[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 septembre 1790.] La discussion des autres articles est renvoyée au surlendemain. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur un plan général de liquidation de la dette publique. M. Malouet (1). Messieurs, la discussion du rapport de votre comité des finances vous en a fait perdre de vue les détails et les développements (2). A peine le rapporteur, vous eut-il rendu compte des considérations graves qui avaient embarrassé et suspendu, entre trois partis différents, la décision de votre comité, qu’il s’éleva une opinion entraînante pour le plus hasardeux des partis proposés, et nous avons bientôt entendu dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, ces flots orageux de motionnaires ambulanis, commander l’émission de deux milliards d’assignats, comme la mesure la plus patriotique. Déjà les écrivains et les crieurs publics, qui disposent avec eux de la renommée, l’ont chargée de marquer du sceau de la réprobation tous les adversaires des assignats. J’attendais en silence le résultat de vos opérations, lorsque ces mouvements ont excité mon attention.... J’ai été interrompu par un de ces incidents qui résultent trop souvent de l’opposition des principes (3). Il serait raisonnable de ne voir, dans tous les systèmes, que des conceptions libres, qui appartiennent alternativement à l’erreur et à la vérité : mais un des dangers de notre position, c’est de ne rien voir froidement; c’est de nous irriter, comme Xerxès contre les flots ; c’est de transporter nos préventions dans nos jugements; Pour moi, je l’avoue, Messieurs, c’est l’impression que j’ai reçue de tout ce que j’ai vu et entendu d’extraordinaire sur la question qui vous occupe, c’est, dis-je, cette impression qui m’a décidé à la traiter. J’étais embarrassé, et je ne le suis plus; car je n’avais rien à opposer aux assignats employés avec circonspection par la nécessité : mais lorsqu’on nous présente une grande émission de papier-monnaie comme une source de richesses et de prospérité, j’attaque ce système : car je n’ai jamais vu sortir une opération pure et saine des exagérations, des mouvements passionnés, dans lesquels on entraîne le peuple. La discussion qui avait eu lieu au comité des finances, l’art, la méthode, la circonspection du rapport m’avaient fait pencher pour l’expédient mitoyen, proposé par M. de Montesquiou. Payer la dette, au choix 'des créanciers, en assignats-monnaie, sans intérêts ou en quittances de finance portant intérêt, me paraissait une mesure sage et adroite qui ménageait l’opinion, et pouvait mantenir le crédit de l’un et l’autre papier. Mais que faire d’un expédient raisonnable, lorsqu’on ne peut en diriger l’emploi qu’au milieu des inquiétudes, des alarmes etdes mouvements les plus impétueux ? Tout ce qui paraît sage et praticable dans le silence du cabinet, se désordonné dans le tumulte qui nous environne ; et de même que poursefaireentendredans une foule bruyante il faut obtenir le silence, de même pour opérer, avec succès, au milieu de tant d’hommes inquiets, qui s’attribuent toutes les fonctions, l’autorité du (1) Le Moniteur de donne qu’une courte analyse du discours de M. Malouet. (2) Voy. plus haut le rapport de M. de Monlesquion sur la dette publique, séance du 27 août 1790. (3) Voy. plus haut la séance du 3 septembre 1790. 27 gouvernement, il faudrait en obtenir quelque tranquillité. Cette considération m’a fait voir, avec effroi, les effets probables de la proposition qui paraît avoir le plus de partisans, celle de payer en assignats-monnaie toute la dette exigible. J’ai réuni, sous un même point de vue, les embarras des finances et tous ceux de notre position ; j’ai vu une masse d’obstacles, qui ne pouvaient être brisés que par une force et une raison supérieures. Je vais vous rendre compte de mes aperçus. Je ne sais point séparer ce qui est indivisible; toutes les opérations partielles me paraissent ce qu’elles sont, inutiles ou dangereuses. Voulez-vous rétablir l’ordre dans les finances? Vous en avez les moyens : vous pouvez payer, vendre, imposer, satisfaire les créanciers; mais rien de tout cela n’est possible si leur sécurité ne devient commune à tous les citoyens. La dette exigible s’élève à 1,900 millions, sans compter les assignats actuellement en émission; vous pouvez la payer par l’aliénation des domaines nationaux, si cette opération s’exécute avec l’ordre qui peut seul la rendre utile. Déjà les moyens, les conditions de vente, les formes à employer sont arrêtés; si l’on pouvait diviser celte masse de fonds territoriaux en autant de portions que vous avez de créances à acquitter, votre libération s’opérerait sans tous les préalables, devenus nécessaires, sans aucun des obstacles que vous avez à vaincre : chaque créancier recevrait une valeur égale à son titre, et comme les biens-fonds sont les véritables richesses, que l’argent n’en est que le signe, celui qui, pour le prix d’un office ou d’un contrat quelconque, recevrait un champ ou une maison d’un prix équivalent, n’aurait point à se plaindre, car ce qui forme aujourd’hui son hypothèque, deviendrait sa propriété. Il est malheureusement impossible de procéder à cette distribution, simple et immédiate, des domaines nationaux en faveur de vos créanciers; ils ne peuvent devenir propriétaires d’un fonds équivalent à leur titre qu’en se présentant aux concours des enchères, et vous êtes obligés de les payer pour leur donner les moyens d’acheter. Un signe quelconque, pourvu qu’il représente certainement la valeur d’une partie de vos domaines, devient alors un payement légitime, car vous ne pouvez ni n’entendez donner des métaux, mais seulement le fonds que vous avez assigné pour hypothèque à la créance. Si ce signe arrive sans écart à sa destination, s’il n’est et ne peut être qu’un moyen d’échange d’un contrat contre une portion de terre, vous remplissez sans troubles et sans obstacles vos engagements; vous faites ce que vous voulez faire, qui est de vous acquitter. Il n’en résulte aucun engagement; la masse du numéraire destinée au commerce n’est point accrue, les changes avec l’étranger ne reçoivent aucune commotion défavorable. Il y aura un mouvement sensible, mais point convulsif, dans les propriétés et la valeur des denrées; celle des salaires restera toujours en proportion avec les espèces circulantes. Si, au contraire, le signe que vous emploierez en payement devient universel et propre à toute espèce d’échange, il faut, pour lui conserver la valeur, qu’il puisse se convertir à volonté, non seulement en domaines nationaux mais en argent, mais en toute espèce de denrées ou marchandises; et s’il existe un autre signe avec lequel on puisse avoir à meilleur prix tous les travaux, tous les salaires, tous les objets de consommation ; dès [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 septembre 1790.] 28 lors l’équilibre est rompu dans les échanges, et ce commencement de trouble, dans la, circulation, doit s’accroître en raison de la quantité des nouveaux signes, et aussi en raison de toutes les autres causes de désordre, d’inquiétude et de défiance. En supposant un grand calme dans les esprits, un ordre certain dans le gouvernement, on peut assurer le succès de toule opération de finance qui n’est ni inique ni absurde ; la confiance générale excite alors l’avidité des uns, la sécurité des autres, et le mouvement de tous se dirige facilement à l’avanlage de la chose publique. J’aurais donc voulu que le premier moyen, indiqué [tour l'arrangement des finances, fût celui sans lequel il n’y a en cette partie aucun succès à espérer : c’est le rétablissement de l’ordre. J’aurais voulu que le nouveau moyen d’impôts, leur fixation, leur quotité, leur répartition, eussent précédé tous les plans de liquidation ; car le succès de ces moyens de liquidation étant nécessairement fondésurlacertitudequ on doit avoir, que toutes les dépenses publiques seront fidèlement acquittées, il me paraît démontré que cette certitude n’existera que lorsqu’on verra tous les impôts sagement répartis dans une quotité suffisante, et leur perception inviolablement assurée par l’activité du gouvernement et l’obéissance des contribuables. On me répondra qu’il ne s’agit point d’acquitter la dette exigible av> c des impôts, mais avec des biens territoriaux dont la vente est décrétée; que la liquidation dépend de la vente et que les moyens d’accélérer cette vente sont en même temps ceux de liquidation, puisqu’ils consistent en billets au porteur, payables en biens nationaux. Cette réponse, qui est la plus raisonnable qu’on puisse faire, décide, à mon avis, la question des assignats, et laisse, en son entier, ma première objection. Je vous dirai : donnez à vos créanciers des billets au porteur, payables en biens nationaux, puisque c’est l’hypothèque que vous leur avez assignée; mais, pour le succès même de cette mesure, décrétez les impôts : d crétez-les dans une proportion égale aux dépenses publiques; assurez-en le payement, car il est évident que si on ne paye pas les impôts, si le' brigands, les incendiaires et tous les moteurs des troubles qui nousagitent, tous ceux qui y participent, sont plus forts que les lois, l’hypothèque de vos créanciers peut être rapidement consommée par les besoins publics. Iis auront donc l’inquiétude de voir leurs billets protestés, malgré le gage qui leur est offert, si vos mesures de finances ne sont précédées par celles qui doivent calmer toutes fi s inquiétudes. J’avoue, Messieurs, que je n’entends pas comment, au milieu du désordre affreux où nous vivons, on peut proposer, comme question préalable, un plan de liquidation, fondé sur une émission de deux milliards de papier, attendu, dit-on, que vous avez à disposer d’une valeur égale en biens territoriaux. Quoi ! Messieurs, les mouvements tantôt fous, tantôt furieux, d’une multitude égarée, sont à peine contenus par une armée de gardes nationales toujours sur pied! Nul citoyen n’est assuré de sa liberté, de son honneur, de sa vie! Nous n’entendons que des cris féroces de proscription! Chaque opération de l’A-semblée est discutée avec plus ou moins de véhémence dans les clubs, dans les places publiques ! Les députés de Yaugirard yous ont aussi proposé à la barre leur système de finances; et c’est dans celte agitation universelle, qui s’accroît chaque jour par les circonstances politiques dont nous sommes environnés, qu’on vous invite à augmenter la masse du numéraire fictif de deux milliards ! Nous sommes inondés de brochures qui nous annoncent que le commerce, les manufactures, les arts vont en recevoir une nouvelle vie; les contradictions les plus absurdes nous sont fastueusement présentées à l’appui de toutes ces assertions. Rappelons donc les vérités élémentaires qu’aucun de vous n’ignore, mais sur lesquelles on jette un triple voile pour vous les dérober. - Tout numéraire fictif doit être considéré sous deux rapports: celui de la circulation intérieure et celui des relations extérieures. S’il est dans une telle proportion avec les métaux monnayés, qu’on les échange au pair à volonté, c’est alors un accroissement effectif de richesses, parce que c’est un accroissement sensible de moyens pour toutes les spéculations, tous les travaux, tous les salaires. Alors le commerce extérieur et intérieur en reçoivent les plus heureux effets, la banque de l’Etat est pour les étrangers ce qu’est celle d’un riche négociant de Londres pour un banquier français; les transactions sur papier s’exécutent avec la même sécurité que celles qui produisent des remises en espèces; et c’est dans cette position seulement que l’agriculture et le commerce reçoivent une nouvelle vie d’une augmentation du numéraire proportionnée à leurs besoins. Mais dans cette position, c’est la confiance qui commande, c’est l’aisance qui cautionne le numéraire fictif. Qu’arri ve-t-il , au contraire, lorsque c’est l’embarras, le désordre qui font recourir à cette ressource? Il arrive, Messieurs, dans tous les temps, dans tous les lieux, qu’elle est toujours fâcheuse si on en use avec circonspection, et désastreuse si on en abuse. Il arrive que, dans les échanges intérieurs, chaque citoyen imprime au papier-monnaie toutes ses inquiétudes, ses défiances personnelles; qu’il craint ne vendre, qu’il n’ose acheter, qu’il réduit toutes ses consommations, qu’il emploie à son service moins de travailleurs; et l’étranger, calculant toutes ses spéculations sur nos moyens effectifs, dont il retranche abotument le numéraire fictif, suspend tout crédit, exige des remises en espèces, ou renonce à toute relation commerciale, c'est-à-dire que, dans la seconde hypothèse, qui est précisément la nôtre, celle de l’embarras et du désordre, le numéraire fictif est un moyen certain d’accroître encore l’embarras et le désordre, si l’on ne met en évidence un plan de liquidation, habilement combiné et sévèrement exécuté. Toutes les phrases qui contrarient cette théorie sont vides de sens; car la pratique est sous vos yeux ; vous avez créé un papier-monnaie solidement hypothéqué : il est encore dans une proportion cinq ou six fois inférieure au gage assigné, et cependant le papier perd 6 0/0. Ainsi, les hommes qui nous demandent 6 écus pour en échanger 100 en papier, parient 6 contre 100 que ce papier sera protesté. Il est probable qu’une nouvelle émission d’assignats de 800 millions, au lieu de 4, élèvera les paris à la baisse de 6 à 12, en ne supposant aucune autre cause d’inquiétude, mais elles peuvent se multiplier au delà de toute probabilité ; car les terreurs populaires ne sont soumises à aucun calcul, et si vous adoptez l’émission de deux milliards, où pensez-vous que (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. s’arrêteront les alarmes?Je vous prie de considérer, Messieurs, qu’elles se composent de deux genres d’opinioGs très distinctes, dont l'une agit sans explosion, mais avec une efficacité meurtrière : c'est celle des gens instruits qui savent fort bien pourquoi ils sont inquiets ; ceux-là sont, en général, les détenteurs de l’argent, et ils le resserrent de plus en plus. L’autre espèce d’opinion, plus bruyante, plus impétueuse, mais aveugle etirréfléchie,est celle du peuple mal aisé qui, sans pénétrer les causes, sent les effets, et détruit ou déconcerte, dans sa colère, toutes les dispositions d’ordre et de secours, pour accueillir celles qui vont augmenter sa misère. Ainsi, pendant, qu’il sera raisonnable de craindre que cette surabondance de papier-monnaie n’élève subitement tous les prix des denrées et de la main-d’œuvre, et n’excède la valeur réelle des biens territoriaux, on pourra diriger, en sens contraire, les vœux et les murmures du peuple, et lui faire désirer avec ardeur, comme moyen de secours, ce qu’il détestera bientôt après, comme obstacle à son aisance. La prévoyance de toutes cesvicissitudesagira d’autant plus sur les hommes éclairés, et contrariera l’impulsion des agioteurs. Telle est, Messieurs, notre situation actuelle : telle est la cause des anxiétés et des rumeurs au milieu desquelles cette question se discute. C’est à vous à marcher d’un pas ferme dans ce sentier oérilleux, à opposer la lumière aux ténèbres, et l’évidence d’une raison supérieure aux sophismes de la détresse de la cupidité. Car les débiteurs embarrassés et les spéculateurs avides sollicitent également une grande émission d’assignats. Mais vous ne croirez pas et vous ne direz pas au peuple que cette mesu e l’enrichit, car elle l’appauvrit; vous ne présenterez pas comme un bienfait le numéraire fictif, lorsque cet expédient est celui de la nécessité ; vous ne penserez pas qu’il peut remédier à tous les maux qui nous menacent, lorsqu’il le3 aggravera cruellement, si vous lui donnez trop de latitude. Enfin, Messieurs, réduisant cette question aux termes les plus simples, il vous paraîtra démontré qu’un papier de crédit n’est proposable et admissible dans la circulation, qu’auiaot qu’il procure à volonté ce qu’il promet. Si le papier promet cent écus, et qu’il n'en procure que quatre vingt-quatorze, il est physiquement démontré que plus vous le multiplierez, plus la dégradation sera accélérée. Mais si, après avoir assuré une hypothèque en biens-fonds à vos créanciers, vous leur offrez la transmission de propriété, et que votre papier de crédit ne soit entre leurs mains que le signe et le moyen d’échange, votre opération est droite et juste; elle vous représente un syndicat de créanciers auxquels le débiteur fait cession de ses biens, en distribuant à chacun, des lots équivalents à leur titre de créance. Vous n’avez nul besoin, vis-à-vis d’eux, d'un numéraire fictif qui se répande dans toutes les classes de la société, étrangères à vos transactions avec les capitalistes dont vous êtes débiteurs. Mais si vous les payez avec un numéraire fictif, il est clair qu’il s’interpose alors entre eux et vous une foule de spéculateurs et de parties prenantes qui n’ont rien de commun avec la dette exigible, mais qui deviennent eux-mêmes créanciers au même titre, et qui embarrassent d’autant voire liquidation ; car, au moment où vous aurez versé dans la circulation une somme immense de papiers-monnaie, toutes les dépenses publiques doivent s’élever dans une (t7 septembre 1790.] 29 proportion effrayante et fort au-dessus des recettes; vous n’aurez alors, pour les acquitter, que de nouveaux papiers, c’est-à-dire que vous paierez des promesses par des promesses qui, finalement, ne seront point acquittées, car les plus pressés, les plus inquiets acquierront à des prix exagérés des biens nationaux, et la seconde, la troisième émission de papiers, n’aura plus d’hypothèque. Si, au contraire, la somme de vos billets au porteur ou quittances de finance est calculée sur celle des biens nationaux à échanger, chaque créancier recevra exactement son gage, la confiance ne sera ébranlée pour aucun, ce mouvement régulier rappellera le crédit, la circulation des espèces deviendra plus facile, celle des assignats-monnaie, actuellement répandus, ne sera plus troublée par des alarmes; car je suppose toujours, pour condition préalable, l’ordre et la paix entre les citoyens, et vous ne doutez pas, Messieurs, que ceux qui s’y opposent ne veuillent opérer à leur profit, la banqueroute et la subversion du royaume. Tout ce qu’il y a de plus dépravé, de pluscou-pabie, la lie de la nation qui s’agite et s’exhale en vapeurs empoisonnées, multiplie inutilement les crimes et les injures; le besoin de la paix, de la justice, de l’e npire des lois, est universellement senti ; il n’est pas un ouvrier, un paysan honnête, qui ne reconnaisse enfin que les insurrections, les émeutes, les motions sanguinaires dessèchent les sillons, paralysent les ateliers, et traînent à leur suite tous les fléaux destructeurs ; les convulsions même des scélérats, nous les représentent aujourd’hui dans les terreurs de l’agonie. Je suis donc persuadé, Messieurs, que quelle que soit l’opération de finance à laquelle vous vous arrêterez, vous l’accompagnerez de mesures efficaces pour gouverner 25 millions d’hommes. Je suis persuadé, qu’en vous défiant de toutes les séductions dont on vous environne, pour vous exciter à ce qu’on appelle une opération hardie et vivifiante, vous emploierez, dans l'usage d'un remède violent, toutes les précautions qui peuvent eu arrêter les ravages. Ces précautions sont de borner l’émission des assignats-monnaie au plus strict nécessaire, et de faire, sans leur emploi, tout ce que vous pouvez faire. J’ai de la peine à m’arrêter aux objections qui ont été faites contre la proposition de payer la dette exigible en papier non forcé, mais échangeable en biens nationaux; il faut cependant les résumer et y répondre. On vous dit : 1° Le numéraire manque et disparaît, toutes les affaires languissent, vous ne pouvez rétablir la circulation que par uu numéraire fictif, qui supplée aux métaux, en les représentant par un gage assuré. Je réponds : Le numéraire a disparu, parce qu’à la suite d’une masse effrayante d’effets royaux qui circulaient déjà sur la place, et qui altéraient nos changes avec l’étranger, il est survenu, tout à la fois, un trouble universel dâns les propriétés, défaut de protection et de sécurité pour les personnes, suspension de travaux et de consommations. Attaquez, détruisez toutes ces causes d’alarmes, le numéraire reparaîtra, car nous avons les mêmes éléments de richesses et d’industrie qui nous procuraient un numéraire abondant. 2° Mais voulez-vous acquitter ou suspendre les payements? Si vous les suspendez, la nation est en faillite; si vous payez, donnez à vos créanciers des valeurs qu’ils puissent transmettre, et avec on [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [17 septembre 1790.] lesquelles ils puissent acquitter leurs engagements 1 Je demande quelque attention à, ma réponse, car je n’y trouve pas de réplique. Ou vous avez les moyens de payer, ou vous ne les avez pas. Si vos moyens sont illusoires, toutes vos combinaisons, ainsi que vos papiers, ne rendent que plus fulminante l’explosion du désordre. Si vous pouvez payer, et tel est bien mon avis, ne donnez point aux moyens effectifs la défaveur des moyens chimériques ; tenez-vous sur la ligne de votre pouvoir et de vos ressources. Si vous la dépassez, au delà est un abîme, et vous y tomberez. Je dis que vous avez les moyens de payer, et je divise en deux parties vos engagements, ainsi que vos moyens. La première est la dépense publique annuelle, qui comprend les intérêts de la dette constituée et toutes les charges du gouvernement ; c’est à quoi les contributions doivent satisfaire. Vous pouvez délibérer sur le mode, mais la somme est décrétée par la nécessité : il faut imposer sans délai et faire percevoir exactement; tout périt si vous manquez de force, ou les contribuables de volonté. Mais l’un et l’autre sont encore en votre puissance : rétablissez l’ordre et le travail, les impôts seront acquittés. Vous n’avez point été, j’ose le dire, assez effrayés de l’anarchie; vous avez laissé le peuple aux prises avec ses corrupteurs : il est ivre, désœuvré, il est malade; rendez-lui sa raison et ses mœurs, par l’exécution sévère de toutes les lois; que chacun rentre dans le devoir; réprimez l’audace et la licence, c’est la plus salutaire opération de finance que vous puissiez décréter; elle garantit tout à la fois la dette, la dépense et la recette. La seconde partie de vos engagements consiste dans la dette exigible ; vous lui destinez une somme égale d’immeubles aliénés; et si elle était insuffisante, les contributions doivent être assez largement ordonnées, pour qu’un excédent sensible, par les extinctions viagères, par les économies successives, présente les moyens d’un fonds d’amortissement. Ainsi, la théorie du crédit renaissant et de votre libération est appuyée sur des bases raisonnables; voudriez-vous rendre la pratique insensée? elle le devient dans l’instant où, confondant vos motifs et vos moyens, vous appliquez à toutes vos dépenses, comme monnaie, un billet de crédit que ne peut avoir d’autre fonction utile et juste, que celle de transmettre à vos créanciers la propriété de leur hypothèque. Ils sont alors, pour leurs propres engagements, dans la position où vous êtes vous-mêmes vis-à-vis d’eux, où sont tous les débiteurs grevés d’hypothèques, qui, manquant d’espèces à l’échéance, livrent le gage sur li quel ils ont emprunté. Mais il en résulte en leur faveur cette différence sensible, que le billet de crédit qui leur est livré, ne s’écartant pas de sa destination, conserve invariablement toute sa valeur et procure sans déficit ce qu’il promet; au lieu qu’en le faisant circuler forcément comme monnaie, il subit toutes les révolutions que la surabondance du papier sur l’argent doit opérer, jusqu’à ce qu’uue perte enorme frappe le dernier détenteur. Je ne parcourrai pas toutes les objections présentées contre la liquidation en billets de crédit non forcés, et toutes les raisons alléguées en faveur d’une grande émission d’assigoats-monnaie; je serais réduit à répéter les réponses de ceux des préopinants qui ont parlé dans le même esprit que moi : les mêmes assertions, les mêmes arguments différemment colorés, se reproduisent dans l’un et l’autre système. Les promoteurs d’assignats se plaisent à frapper de paralysie les quittances de finance, et à doueF de toutes les vertus leur créae tion favorite, qui se réduit, eu dernière analysa» à cette proposition : Forcez la circulation du pa�- pier pour obtenir confiance, et pour en faire un instrument de richesse; mais si vous ne lui laissez d’autre valeur que celle de son hypothèque, transmissible de gré à gré, n’en attendez aucun emploi utile. 11 me reste à dire un mot de la proposition de M. l’évêque d’Autun, qui tend le plus directement à la prompte aliénation des biens nationaux, en y admettant tous les créanciers de l’Etat, sans distinction de dette exigible, rente viagère ou constituée. Je ne disconviens pas qu’il n’en résultât un mouvement accéléré dans les ventes de fonds, un nivellement utile de tous les effets publics, qui, en produisant dans le premier moment des bénéfices énormes aux agioteurs, eu marqueraient le terme. Je pense encore que les créanciers de la dette exigible n’auraient rien à perdre par cet arrangement; car, outre qu’ils auraient part comme les autres aux achats, il serait impossible que tous les propriétaires de contrats sur l’Etat se présentassent à la fois : plusieurs ne voudraient pas les dénaturer; ceux appartenant aux mineurs, les biens dotaux, ceux en litige, les effets de communauté indivis, n’entreraient pas en concurrence et la nation ferait un bénéfice considérable sur l’extinction de tous les capitaux dont elle paye un haut intérêt. Mais la première difficulté que présente ce système est le remboursement onéreux des capitaux réduits, s’il avait lieu d’après le contrat primitif. Une seconde considération, non moins importante, c’est qu’une opération vaste et compliquée, ne convient point aux temps difficiles où nous sommes. La même raison me fait rejeter, pour ce moment-ci, la reconstitution en contrats uniformes des rentes viagères et perpétuelles. Ce qui est le plus simple, ce qui est indispensable dans l’exacte justice, tel est le caractère que doit avoir un plan de liquidation. Ainsi je distinguerais dans la> dette exigible, les créanciers du clergé, ceux des corps et des communautés, et tous les propriétaires de contrats à intérêt, et je ne les rembourserais en quittances de finance ou assignats d’un intérêt inférieur à celui dont-ils jouissent, qu’autant qu’ils préféreraient ce remboursement, à l’observation des clauses de leurs contrats. Enfin, Messieurs, tout plantde liquidation en billets de crédit, n’est possible que par des conditions préalables, dont la réunion seule peut assurer l’opération. Je finis par un résultat de mes observations. Vous ne devez, vous ne pouvez donner créance aux nouveaux principes qui vous sont présentés sur le numéraire fictif; c’est un expédient plus ou moins dangereux, lorsque la nécessité le commande. Il faut donc en user sobrement. Vous ne pouvez étendre vos billets de crédit au delà de la valeur que vous lui avez assignée pour hypothèque ; cette valeur n’est pas encore déterminée : vous devez donc faire procéder diligemment à une estimation exacte de tous les biens nationaux. Ils sont non seulement le gage de la dette exigible, mais encore la ressource où vous pouvez [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 septembre 1790.] être obligés de puiser, pour satisfaire à des besoins plus ou moins impérieux. Il suit de là une inquiétude vague sur la valeur des fonds, sur la somme de vos besoins, sur la réduction possible de vos moyens : les inquiétudes s’accroissent par l’état convulsif de la chose publique. Vous ne pouvez trop vous hâter de calmer toutes ces inquiétudes ; car toutes vos espérances, tous vos moyens reposent sur la confiance qu’il faut rétablir. La confiance ne peut renaître que par le retour de l’ordre public, par rétablissement, la perception des impôts, l’exécution des lois, l’autorité du gouvernement et une sage combinaison du papier-monnaie avec le numéraire effectif. Si vous violez la proportion qui doit exister entre l’un et l’autre, vous violerez tous vos engagements ; vous exposerez la partie laborieuse et indigente du peuple à des maux effroyables. J’ai réuni, ou plutôt j’ai tâché de réunir toutes ces vues, dans le projet de décret que j’ose vous présenter. Je ne vous propose de payer qu’un quart an plus de la dette exigible, en assignats-monnaie, le reste en quittances de finance : je n'imagine pas que vous puissiez supporter plus de 7 à 800 millions de papier-monnaie dans la circulation ; je modifie pour l’avenir les conditions de, votre décret du 14 mai, qui accordent de longs termes aux acheteurs des biens nationaux ; car les porteurs d’assignats et de quittances de finance, qui voudraient les placer en biens nationaux, se trouveraient évincés par les spéculateurs à long terme ; et tandis que vous vendriez à crédit à ceux auxquels vous ne devez rien, vos créanciers ne pourraient faire emploi des billets de crédit qu’ils auraient reçus de vous. Mais de toutes les dispositions que vous jugerez à propos d’accueillir, celles que je recommande le plus à votre sagesse, ce sont les mesures tendant au rétablissement de l’ordre. Vous êtes la puissance publique; tout homme qui la brave est coupable : mais pour la faire respecter, vous n’avez plus qu’un moyen, c’est de mettre fin aux désordres et de montrer à la nation la [liberté, la justice dans toute leur splendeur. Projet de décret pour la liquidation et le payement de la dette exigible. L’Assemblée nationale s’étant fait rendre compte delà dette publique, et voulant assurer le remboursement effectif de toutes les créances exigibles ; considérant que le rétablissement de l’ordre dans les finances ne peut être permanent s’il ne s’étend sur toutes les parties du gouvernement et de l’empire; que de la tranquillité générale et de la sécurité personnelle de chaque citoyen dépend celle de l’Etat; que des mesures partielles, des plans de liquidation ne pourraient remplir les vues et les devoirs du Corps législatif, s’il n’embrassait dans sa sollicitude tout ce qui peut en assurer Je succès, a décrété et décrète : « Art. 1er. Le comité des impositions présentera, dans la prochaine séance, et successivement dans toutes les autres, son travail sur la quotité, la fixation et la répartition des impôts. « Art. 2. Il sera imposé, outre la somme nécessaire pour satisfaire à toutes les dépenses publiques de l'Etat, un excédant de 20 millions, destinés à former un fonds d’amortissement. « Art. 3. Il sera adressé de nouveaux ordres à n tous les corps adminbtratifs pour assurer et accélérer la perception de toutes les impositions directes ou indirectes actuellement subsistantes, eUes municipalités feront dresser, au mois de décembre prochain, un tableau de 1ms les contribuables en retard, lesquels ne pourront avoir entrée et voix délibérative dans les assemblées primaires et électorales de 1791, jusqu’à ce qu’ils représentent la quittance de leurs impositions de l’année courante. « Art. 4. Aussitôt ap ès la publication du présent décret, les directoires de département feront faire l’estimation de tous les biens nationaux situés dans l’étendue de leur n�s >rt, et eu adresseront l’état à l’Assemblée nation de. « Art. 5. Toutes les ventes des b eus ecc’ésias-tiques et domaniaux aciue lement terminées, conformément aux conditions é mucées da is le décret du 14 mai, seront maintenues; mais dans celles qui auront lieu à l’avenir les porteurs d’assignats ou de quittances de finance, qui offriraient la totalité du prix des ventes, seront admis de préférence à ceux qui réclameraient le bénéfice des termes accordes par le decret du 14 mai. La même préférence sera accordée à ceux qui offriraient moitié comptant, sur ceux qui n’en donneraient que le quart. «Art 6. Usera procédé sans délai à la li î nidation de toutes les parties de la dette exigible. On adjoindra, à cet effet, douze membres au comité de liquidation, chargé-? d>* vérifier les titres de créances exigibles en office-? supprimés, cautionnements, anticipations, fournitures, arrérages de rentes, gages, appointements et autres dettes remboursables, sous quelque dénomination qu’elles soient connues. « Art. 7. Le comité de liquidation se subdivisera en autant de sections ou bureaux qu’il y aura de titres de créances, et on appellera dans chaque section ou bureau un commis des finances et un du trésor royal, choisis parmi les plus capables. « Art. 8. Les titres de créances seront échangés en quittances de finance, porta >t intérêt à 3 0/0, subdivisées eu sommes de 1,000 livres et admises aux enchères en payement des biens nationaux. 11 sera libre aux créanciers d’obtenir le quart de leur remboursement en assignats-monnaie, sans -intérêt. «i Art. 9. Les propriétaires de contrats sur le clergé, les corps et les co nmunautes, recevront à volonté leur remboursement, mi continueront à être payés parla caisse de l’extf aordmairedesix en six mois, des intérèis stipulés dans leur contrat. « Art. 10. A la présentation des quittances de finance, pour achat et payement des biens nationaux, il sera tenu compte au porteur de 2 0/0 en sus de l’intérêt fixé à 3. « Art. 11. Les 3 0/0 d’intérêt, attribués aux quittances de finance , ces-er ml après trois ans révolus, s’il n’en a été lait emploi dans l’achat des biens na ionaux : mais à celte* époque les porteurs desdites quitta c s seront admis à les échanger contre des assignats-Monnaie, sans intérêt, lesquels leur seront délivrés à lu caisse de l’extraoruinaire. « Art. 12. Les quittances de finance seront transmissibles pour les proprietaires à 1 urs créanciers, bailleurs de fonds, avec dénia ratio i d’emploi, et ne pourront être, iar tous auu-es, données et reçues en payement qu • degre à gré. « Art. 13. Il sera incessamment fabriqué et livré au Trésor public 12 millions de monnaie de billon en pièces de 5 et de 2 sous.