemblée nationale : Nîmes ne peut être sauvé qu’en ensevelissant tout ce qui s’est passé dans un éternel oubli. Et ne croyez pas, Messieurs, que ce conseil soit uniquement celui du ministère de paix et de miséricorde que je remplis près des habitants de ces contrées, la religion ne conseille rien que la prudence et la saine politique ne doivent faire adopter. Malgré la différence étonnante des récits qui vous ont été faits de nos désastres, la voix forte et convaincante, quoique tardive, de la vérité, s’est fait entendre; elle aura dissipé ces épaisses vapeurs, dont les lieux et les premiers instants de ces scènes terribles sont toujours enveloppés, pour les yeux meme les plus perçants et les moins prévenus; sans vous en laisser imposer par ces noms de patriotes ou de rebelles, témérairement usurpés ou donnés, vous aurez déjà discerné, Messieurs, entre les oppresseurs et les opprimés, entre les victimes et les coupables. Mais, si la dure nécessité de repousser une