[12 décembre 1789. J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 525 exigent, dans les individus, plus de sagesse, de prudence, de probité, d’expérience, d’intelligence, de bravoure et de force. 11 ne faut pas se faire illusion sur la manière dont les milices nationales, surtout dans les villages, rempliraient les fonctions pénibles, difficiles et délicates, confiées à la maréchaussée, et pour lesquelles elle a été formée et instruite de longue main. Si le défaut d’intelligence et d’éducation rend les habitants des campagnes incapables de recueillir, dans des procès-verbaux, Ja preuve des crimes, en suivant les traces qu’ils laissent après eux, leur éloignement naturel pour toute espèce de subordination, les tiendra à une grande distance de l’exactitude avec laquelle on doit veiller sans cesse à la sûreté publique. On ne peut supposer avec vraisemblance que la patrouille d’un village mette infiniment d’empressement à la recherche d’un délinquant qui sera le parent, le voisin ou l’ami d’un des membres de cette patrouille. Car, avant que le préjugé qui entachait ci-devant l’honneur des familles d’un condamné, soit totalement effacé des cœurs français, il échapperait bien des coupables à la vengeance de la loi ; si les parents , voisins ou amis des délinquants, étaient seuls chargés de les poursuivre. 11 est peut-être raisonnable de penser aussi qu’il est des espèces de délits, tels, par exemple, que la désertion des soldats, contre lesquels on ne réussira jamais à armer, avec une grande activité, une garde nationale. Sous ces rapports, les avantages que l’on retire de la maréchaussée ne seraient nullement suppléés par les milices nationales. Il reste à examiner si ce serait une opération vraiment économique, de charger les milices nationales du service de la maréchaussée. La journée d’un manouvrier ne peut être évaluée à moins de 20 sols l’une dans l’autre. 11 existe dans le royaume 40,000 communautés ou paroisses, grandes et petites. En supposant que chaque paroisse fournisse seulement un homme de garde chaque jour, le produit des journées sera par an de 14,600,000 livres, et par conséquent l’impôt, en déduisant les fêtes et dimanches, sera de 12 millions de livres. Mais si l’on voulait évaluer le tort que peut faire à l’agriculture, à l’industrie et au commerce, la perte de certains jours destinés aux semailles, à la récolte, aux marchés, aux foires, etc., etc., on apercevra que, pour épargner environ 4 milions que coûte l’entretien de la maréchaussée, que pour que les citoyens et leurs propriétés soient réellement en sûreté, on accablera le peuple d’une corvée dont la dépense est incalculable, et qui n’aura d’autre effet que de multiplier à l’intini les malfaiteurs et les brigands, par l’espoir presque certain de l’impunité. D’après ce qui vient d’être dit, on ne peut s’empêcher de penser qu’il est très-avantageux d’avoir en France une troupe armée, uniquement destinée à la police intérieure du royaume, qui puisse faire respecter les lois, et assurer leur exécution. Sans ce secours, il sera difficile de faire jouir les citoyens des avantages de la nouvelle constitution. Que cette troupe soit la maréchaussée, ou toute autre, peu importe, pourvu quelle soit organisée sur les mêmes principes perfectionnés, et qu’elle remplisse dans toute l’étendue du royaume, les mêmes fonctions que la milice soldée de Paris exerce daus cette capitale pour la sûreté de ses habitants. Cette troupe doit être sous l’autorité immédiate des assemblées provinciales, comme troupe nationale, destinée à agir contre les ennemis de l’intérieur qui troublent la tranquillité des citoyens ; et si la surveillance et l’administration de cette troupe doivent demeurer dans la main du Roi, c’est comme chargé par la nation du pouvoir exécutif. Car d'ailleurs le service de cette troupe , relativement aux circon-tances locales et aux emplacements, doit être déterminé et dirigé par les assemblées de départements, qui sont plus à portée de juger des moyens de police qui peuvent assurer la tranquillité' publique, d'après la nouvelle constitution et les lois établies. Nous proposons donc ces décrets : « L’Assemblée nationale considérant que la maréchaussée est une milice nationale soldée, destinée par la loi à agir contre les ennemis de l’intérieur qui troubleraient la tranquillité publique, et un moyen de force nécessaire pour assurer l’exécution des lois ; qu’elle ne peut être remplacée utilement par toute autre troupe différemment organisée, et qu’elle a besoin, dans le moment, d’une augmentation d’hommes pour la rendre capable de tout le service auquel elle est destinée, a décrété et décrète : 1° Que le corps de Ja maréchaussée sera conservé dans son intégrité, et avec son rang dans l’armée ; 2° Qu’il sera fait un projet pour en perfectionner les principes, et rendre son organisation plus conforme aux nouvelles lois constitutionnelles ; 3° Qu’il sera fait des fonds suffisants pour l’augmentation d’hommes qui sera jugée nécessaire pour établir des brigades sur toute la surface du royaume, à trois lieues de distance, en tous sens, les unes des autres ; 4° Que le corps de la maréchaussée, quant à l’administration et à la police intérieure, sera dans le département du ministre de la guerre ; mais quant à un service journalier et à ses emplacements, relativement aux circonstances, il sera sous l’autorité immédiate des assemblées de départements. M. le comte de Custine. J’aurais quelques réflexions à présenter sur l’établissement des milices nationales , mais pour ne pas arrêter les travaux de l’Assemblée, je les ferai imprimer et distribuer. ( Voy . ce document aux annexes de la séance.) L’Assemblée passe à son ordre du jour de deux heures. M. le Président consulte l’Assemblée pour savoir quel jour elle voudra prendre connaissance de l’affaire du Brabant. Cette affaire est ajournée à mardi, ordre du jour de deux heures. La discussion de plusieurs articles relatifs à la jurisprudence criminelle est renvoyée à jeudi 17 décembre, également à deux heures. M. Orelet de Beauregard propose la motion suivante : « L’Assemblée nationale interprétant, autant que de besoin, son décret par lequel elle a réformé divers points de la jurisprudence criminelle, a décrété et décrète que ceux qui seront nommés d’office pour conseils aux accusés, seront tenus d’en remplir les fonctions, à moins qu’ils n’aient, pour s’en dispenser, les mêmes raisons qui rendent un juge récusable; et alors l’avocat qui le suivra dans l’ordre du tableau sera tenu de le remplacer. » L’Assemblée décide que cette motion sera ren- [12 décembre 1789.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 526 [Assemblée nationale.] voyée au comité des sept, chargé de la réformation de la jurisprudence criminelle. M. le comte de la Planche de Ifiuillié, au nom du comité des finances Lût un rapport sur l’affaire concernant les impositions de la Bretagne et présente un projet de décret. Un membre propose de déterminer la manière dont doivent être imposés les châteaux, maisons de campagne, parcs et jardins en dépendant. L’Assemblée renvoie la question au comité des finances pour lui proposer un règlement à ce sujet. L’heure étant avancée, l’affaire des impositions de la Bretagne est ajournée à la séance du soir. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. PRÉTEAUDE SAINT-J CST. Séance du samedi 12 décembre 1789, au soir (1). Un membre du comité des rapports rend compte, à l’ouverture de la séance de quelques troubles arrivés dans la ville d’Amiens et propose un projet de décret. L’Assemblée n’étant pas encore en nombre, la délibération est ajournée. M. le vicomte de Beauharnais, l’un de MM. les secrétaires , fait lecture de plusieurs dons patriotiques ainsi qu’il suit : De la communauté de Cunfin en Champagne, qui adhère aux décrets de l’Assemblée nationale, qu’elle n’a lus qu’avec la plus vive admiration, et qui, surtout, pénétrée des principes que contient l’adresse aux commettants, a ordonné la vente d’une partie de ses bois communaux, sur le prix desquels elle offre à la patrie une somme de 5,333 liv. 6 s. 8 d. qui sera déposée à la caisse nationale le lex avril 1790; elle de;nande à faire partie du district de Bar-sur-Aube. De la ville de Longwy en Lorraine, qui adhère respectueusement à tous les décrets de l’Assemblée nationale, et principalement à celui qui ordonne le payement du quart des revenus. Elle offre une somme de 21,497 livres, provenant de ses offices municipaux; le comité de la même ville adhère au décret pour le payement du quart du revenu, et offre un don patriotique de 1,000 livres fruit d’une souscription volontaire ; l'Assemblée a ordonné que le nom des souscripteurs fût imprimé dans ses procès-verbaux. Du bourg de Tréport, qui, adhérant respectueusement aux décrets de l’Assemblée nationale, offre, en don patriotique, l’imposition des privilégiés, pour les six derniers mois de 1789. DeThil-Châtel en Champagne, qui adhère, avec les expressions dictées par le patriotisme le plus pur, à tous les décrets de l’Assemblée nationale; déclare mauvais citoyens tous ceux qui auront fait de fausses déclarations de leurs biens; et renonce à toute diminution sur les impôts, à raison de la taxe des privilégiés, pour les six derniers mois de 1789, qu’ils offrent en don patriotique. De la paroisse de Moisson en Vexin, qui adhère à tous les décrets de l’Assemblée nationale, et qui, quoique extrêmement pauvre, offre, en don pa-tiiotique, la taxe des non-privilégiés pour les six derniers mois de l’année 1789, ne prétendant aucune diminution sur les impôts ordinaires. Du corps des maîtres serruriers de Nîmes, qui ont fait l’offre de la somme de ..... Le Trésorier des dons patriotiques fat ensuite lecture de la liste qui contieut les différentes offrandes faites à la nation. La Chartreuse du fiort-Sainte-Marie en Auver-gné, fait offre par Doin G -rie, prieur et député à l’Assemblée nationale, d’un don patriotique de 149 marcs, 4 onces, 3 gros d’argenterie. Bïotn Gerle, prieur de la Chartreuse du Port Saiwe-Marie, député de Riom , visiteur de son ordre, prononce le discours suivant (1) : Appelé et introduit parmi vous, Messieurs, comme représentant de la nation, pour concourir, selon mes forces, à la révolution qui s’opère, par vos constants et généreux efforts, avec autant d’efficacité que de sagesse, je viens, sous vos auspice s et sous vos leçons, commencer à remplir ma tâche. La facilité avec laquelle vous permettez à un chartreux de s’asseoir au milieu de vous, Messieurs, atteste qu’il n’est aucune classe de citoyens que vous ne preniez en grande considération, et que depuis l’habitant de la cité jusqu’à l’habitant du désert, vous entendez que tous soient ou témoins ou participants de la régénération de cet empire. Convaincu comme vous, Messieurs, des besoins actuels de l’Etat, je voudrais pouvoir être admis à faire, comme tant de généreux citoyens, un don volontaire à la nation ; je le rendrais, Messieurs, digne de votre attente, en le laissant régler par les sentiments patriotiques dont je suis animé, et je sens que je ne pourrais être satisfait qu’en offrant tout, et en donnant tout sans réserve : je n’ai jamais été dans d’autres dispositions; mais dirigé aujourd’hui et gouverné par vos décrets du mois dernier, relatifs aux biens du clergé, je ne puis, Messieurs, vous montrer mon zèle autrement qu’eu adhérant pleinement, sincèrement, d’esprit et de cœur, à la sagesse de tous vos arrêtés, vous déclarant que je suis prêt à en suivre toutes les dispositions. Je puis, Messieurs, dès à présent satisfaire à celle qui concerne l’argenterie; après avoir laissé dans l’église de la Chartreuse que je préside tout ce qui est nécessaire pour la décence du culte, j’ai à présenter et délivrer à la nation 150 marcs d’argent en différentes pièces, dont je fournis l’état, et qui arriveront incessamment à l’hôtel des Monnaies. Pour ce qui tient à l’exécution du décret qui regarde la déclaration des biens mobiliers et immobiliers, je supplie l’auguste Assemblée de m’accorder un délai suffisant pour y satisfaire d’une manière convenable. Qu’il me soit aussi permis, Messsieurs, de vous observer, en ce moment, que vos decrets du mois dernier ont occasionné L s plus vives inquiétudes dans la plupart de nos maisons, aux religieux qui ne les conçoivent pas assez bien. Ils n’y aperçoivent que la perte de leurs biens, de leurs maisons, de leur état; il s’agitent d’une (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de Dom Gerle. (1) Celle séance est incomplète au Moniteur.