374 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (16 juillet 1790;] une dette nationale si sacrée, leurs alliés fassent maintenant des efforts que la situation des finances rendrait pour eux trop difficiles. Dans d’autres circonstances, ils aimeraient à rappeler l’intention qu’on avait eue, à l’arrivée des Hollandais en France, de fixer, outre les fonds de subsistance, des fonds particuliers pour encourager et faciliter les établissements de commerce et d’industrie qui pourraient être formés par eux. Ils prouveraient que ce plan, pour lequel l’état des finances n’a permis de faire qu’un très léger sacrifice, ou pour mieux dire, qu’ir n’a pas permis de suivre, était le moyen le plus facile et le plus sûr de rendre utile à la France la dépense qu’elle s’était déterminée à faire en leur faveur. Ils se bornent aujourd’hui à supplier l’Assemblée nationale de vouloir bien leur consacrer entièrement la somme annuelle qui leur a été destinée, et que le comité des finances de l’Assemblée nationale a jugé nécessaire de leur conserver. Ils demandent que les économies qui se font chaque jour sur cette somme, par la mort ou le départ des patriotes inscrits sur les listes, soient employées invariablement, et dans une juste proportion, à l’objet de sa destination primitive. Une partie de ces économies pourrait être consacrée à donner de nouveaux secours à ceux dont les familles sont arrivées en France après la confection des dernières listes, et qui peuvent à peine subsister de ce qu’ils reçoivent en ce moment. Une autre partie serait appliquée à ceux de leurs compatriotes qu'une persécution, toujours subsistante, oblige de quitter leur patrie, et que les anciennes promesses de la France et leur attachement pour elle engagent à y venir chercher un asile, sous la sauvegarde de la justice et de la loyauté nationales. La troisième partie de ces économies servirait à encourager et faciliter les établissements de commerce et d’industrie auxquels peut se livrer, avec de très grands succès, la classe la plus considérable des réfugiés. Des établissements de ce genre seraient l’unique moyen de ranimer, d’une manière avantageuse à la France, l’industrie d’une foule d’hommes laborieux, actifs et intelligents, que. ce travail journalier mettrait, dans la suite, à l’abri de la misère, dont un secours purement alimentaire ne peut les préserver. Enfin les patriotes hollandais osent solliciter l’intérêt de la nation française pour cette partie de leurs concitoyens qui ont défendu leur patrie avec tant de zèle et de confiance, et qui, impatients de l’inaction forcée où ils ont été réduits en France jusqu’à ce jour, sollicitent, avec une persévérance respectueuse, d’être admis à l’honneur de servir leur patrie adoptive. Tel est, Monsieur le Président, l’objet de la pétition que nous avons l’honneur d’adresser à l’Assemblée nationale. Les motifs qui doivent en démontrer la justice naissent du développement des principes et des faits renfermés dans le mémoire suivant, que nous venons déposer auprès des représentants de la nation française. Nous sommes, avec un profond respect, Monsieur le Président, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Signé ; G. J. de Nyvenheim; — R.-J.-B. de Capel-len de Marsch ; — Abbema; — P. Gevers; — de Witt ; — Huber; — R. Van Kleffens; — Jacob Van Staphorst; — B. comte de Boetzelaer de Langerack; — Pieter’tHoen; — J. Geldertnan; — J. G. de Kock; — L. Makkftros; — B. de Nyvenheim; — U. D. Van Hoorn; — J. B. Bic-kéf; — J. Van Hoey; — F. R. du Bois; — F. A. Persoons; — Cor. Van der Hoop-Gybs; — Valckenaer; — • A, Braak. MÉMOIRE. Des républicains, chassés de leur patrie par le despotisme du premier ministre de l’Etat, dispersés loin de leurs foyers, par le fer, le feu, les proscriptions et le pillage, sont venus demander à un peuple allié l’asile et les secours que sa justice avait promis à la liberté malheureuse. Ils n’ont point réclamé pour cettè liberté les moyens de protection active qu’on leur avait offerts aaris un temps plus prospère, et sur lesquels ils avaient alors appuyé leur plus grande et presque leur unique espérance. Convaincus, avec toute l’Europe, que la loi de la nécessité a pu seule opposer Un obstacle invisible aux efforts qu’ils avaient droit d’attendre de la loyauté et de l’intérêt politique de la France, ils se sont soumis à cette grande infortune avec un sentiment de résignation admirable pour eux-mêmes et pour leurs généreux ailliés. En pleurant sur les ruines d’une patrie que la violence effaçait du rang des républicains, ils ont porté leurs regards sur le mouvement universel qui entraîne, en Europe, les empires et les individus vers la liberté, et leur âme est restée ouverte aux consolations des hommes dignes d’être libres. Les causes, les circonstances et les effets de la révolution hollandaise sont connus de toute lâ terre; mais jamais la raison publique ne fut mieux disposée à les apprécier qüë dans les circonstances actuelles; jamais l’impulsion des esprits et la situation des choses en bffïirent une occasion plus favorable de justifier auprès de la nation française l’intérêt qu’elle avait pris à cette grande cause de la justice et de la liberté» Les amis de la patrie, dans les Provinces-Unies, voulaient Téformer les abus de leurs constitutions particulières et de la constitution générale de l’Etat, en rétablissant leur liberté politique et leurs droits individuels sur des bases plus solides que celles qu’avaient posées leurs ancêtres en 1579. Ils voulaient renfermer dans les bornes de l’in* térêt commun les fonctions du stathouder, fonctions qu’il avait insensiblement accrues, soit par des usurpations ouvertes, soit par son influence prépondérante dans les Etats de chaque province» Ils voulaient réprimer l’autorité arbitraire qu’il exerçait en qualité de capitaine général et de grand amiral de la République. Honteux et effrayés de son attachement passif à la cause de la Grande-Bretagne, contre les propres intérêts de sa patrie, ils voulaient qu’il ne put disposer à son gré des forces navales et militaires de l’Etat, afin que son aveugle dévouement n’imprimât pas une seconde fois à la nation batavela honte dont il l’avait couverté dans la dernière guerre, en retenant dans les ports de la République les dix vaisseaux de ligne destinés à se joindre aux forces navales de la France à Brest, contre un ennemi commun. Ils voulaient enchaîner l’aristocratie des grands, qui, marchant avec le despotisme de l’administration stathoudérienne, et se fortifiant de son pouvoir et de son influence, renversait devant elle tous les appuis de la Constitution, de la liberté civile et de l’égalité républicaine. Ils voulaient, par l’établissement des Bourgeoisies armées, placer la défense de la liberté [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1790.] 37g intérieure dans les mains qui seules pouvaient la garantir, en la respectant. Ils voulaient restituer au peuple le droit inaliénable et imprescriptible de nommer ses magistrats; droit constamment reconnu par les anciens ducs et comtes. Ils voulaient former des municipalités véritablement électives, en détruisant le système d’u� sürpation qui, dans presque toutes les provinces, avait concentré la nomination de Ces mandataires publics dans les mains de leurs collègues, ou dans Celles du stathoüder et de ses agents subalternes. Ils voulaient que des administrations provinciales, organisées d'après les vrais principes de la représentation, missent tous les Citoyens à portée de concourir, par leur zèle et leurs lumières, à la conservation et à l’accroissement de la prospérité publique. Ils Voulaient, par des régences amovibles ét des élections renouvelées à des époques Axes, appeler les citoyens à la jouissance d’un des droits les plus immuables de l’ordre social; et étouffer dans toutes les âmes ces habitudes ou ces déëirs de pouvoir arbitraire, qui naissent toujours, et malgré les plus sages dispositions des lois, de la perpétuité ou de la longue durée des charges publiques. Ils voulaient que tous les citoyens, sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents, pusSent être admis à l’honorable devoir de servir la patrie dans des emplois publics, devenus jusqu’alors le patrimoine exclusif d’nn petit nombre de familles nobles ou patriciennes. IIS Voulaient que tous les agents du pouvoir exécutif fussent responsables de leurs actions au tribunal de la loi. ils voulaient mettre les magistrats à l’abri de l’inllueUce inconstitutionnelle du stathoüder, parce que cette indépendance était un des plus fermes Soutiens de la liberté publique et de la sûreté individuelle. Ils voulaient défendre aüx membres des Etats généraux et des Etats des provinces, d'être au service ou à la soldé du stathoüder ou de tout autre prince. Ils voulaient réformer la représentation incohérente et Vicieuse de l’Etat dans les assemblées législatives, où ié Plat-Pays n’est représenté presque en aucune d’elles. Ils voulaient abolir les usurpations les plus onéreuses et les plus humiliantes de la féodalité, telles que les services personnels des habitants du Fiat-Pays, à l’égard des drossafds ou baillis, et les abus du droit de chasse exclusif. Ils voulaient enfin effacer toutes les traces de l’esprit d’injustice et d’inégalité sociale, en renversant les barrières de l'intolérance religieuse, et en réparant, â l’égard des catholiques, les maux qu’ils avaient reçus de l’ignorance et de la barbarie des âges precedents. Telle était la révolution que la raison et le respect des droits de l’huffime allaient créer aü milieu dés ProViUces-Unies. Mais ce grand exemple de liberté qüe préparaient, avec Une si courageuse constance, tant d’hommes réunis par le même zèle et les mêmes lumières, ce grand exemple devait alors manquer â la terre. Le despotisme du stathoüder et Paris tocratie noble ou patricienne, liés autrefois par un intérêt commun, ensuite sèparé�par leurs prétentions respectives, së confondirent tout à coup par la haine de là justice et l’effroi de la iibertê. Un grand nombre de citoyens, dont les emplois ou les espérances étaient attachés au maintien (le l’usurpation stathoudérienne; un plus grand nombre à qui l’or suffisait, ou qu’effrayait un avenir de vengeances; des âmes faibles que fatiguait d’aVahce le spectacle d’une liberté qu’il fallait conquérir; des esprits timides ou peu attentifs, qui, entraînés par des hommes malveillants, craignaient qu’un gouvernement purement populaire ne vînt renverser l’autorité des lois et la liberté publique ; en un mot, une foule d’individus qui n’étaient pas mûrs pour la liberté, ou qui n’en étalent pas dignes, vint se rallier à la cause des ennemis déclarés de la patrie. Le stathoüder et l’aristocratie appelèrent alors au secours de leur impie confédération cette partie du peuple si cruellement aveuglée, dont les stalhonders s’étalent toujours servis pour enchaîner, tantôt des provinces eh particulier, tantôt la République entière. Ils achetèrent de nouveau ses fureurs ; ils égarèrent sa raison par des discoürs et des écrits séditieux; ils firent retentir â ses Oreilles les mots de religion protestante; et soulevant â la fois toutes ces âmes séduites, ils armèrent contre la liberté les vices de l’ignorance, les passions de la misère, et employèrent ainsi, en faveur d’un gouvernement oppressif, les crimes de l’Oppression même. Les troupes de la République, composées eh grande partie d’êtraügefs, offrirent un nouvel appui au chef qui régnait sur elles, par les grâces, les emplois et l’argent; et la servile obéissance d’une partie de l’armée vint cimenter à Elbürg et âHattem l’oeuvre du despotisme, par le pillage et la dévastation. Il restait cependant des espérances âüx amis de la liberté, lis avaient droit de croire que la raison, l’esprit de justice et de patriotisme ramèneraient enfin vers l'intérêt commun tant de Volontés égarées. Ils voyaient déjà arriver l’heüre où devaient cesser de si longues et si funestes erreurs. Déjà, les séditions étaient étouffées par les sages discours et par la vigilance armée des citoyens... lorsque lés baïonnettes prussiennes, dirigées par l’invincible main de l’ Angleterre, vinrent, en couvrant de toutes parts le territoire de la République, ordonner à la iibertê de reculer devant la force. Les violences publiques et les attentats particuliers se réunirent alors pour rassasier l’âme des ennemis de la patrie. Tous lés bons citoyens, lous les hommes dont les lumières avaient réveillé là nation sur ses droits ; ceux dont le courageux dévouement l’amenait à ta iibertê lès armes à la main, tous succombèrent à la fois sous les coüps de leurs lâches oppresseurs. Les peines de mort, de fustigation, de bannissement, d’incarcération ; là confiscation des biens, la condamnation à des amendes excessives qu’aggravaient encore les poursuites judiciaires : tel fut lé digne salaire des amis de la liberté. L’incendie, le pillage, la proscription parcoururent, en UU instant, comme utt fléau dévastateur, toute là surface de la République, et portèrent partout les vengeances dü stathoüder. Au milieu de cette lutte sanglante de cët horrible déchirement dé toutes les parties dé l’Etat, les défenseurs dé la patrie appelaient à leur secours la protection, la justice dé la France, cette protection si hautement annoncée, cettë justice si fortement promise jusqu’au dernier instant, et dont l’assurance avait pu seule diriger d’abord leur résolution et Soutenir si longtemps ieür courage. La France lëür avait dit qu' elle regarderait comme une offense personnelle tout ce qvfon entrepren- 376 lAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |26 juillet 1790.] dirait contre leur liberté. Leur liberté é ait attaquée; leur liberté allait être envahie. Mais la France ne put entendre leurs cris; et les défenseurs de la liberté batave, ayant à combattre à la fois, et les conspirations les plus audacieuses au dedans, et une invasion étrangère, furent subjugués par les forces supérieures d’une troupe de satellites appelés au pillage et au meurtre. Ainsi fut arrêtée tout d’un coup cette grande restauration nationale, que tant d’années de lumières, de courage et de patriotisme avaient préparée. Les Provinces-Unies perdirent leur liberté; et la France, en perdant l’honneur de donner une seconde fois un exemple de justice au monde, vit enlever à ses intérêts politiques une alliance que, depuis la fatale invasion de 1672, elle avait jugée digne de ses plus grands efforts etde sa plus vive sollicitude, et dont l’anéantissement était devenu l’objet le plus ardent des désirs de l’Angleterre. Il suffit, en effet, pour apprécier l’intérêt qu’avait l’Angleterre de voir dissoudre l’alliance conclue en 1785 entre la France et les Provinces-Unies, de considérer un moment les avantages que cette alliance assurait à la nation française : 1° L’entrée libre de tous les vaisseaux français dans les ports de la République en Europe, dans la mer du Nord, dans les deux Indes, en Afrique, et surtout au cap de Bonne-Espérance, relâche ou station infiniment importante pour les vaisseaux français destinés aux grandes Indes; 2° Secours toujours présent de la marine militaire hollandaise, composée maintenant de plus de cinquante vaisseaux de ligne; 3° Entremise de la marine marchande pour l’approvisionnement des forces navales de France et de ses colonies. On sait que, dans la dernière guerre, un nombre très considérable de bâtiments ont été employés par la République pour porter des mâts, du chanvre, des bois de construction et autres munitions navales dans les ports de France et ses colonies ; 4° Facilité de faire des emprunts en Hollande à un taux plus modéré qu’en France, ou du moins participation des capitalistes hollandais dans les fonds de France; 5° Imérêtde l’industrie de la France et surtout de la capitale. 11 suffit, pour être convaincu de cette vérité, de jeter un coup d’œil sur le rapport fait à la commune de Paris le 31 janvier 1790. On y lit, page 5 ; « La Hollande, avant la révolution stathoudé-rienne, donnait aux fabriques de Paris des ordres extrêmement étendus; et l’expédition s’en faisait par son entremise, d’un pôle à l'autre. A l’instant où sa liberté a été flétrie, son commerce a reçu des atteintes mortelles, dont il ne s’est pas relevé; et l’on peut regarder cette époque comme la première attaque aux fabriques de Paris. » Depuis la destruction de l’alliance française, le lus grand nombre des papiers publics de la oilande sont sous la dépendance la plus absolue du parti dominant. Dignes soutiens d’une si noble cause, ils calomnient chaque jour, avec la plus absurde et la plus audacieuse insolence, les principes et les effets de la Révolution française; de cette grande régénération sociale, dont aucun siècle n’avait encore offert l’exemple et qui vivra éternellement dans l’histoire et dans le cœur des amis de l’humanité, pour la consolation et l’exemple de la terre. Ils en dénaturent toutes les circonstances au gré des passions étrangères qui les dirigent. Ils peignent la France expirant dans les convulsions de l’anarchie, pour avoir eu la criminelle pensée et les moyens plus coupables encore de renaître à la liberté et à toutes les vertus dont elle est l’inépuisable source. Ils montrent sans cesse la fortune publique en péril, attaquée chaque jour, à chaque instant, par les vices de l’ancienne administration et par les désordres bien plus grands delà liberté nouvelle. Ils représentent toutes les fortunes particulières suspendues à un édifice chancelant sur sa base, près d’être englouties sous ses ruines. .. G’est par ces grandes leçons que, dans les Provinces-Unies, on s’efforce d’*appreodre au peuple à chérir une servitude qui le préserve, dit-on, de tous ces maux de la liberté. G’est encore par elles qu’on porte la terreur dans l’âme de tous ceux qui ont lié leurs intérêts à la fortune de la France. Ges perfides manœuvres ont eu le succès qu’on en attendait, au moins par rapport aux capitalistes hollandais. Presque aucun d’eux n’a pris d’intérêt dans les nouveaux emprunts nationaux de la France. Celle défiance artificielle, cet effroi, préparé avec tant de soin, influent de la manière la plus forte sur la baisse des effets publics de la France et sur toutes les opérations de commerce et de banque. Si l’alliance de la République avec la France était d’une si grande importance pour ce royaume, on sent aisément combien l’alliance nouvelle avec l’Angleterre doit être contraire à ses intérêts politiques et commerciaux : 1° La première atteinte portée par ce traité à l’intérêt de la France est la stipulation expresse de secours que la République doit donner à l’Angleterre dans les Indes, en cas d'attaque ou de menace. On sait avec quelle tournure astucieuse cette stipulation est énoncée dans l’article VI du traité d'alliance prétendue défensive avec la Grande-Bretagne, de 1788. On sait que, sous prétexte d’être défendus , les Anglais ont véritablement imposé à la République l’obligation d'attaquer , de concert avec eux, toutes les fois qu’ils en trouveront l’occasion, sans paraître agresseurs : et l’occasion leur manquera-t-elle jamais, lorsqu’ils en auront le désir et les moyens ? Les citoyens des Provinces-Unies, qui pourraient, à cet égard, avoir quelque doute sur la probité politique de l’Anglelerre, n’ont qu’à lire leur propre histoire. Ou se rappelle avec quelle modération et quelle franchise la cour de France demanda, avant la ratification du traité, des éclaircissements certains sur cet article. On se rappelle aussi le ton de duplicité etde dérision avec lequel les Etats généraux répondirent à ces sages représentations. Si quelque chose put justifier l’opioon que la France et l’Europe avaient conçue de la nature de ces nouveaux engagements, ce fut sans doute cette réponse. Pour prix de cette perfidie politique, l’Angleterre garantit (art. 111) le stathoudérat héréditaire dans la maison d’Orange, et s’engage à maintenir la forme du gouvernement subsistante. Ainsi, l’on vit une nation libre, foulant aux pieds les lois sacrées qu’elle avait si souvent, et avec tant de succès, invoquées pourelle-même, déclarer, à la face de l’Europe indignée, qu’un citoyen protégé par elle serait à l’avenir indépendant de la volonté .souveraine du peuple dont il est le délégué, et que ce peuple n’aurait jamais le droit de changer la forme de son gouvernement ; 2° La marine hollandaise sera constamment aux ordres de l’Angleterre. Le plus grand bonheur que puisse espérer la France est de la voir rester quelquefois dans l’état de neutralité; 3° Les ports de la République sont fermés pour la France et ouverts pour l’Angleterre; 4° Les Hollandais ont un intérêt très considé- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1790.] 377 râble dans les fonds anglais, et les chefs du gouvernement actuel dans les Provinces-Unies favorisent ces opérations de tout leur pouvoir. Si l’Angleterre se livre à une guerre nouvelle, la Hollande ouvrira à ses emprunts une source fé-coude. : Tels sont les avantages que le traité de 1788 assure à l’Angleterre, aux dépens de la France ; avantages dont elle s’est déjà empressée de jouir, et qu’elle saura bien recueillir dans toute leur étendue, jusqu’à ce que les lois éternelles de la nature amènent enfin l’heure de la justice et de la liberté. On vient de voir quels ont été pour l’Angleterre et pour la France les effets opposés de la contre-révolution batave. Mais combien ces effets ont été plus terribles encore pour les citoyens hollandais, amis de la France et défenseurs Ile la liberté nationale 1 Les malheureux, arrachés à leur famille, à leurs amis, à leur fortune, par des bandes armées et de sanglantes proscriptions, ont vu, en s’éloignant, leurs terres dévastées, leurs maisons pillées, leurs fermes détruites. Des milliers de citoyens, de tout âge et de toute condition, ont été forcés d’abandonner une patrie que leur dévouement ne pouvait plus sauver, et qui restait en proie aux exécrables vengeances du parti vainqueur. La cour de France, qui avait promis, en 1786, de prendre, en tout état de cause, les patriotes hollandais sous sa protection immédiate, la cour de France ordonna, en septembre 1787, à M. de Saint-Priest, qui se rendait à La Haye, de recueillir les patriotes fugitifs, et de les assurer qu’ils seraient indemnisés de leurs pertes. Cependant, après une déclaration si précise, après les assurances les plus solennelles, on a établi en principe : » que le roi accorderait des grâces, au lieu d’acquitter une dette; que la subsistance accordée aux Hollandais réfugiés estuuc grâce dont Sa Majesté n’a aucun compte à rendre, sur laquelle ils 11e peuvent exiger aucune influence officielle, et que Sa Majesté peut moditier, étendre et même supprimer, selon qu’elle le jugera à propos. » Les patriotes hollandais, à qui l’on avait si bien indiqué, avant et après la Révolution, la nature et l’étendue des promesses de la France, garderont, sur cette nouvelle explication de ses intentions précédentes, le silence qui convient à leur respect pour elle. Us aiment à croire que le principe dont on vient de parler, contraire aux intentions tant de fois manifestées du roi le plus fidèle à ses engagements, n’a été établi que pour écarter des [sollicitations qu’on regardait comme peu convenables dans l’état de détresse où étaient les finances. Mais ce principe, mal interprété, a donné lieu à des inculpations très fortes contre le ministère de France. Ces réclamations ont été répandues dans quelques villes de la Flandre et de l’Artois ; et la plupart des réfugiés qui s’y trouvent, principalement ceux de la classe inférieure, se sont crus autorisés à former sur cet objet des plaintes graves et nombreuses. D’un autre côté, le parti stathoudérien, en Hollande, a contemplé avec joie ce tableau de la prétendue dépression où le ministère de France veut tenir les patriotes réfugiés ; et il s’en est servi comme d’un moyen infaillible pour ruiner entièrement la cause de la liberté et les intérêts de la France. Mais ce triomphe de l’imposture ne sera pas de longue duree. La vérité fera bientôt entendre sa voix et apprendra aux patriotes qui existent dans les Provinces-Unies, et à ceux qui sont réfugiés dans le reste de l’Europe, qu’ils ne doivent n1 désespérer de leur liberté, ni se rendre coupables d’ingratitude envers la France. La nécessité de réunir les patriotes en France après la Révolution de 1787, avait été démontrée au gouvernement par des considérations dont il n’était pas difficile de saisir toute l’importance. Quelques-uns de ces patriotes avaient fui d’abord en Allemagne ; la plus grande partie était dans les provinces belgiques. On leur offrait, en plusieurs endroits, et surtout dans ces dernières provinces, des encouragements, des franchises, la liberté du culte. Le voisinage, l’affinité de mœurs et de langage les appelaient dans les provinces belgiques. Mais l’intérêt de leur liberté, l’intérêt politique de la France, leur attachement, leur estime pour elle, tout les invita à venir chercher dans son sein l’asile, les secours et les consolations qu’on leur offrait. On forma aussitôt les établissements de la Flandre et de l’Artois. On pourvut à la subsistance des réfugiés. Plusieurs officiers obtinrent des pensions sur le département des affaires étrangères, et, depuis le mois de janvier 1788, deux mille individus sont soutenus par des secours hebdomadaires. Une somme annuelle est affectée à ces frais de subsistance et d’asile; et le comité des finances de l’Assemblée nationale, pénétré de la justice et de l’utilité de cet emploi, a déclaré qu’il regardait cette somme comme n’étant susceptible d’aucune sorte de réduction. Cette dépense annuelle ne doit pas, même d’après le principe établi sur cet objet en 1787, être regardée comme un pur sacrifice fait par la nation française en faveur des hollandais réfugiés. Quelques-uns d'entre eux ont porté en France des capitaux considérables qu’ils ont sauvés du pillage et de la confiscation. Ils ont déjà donné à ces capitaux un emploi utile dans les différentes villes où ils ont fixé leur séjour ; et cet emploi ne peut que s’étendre et devenir plus avantageux, depuis que les vrais principes de la liberté ont presque entièrement affranchi le commerce de France. D’autres capitalistes, domiciliés jusqu’à ce jour dans le Brabant, pour y terminer leurs affaires, ne tarderont pas à porter leur fortune en France, sous les auspices de la liberté et de la bienveillance nationales. Le plus grand nombre des Hollandais, réfugiés dans la Flandre et l’Artois, y ont transporté des moyens de travail et de grandes sources de richesse publique. Il en est parmi eux dont les premiers essais ont justifié l’espérance qu’on avait conçu de l’utilité de leurs travaux. Il en est d’autres qui, depuis longtemps, sollicitent le vœu du gouvernement pour établir des branches importantes d’industrie hollandaise. Ces fabriques, ces grands ateliers d’une industrie nouvelle pour la France, pourront être introduits avec d’autant plus de facilité, qu’on possède en même temps les principaux ouvriers qui doivent travailler, soit à la construction des machines, soit à la fabrication des matières. Ou pourrait développer, avec plus d’étendue, les différentes espèces d’avantages que la nation française a droit d’attendre de l’industrie des Hollandais réfugiés. Ce que l’on vient de dire suffit peut-être en ce moment pour attester Futilité des secours qu’elle leur donne, et des encouragements quils sollicitent. Le gouvernement, craignant que le nombre des réfugiés ne devînt trop considérable, fit annoncer, dans le courant de l’année 1788, qu’après le 31 décembre de la même année, aucun réfugié 378 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1790.1 ne serait admis aux secours accordés par le roi. Mais, d’après les intentions bienfaisantes du roi, cette annonce d’inadmission future supposait évidemment qu’aucun, patriote ne serait plus obligé de se soustraire aux vengeances du sta-thouder ; et sans doute l’âme sensible et juste du Restaurateur de la liberté française ne pouvait soupçonner les haines implacables de la tyrannie. Cependant les proscriptions ont toujours continué dans les Provinces-Unies. Les sentences de bannissement, de confiscation, ont toujours été prononcées, après le terme de 1788, comme auparavant. Le parti dominant a même redoublé d’ardeur dans ses persécutions pendant l’année 1789, parce que les mouvements intérieurs de la France lui ont paru favoriser la stabilité du gouvernement actuel de la République. La province d’Utrecht, dont les Etats avaient aboli, le 26 février 1629, le système atroce de la confiscation ; la province d’Utrecht a vu ses nouveaux Etats, de concert avec le stathouder, ordonner, au mois de mars 1789, le décret de dénombrement et de confiscation des biens appartenant aux régents, magistrats, militaires et autres citoyens qui avaient soutenu la cause de la liberté. La plupart s’étaient réfugiés dans le Brabant, afin d’v être plus à portée de leurs familles et des amis qui veillaient à leurs intérêts. Instruits des nouvelles poursuites du stathouder, ils présentèrent, au ministère de France, dans le mois d’août 1789, une requête, par laquelle, pleins de confiance dans la justice du gouvernement, ils le suppliaient de vouloir bien leur permettre de venir, avec leurs femmes et leurs enfants, réduits, comme eux, à la dernière misère, chercher en France l’asile et les secours que leurs compatriotes y avaient trouvés. Cette requête est restée sans réponse. La cour de justice de la province de Frise a aussi, le 15 janvier 1788, ordonné, sur la réquisition du procureur général, que si les accusés ne se présentaient pas devant cette cour, leurs liens seraient confisqués; et la confiscation a été véritablement prononcée le 16 janvier 1789. Dans le mois de juillet 1788, les anciens membres des Etats de Frise se sont adressés également au ministère de France; ils lui ont exposé leur situation et celle de leurs concitoyens; ils ont, comme les patriotes de la province d’Utrecht, invoqué la protection de la France, si souvent et si énergiquemeut promise. Us ont imploré la justice, la sensibilité du roi en faveur d’un grand nombre de citoyens détenus dans lés prisons de la province, pour avoir défendu les intérêts de la patrie et les droits de la liberté ; mais leurs réclamations, leurs instantes prières n’ont pu être mieux entendues que celles des citoyens d’Ü-trecht. Tel est le tableau rapide de tout ce qtie les patriotes des Provinces-Unies ont entrepris pour la cause de la liberté, de tout ce qu’ils ont souffert pour elle. Des hommes qui ont bravé la mort pour la patrie, ont le droit, ils ont î’impérieuse obligation de se rattacher à la vie par leurs espérances; celles des patriotes hollandais vivent dans le cœur de tous les amis de l’humanité, parée que la liberté batave est liée, comme la liberté universelle des peuples, à un mouvement qu’il n'est plus au pouvoir des hommes d’arrêter ou de suspendre. Bons et généreux alliés; peuple digne d’une immortelle gloire, et pour le bien que vous avez fait, et pour le bien que vous avez le pouvoir de faire, recevez ici avec l’expression de nos vœux celle de notre éternel dévouement. Puissent ün jour les citoyens des Provinces-Unies prouver à l’Europe qu’ils n’oht oublié ni vos bienfaits, ni votre exemple! ASSEMBLEE NATIONALE. PRÉSIbENCE DE M. TRE1LHARD. Séance du mardi 27 juillet 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Iê Président annoncé Phommagë fait à l’Assemblée : lü par le sieur Ternisied, d'une perspective de la cérémonie du serment civique fait au Ghamp-de-Mars par la nation française assemblée le 14 juillet 1790; 2° par le sieur Moizard, maître d’écritufe à Blois, d’un dessin à la plume contenant un calendrier perpétuel, et les portraits du roi et de ia reine. L’Assemblée a agréé ces hommages. M. Coster, secrétaire, fait ensuite lecture de l’extrait des pièces et adresses suivantes : Procès-verbal de prestation de serment de la garde nationale de Lozay en Saintonge, commandée par le sieur Meaugeais, qui a exprimé aux citoyens qu’il commande les sentiments les plus conformes aux principes de l’Assemblée, et les a exhortés à maintenir la paix ét la Constitution de tout leur pouvoir. L'Assemblée a accueilli avec satisfaction cette preuve du patriotisme des citoyens de Lozay. Adresses de là müüicipalité, des citovens et des gardes nationales de la commune de Saint-Pierre d’OrignolleS, district de la hanté Saintonge, département de la Gharente-Inférieüre, qui témoignent leur admiration pour les travaux de l’Assembiée, qu’ils prient de ne pas se séparer qu’elle né les ait achevés. Délibération de Fhôtel de ville de Sedan�par laquelle il arrêté qüé toutes les démarches necessaires seront faites pour obtenir de l’Assemblée nationale le don d’üné superbe statue en marbre du célèbre vicomte maréchal dé Tnrenne, déposée depuis longtemps dans une caisse à l’abbaye de Clunÿ en Bourgogne, dans le cas où ce monument serait déclaré appartenir à la nation, et non pas à la maison de Bouillon qui le revendique. La ville de Sedan ne demande, dit-elle, qu’un vain marbre en échange du grand homme qu’elle a donné à la nation. (Gette demande est renvoyée âu comité des domaines.) Soumission d’acquérir dès biens nationaux pour la somme de 44,400 livres 15s sols par la commune de Sainte-Croix en Touraine. Gette soumission a été renvoyée âü comité de l’aliénation des biens nationaux. Adresse de Rassemblée électorale du district de Rochefort qui, avant de terminer ses travaux, en persistant dans les sentiments de respect et de soumission qu’elle à déjà manifestés à l’Assemblée, se joint aux districts de la Rochelle, de Saint-Jean d’Àngely et de Marennes, pour réclamer l’alternat dû département de la Charente-In-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.