{Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. | 27 brumaire H 37 j[ ( 17 novembre 1793 motifs et les avantages de ee projet. Mais une loi qui dans son ensemble et dans sa précision, n’offre que la preuve évidente de son à-propos et de sa nécessité, est essentiellement vicieuse : il faut, sans plus discourir, ou la rejeter ou la refaire. Voici donc le projet de décret : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des finances et de législation, décrète ce qui suit : Art. ief. « Les évêques, curés et vicaires, qui ont abdi¬ qué ou qui abdiqueront leur état et fonction de prêtrise, recevront de la République par forme de pension annuelle : savoir, ceux qui sont actuellement d’un âge au-dessous de 50 ans, la somme de 800 livres; ceux de 50 ans accom¬ plis jusqu’à 70 accomplis, celle de 1,000 livres, et ceux de ce dernier âge, la somme de 1,200 li¬ vres. Art. 2. « Les pensions diverses mentionnées en l’ar¬ ticle ci-dessus, ne seront pas susceptibles d’accroissement en passant d’un des trois âges déterminés à l’autre; mais elles seront payables à l’échéance de chaque semestre par le rece¬ veur du district du domicile de chaque pension¬ naire, qui sera tenu de'justifier de ses certificats de résidence, de non-émigration, de paiement des contributions, et de civisme. Art. 3. « Le quartier commencé le 1er octobre et qui finira au 1er janvier prochain, sera payé sur le pied actuel, mais seulement jusqu’au jour de leur décès, tant aux prêtres qui abdiqueront, qu’à ceux qui conserveront leur état. Art. 4. « Ceux des citoyens déprêtrisés qui seront nommés à d’autres places ou emplois non ecclé¬ siastiques, ne pourront les refuser, sous peine d’être privés des pensions dont il s’agit, si ces emplois sont de même valeur que la pension; et dans aucun cas on ne pourra cumuler deux traitements. Art. 5. , - : « Si les citoyens déprêtrisés perdent leurs emplois ou par l’effet d’une suppression ou par celui d’une réforme que leur mauvaise conduite n’aurait pas occasionnée, la pension reprendra son cours sur l’ancien pied. Art. 6. « Lesdits évêques, curés et vicaires déprê¬ trisés, et qui seront mariés, pourront, au bout de trois ans, à dater de leur abdication, être employés dans l’instruction publique, en d’autres lieux néanmoins que ceux où ils auront exercé leurs dernières fonctions ecclésiastiques. Art. 7. « Les receveurs de district ne pourront payer les pensions dont il s’agit, que lorsque ceux qui les auront obtenues auront été inscrits sur i une liste dressée à eet effet par les directoires de district, arrêtée par ceux de département, envoyée à la trésorerie nationale, et publiée et affichée aux chefs-lieux des districts. Art. 8. « Les évêques, curés et vicaires, qui conser¬ veront leurs fonctions et état, du consentement de leurs communes, seront payés comme par le passé. » Cloots fait hommage à la Convention d’un de ses ouvrages, qui a pour titre la Certitude des 'preuves du mahométisme. Sur la proposition de plusieurs membres (1), la Convention décrète ee qui suit : « Anacharsis Cloots, député à la Convention, fait hommage d’un de ses ouvrages intitulé la Certitude des preuves du mahométisme; ouvrage qui constate la nullité de toutes les religions. L’Assemblée a accepté cet hommage, en a ordonné la mention honorable et l’insertion au « Bulletin », et renvoie le livre au comité d’ins¬ truction publique. » Le même membre propose d’ériger une statue à Jean Mélier, curé d’Étrépigny et de Butd-en-Champagne, le premier prêtre qui ait eu le cou¬ rage et la bonne foi d’abjurer les erreurs reli¬ gieuses. Cette proposition est renvoyée au comité d’ins¬ truction publique. Sur la proposition d’un membre, l’Assemblée ordonne l’impression et l’envoi à tous les dépar¬ tements du discours dont Anacharsis Cloots a fait précéder son offrande (2). Discours prononcé a la tribune de la Convention nationale, le 27 brumaire, l’an II DE LA RÉPUBLIQUE UNE ET INDIVI¬ SIBLE, par Anacharsis Cloots, député PAR LE DÉPARTEMENT DE l’Oise (3). Permettez, cioyens collègues, que je vous mette à même de réparer un outrage fait à la raison par l’Assemblée législative, qui, sur les observations chrétiennes de l’évêque du Calva¬ dos, de guillotineuae mémoire, ajourna la récep¬ tion d’une de mes productions philosophiques, le fruit de quinze heures de travail par jour durant quatre années consécutives. Cet ouvrage, singulier par sa méthode, sa tactique, et curieux par ses détails, ses développements, sape d’un seul coup toutes les sectes révélées, anciennes et modernes. Il est intitulé : La certitude des (1) L’auteur de la proposition est Bezard, d’après la minute du décret qui se trouve aux Archives natio¬ nales, carton C 277, dossier 726. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 286. (3) Bibliothèque nationale : 8 pages in-8° Le3*, n° 568. — Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l'Oise), t. 16, n° 6 et 314, n° 4; Archives nationales AD xvme 17 (dossier Cloots); Moniteur universel [n° 52 du 29 brumaire an II (mardi 19 novembre 1793), p. 239, col. 2]; Journal des Débats et des Décrets (frimaire an II, n° 432, p. 74). 372 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. nombre T793 ; preuves du mahométisme (1), parce que je jette un musulman entre les jambes des autres sec¬ taires, qui tombent les uns sur les autres. Mon livre tient lieu d’une vaste bibliothèque. L’explosion philosophique qui frappe nos regards révolutionnaires, est le résultat de 50 ans de travaux et de persécutions. C’est en attaquant avec une courageuse opiniâtreté toutes les fausses révélations, que nous sommes arrivés à l’époque de la révélation du bon sens. La conversion d’un grand peuple nous prouve que les philosophes n’ont pas semé sur un sol ingrat, et que le prosélytisme de l’erreur est moins rapide que celui des principes éter¬ nels. C’est aujourd’hui que les bénédictions de la vérité font oublier les malédictions du mensonge. Je me réjouis d’avoir été persécuté par un archevêque de Paris, quand je vois tout le clergé de France abjurer une doctrine contre laquelle j’ai lancé des volumes 10 années avant la prise de la Bastille. On ne m’a jamais par¬ donné, sous le règne' des rois et des prêtres, ma devise favorite : Veritas atque libertas. Je dois à mes Aloyages continuels, à mon cos¬ mopolitisme indépendant, d’avoir échappé à la vengeance des tyrans sacrés et profanes. J’étais à Borne quand on voulait m’incarcérer à Paris, et j’étais à Londres quand on voulait me brûler à Lisbonne. C’est en faisant la navette d’un bout de l’Europe à l’autre, que j’échappais aux sbires, aux alguazils, aux mou¬ chards, à tous les maîtres et à tous les valets. Enfin la Révolution arrive, et je me trouve dans mon élément naturel; car c’est la liberté, non le lieu, qui fait le citoyen, comme l’a fort bien dit Brutus et comme l’a très fort oublié votre rapporteur sur la loi contre les étrangers. Et moi aussi, j’ai eu l’ingratitude d’oublier mon ber¬ ceau natal, pour ne songer qu’au berceau de la République universelle, si toutefois c’est oublier son pays natal que de propager les lumières dans le chef-lieu du globe. Quoi qu’il en soit, mes émigrations cessèrent lorsque l’émigration des scélérats commença. Paris régénéré était le poste de l’orateur du genre hu¬ main et je ne l’ai pas quitté depuis l’an] 1789. C’est alors que je redoublai de zèle contre les prétendus souverains de la terre et du ciel. Je prêchai hautement qu’il n’y a pas d’autre dieu que la nature, d’autre souverain que le genre humain : le peuple -dieu. Ce peuple se suffit à lui-même; il sera toujours debout : la nature ne s’agenouille point. Jugez de la majesté du genre humain libre par celle du peuple fran¬ çais qui n’en est qu’une fraction; jugez de l’in¬ faillibilité du tout, par la sagacité d’une portion qui, seule, fait trembler le monde esclave. Plus la masse des hommes libres grossira, moins on redoutera les grands personnages. Les gens suspects disparaîtront avec les tyrans. Le nivel¬ lement universel s’oppose à toute rébellion quelconque. Le comité de surveillance de la République universelle aura moins de besogne que le comité de la moindre section de Paris; il en sera de même de tous les bureaux ministé¬ riels. Ma République est l’antidote de la bureau¬ cratie : il y aura peu de bureaux, peu d’im-(1) Les personnes qui voudraient consulter cet ouvrage le trouveront à la Bibliothèque de la Chambre où il est catalogué ! Cloots, De la certitude des preuves du mahométisme, 636 pages in-8°, A g ni, R° 39. pôts et point de bourreau. Une confiance générale remplacera une méfiance nécessaire. La raison réunira tous les hommes dans un seul faisceau représentatif, sans autre lien que la correspondance épistolaire. Ce sera la véri¬ table république des lettres. Citoyens, la religion est le plus grand obstacle à mon utopie. Or, indubitablement cet obstacle n’est pas invincible, car nous voyons les chré¬ tiens et les juifs se disputer les honneurs de l’abjuration la plus solennelle. Il en sera de même partout où l’on acceptera la Constitu¬ tion montagnarde, partout où les hommes auront cinq sens. Une Constitution qui ne laisse aux prêtres que des mômeries, en leur faisant restituer et notre morale et notre argent, cette Constitution, en montrant l’imposture dans son affreuse nudité, devait opérer inces¬ samment les merveilles qui se passent sous nos yeux; d’autant plus que la réquisition des hommes et des choses dirige tous les esprits vers le théâtre de la guerre libératrice. Je ne réfuterai pas les déraisonneurs qui verraient là-dedans des intrigues contre-révo¬ lutionnaires, et qui s’imagineraient que l’on mène le peuple dans un précipice. Rassurez - vous, bonnes gens, le peuple ne se laisse plus mener; il a brûlé ses lisières, il en sait plus que tous les docteurs. Quant aux aristocrates dégui¬ sés qui répètent leurs vieilles calomnies contre la commune centrale, en ajoutant que les départements ne sont pas mûrs, je les enverrai dans la Nièvre, dans la Somme, à Rochefort, à Ris, etc., à moins qu’ils ne préfèrent le séjour de la Vendée, dont les saintes fureurs ont accé¬ léré la guérison de nos républicains victorieux. Remarquez, citoyens, que la plupart de ceux qui font les trembleurs maintenant, furent les premiers à blâmer la prudence des Jacobins qui s’opposèrent, l’automne dernier, à la motion prématurée d’un membre du comité des finances. Eh bien ! ces mêmes Jacobins, tou¬ jours attentifs à saisir la balle au bond, se lèvent aujourd’hui en masse pour écraser sans retour toutes les têtes de l’hydre religieuse.. Une ter¬ reur salutaire dissipe toutes les terreurs fantas-tisques : on n’a de vigueur, dit un ancien, que le premier jour qui suit un mauvais règne. Profitons de ce premier jour, que nous pro¬ longerons jusqu’au lendemain de la délivrance du monde. Il est donc reconnu que les adversaires de la religion ont bien mérité du genre humain ; c’est à ce titre que je demande, pour le pre¬ mier ecclésiastique abjurant, une statue dans le temple de la Raison. Il suffira de le nommer pour obtenir un décret favorable de la Con¬ vention nationale : c’est l’intrépide, le géné¬ reux, l’exemplaire Jean Melier, curé d’Etré-pigny en Champagne, dont le Testament philo¬ sophique porta la désolation dans la Sorbonne et parmi toutes les factions christicoles. La mémoire de cet honnête homme, flétrie sous l’ancien régime, doit être réhabilitée sous le régime de la nature. Citoyens collègues, vous accueillerez favo¬ rablement mes deux propositions, car les arche¬ vêques de Paris et les évêques du Calvados ne sont plus à l’ordre du jour (1). Anacharsis Cloots. (1) Applaudissements, d’après le Moniteur uni¬ versel [n° 59 du 29 brumaire an II (mardi 19 no¬ vembre 1793), p. 239, col. 3].