320 [Etats gen. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] CAHIER De la paroisse d’Attilly (\). L’an 1789, le 12 avril, les habitants, assemblés au son de la cloche, en la manière accoutumée, à l’issue de la messe paroissiale, après qu’il leur a été fait lecture, par le sieur syndic municipal, de la lettre du Roi du 24 janvier dernier, portant convocation des Etats généraux pour le 27 avril, présent mois, et du règlement y annexé, ainsi que de l’ordonnance de M. le prévôt de Paris, du 13 dudit; pour se conformer aux désirs et aux ordres de Sa Majesté, ont délibéré sur les objets qui suivent, pour leur servir de cahier de doléances ; sont tombés d’accord et pensent unanimement : Art. 1er. Que lesdits Etats généraux leur donnent la meilleure espérance de voir adoucir la peine, puisqu’on ne doit s’occuper qu’à réprimer la foule d’abus qui existent dans tous les genres, sans qu’ils aient pu produire au Roi et à son peuple un intérêt réel, jusqu’à présent. Art. 2. La chasse surtout, qui ne sert qu’au laisir des grands et des riches, est le premier éau du cultivateur. Ses plaintes justes et ses cris ont été jusqu’alors une raison'de plus pour être vexé. Bientôt l’on ne verra que remises dans toutes les plaines. Le nombre s’en accroît tous les jours. Le terrain le plus précieux y est employé. L’alentour, ravagé sans ressource, gêne et retarde l’exploitation. Les impôts ont, malgré cela, graduellement augmenté; et le laboureur, depuis bien des années, a vu avec douleur ses veilles et ses sueurs infructueuses. Pourquoi ils estiment donc que toutes remises et gibier soient détruits. On gagnera d’abord par ce moyen une quantité de terrain qui rapporterait abondamment du blé. Le surplus serait conservé de même. Art. 3. Un autre abus frappe également. C’est la quantité de pigeons, qui enlèvent aux laboureurs, tant dans les temps de semences que de récoltes, le plus beau et le plus clair de son revenu. Il y a mieux, c’est que beaucoup de gens se sont érigé le droit d’en avoir et jouissent impunément du bien usurpé. La suppression totale ne peut donc qu’opérer un grand bien, excepté les pigeons de volière que tout particulier peut conserver chez lui. Art. 4. La manière de rendre justice ne peut échapper aux lumières de Sa Majesté et de Messieurs composant les Etats généraux. Elle a écrasé jusqu’à présent le juste et l’innocent par ses longueurs, frais et faux frais ruineux. Les justices seigneuriales ne paraissent d’aucune utilité. Ne pourrait-il pas être établi un homme de loi qui, après avoir entendu les parties elles-mêmes, jugerait prévôtalement une quantité de petites affaires sans frais, jusqu’à concurrence d’une somme quelconque? 11 est bien malheureux que l’état des finances ne permette pas de rembourser toutes les charges de judicature. Elles devraient vraiment n’être données qu’au seul mérite et à la vertu. Un avocat, qui aurait vieilli avec réputation dans l'étude des lois, devrait espérer, pour retraite, cette récompense honorable, Et, pour éviter la multiplicité des procès, une même coutume ne pourrait-elle pas avoir lieu dans tout le royaume; même poids, même mesure? Combien alors de travail Je moins pour (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. former l’avocat; et le particulier même, étant instruit, n’élèverait plus de questions douteuses. Art. 5. La répartition des impôts est une des principales choses à observer. L’inégalité a été jusqu’alors révoltante. La cabale a prévalu ; et le malheureux a toujours gémi et touché à son précipice. L’espérance l’a soutenu. 11 respire, puisqu’il voit le moment de la voir réalisée. N’est-il pas bien douloureux de voir les fermiers généraux s’ériger en souverains, exiger sans humanité les droits que Sa Majesté leur accorde, les faire percevoir par une quantité de sangsues, qui, toujours au nom sacré du Roi, exercent des abominations, pour ensuite en afficher un luxe plus grand, regorger de l’abondance même, fruit de leurs vexations? Combien les aides, surtout, ne ruinent-elles pas de malheureux! Enfin, l’impôt et la manière de le percevoir est donc ce qui doit occuper essentiellement. Plus il sera simplifié, et plus le résultat en sera considérable. Chaque province ne pourrait-elle pas se porter fort de faire verser annuellement dans les coffres du Roi, directement, une somme fixée? Pourquoi serait-on retenu par l’idée de considération, de priver d’état, dans le fait, une quantité d’êtres qui vivent autour de la ferme générale, sans prendre en pitié l’autre classe de citoyens qui en souffre, et qui est en bien plus grand nombre ? D’ailleurs, ce revers momentané, pour ceux qui se trouveraient dans ce cas, les obligerait à redoubler d’activité et d’intelligence, et à devenir bons négociants; ou ils prendraient d’autres états qui contribueraient également à ramener l’abondance et à faire fleurir la France. Art. 6. On admire avec justice la sagesse de l’établissement des assemblées provinciales, qui feront sortir sans regret, de la domination fatigante et dure des intendances; et l’on voit encore avec peine subsister certains privilèges de celle de l’Ile-de-France. Art. 7. La mauvaise foi d’une infinité de meuniers n’est que trop connue. Il est bien dur au malheureux, outre le prix de la mouture, d’être dupé et volé d’une partie de son blé, impunément, par l’adresse qu’ils emploient. Un règlement sage et sévère ne pourrait -il pas y remédier, en infligeant des peines exemplaires et déshonorantes ? Art. 8. Observent, lesdits habitants, que la Brie est un pays extrêmement frais ; qu’elle a plus besoin qu’aucun autre d’être percée par des chemins ferrés et pavés, pour mettre à même le laboureur de tirer parti de ses denrées. D’ailleurs, c’est un des greniers de Paris des plus utiles et des plus chargés en taille. Les fermes et villages éloignés des routes sont également chargés d’impôts. On n’a pas attention à la dime plus ou moins forte. On s’arrête, pour fixer l’imposition, à une qualité de terre qui pourrait approcher celle qui a les facilités de routes et la proximité de Paris ou des marchés, tandis que l’exploitation est au moins une fois plus pénible, les pertes en bestiaux considérables ; obligés, dans ces malheureux hivers surtout, d’être enfermés, de manière à ne pouvoir absolument sortir de leurs maisons qu’à très-grands frais, et malgré cela, contraints sans pitié de payer, par provision, les impositions toujours extrêmement surchargées, ce qui est aisé à prouver depuis 1780 , ayant augmenté de près de moitié, contre l’intention du Roi, par son arrêt du conseil rendu dans ce temps ; et l’on voit encore, avec plus de regret, que la nouvelle imposition de la corvée soit per- 321 [Etats gén. i789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] çue, sans que cet argent soit employé au rétablissement des chemins de communication de chaque paroisse, quoique le Roi l’ait désiré et promis dans son principe. Art. 9. De plus, celte assemblée si respectable de la nation, qui aura pour chef son Roi, et où résidera la science et la sagesse, saura certainement remédier aussi à l’abus le plus délicat : c’est l’administration de la religion. Les scandales qui se commettent tous les jours tendent absolument à la détruire. Gomment le bon ordre se maintiendra-t-il? La trop grande abondance et richesse parmi les bénéliciers, et l’inégalité qui y règne, peuvent en être une des plus grandes causes. Ces usufruitiers de biens immenses ne connaissent, la majeure partie, que les plaisirs et la plaidoirie. Le mépris des biens de ce monde ne les occupe nullement. L’exemple, à cet égard, est ce dont ils s’occupent le moins. La dîme, surtout, principale pépinière de leurs procès, ne devrait-elle pas être fixée égale partout, être convertie en argent, et assignée à une somme quelconque, proportionnée aux travaux des bénéficiers, que l’on devrait obliger à la résidence et à opter? L’indigent trouverait plus de ressources. Ils auraient occasion de connaître la peine et la pauvreté de leurs frères. Ils ne pourraient manquer d’en être touchés -, et ils partageraient un bien dont ils ne doivent prélever que la vie et la vêture. Ils reviendraient insensiblement aux dogmes de la primitive Eglise. Ils feraient leurs devoirs avec exactitude-, ils persuaderaient par le bon exemple et leurs discours, qu’ils auraient le temps d’étudier. Le bon ordre se rétablirait ; et, par la suite, ceux qui prendraient cet état feraient plus de réflexion avant de se décider. Et, après un certain nombre d’années de travail dans une cure, leur accorder un bénéfice simple pour retraite. Sans abolir absolument les ordres religieux, ne conviendrait-il pas mieux de leur fixer une pension ; et encore, pourquoi ne pourrait-on pas leur trouver une branche de travail qui puisse concourir au bien de l’Etat? L’oisiveté, comme mère de tous les vices, et la trop grande licence qui leur est accordée, occasionnent une infinité de vices et d’abus. Enfin, ne pourrait-on pas trouver, parmi eux, des sujets capables de tenir tous les colleges, sans qu’il en coûte un sou au Roi? Ceux qui sont vraiment appelés à la vie solitaire, rien de mieux qu’ils remplissent leurs devoirs, en choisissant l’ordre le plus strict, et qu’ils évitent absolument l’occasion de sortir, paraître dans le monde, et porter leurs vœux à vingt-six ans accomplis, ainsi que pour les religieuses. Art. 10. Enfin, le cœur de chaque Français est tout entier pour son Roi et les princes, qui sont naturellement faits pour briller. Ce n’est pas une économie personnelle que l’on souhaiterait avec plus d’ardeur. On voit même toujours avec un nouveau plaisir le riche appareil et l’ostentation du trône ; et quand il plaît à Sa Majesté de se montrer dans toute sa grandeur et richesse, le généreux Français le voit toujours avec satisfaction ; et c’est une jouissance agréable à l’un et à l’autre. Mais tout le monde désirerait qu’il soit trouvé un moyen pour prévenir les pièges que tendent journellement à leurs bontés la plupart de ceux qui, jusqu’alors, les ont entourés, en faisant parade d’attachement , tandis qu’au fond, l’intérêt le plus vil seul les conduit. Que la puissance des ministres soit bornée, et que, pour peu qu’une lre Série, T. IV. affaire soit délicate et intéressante, elle soit renvoyée, pour la décision, à un comité établi, composé de gens qui auront acquis la plus intègre réputation, et qui auront fait preuve de science, de sagesse, de désintéressement et de vertu. C’est le vœu de la paroisse d’Attillv, qui se réserve, par la suite, de faire de nouvelles observations. Délibéré lesdits jour et an ; et ont signé lesdits habitants, les autres avant déclaré ne le savoir. Signé Boucot de Fouille ; Flaiche; Thibault; Ricqbour; Parvy ; Cornua, et Gaillard, greffier. CAHIER Des plaintes et doléances des habitants de la paroisse d' Attainvillc, diocèse de Paris, remisa leurs députés à rassemblée du tiers-état tenue a Paris le 18 avril 1789 (1). Art. 1er. Que le tirage de la milice, si onéreux aux habitants de la campagne, n’ait plus lieu. Art. 2. Que l’impôt sur les terres soit également réparti entre toutes les classes des citoyens propriétaires, et que toute exem*ption pécuniaire, en faveur de tous particuliers ou corps quelconque, soit supprimée. Art. 3. Qu’il est injuste qu’un arpent de terre soit imposé plus chèrement pour le propriétaire que pour le locataire, la terre n’ayant pas plus de valeur intrinsèque pour l’un que pour l’autre. On supplie instamment les députés du tiers-état aux Etats généraux de prendre en considération cette observation, ne voyant pas sur quoi peut être fondée, pour l’impôt, la différence qu’on a coutume d’v mettre. Art. 4. Que la justice dans tous les tribunaux soit moins chère et plus prompte. Art. 5. Qu’il est indispensable de porter une loi sur les abus de la chasse, telle que toute personne, constituée en dignité ou autorité quelconque, puisse être facilement amenée, avec les moindres frais possibles, à payer les dommages faits par la bête fauve ou le menu gibier. Art. 6. Que les lois existantes sur cet objet sont insuffisantes, et que le malheureux cultivateur, frappé par l’intempérie des saisons, ne se voit que trop souvent réduit au désespoir par la fureur, généralement répandue, d’entretenir une grande quantité de gibier, et l’impossibilité de recourir avec fruit, contre les grands, aux voies judiciaires. Que spécialement à Attain ville, malgré le nombre de mémoires adressés à l’assemblée intermédiaire de Saint-Germain, qui n’à rien négligé à cet égard, on n’a pu parvenir à obtenir la destruction, quoique promise, d’un gibier évidemment destructeur des biens de la terre. Art. 7. Que les malades de nos campagnes meurent souvent victimes de l’ignorance et de l’impéritie des chirurgiens de nos villages ; que, pour remédier à ce malheur, il serait bien à désirer que le gouvernement pût, dans tous les chefs-lieux, appointer des chirurgiens instruits qui fussent en état de soigner gratis les pauvres malades, et leur procurer, sans frais, les remèdes nécessaires : lesdits chirurgiens révocables à la volonté du gouvernement, quand, sur le rapport des curés et syndics des paroisses, ils seraient convaincus de ne pas remplir leur devoir. Art. 8. Que le sel, une des denrées de première nécessité, soit enfin porté à une valeur oû (1) Nous publions ce cahier d'après un manuscrit des Archives de l’Empire. 21