[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 mars 179I.J 263 gence et où commence l’activité personnelle du premier magistrat du royaume. Le comité vous propose un terme moyen entre la trop grande précocité de l’âge de 14 ans et le trop long retard de la majorité civile ordinaire. Les dangers de la régence dans l’ancien désordre politique de l’Etat l’avaient emporté sur toute autre considération pour faire réputer les rois majeurs à 14 ans : on avait tout sacrifié à l’intérêt de rendre le cas de la régence moins fréquent, ou d’abréger du moins sa durée. Mais dans l’état de fixité que la Constitution donne aux pouvoirs politiques, à l’ordre de leur délégation et aux règles de leur exercice, quand un Corps législatif permanent, des administrateurs citoyens, et la .nation elle-même organisée en force intérieure ne laisseront aucune prise, soit aux abus de la régence, soit aux tentatives ambitieuses d’un régent, les motifs de précipiter l’époque de la majorité du roi avant l’âge des connaissances, de la raison et de la capacité ne subsistent plus. Ajoutons que l’accroissement d'importance que les fonctions royales ont acquis par la Constitution, dans les cas surtout où elles concourent avec celles du Corps législatif, exige qu’elles ne soient remises qu’à un roi capable de les exercer avec un plein discernement. Quand il ne s’agira plus d’annuer aux projets si souvent superficiels d’un ministre, mais de peser les motifs des décrets profondément discutés par les législatures, n’y aurait-il pas une inconvenance grave aux yeux de la nation et fâcheuse pour la royauté dans l’opinion publique à ce que les plus mûres délibérations des représentants du peuple se trouvassent arrêtées par le veto d’un roi de 14 ans? Le terme le plus prochain auquel la majorité de nos rois puisse être fixée pour l’avenir a paru au comité être au moins celui de la dix-huitième année accomplie. Je finis en observant que nous avons distingué la régence du royaume de la garde du roi mineur, parce qu’il est utile, pour le maintien des principes, de différencier encore par ce trait caractéristique la régence de la tutelle; parce que la régence, étant la suppléance temporaire aux fonctions publiques de la royauté, n'a aucun rapport nécessaire avec la vigilance domestique sur l’individu appelé de droit à ces fonctions, mais qui en est séparé tant qu’il ne peut pas les remplir ; parce que l’assiduité et les soins qu’exige celte vigilance domestique sont même incompatibles avec les grandes et laborieuses occupations du gouvernement; parce qu’enfin la loi, devant écarter toutes les tentations et prévenir tous les dangers, ne doit pas confier la garde du roi à celui qui, exerçant déjà la royauté, ne trouve pas d’autre intermédiaire entre le trône et lui que la seule personne du roi. Telles sont, Messieurs, les bases de notre travail dont les développements reparaîtront au besoin dans la discussion successive des articles. PROJET DE DÉCRET De la régence du royaume. < Art. 1er. Au commencement de chaque règne, le Corps législatif, s’il n’était pas réuni, sera tenu de se rassembler sans délai. « Art. 2. Si le roi est mineur, il y aura un régent du royaume. « Art. 3. La régence du royaume appartiendra de plein droit, pendant tout le temps de la minorité du roi, à son parent majeur le plus proche par les mâles, et, en cas de parité de degré, à l’aîné. « Art. 4. Aucun parant du roi, ayant les qualités ci-dessus, ne pourra cependant être régent, s’il n’est pas Français et régnicole, ou s'il est héritier présomptif d’une autre couronne. ■< Art. 5. Les femmes sont exclues de la régence. « Art. 6. Si un roi mineur n’avait aucun parent réunissant les qualités ci-devant exprimées, le régent sera élu ainsi qu’il va être dit aux articles suivants. « Art. 7. Les citoyens actifs convoqués en assemblées primaires, nommeront des électeurs conformément aux vingt premiers articles de la section première du décret du 22 décembre 1789- « Art. 8. Les assemblées primaires seront convoquées d’après une proclamation du Corps législatif, s’il est réuni; et s’il était séparé, le ministre de la justice sera tenu de faire cette proclamation dans la première semaine du nouveau règne. « Art. 9. Les électeurs, nommés par les assemblées primaires de chaque département, se réuniront en une seule assemblée, et nommeront, au scrutin individuel et à la majorilé absolue des suffrages, 10 citoyens éligibles à l’Assemblée nationale. « Art. 10. Les 10 citoyens nommés en chaque département seront tenus de se rassembler dans la ville où le Corps législatif aura tenu sa dernière séance, le cinquantième jour au plus tard, à partir de celui de l’avènement du roi mineur au trône; et ils y formeront le corps électoral qui procédera à la nomination du régent. « Art. 11. L’élection du régent sera faite au scrutin individuel et à la majorité absolue des suffrages. « Art. 12. Le corps électoral ne pourra s'occuper que de l’élection, et se séparera aussitôt qu’elle sera terminée. « Art. 13. Si, par quelque cause que ce soit, le régent ne pouvait pas commencer sur-le-champ l’exercice de ses fonctions, ou si, aux termes de l’article 6 ci-dessus, la régence devenait élective, les ministres pourront faire provisoirement, sous leur responsabilité, les actes du pouvoir exécutif qui seront nécessaires à la suite de l’administration du royaume. « Art. 14. A cet effet, les minisires seront tenus de se réunir en conseil pour délibérer sur tous les actes qui excéderont les détails d’expédition journalière confiés à chaque département ministériel. Ils tiendront registre de ces délibérations qui seront signées par tous ceux dont les suffrages auront concouru à les former. « Art. 15. Si, à raison de la minorité d’âge du parent appelé à la régence, elle avait été déférée par élection, ou dévolue à un parent plus éloigné, celui qui n’avait été exclu d’abord que par son défaut d'âge, deviendra régent aussitôt qu’il aura atteint sa majorité; à cette époque, le régent élu, ou moins proche en degré de parenté, cessera ses fonctions. « Art. 16. Le régent sera tenu de prêter à la nation, entre les mains du Corps législatif, le serment d’employer tout le pouvoir délégué au roi par la loi constitutionnelle de l'Etat , et dont V exercice lui est confié pendant la minorité du roi , tant à maintenir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790 et 264 [AssenjLlée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 mars 1791.] 1791, et acceptée par le roi Louis XVI , qu'à faire exécuter les lois. « Art. 17. Le régent exercera toutes les fonctions de la royauté, en se conformant aux règles établies par la Constitution, et il ne sera pas responsable personnellement de ses actes relatifs à l’administration du royaume. « Art. 18. Les lois, proclamations et autres actes de gouvernement émanés de l’autorité royale pendant la régence, seront conçus ainsi qu’il suit: « N... (le nom du régent), régent du royaume, au nom de N... (le nom du roi), par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’Etat, roi des Français, etc. « Art. 19. Le roi, parvenu à l’âge de 14 ans accomplis, assistera au conseil sans y avoir voix délibérative. « Art. 20. Le roi sera majeur à l’âge de 18 ans accomplis : de ce jour la régence cessera de plein droit, et les lois, proclamations et autres actes du gouvernemeut ne seront plus intitulés du nom du régent. « Art. 21. Aussitôt que le roi sera devenu majeur, il annoncera, par une proclamation publiée dans tout le royaume, qu’il a atteint sa majorité, et qu’il est entré en exercice des fonctions de la royauté. » Messieurs, je vais vous proposer tout d’abord le premier article de ce projet de décret, en vous observant qu’il n’est pas fait simplement et exclusivement pour la régence, mais que, dans l’intention du comité, il doit avoir son application toutes les fois qu’il y aura un nouveau règne, soit que le nouveau roi soit majeur, soit qu’il soit mineur. Et comme il est nécessaire à �application des différentes conséquences qui se trouvent dans les articles subséquents, il est bon de le décréter tout d’abord ; j’en donne une nouvelle lecture. « Art. 1er. Au commencement de chaque règne, le Corps législatif, s’il n’était pas réuni, sera tenu de se rassembler sans délai. » M. deCazalès. Les bases du rapport qui vient de vous être fait sont conformes à toutes les règles d’une saine économie politique. Il est cependant impossible que, dans une question aussi importante, on aille aux voix sans discussion. Quant à moi, mon opinion très prononcée est que le rapport est bon; et si personne ne l’attaque, bien certainement je ne dirai rien. Cette question beaucoup plus importante dans son objet que difficile à résoudre, d’après les données que nous avons, qui ont établi l’unité delà couronne et du pouvoir exécutif dans la personne du régent, n’en paraît que les conséquences nécessaires. Ainsi, quant à moi particulièrement, cette question ne me paraît pas difficile à résoudre. Il est cependant impossible qu’il n’y ait pas dans cette Assemblée des individus qui auront des objections à faire. (Murmures.) Cependant il est un article de votre règlement qui exige que tout décret constitutionnel soit discuté pendant trois jours. (Murmures.) Il est une autre réflexion que j’ai l’honneur de soumettre à l’Assemblée. Je voudrais que M. le rapporteur voulût bien nous faire en même temps le rapport du décret sur la garde du roi, car il est une grande connexité entre ces deux résolutions. Cette connexité est telle, que si par exemple l’Assemblée ne séparait la garde et l’éducation de l’héritier présomptif, de l’administration de l’Empire, alors j’attaquerais très fortement le décret, et il y a beaucoup de membres de celte Assemblée qui seraient de mon avis et qui trouveraient qu’il n’est ni politique ni prudent de confier la régence et la garde du roi au premier prince du sang. Il est donc nécessaire que l’Assemblée nationale détermine d’abord cette question : si la régence, l’éducation et la garde du roi seront confiées à deux individus différents. (• Murmures et interruptions.) Un membre: C’est dans le décret. M. de Cazalès. J’entends les raisons très mal articulées qui partent des murmures qui m’interrompent. Ces Messieurs qui m’environnent me disent que le comité de Constitution le propose ainsi; mais il se pourrait fort bien que le projet du comité de Constitution ne fût pas adopté en son entier, de manière qu’il se pourrait qu’après que l’Assemblée nationale aurait décrété que la régence doit appartenir au premier prince du sang, on nous proposât de réunir la régence à la garde du roi. (Murmures.) Je demande donc, pour que l’Assemblée nationale ne puisse pas être surprise dans sa délibération, que l’on commence par déterminer que la garde et l’éducation du roi seront distinctes� de la régence et confiées à deux personnes séparées. (Applaudissements au centre.) Après cette détermination, l’on ira aux voix sur le projet de la régence. M. Thouret, rapporteur. La proposition du préopinant, non pas telle qu’il la propose, mais telle qu’elle est dans le projet, peut sans aucun danger devenir l’ordre commun des idées de l’Assemblée; car on (eut décréter préliminairement le premier article sur la garde du roi, qui est ainsi conçu ; « La régence du royaume ne confère aucun droit sur là personne du roi mineur. » M. Voidel. Quoiqu'on ce moment ce projet ne paraisse pas souffrir de difficultés sérieuses, il me semble cependant que l’importance de la matière est telle que l’on peut bien ajourner à deux ou trois jours. (Murmures.) Plusieurs membres: Non I non! M. 'Voidel. Les murmures qui repoussent mon observation en annoncent le succès (Rires.); mais j’ai cru devoir la faire à l’Assemblée. Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! M. de Mirabeau. Ce n’est pas précisément sur les mêmes objets que je demandais la parole. Ce n’est pas que je ne pense aussi qu’une question telle que celle de la régence, et quel que soit le projet de décret qui vous est proposé, n’élève une foule de questions même pour l’Assemblée elle-même. Il est vrai qu’à cet égard je n’ai peut-être à me plaindre que de mes propres circonstances, qui m’ont absolument empêché de rêver à cette loi, parce que j’étais extrêmement malade le jour qu’elle a été annoncée. (Murmures.) Un membre : Quel orgueil! M. de Mirabeau. Messieurs, ce n’est pas dans la circonstance que je rapporte qu’on peut manquer de modestie; car je ne tais que me défendre de n’avoir pas un avis à prononcer moi-même en ce moment. (Murmures prolongés.)