SÉANCE DU 11 FRIMAIRE AN III (1er DÉCEMBRE 1794) - N° 42 357 nous y sommes tous attendus, l’opposition de leur part à nos principes étoit calculée sur leur intérêts ; mais que la République ait été trahie par ceux-là mêmes que le peuple honoroit singulièrement de sa confiance, et qui parurent ses plus zélés défenseurs, voila une contradiction qui renferme le plus odieux des forfaits. Évitons de retracer ici les crimes épouvantables des hypocrites ambitieux qui ont affecté la popularité pour égorger la patrie, et qui, sous les formes exagérées d’un patriotisme aussi faux qu’ils cher-choient à le rendre exclusif, étoient parvenus, en dénaturant la morale, à faire croire à des hommes irréfléchis qu’on ne pouvoit être bon et vrai républicain, si l’on n’étoit insensible, ingrat et barbare. Cet affreux système, bâti par Robespierre, soutenu par ses partisans, trop longtemps prêché par quelques membres d’une société devenue plus dangereuse encore qu’elle n’a été fameuse, est tombé. Grâces vous en soient rendues, citoyens, les obstacles à la vérité et à la vertu ont disparu à l’aspect de la sagesse de la Convention. L’erreur est enfin dissipée. La section Poissonnière vient en masse vous féliciter, citoyens-représentans, sur vos travaux, vos succès, et vous déclarer qu’elle abhorre tout ce qui peut tendre à rivaliser avec la Convention; tout ce qui peut entraver l’exécution de ses décrets; tout ce qui peut nuire aux mesures du gouvernement, et tout ce qui peut s’écarter des maximes de la douce et touchante humanité, et des notions de justice, donc vous faites une si heureuse application, que la France entière ne suffit pas pour louer et bénir assez la Convention. En reconnoissant la nécessité des principes stables de la justice et d’un centre unique et commun d’où ils partent comme de leur source, nous avons rétracté à 1’unanimité, dans notre assemblée dernière, l’adhésion que la précipitation et la surprise avoient fait donner à l’adresse de Dijon et à celle de Grenoble. Enfin la section Poissonnière reste persuadée que, constans dans vos augustes et pénibles travaux, vous affermirez la République et fonderez sur les bases de la justice, comme les seules solides et invariables, le bonheur de la France, et elle proteste de son dévouement à seconder vos desseins, en même temps qu’elle se livre à l’espoir que la Convention mettra une soigneuse vigilance à rendre aux citoyens de la section incarcérés leur liberté, s’ils ne sont pas reconnus coupables. Vive la République ! Vive la Convention ! Suit 1 page de signatures. LE PRÉSIDENT (63) : Si l’égoïsme ou la pusillanimité n’eussent éloigné pendant trop longtemps les citoyens de leurs sections, des assemblées du peuple, jamais les voleurs, les terroristes, les hommes de sang enfin n’y auroient prêché les maximes qui plongèrent la France dans le deuil et la consternation. (63) Bull., 11 frim. L’adresse que vous présentez confirme cette vérité. Que les bons, les vrais patriotes se prononcent donc toujours ainsi, et la justice et l’ordre maintiendront leur empire. En dispersant les audacieux, les insensés qui osoient rivaliser avec la suprême volonté du peuple, la Convention nationale, remplissant son devoir, a rendu le plus important service à la République. Elle vous invite aux honneurs de la séance. La Convention ordonne la mention honorable de toutes ces Adresses et leur insertion au Bulletin (64). 42 La section de l’Homme-Armé [Paris] est admise à la barre; elle félicite la Convention d’avoir dissout cette association d’in-trigans et de factieux, chez qui le droit d’éclairer l’exercice de la souveraineté, étoit devenu le pouvoir de la contrarier, de la combattre, de l’anéantir; l’usage licite d’adresses, de pétitions paisibles et respectueuses à l'image vivante du peuple, étoit dégénéré en cris de révolte; et qui, enfin, s’étoient habitués à regarder comme un droit et un mérite l’art criminel de confondre les idées, d’abuser du sens et de l’application des mots, de farder le vice, d’honorer la barbarie, de souiller la vertu, de profaner et de corrompre la morale naturelle pour soumettre par la terreur, à une poignée de factieux, la grande majorité du Peuple français. Elle invite ensuite la Convention à triompher en même temps et des complices du despotisme qui ne voudraient pas permettre aux droits de l'homme de résister à leur orgueil, et des perturbateurs de la République, prétendus patriotes par excellence, qui se prévalent des droits de l’homme pour les anéantir autour d’eux; poursuivant de tous côtés, par leurs fureurs hypocrites et intéressées, la liberté, l’industrie, les talens, les vertus, les opinions et les propriétés. La Convention nationale décrète la mention honorable de cette adresse, l’insertion au bulletin, ainsi que la réponse du président (65). L’ORATEUR (66) : Représentants du peuple, un grand désordre affligeoit la République, et menaçoit de la dissoudre. Le droit d’éclairer l’exercice de la souveraineté étoit devenu le pouvoir de la contrarier, de la combattre, disons plus, de l’anéantir. Une force rivale déchiroit l’unité du (64) Moniteur, XXII, 643. Bull., 11 frim. (65) P.-V., L, 225-226. (66) Débats, n° 798, 1018-1019. Moniteur, XXII, 643 ; Bull., 11 frim. (suppl.) ; Rép., n° 72 ; F. de la Républ., n° 72; J. Perlet, n° 799 ; J. Fr., n° 797 ; M.U., n° 1359 ; Mess. Soir, n° 835. 358 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE gouvernement. Elle avoit réuni tous les moyens combinés d’élever une faction colossale à côté, et bientôt au-dessus de la représentation nationale. Vous l’avez découvert et révélé au peuple souverain, qui ne souffrira jamais, ni intrigans, ni fripons, ni séditieux, ni usurpateurs; il s’est à l’instant prononcé pour le maintien de la loi et de l’unité. Vous avez exprimé son vœu et la faction s’est évanouie. Les sociétés populaires réunions paisibles d’hommes purs et soumis aux lois, doivent veiller sans relâche, et porter leurs réclamations aux représentants du peuple, non pas avec le cri de la révolte, mais avec les sentimens toujours dus à l’image vivante de la souveraineté : c’est là une portion sacrée des droits des l’homme. Mais si un petit nombre d’opiniâtres agitateurs pervertit le but de ces réunions, jusqu’à substituer leur volonté, leurs passions à la volonté générale, jusqu’à faire applaudir et adopter par une société, jadis utile, des principes de discorde, de rébellion, de guerre civile, la France n’y verra plus qu’une société anti-populaire. Non, l’art de confondre les idées, d’abuser du sens et de l’application des mots, de farder le vice, d’honorer la barbarie, de souiller la vertu, de profaner et de corrompre la morale naturelle, de soumettre enfin, par la terreur, à une poignée la grande majorité du peuple français : non, certes, cet art abominable n’est pas un droit, mais un crime. Nos braves, nos sages armées savent triompher des tyrans; pour vous, triomphez ici de tous les scélérats: triomphez et des complices du despotisme qui ne voudraient pas permettre aux droits de l’homme de résister à l’orgueil, et des perturbateurs de la République, prétendus patriotes par excellence, qui, se prévalant des droits de l’homme pour les anéantir autour d’eux, poursuivent de tous côtés, dans leurs fureurs hypocrites et intéressées, la liberté, l’industrie, les talents, les vertus, les opinions et les propriétés. Chaque jour, au bruit des victoires extérieures, donnez-nous une bonne loi ; formez une institution salutaire; répandez la lumière et l’instruction; créez des encouragements réels, soutenus, efficaces, pour la culture, l’industrie, le commerce, les sciences et les arts; ramenez peu* l’indulgence les esprits égarés; secourez la pauvreté laborieuse ; flétrissez la paresse, la dissipation et le vice ; versez l’honneur sur la probité, les bonnes mœurs, le désintéressement, le vrai patriotisme; versez l’ignominie sur les méchants, les ennemis de la volonté du peuple et les charlatans de tous les genres. Tenez d’une main ferme les rênes du gouvernement révolutionnaire; renouvelez, épurez, remplissez de citoyens éclairés les autorités, les administrations, les bureaux; repoussez avec une défiance égale et ceux qui voudraient disperser sans règle des pouvoirs arbitraires dans les mains impures des intrigants, et ceux qui proposent de ramener avant le temps l’exercice de l’autorité constitutionnelle dans la main du peuple, qu’ils se flattent d’agiter et d’égarer encore. C’est par de telles mesures, soutenues du courage infatigable de douze cent mille républicains, que bientôt en voyant le bonheur et la force de la France libre et régénérée, toutes les nations lui tendront une main fraternelle, et tous les tyrans tomberont à ses pieds. Tels sont les sentimens unanimes de la section de l’Homme-Armé. LE PRÉSIDENT (67) : On l’a dit dans le sein de cette assemblée, les émigrés, les tyrans coalisés, désespérant d’asservir, par la force des armes, un peuple qui veut être libre, ne songent qu’à le diviser ; ils envoient des émissaires dans la société des Jacobins de Paris; que l’on fait prodigues, afin que les motions les plus extravagantes, les plus propres à soulever les gens sages contre la révolution française, y soient faites; n’importe à quel prix ; tels ont été les ordres des ennemis de la République; et certes, ceux qui soutenoient naguère à la tribune de cette société que la majeure partie de la Convention nationale étoit en contre-révolution, les exécutoient bien ponctuellement. Sans doute, il y avoit beaucoup de citoyens trompés, égarés, par le masque du pàtriotisme ; mais les brigands qu’on vit, dans la nuit du 9 thermidor, en pleine révolte contre la représentation nationale, n’en ayant pas été exclus, il étoit de la sagesse de celle-ci de mettre un terme aux coupables excès que commettoient les Jacobins de Paris, soit par faiblesse, égarement ou mauvaise intention. Les applaudisse-mens qui ont été donnés à cette mesure, ne laissent aucun doute sur sa bonté. La Convention va s’occuper de ranimer les arts, l’agriculture et le commerce, de l’instruction publique, pour régénérer les mœurs sans lesquelles il n’est ni vertu, ni République. Je vous invite aux honneurs de la séance. 43 La section des Marchés [Paris], en masse, se présente: elle trace le tableau des atrocités commises par les Jacobins et leurs nombreux complices répandus dans la République par des affiliations sur lesquelles ils fondoient leur puissance et la durée de leurs crimes. Elle ne provoque pas cependant la vengeance nationale contre tous les membres de la ci-devant société des Jacobins ; elle désire, au moment où le peuple pourroit, par un retour terrible, les accabler tous, que l’on sépare les meneurs des menés, les méchans de ceux qui ne sont qu’égarés. Elle demande justice contre les intrigans, les factieux, les égorgeurs. La même section recommande à la Convention les familles de ses frères d’armes combattant aux frontières, envers lesquelles elle a pris, par une générosité supérieure à ses moyens, des engagements pécuniaires qu’elle a la douleur de ne pouvoir remplir. La Convention nationale décrète la mention honorable et l’insertion au bulletin, (67) Bull., 11 frim. Débats, n° 799, 1019-1020.