418 lAsaeuibléo nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1790.] tablement un crime de lèse-nation, et ne saurait être trop tôt puni. Si les bons citoyens soupirent depuis longtemps pour une haute cour nationale, c’est aujourd’hui qu’ils regrettent de n’avoir pas à lui livrer sur-le-champ le coupable. Ce serait en vain que M. de Lameth, toujours généreux, implorerait votre clémence contre son criminel adversaire; cette auguste Assemblée considérera sans doute que la vie des législateurs appartient à la France, et qu’il est important de mettre fin à ces complots éternels, renouvelés à chaque instant contre la liberté et contre ses plus courageux défenseurs. La capitale a trop appris cette cruelle vérité, qu’il faut maintenant que les législateurs tiennent compte en champ clos des opinions énoncées dans la tribune, pour ne pas solliciter de votre sagesse enlin une loi qui prononce sur ces attentats. Vos moments sont trop précieux pour vous entretenir plus longtemps d’un objet aussi affligeant que celui qui nous amène devant vous. La section de Bonne-Nouvelle attend avec respect le décret que vous allez sans doute prononcer. Ce décret, la France entière, l’humanité, l’intérêt de tous le sollicite, et depuis longtemps. Si la vie des législateurs est sous la sauvegarde du peuple, elle doit l’être en tout temps, en toutes circonstances et contre tous les attentats. Nul d’entre eux ne peut disposer de ses jours; mais celui qui ose porter sur eux une main sacrilège doit être déclaré criminel de lèse-nation, et livré comme tel à la vengeance des lois. Ce jugement, si l’Assemblée nationale le prononce, sera celui auquel doit être soumis l’homme pervers contre lequel la capitale exerce aujourd’hui ses vengeances. ( Une très grande partie de l'Assemblée applaudit .) M. le Président répond en ces termes : « L’Assemblée nationale reçoit avec une douloureuse sollicitude votre pétition; l’objet de législation dont vous demandez qu’elle s’occupe intéresse toutes les nations : déjà des lois avaient tenté de pourvoir à des actes qui déshonorent autant ceux qui les provoquent, qu’il rend à plaindre ceux qui le3 acceptent. Froissés entre l’honneur et la loi, ils sont obligés de sacrifier leur vie et leur réputation, ou d’encourir les peines légales. Une régénération entière amènera sans doute un grand changement dans les opinions sur l’honneur. L’Assemblée ne peut pas être indifférente à ce que vous venez de lui dénoncer; elle prendra votre pétition dans une considération très sérieuse: elle vous permet d’assister à sa séance. » M. d’Ambly. Comme témoin deM. de Castries, je demande la parole. Voix nombreuses : L’ordre du jourl (L’ordre du jour est prononcé.) M. d’Ambly. Je me joins au bataillon de Bonne-NouveJie pour rendre hommage à M. Charles de Lameth; mais quant à celui qu’on dit avoir été l’agresseur, cela n'est pas vrai. M. Prlenr. L’Assemblée n’a pas pensé qu’elle passerait à l’ordre du jour sur l’injure qui a été faite. En effet, ce n’est pas dans le moment où l’on vient de réclamer contre un usage barbare qui fait couler, pour des injures, le sang des citoyens, que l’Assemblée doit autoriser ces injures dans son sein. M. Bouche. L’intention de l’Assemblée est sûrement de revenir aussi sur l’objet de la pétition qui vient de lui être lue. M. Barnave. Je considère dans toute sa simplicité la proposition qui vient de vous être faite, et j’espère avoir assez d’empire sur moi pour prêter l’attention calme et suivie qu’exige un objet aussi important, et que je ne pourrais conserver si je me livrais en ce jour aux mouvements de mon cœur. Je dis donc, M. le président, que, s’il est un véritable moyen de prévenir les vengeances personnelles et d’ôter de la main des citoyens les armes qu’ils dirigent contre leurs concitoyens, ce moyen est d’armer la loi contre eux. Qu’elle punisse les injures, et bientôt on cessera d’en faire. Que ce soit vous qui donniez l’exemple de la modération dans cette Assemblée, et bientôt vous la verrez régner partout... J’ignore comment cela se fait, mais il existe un système de provocation dirigé contre les bons citoyens. 11 semble que l’on veuille lasser leur constance, jusqu’ici la terreur et le désespoir des ennemis de la patrie. Des exemples multipliés prouvent que le complot en a été formé. Celui qui maintenant est gisant n’est pas le seul qui ait éprouvé de ces attaques ; plusieurs d’entre nous ont aussi été insultés dans les Tuileries, dans les lieux publics. ( Plusieurs membres répètent : A la tribune, à la tribune même nous avons été provoqués!) Il faut enfin que la loi reprenne toute sa vigueur et prévienne les abus de ce genre. Il n’est plus temps de se récrier contre la fureur populaire lorsqu’elle a été longuement provoquée; c'est en la prévenant par un bon exemple qu’on empêchera le peuple de se livrer aux sentiments impétueux dont nous gémissons en ce moment. Que l’Assemblée donne l’exemple; que cette salle ne présente pas chaque jour un spectacle de scandale; qu’elle n’offre que l’union, la confraternité et la confiance, et que nous ne soyons plus occupés à lutter sans cesse contre ceux à qui leurs efforts en sens contraire deviendraient tôt ou tard funestes. (On applaudit.) Je demande que l’Assemblée prenne des mesures pour arrêter l’effet des complots dont est momentanément la victime l’homme chéri et estimé dont la courageuse prudence, dont la patience patriotique a résisté pendant trois jours aux tentatives faites contre lui. Je demande que le membre qui, tout à l’heure, a proféré de si basses injures contre un de vos membres et contre l’Assemblée soit à l’instant arrêté. (On applaudit.) Nous devons être surtout sévères dans le maintien de l’exécution des lois dans le sein de cette Assemblée; si nous ne prenons des mesures à cet effet, nous n’avons plus de droit d’interdire au peuple les violences auxquelles il se porte pour faire exécuter ces lois. M . le Président. L’accusateur et l’accusé sont à la tribune; je crois leur devoir accorder successivement la parole. M. Malès. Dans le moment où l’orateur de la députation du bataillon de Bonne-Nouvelle a parlé de M. de Lameth, la très grande majorité de l’Assemblée a applaudi; intimement persuadé que les députés ne sont pas envoyés pour exercer le métier de gladiateurs, mais pour faire des lois, j’ai applaudi, même plus fort que les autres ; alors M. Roy m’a crié qu’il n’y avait que les scélérats qui pussent applaudir. M. Boy, député d'Angoulême, Je supplie l’Ai* [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1790.] 419 semblée de prendre en considération la conduite qu’a tenue un de ses membres depuis l’existence de celte Assemblée. Jamais je ne me suis élevé contre la loi, quoiqu’elle fût contraire à mon opinion. Il est vrai que dans ce moment où je voyais un peuple furieux se porter à la maison d’un de vos collègues, la dévaster, chercher même à attenter à sa vie, j’ai considéré comme ennemis du bien public tous ceux qui semblaient approuver cette effervescence. Je sais que ce peuple, soit qu’il y ait été entraîné de son propre mouvement, soit qu’il y ait été excité... (Il s'élève de violents murmures.) Il me paraît que l’hypothèse que je fais excite des réclamations; mais qui ne sait que les ennemis de l’ordre ont toujours animé le peuple à la sédition, qu’il n’y a pas eu une seule insurrection dans tout le royaume dont on n’ait dit qu’elle avait été excitée par les ennemis du bien public? J’entendais un député de la garde nationale dire à la barre « que celui qui a attaqué M. de Lameth était un infâme, un criminel qui méritait punition. » Qu’est-ce dire au peuple en insurrection, qui déjà s’était porté à des excès? (Il s'élève des murmures.) Je prie l’Assemblée de se rappeler l’adresse qui lui a été envoyée par la municipalité de Paris, lors de la translation de ses séances dans la capitale; avec quelle assurance on promettait la tranquillité, la sûreté à tous ses membres. Je demande si aujourd’hui, au lieu d’apaiser le peuple, on ne cherche pas à exciter de nouveaux désordres? M. Marchais, co-députè de M. Roy. Je ne demande point grâce pour mon collègue, mais je demande que vous ayez égard à ses vertus, à ses excellentes qualités. (Il s’élève des murmures.) Que la peine de prison, demandée par quelques membres, soit changée en vingt-quatre heures d’arrêts. M. de Wirieu. Il est douloureux pour tous les bons citoyens; il est dangereux... J’entends du bruit. En répétant les expressions de Ms Barnave je n’aurais pas cru pouvoir offenser l’Assemblée.. . Je dis donc qu’il est dangereux pour la chose publique que l’Assemblée des législateurs se transforme en une arène, où, à la place du choc modéré des opinions, on ne voit que le choc violent des passions qui se livrent les combats les plus hideux. Il serait affligeant que l’Assemblée transformât le lieu de ses séances eii un champ clos, où des gladiateurs viendraient se provoquer. Il est surtout dangereux que des passions étrangères viennent influer sur nos délibérations et se mêler à nos opinions; que des spectateurs viennent y prendre part, soit par des menaces, soit par des applaudissements. Je désirerais que l’Assemblée ordonnât aux personnes qui viennent troubler ou interrompre ses délibérations de se renfermer elles-mêmes dans les bornes de la modération. Je demande qu’elle réprime toutes les passions particulières , qu’elle proscrive à jamais tous ces petits moyens indignes d’elle, par lesquels on vient influencer, dégrader nos délibérations. (On rappelle l’opinant à V ordre de la discussion.) Je réclame en faveur du respect dû à cette Assemblée. Il faut réprimer ceux qui, par des applaudissements ou par des huées, insultent quelques-uns de vos membres et gênent la liberté des débats. Sont-ce trois cents spectateurs qui doivent être nos juges, ou bien la nation? Quelle est donc la malheureuse destinée des provinces, si elle dépend de l’influence d’un petit nombre d’hommes sur l’Assemblée? M. le Président. M. l’opinant, je vous rappelle à l’ordre; vous parlez de gêne dans les suffrages : il n’y en a jamais eu dans cette Assemblée; je vous prie de vous renfermer dans votre question. M. de Wirieu. Je crois que les vérités que j’ai dites tiennent essentiellement à la question. La chose dont je parle est une des circonstances qui le plus souvent augmentent la vivacité de nos débats. — Qn parle de punir un membre qui s’est permis des expressions insultantes, on regarde une indiscrétion comme un attentat. Il n’est pas douteux que plusieurs d’entre nous emploient quelquefois, dans la chaleur de débats, des expressions qu’ils désavoueraient de sang-froid. Quant à moi, j’en fais moi-même l’aveu ; mais plus vous avez le désir de rétablir la paix, plus il est nécessaire d’user d’indulgence. Je demande qu’en ensevelissant dans l’oubli tout ce qui s’est passé nous passions à l’ordre du jour. M. de Foucault. Je crois qu’il a été proposé de mettre M. Roy aux arrêts. (Plusieurs voix : Non, en prison!) Si quelqu’un veut aggraver la peine, qu’il parle avant moi, je lui répondrai. M. Barnave. J’ai demandé que l’Assemblée prît des mesures efficaces pour le rétablissement de l’ordre, et pour déjouer les perfidies qu’on a projetées. Il est prudent, il est nécessaire, en faisant les lois, de donner l’exemple de leur exécution. Nous ne pouvons pas nous dissimuler qu’on cherche à fatiguer la patience du peuple pour jeter la défaveur sur sa conduite et sur ces intentions en l’excitant à des mouvements fâcheux, à une révolution dont, par un excès d'imprudence, on se rendrait soi-même la victime... A-t-on voulu en imposer à l’opinion publique? Je demande que nous fassions exécuter dans tout le royaume, que nous fassions respecter ici la volonté de la majorité qui seule exprime la volonté générale. Nous devons le vouloir; nous le voulons. Nul ne doit ici tergiverser ni s’élever contre cette volonté légale et suprême : la prudence exige que nous sévissions sur-le-champ. Je demande que, forcée par les circonstances, abjurant le système d’une trop longue indulgence, l’Assemblée fasse arrêter sur-le-champ et conduire en prison le membre qui lui a manqué. M. de Foucault. Je ne répondrai pas à la vaste déclamation du préopinant; c’est ici que je devrais avoir le talent de ces orateurs qui cherchent plutôt à instruire le peuple ou à l’exciter qu’à le pénétrer du jugement qu’ils doivent porter. Je dirai que ceux qu’on a accusés d’attaquer l’exécution des lois sont leurs plus zélés défenseurs; je dirai que tout le monde ne peut pas dire ici ce que nous pouvons dire tous. (Il part des éclats de rire de tous les côtés de la salle.) Je dirai donc, M. le président, que tous ceux qu’on a accusés de résistance dans l’exécution des lois sont peut-être ceux qui ont employé ou voulu employer les moyens les plus efficaces pour les faire exécuter, par les bons conseils qu’ils ont donnés. Il n’est pas un d’entre eux qui, dans ses iutructions adressées à ses commettants, dans ses correspondances, ne leur ait 420 lAïÉeniblée oatioimlc.] ARCHIVES l' ARLEMENT AIRES. écrit : «Conformez-vous à la loi ; ceux qui viendront après nous pourront la réformer.» Quant à la motion faite par M. Barnave, pour la combattre je réclame aussi l’exécution des lois. Je demande la permission de faire ici la lecture de la déclaration des droits; il y est dit spécialement que « nul ne pourra être arrêté ni emprisonné envertu d’un ordre arbitraire. » Je dis que la motion de M. Barnave, adoptée par vous, serait un ordre arbitrairement donné, parce que la loi de l’emprisonnement pour vos membres n’est pas faite; votre règlement n’en parle pas. Je sens si bien mon inviolabilité que, si la motion me regardait et si vous ordonniez mon arrestation, je n’obéirais pas. ( Nouveaux murmures , nouveaux éclats de rire.) Vous en seriez responsables; et cette responsabilité qui ne s’éteindrait jamais, parce que mes commettants ne m’ont pas envoyé pour être emprisonné... (Bruit.) Je dis que vousne pouvez admettre cette motion sans contrevenir à tous vos décrets quelconques; cependant, puisque l’Assemblée a eu l’air de donner quelque faveur, je demande qu’elle se punisse elle-même de cette faute en mitigeant encore davantage la punition légère que mérite M. Roy, et en passant à l’ordre du jour. M. de Mirabeau. Si, au milieu de cette scène odieuse, dans la triste circonstance où nous nous trouvons, dans l’occasion déplorable qui l’a fait éclore, je pouvais me livrer à l’ironie, je remercierais le préopinant... M. de Foucault s’écrie : M. de Mirabeau m’accable toujours d’ironies ; M. de Mirabeau s’acharne sur moi; je demande... M. de Mirabeau. Je remercierais l’opinant du témoignage qu’il vient de rendre à la liberté des suffrages, que l’on accuse les Parisiens d’avoir ravie à cette Assemblée. (Le côté droit s’écrie : Oui, oui, oui ! les suffrages ne sont pas libres!) Certes, monter à cette tribune pour y professer la désobéissance, pour y mépriser ouvertement nos décrets, pour y tourner en dérision notre autorité, pour y arborer la rébellion, c’est, dans le langage de ces messieurs, faire un acte d’homme libre ; et la patience de l’Assemblée, qu’il me soit permis de le lui dire, n’a que trop longtemps protégé cette étrange liberté ; il est temps qu’elle protège à leur tour la décence, la justice et la loi. (AM. de Foucault :) Voilà, Monsieur, puisque vous n’aimez pas l’ironie, ce que le profond mépris que je dois à votre conduite et à vos discours m’ordonne de vous adresser. (Le côté droit s'agite avec violence, entre en fureur ; plusieurs membres, prêts à s’élancer vers M. de Mirabeau, sont retenus par leurs voisins .) M. le Président rappelle M. de Mirabeau à i’ordre. M. de Mirabeau. Oui, sans doute, je dois être rappelé à l’ordre si l’Assemblée veut déclarer qu’un de ses membres est coupable d’employer le mot mépris envers l’homme qui n’a pas craint de professer ouvertement à cette tribune son mépris pour les ordres de la majorité, et d’y déclarer qu’il ne lui obéirait que mort. ( Applaudissements universels d'un coté ; murmures de l’autre.) Certes, il est temps de raisonner et d’écouter; certes, celte soirée donnera une ample matière aux vertueux écrivains de la noble école des impartiaux, pour dire, redire et répandre que [13 novembre 1190.) nous consumons le temps et la confiance de nos commettants dans les vaines et hideuses contentions de notre irascibilité. Certes, aujourd’hui encore on pourra s’écrier que l’Assemblée nationale est entièrement désorganisée; qu’elle n’a plus ni calme, ni règle, ni respect d’elle-même. Mais ne sont-ce donc pas évidemment les coupables qui sont ici les accusateurs? N’est-ce pas leurs délits qu’ils nous imputent? Messieurs, il est temps de le reconnaître, et la déclaration n’en saurait être trop solennelle : votre longue indulgence, votre indulgence née, comme je l’ai dit tant de fois, du sentiment de votre force, cette indulgence serait coupable et fatale si elle n’avait pas un terme. La chose publique est vraiment en danger, et le succès de vos travaux entièrement impossible, si vous perdez de vue que vous êtes tenus également de respecter et de faire respecter la loi, si vous ne faites pas un exemple dans cette Assemblée, si, pour ordonnerleroyaume, vous ne commencez par vous ordonner vous-mêmes. Vous devez établir dans i’lîmpire l’obéissance aux autorités légitimes, et vousne réprimez pas dans votre sein une poignée d’insolents conspirateurs! Ah! c’est pour leur propre salut que j’invoque votre sévérité; car si la lettre de vos règlements et l’esprit de vos lois, si la voix paisible de votre président et l’indignation des spectateurs, si les mécontentements des bons citoyens et notre propre insurrection ne peuvent leur imposer, s’ils sc font un point d’honneur d’encourir nos censures, une religion de désobéir à la majorité qui doit régir toute société, sans quoi l’association est dissoute, n’arrivera-t-il pas infailliblement que le peuple ressentira enfin l’injure faite à ses représentants? Et des mouvements impétueux, de terribles mais justes vengeances, des catastrophes en tous sens redoutables, n’annonceront-ils pas que sa volonté soit toujours, a dû toujours être respectée ? Les insensésl ils nous reprochent nos appels au peuple. Eh 1 n’est-il donc pas heureux pour eux-mêmes que la terreur des mouvements populaires contienne encore tous ceux qui méconnaissent toute loi, toute raison, toute convenance? Messieurs, on se flatterait en vain de faire longtemps respecter ce qui est méprisable, et rien n’est plus méprisable que le désordre. On nous accuse de favoriser l’anarchie, comme si notre honneur, notre gloire, notre sûreté n’étaient pas uniquement dans le rétablissement de i’ordre ! Mais qu’est-ce que l’anarchie, si ce n’est le mépris de la loi ? Et comment sera-t-elle l’objet de la vénération publique, la loi qui émane d'un foyer de tumulte et de scandale ? Gomment obéira-t-il à la loi, le peuple dont les législateurs foulent sans cesse aux pieds les premières règles de la discipline sociale ? (S’adressant awco�édmf.) Savez-vouscequel’on a dit ce matin à l’un des principaux chefs de la force publique, qui, devant la maison de M. de Castries, parlait du respect dû à la loi? Ecoutez la réponse du peuple dans son énergique simplicité ; « Pourquoi LES DÉPUTÉS NE LA RESPECTENT-ILS PAS ? » Dites, dites, qu’est-ce que le plus furieux d’entre vous aurait pu répliquer? Si vous rappelez tout ce qui est coupable, pesez donc aussitôt tout ce qui excuse. Savez-vous que ce peuple, dans son ressentiment contre l’homme qu’il regarde comme l’ennemi d’un de ses plus utiles amis ; savez-vous qu’au milieu de la destruction (nul n’osera dire la dilapidation) des effets de cette maison proscrite, le peuple s’est religieusement arrêté devant l’image du monarque; que le portrait du chef de m (Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (13 novembre 1790-1 la nation, de l’exécuteur suprême delà loi, a été, dans ces moments d’une fureur généreuse, l’objet de sa vénération et de ses soins persévérants? Savez-vous que ce peuple irrité a montré à Mmo de Castries, respectable par son âge, intéressante par son malheur, la plus tendre sollicitude, les égards les plus affectueux? Savez-vous que le peuple, en quittant cette maison, qu’il venait de détruire avec une sorte d’ordre et de calme, a voulu que chaque individu vidât ses poches et constatât ainsi que nulle bassesse n’avait souillé une vengeance qu’il croyait juste? Voilà, voilà de l’honneur, du véritable honneur, que les préjugés des gladiateurs et leurs rites atroces ne produiront jamais 1 Voilà quel est le peuple : violent, mais exorable; excessif, mais généreux; voilà le peuple même en insurrection, lorsqu’une Constitution libre l’a rendu à sa dignité naturelle, et qu’il croit sa liberté blessée 1 Ceux qui le jugent autrement le méconnaissent et le calomnient; et quand ses serviteurs, ses amis, ses frères, qui ne se sont voués à sa défense que parce qu’ils l’honorent profondément, repoussent les blasphèmes que l’on profère à chaque instant dans cette Assemblée contre lui, ils obéissent à leur premier devoir, ils remplissent une de leurs saintes fonctions. Nous avons trop tardé; ne souffrez pas que le temps que nous a emporté ce coupable débat passe pour la pu érile explosion d’une colère oiseuse et stérile; faites dans votre sein un exemple qui démontre que votre respect pour la loi n’est ni tiède ni simulé, qu’enlin,M. Roy soit conduit en prison. M. Malouet paraît à la Iribune. (On ferme la discussion.) M. Malouet insiste pour la parole. MM. Goupil et Prieur l’interrompent : il veut s’adresser au président ; on le rappelle à l’ordre. M. le Président le somme de se soumettre au décret qui vient de fermer la discussion. Il veut encore parler; on demande qu’il soit chassé de la tribune. M. le Président. La motion qui est en délibération consiste à ordonner un emprisonnement de trois jours. Si M. Malouet a un amendement à proposer, il a le droit de le faire. M. Malouet. Si l’emprisonnement d'un de vos membres est nécessaire au rétablissement de l’ordre, je suis le premier à m’offrir et j’ai trop bonne opinion du membre estimable qui est accusé pour... (Il s'élève des murmures.) M. le Président. Votre amendement... M. Malouet. Je déclare que j’ai toujours respecté tous vos décrets, mais que je m’élèverai toujours contre les calomnies, contre les tyrannies que vous exercerez envers vos membres... Puisqu’on regarde la punition de M. Roy comme un moyen de rétablir l’ordre, en adoptant les principes que M. Barnave a développés sur la nécessité de l’établir partout et hors de cette Assemblée, j’espère que l’Assemblée voudrabien aussi prendre des moyens pour l’établir au Palais-Royal, aux Tuileries, alors j’adopterai sa motion. Mais si vous isolez ses conclusions des motifs qui les précèdent, si vous sévissez contre un de vos membres et que vous laissiez impunis les désordres extérieurs, elle est profondément injuste. ( Plusieurs voix crient à M. Malouet : Allez à Dhôtel-de-ville!) Je demande que vous ayez égard aux circonstances qui nous environnent, que vous preniez toutes les mesures propres au rétablissement de la paix, et que vous décidiez que le dégât fait dans la maison de M. de Castries sera payé par la nation, M. d’Estourmel. Bien certainement... M. le Président. Avez-vous un amendement à proposer? M. d’Estourmel. Oui, monsieur... Bien certainement, rien n’est si affligeant que le spectacle que nous donnons ea ce moment au public qui nous environne. M. le Président. Votre amendement? M. d’Estourmel. Mon amendement est que la peine de trois jours de prison soit conmuée en celle de huit jours d’arrêts... (Il s’élève de longs murmures , accompagnés du bruit très longtemps prolongé de la sonnette du président .) Il est indécent de m’interrompre. Je demande que l’Assemblée soit rappelée à l’ordre... Je motive mon opinion, premièrement, sur ce que l’Assemblée, ayant voulu punir un membre pour une expression semblable à celle qui est échappée à M. Roy, ne l’a condamné qu’à trois jours d’arrêts; secondement, sur le proverbe que vous savez tous : prima gratis, secunda débet, tertia solvet. La faute dont il s’agit n’est que la seconde de ce genre. M. Prieur. Elle est la troisième, car celles de MM. de Faucigny etde Guilhermy l'ont précédée. M, dEstourmel. Je demande, de plus, que la motion de l’arrestation soit entièrement supprimée, et que, si l’Assemblée persistait dans la résolution d’envoyer M. Roy en prison, il lui soit permis de s’y rendre lui-même. (Le premier amendement de M. d’Estourmel, relatif à la commutation de la peine de prison en celle des arrêts, est écarté par la question préalable.) M. d’Ambly. Il n’est pas de la dignité de l’Assemblée de faire entrer des gardes dans son sein. Je demande que M. Roy soit envoyé en prison sur sa parole d’honneur. M. Roy. Je déclare que je porterai le plus grand respect à la décision de l’Assemblée. Je suis prêt d’avance à me rendre à la prison de l’Abbaye-Saint-Germain, pour y rester le temps que l’Assemblée jugera nécessaire. On adopte le second amendement de M. d’Es-tourmel, et le décret est ainsi rendu : « L’Assemblée nationale décrète que M. Roy, député du ci-devant bailliage d’Angoulême, se rendra, dans le délai de vingt-quatre heures, aux prisons de l’Abbaye, et y demeurera pendant trois jours. » M. de Foucault. Et de M. de Mirabeau, qu’en ferons-nous ? M. de Marinais. Je demande qu’il soit condamné à huit jours d’arrêts, pour les propos qu’il a tenus à la tribune.