117 janvier 1791. J 2Q3 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ne voyant aucune sûreté pour eux, ont été aussi obligés de se retirer à Melun, où ils sont en ce moment. Tels sont les faits consignés dans les proces-verbaux, et qui nous ont été attestés par la députation du directoire du département. Votre comité ne peut point se dissimuler que le département était autorisé à faire informer contre les auteurs de ce délit. Il ne s’est point dissimulé aussi que le département devait s’adresser directement au pouvoir exécutif pour requérir une force suffi-san te, afin de maintenir l’exécution de vos décrets; mais le directoire du département nous a représenté qu’il n’avait pu prendre des mesures de force pour faire exécuter vos décrets, parce que les habitants de Brie-Comte-Robert, égarés par quelques esprits inquiets et perturbateurs, avaient déjà préparé quelques moyens de résistance. Ils avaient armé tous les citoyens, chargé leurs canons pour s’opposer à un détachement de troupes de ligne que le département avait requis de se transportera Brie-Comte-Robert. Cette résistance vient de ce que les villes de Brie-Comte-Robert et de Melun, étant rivales, se sont disputé le chef-lieu du département; elle vient ensuite de ce qu’on avait persuadé à ces habitants que le directoire du département voulait envahir la puissance exécutrice, voulait subjuguercette ville, et assujettir tous les citoyens par la force. D’après cela, Messieurs, si le département avait usé des pouvoirs que vous lui avez confiés, il était à craindre que ces citoyens ne se portassent à des excès très condamnables, et qui auraient entraîné de grands malheurs. Ces circonstances ont déterminé votre comité à vous demander un décret, afin d’ôter tout prétexte à ceux qui voudraient se prévaloir du silence de l’Assemblée nationale à cet égard : il se borne uniquement à prier le roi d’envoyer des troupes, et à ordonner l’information contre ceux qui ont été les auteurs des troubles. Comme cela ne préjuge rien, je crois qu’il est inutile de vous en dire davantage pour motiver le décret que voici : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, décrète que son président se retirera dans le jour par devers le roi, pour le prier de faire incessament passer à Brie-Comte-Robert une force publique capable d’y procurer l’exécution des lois, faire respecter l’autorité des corps administratifs, et assurer le retour et la tranquillité des citoyens qui ont ôté forcés de s’éloigner de ladite ville. « Décrète en outre que les procès-verbaux, dressés par les commissaires du district de Melun, seront envoyés à celui qui fait, dans le tribunal de district, les fondions d’accusateur public, pour faire informer contre les auteurs des troubles qui ont eu lieu, dans le cours de janvier, dans la ville de Brie-Comte-Robert. » (Ce décret est adopté.) M. de Tour-Maubourg demande et obtient un congé de trois semaines. M. Prugnon, au nom du comité d'emplacement des tribunaux , propose d’obtempérer à la demande du département du Puy-de-Dôme, en adoptant le décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d’emplacement des tribunaux, décrète qu’elle autorise le département du Puy-de-Dôme a occuper provisoirement l’ancien palais de la cour des aides de Clermont-Ferrand et ses dépendances, à la charge d’en payer le loyer à dire d’experts, et à y faire, aux frais des administrés » les réparations portées au devis estimatif du sieur Fretel, du 4 décembre dernier, sans que ladite occupation puisse retarder en rien l’aliénation de ce domaine, dont le département pourra se rendre adjudicataire aux termes des décrets. » (Ce décret est adopté.) M. Prugnon, au nom du comité d'aliénation. Messieurs, quoique vous ayez décrété que l’adjudication des domaines nationaux vous serait présentée en masse, il se trouve des difficultés qui doivent vous être présentées isolément. La municipalité de Vilry-en-Perthois, département de la Marne, a fait sa soumission pour acheter la maison abbatiale, les lieux claustraux et la ferme habités par l’abbesse et les religieuses de Saint-Jacques. L’estimation des experts a porté tous ces immeubles à la somme de 158,000 livres; mais depuis l’estimation, les religieuses ont déclaré vouloir profiter des dispositions de l’article 3 des lettres patentes du 19 février 1790, portant que les religieuses pourront rester dans les maisons où elles sont aujourd’hui. Les experts doivent donc faire, sur leur estimation, défalcation de l’usufruit pendant la durée de la vie de ces religieuses. C’est d’après cette observation qu’il a paru juste à votre comité d’adopter le projet de décret ci-après : « L’Assemblée nationale déclare vendre à la municipalité de Vitry-en-Perthois les biens appartenant aux religieuses de Saint-Jacques pour la somme de 158,000 livres; et, attendu que les experts n’ont pas estimé la maison, déduction faite de l’usufruit des religieuses qui ont déclaré vouloir l’habiter, décrète que la municipalité sera dédommagée. » M. Martineau. J’examine s’il est de l’intérêt de la nation de vendre des nues propriétés et s’il ne serait pas beaucoup plus prudent d’attendre que les usufruits fussent éteints, parce qu’il est incontestable qu’une propriété grevée d’usufruit se vend toujours à très bas prix. M. Itegnaud (de Saint-Jean-d’Angély). Je demande que la question générale de savoir s’il est de l’intérêt de la nation de vendre des objets grevés d’usufruit soit renvoyée aux deux comités réunis d’aliénation et ecclésiastique. (L’Assemblée décrète la vente proposée par le comité d’aliénation, tout en réservant la question relative à la maison abbatiale, aux lieux claustraux et à la ferme de Saint-Jacques, question qu’elle renvoie à ses comités d’aliénation et ecclésiastique.) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur les jurés. M. Rey. M. Thouretest d’accord avec M. Tron-chet sur certains points; mais voulant une restriction sur les preuves écrites, qu’il borne simplement aux dépositions, cela rend illusoire son adhésion aux vrais principes; il veut d'ailleurs les faire rédiger devant le juré de jugement. Je soutiens que cette operation est inutile, si on veut les faire écrire devant le juré d’accusation. Pour prouver combien la raison est de mon côté, je me contente de faire cette hypothèse : si trois témoins sont entendus devant le juré, deux déposent contre l’accusé, le troisième fait une 293 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 janvier 1791.] déposition à sa décharge ; mais il meurt pendant le procès, donc il ne peut plus être produit ; les deux autres témoins le sont et deviennent d’autant plus préjudiciables à l’accusé qu’il n’a plus le témoignage du troisième à leur opposer. Un tel procédé va directement contre nos vues, puisqu’il peut priver l’innocence d’un de ses moyens de justification. Mon opinion sur cette importante matière est simple : je voudrais écrire sommairement devant les officiers de police les dépositions des témoins et non pas, comme le comité, les assujettir aux formes ordinaires pour se dispenser de les entendre devant le juré d’accusation; faire entendre les témoins devant le juré d’accusation et faire rédiger par écrit les dépositions, au lieu de le faire, comme le veut le comité, devant le directeur du juré auquel il attribue la rédaction des dépositions écrites; donner à l’accusateur public, à l’accusé et à son conseil la faculté de faire dans le procès-verbal, après les débats, écrire les faits, les aveux, les délits propres à justifier l’accusé ou à concourir à sa conviction. En conséquence, je propose les trois articles suivants : « Art. 1er. L’officier de police rédigera ou fera rédiger par écrit les déclarations des témoins. Cette rédaction sera faite sommairement, et n’exigera d’autres formalités que la signature du témoin à chaque feuillet, ou sa déclaration qu’il ne sait pas signer. « Art. 2. Les témoins seronl entendus devant le juré d’accusation, et les dépositions seront écrites par le greffier du tribunal de district, sous la rédaction du directeur de juré. « Art. 3. Ce qui sera dit entre les témoins et l’accusé ne sera point écrit; mais l’accusateur public et l’accusé et son conseil auront la faculté de demander qu’il soit fait, dans le procès-verbal, mention sommaire des faits, des aveux et des dénis qu’ils croiront propres à établir l’innocence de l’accusé ou sa conviction. » M. Pétion (ci-devant de Villeneuve). Il est temps de fixer votre opinion sur la grande question qui vous occupe. Le cercle de nos idées sur chaque matière est circonscrit, et lorsqu’une fois on le parcourt dans tous les sens, l’esprit se fatigue et l’attention s’épuise ; et, au lieu d’avancer, il semble qu’on rétrograde. L’état de la question a d’abord été posé dans des termes simples : « Les dépositions des témoins seront-elles écrites, oui ou non? » On n’a pas tardé à s'apercevoir que l’un et l’autre parti entraînaient des inconvénients. Tel est le sort des institutions humaines : le bien est à côté du mal, aucune n’est parfaite, et celle-là est la meilleure, qui a plus d’avantages que d’inconvénients. C’est là une grande vérité qu’il ne faut jamais perdre de vue dans cette discussion. II me semble que ceux qui combattent le système des dépositions non écrites ne sont frappés que des dangers et n’examinent pas assez qu’ils sont balancés par les avantages. Il me semble aussi que ceux qui adoptent le système des dépositions non écrites se laissent éblouir par les avantages et ne considèrent pas assez les dangers. Dans le ehoc des opinions, dans cette fluctuation d’idées, que de vait-iL arriver? Ce que nous voyons, un mélange des deux systèmes, une composition avec les principes. Il est d’autant plus à craindre que cet assemblage informe ne séduise les esprits et ne trouve des partisans, qu’il ne choque pas trop les anciennes idées et s’accommode avec la timidité et la faiblesse. M. Tronchet a été le premier à proposer cette transaction entre la vérité et l’erreur; il a demandé que l’instruction devant le juré du jugement se fît en présence des juges; qu’elle fût écrite pour être remise aux jurés et y avoir tel égard que de raison. M. Thouret a combattu cette opinion avec beaucoup de logique et de force; mais s’écartant de la ligne droite tracée par le comité, il a conclu à ce que les dépositions des témoins fussent reçues par écrit, soit devant l’officier de police s’ils y étaient appelés; soit devant le juré d’accusation, s’ils y étaient traduits ; soit entin devant le juge du tribunal criminel, s’ils ne paraissaient qu’à cette époque à l’instruction, exceptant toutefois le débat, fait en présence du juré, de la formalité de l’écriture. M. Tronchet et M. Thouret se réunissent sur un point fondamental : ils veulent l’un et l’autre que le juré ne prononce que d’après la conviction intime, que d’après le cri impérieux de sa conscience, qui le garde mieux dans la route de la vérité que toutes les combinaisons métaphysiques et les efforts de l’esprit. Ils sentent que le maintien, le regard, le geste, toutes ces expressions vivantes de l’âme, ne peuvent s’écrire, et ne doivent pas néanmoins être perdues. Ils conviennent que la preuve n’existe que dans l’assentiment, que la conscience est essentiellement libre, qu’elle ne peut être commandée ni par le nombre des témoins, ni par leur unanimité apparente, qu’il ne dépend pas même de l’homme d’éprouver ou de ne pas éprouver une répugnance à croire certains faits qui paraissent d’ailleurs établis d’après les probabilités humaines. La conviction personnelle, de quelques éléments qu’elle se compose, est la seule, l’unique règle à laquelle puissent obéir les jurés. Si des témoignages, quels qu’ils soient, peuvent les forcer à croire ou à ne pas croire, il n’y a pas de jurés. Faites une instruction publique, et remet tez-ia à des juges. M. Tronchet, tout en admettant la conviction morale, vent néanmoins y joindre l’écriture de3 dépositions et des débats ; il prétend que l’écriture n’affaibiira pas cette conviction, mais qu’elle l’éclairera, qu’elle la rectifiera, qu’elle en préviendra les inconvénients : il est tellement persuadé lui-même que la conviction morale est la base du jugement par jurés, qu’il ne veut pas, dit-il, que les jurés se trouvent gênés par l’instruction écrite ; il leur laisse la liberté apparente d’v avoir tel égard que leur dictera leur prudence. Précaution illusoire! c’est là le nœud de la question; c’est là où viennent se réunir toutes les difficultés; c’est là où votre attention doit se porter tout entière. Si l’écriture ne détruit pas la conviction morale, si elle peut sympathiser avec elle, il ne s’agit plus que de chercher la meilleure manière de l’employer; mais si au contraire l’écriture détruit cette conviction, il est impossible de l’admettre, puisque la conviction étant le vrai point d’appui de l’établissement, l’édifice s’écroule, si on la retire. Il ne s’agit même pas de savoir s’il existe ou non des inconvénients à ne pas écrire, puisque ces inconvénients sont tels qu’on ne peut tenter d’y toucher sans anéantir l’institution même. On se réduit alors à des termes rigoureux : voulez-vous cette excellente institution avec les défauts qui y sont inhérents, ou aimez-vous mieux la rejeter ? — En bonne logique, on pourrait donc se passer d’examiner ces inconvénients, lors- [17 janvier 1701. J [Assemblée Dalionaie.] AllCllllES PARLEMENTAIRES. 294 qu’ils sont balancés par des avantages inappréciables. Attachons-nous fortement à ce point décisif. Ne permettons point à notre imagination de s’égarer dans un dédale inextricable de combinaisons, de doutes, d’incertitudes. C’est la seule manière de résou ne avec justesse la grande question qui nous occupe. Ceux donc qui croiront que l’écriture peut s’allier avec la conviction morale admettront l’écriture; ceux-là au contraire la rejetteront, qui seront persuadés que l’écriture portera un coup funeste à cette conviction. Quant à moi, il m’est démontré que l’écriture altérera d’abord et étouffera ensuite la conviction morale. Plus j’y ai réfléchi, plus je me suis pénétré de cette vérité. Il me semble que M. Thouret l'a établie avec une irrésistible évidence. « En réunissant la discussion orale et l’instruction écrite, a dit M. Tronchet, j’ai deux moyens au lieu d’un; or, deux valent mieux qu’un. » Mais si ces deux moyens se détruisent réciproquement, ou du moins s’énervent l’un l’autre, alors les deux n’en valent pas un bon. « Mais, continue M. Tronchet, sans doute que la discussion écrite et séparée de l’action à laquelle le juge n'a pas assisté ne lui présente pas les détails moraux qui peuvent concourir à la conviction du sentiment et du cœur; mais ces détails moraux se représentent nécessairement à la mémoire et à l’âme du juge qui en a été témoin, lorsque les résultats écrits lui sont remis. » Mais ces détails écrits amèneront indubitablement l’indifférence des jurés, ils seront moins attentifs à la déposition, à la discussion orale; ils se reposeront sur l’écriture. Dans le concours habituel de deux moyens, l’un l’emportera sur l’autre, et finira par le faire disparaître. C’est ici où M. Tronchet s’écrie : « Vous calomniez vos jurés 1 » Non, mais il faut voir les hommes avt?c leurs passions et leurs faiblesses; il faut voir les institutions dans l’avenir, et examiner les causes qui peuvent entraîner leur chute. Voyez, je vous prie, quels efforts pénibles et embarrassés ont été faits pour amalgamer la discussion orale et l’instruction écrite. La raison en est simple; c’est que cette réunion n’est pas naturelle, c’est qu’il y a de l’antipathie entre ces deux systèmes. Voyez, en même temps, si aucun des moyens proposés pour ce mélange bizarre est satisfaisant pour l’homme qui cherche la vérité et le bien public. L’expédient, indiqué par M. Tronchet, a été attaqué avec succès par M. Thouret, et celui que M. Thouret y a substilué peut être combattu à son tour. Je ne présenterai à cet égard que quelques idées générales et rapides. Si, comme le veut M. Tronchet, on transcrit littéralement, devant les jurés, les longues et fatigantes narrations des témoin?, la discussion vive et pressante qui s’engage naturellement entre eux et les accusés, les interpellations, les reproches, les répliques, tout ce qui se passe enfin dans ces moments terribles où l’homme combat pour son honneur et souvent pour sa vie, il n’y a plus de jurés II n’est point de sophisme qui puisse effleurer cette vérité, dont chacun se sent pénétré comme malgré soi, et tout ce qu’a dit M. Tronchet à cet égard n’est pas même spécieux, pour quiconque vent réfléchir. Le procédé de M. Thouret a des inconvénients d’un autre genre. Il a évité sagement celui que nous venons de relever, qui serait le tombeau des jurés. Ce n’est pas devant eux qu’il fait écrire les dépositions. Le débat seulement a lieu devant eux', ils ne l'écrivent pas. Remarquez d’abord que les dépositions de M. Thouret se font devant un seul homme et secrètement, vice reproché avec tant de raison à notre ancienne procédure. Ensuite, le témoin se trouve engagé au moment même où il se présente à la justice. Il a déposé sous le sceau du serment, et vous le mettez dans la cruelle perplexité de rétracter ce qu’il a dit, ou de persévérer en immolant l’accusé. C’est cette chance périlleuse que vous n’avez pas voulu faire courir au prévenu d’un délit. C’est contre elle que M. Thouret s’est élevé lui-même avec tant de véhémence. Cependant, par la contradiction lu plus manifeste, il tombe dans cet écueil ; il fait écrire la déposition du témoin, soit par un officier de police, soit par le directeur du juré, soit par le juge du tribunal criminel ; et ainsi, lorsque l’accusé paraît devant le témoin, lorsqu’ils sont en présence l’un de l’autre, le témoin, qui n’ignore pas ce qu’il a déclaré, se met en garde contre les interpellations de l’accusé, et fait tous ses efforts pour que ses réponses rentrent dans ce qu’il a précédemment avancé. M. Thouret va plus loin : pour enchaîner de plus en plus le témoin, il fait donner une lecture publique de scs dépositions avant que le combat s’engage entre lui et l’accusé, de sorte que le témoin, entouré de spectateurs, se voyant couvert d’humiliation et d’opprobre, s’il tergiverse, est encore plus vivement intéressé à être opiniâtre et à soutenir avec force ses allégations. Ou le témoin peut modifier ou même rétracter ce qu’il a dit, ou il ne le peut pas. M. Thouret conviendra sans doute qu’il le peut. Dans cette hypothèse, de quedle ressource serait sa déposition, si on en voulait faire usage ? Ainsi, je le suppose, par des faits découverts on tenterait de constituer un témoin en mauvaise foi ; on lui dirait : voilà votre déposition, elle contient telles et telles circonstances qui sont fausses.il répondrait : cela peut être vrai ; mais lors des débats, l’accusé m’ayant fait des réflexions, j’ai reconnu des erreurs qui m’étaient échappées, et je les ai rectifiées. Or, comme les débats ne s’écrivent point, le faux témoin échapperait facilement aux poursuites. Il en serait de même des faits que l’accusé ou sa famille opposerait après le jugement. Il est vrai que les dépositions des témoins n’en font pas mention, mais ils ont été présentés lors delà discussion orale. Si les dépositions s’écrivaien t, à quelque époque de l’instruction que ce fut, il arriverait infailliblement que presque tous les jugements seraient attaqués; on se plaindrait de l’inexactitude des faits exposés par les témoins, d’omissions, d’erreurs. On recourrait aux dépositions écrites, et ainsi la conduite des jurés serait exposée à une censure perpétuelle. On n’examinerait que ce qui serait écrit; on trouverait qu’il n’y avait pas lieu à condamnation; les jurés voudraient inutilement se justifier par les débats, comme il n’en subsisterait pas de vestiges, comme les preuves vivantes seraient disparues, il en résulterait des doutes fâcheux, tout au moins des tracasseries dégoûtantes, qui finiraient par décourager et peut-être par avilir les jurés. Tant il est vrai que les dépositions écrites ne peuvent pas s’allier avec le3 procédures par jurés ; tant il est vrai que la conviction morale est illusoire et anéantie, si Ton recourt à l’écriture. il y a des inconvénients âne pas écrire les dépositions, répète-t-on sans cesse : je le veux. Mais [17 janvier 1791 -J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. si vous écrivez, vous renversez votre institution; choisissez. Au surplus ne nous refusons pas à jeter un coup-d’œil sur les inconvénients. Ils se réduisent à deux: 1° difficulté de prononcer le faux témoignage; 2° impossibilité de_ recourir à une révision lorsque l’innocent a été condamné sur une erreur de fait qui se découvre après le jugement. Il suffit de parler de faux témoins, de dire qu on va les multiplier par l’espoir de l’impunité, pour qu’à l’instant l’imagination se perde dans des généralités alarmantes. Chacun, faisant un retour sur soi-même, craint d’être la victime de la scélératesse. Il est facile de nous toucher, de nous émouvoir, lorsqu’on met au jour notre intérêt personnel et celui de l’humanité ; examinons cependant l’objection avec le calme de la raison. Prenez garde d’abord qu’il faut un corps de délit certain avant de défigurer un coupable; des crimes ne se commettent pas ainsi à plaisir et à volonté : po-r faire des victimes, il faut au moins des vraisemblances contre les personnes à qui on veut les imputer, et déjà de grandes difficultés se présentent contre les intentions des hommes pervers. Voilà les vrais obstacles contre les faux témoins; du reste, aucune législation criminelle ne peut empêcher des scélérats de faire un faux témoignage ; la nôtre n’avait pas plus ce privilège que toutes celles qui nous sont connues. Combien de fois cette cruelle vérité n’est-elle pas échappée de notre bouche : « Le plus honnête homme n’est pas sûr de ne pas monter sur l’échafaud.» Pourquoi? c’est que le faux témoignage est presque impossible à découvrir. J’en atteste les annales judiciaires, et qu’on dise combien de criminels ont été convaincus d’avoir déposé sciemment contre leur conscience ; le nombre en est à peine remarquable. Un témoin peut se tromper et se tromper de bonne foi ; il peut exposer un fait faux et qu’il croit vrai; entre l’erreur involontaire et l’erreur volontaire, la nuance est si délicate qu’il est très difficile de porter un jugement; et puis l’homme qui veutmen-tir à la justice prend des précautions pour ne pas se mettre en évidence; il a soin de se ménager une issue pour échapper à la conviction. Que fait alors une écriture qui ne vous conduit pas à la découverte de ce que vous cherchez, et qui laisse aux coupables une impunité presque assurée? Mettez en parallèle notre procédure actuelle avec la procédure par jurés, où la déposition des témoins est publique, où la contradiction que peuvent leur opposer les accusés est également publique, où enfin les jurés peuvent ajouter aux dépositions le degré de confiance et de valeur qu’ils jugent convenable, et dites de quel côté les témoins sont le plus à redouter. Les uns déposent eu secret ; ils ne sont point intimidés par la présence du public, par celle de l’accusé; ils ne paraissent devant le prévenu gue lorsque déjà ils se sont liés et oot intérêt à soutenir leur déposition. Les autres parlent devant des spectateurs de leur conduite, et devant l’accusé; ils tremblent d’être démasqués et sont retenus, sinon par leur conscience, au moins par la honte et la crainte des peines. Les juges ne reconnaissent d’autres récusations ue celles prononcées par la loi, et la déclaration es témoins qui leur inspirent le moins de confiance fait foi, si elle n’est prouvée fausse ; ce qui est presque toujours impossible. Les jurés, au contraire, qui éprouvent un sentiment intérieur de répugnance contre cette déclaration, la rejettent, sans être obligés d’en donner aucun motif, et écartent souvent par là un faux témoin qui, aux yeux de la loi, ne pourrait pasétre jugé tel. Et on déclame contre la procédure des jurés, sous le prétexte qu’elle encourage les faux témoins en les laissantimpunis, tandis que notre ancienne procédure leur donnait un accès plus facile, et qu’il était presque impossible à la loi de les atteindre. On a allégué avec une grande assurance qu’il y avait plus de faux témoins en Angleterre que dans le reste de l’Europe ensemble. Nous ne demanderons pas à l’auteur de cette assertion quels sont ses documents à cet égard, mais nous lui dirons qu’on a observé que les faux témoins en Angleterre étaient en général à la décharge des accusés. Je ne prétends pas justifier l’homme qui soustrait un citoyen coupable à la vengeance des lois ; mais au moins ce délit ne peut pas se comparer à celui qui conduit un innocent sur l'échafaud. Quant à la révision, je répondrai en fort peu de mots. Quelle sera, dit-on, la ressource de l’innocent condamné sur une erreur de fait, lorsque les faits ne seront pas consignés dans des écritures et déposés dans un greffe? Ces idées vagues peuvent en imposer d’abord ; elles s’évanouissent lorsqu’on les particularise, et lorsqu’on en vient à l’application. Toutes les erreurs de fait ne donnent pas et ne peuvent pas donner lieu à la révision ; il faut que 1 erreur soit telle, qne l’innocence de l’accusé résulte évidemment de la vérité découverte. Ainsi, et ces exemples, je crois, vousont déjà été cités, un homme a été condamné pour avoir assassiné une personne, et la personne reparaît; un homme a été condamné pour un délit dans une instruction postérieure; les vrais'eoupables se trouvent convaincus de l’avoir commis, ils en conviennent. Dans ces cas, dans ceux d’ane évidence semblable, et ce sont là les erreurs de fait qui appellent et nécessitent la révision ; dans ces cas, dis-je, il importe peu que les dépositions aient été ou n’aient pas été écrites, parce qu’il est démontré que, si des faits de cette nature eussent pu être connus, l’accusé n’aurait pas subi de condamnation. Que l’erreur frappe, ou sur le corps du délit, ou sur la personne accusée, ou sur les preuves, elle peut être facilement reconnue. Reste-t-il encore des doutes fâcheux dans les esprits, tous les inconvénients ne paraissent-ils pas dissipés?... Eh bien ! je dirai : sachez supporter les imperfections d’un établissement utile, comme nous sommes tous condamnés à supporter les maux de l’humanité. La perfection serait ici une chimère dangereuse : les moyens qu’on vous a indiqués pour y parvenir ne me paraissent propres qu’à vous égarer et à dénaturer la sublime institution des jurés. Si vous ne croyez pas les esprits suffisamment préparés, si vous ne les croyez pas assez mûrs pour la recevoir, si les circonstances ne vous paraissent pas favorables, remettez à d’autres temps, mais sous prétextede vous accommoder à notre faiblesse, de faciliter le passage d’un ordre ancien à un autre ordre nouveau, n’altérez pas dès le principe, ne dégradez pas la majesté de cette institution. Je demande donc la question préalable tant sur l’article proposé par M. Tron-chet, que sur le projet présenté à la dernière séance par M. Thouret, et je conclus à ce que les dépositions des témoins ne soient pas écrites, et à ce que la discussion soit orale. M. l’abbé Maury. La manière scientifique dont on a traité la question qui nous occupe a obscurci la matière, au lieu de l’éclaircir. Cette ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (n janvier 1791.1 290 {Assemblée nationale.] discussion me rappelle qu’on demandait à un grand magistrat s’il était difficile de juger. «Rien, répondit-il, n’est si aisé que déjuger quand une question se présente à un tribunal; mais il n’en est pas de même quand les avocats ont parlé. » (On applaudit.) Or, comme je suis profondément convaincu qu’ilne faut pas être savant pour faire des lois, je vais vous soumettre des observations extrêmement simples. On est parti d’un fait ; on a dit qu’il ne fallait pas hésiter quand il s’agissait de suivre l’exemple donné par une nation des plus éclairées de l’Europe; on a dit qu’en Angleterre une loi défendait de recevoir les dépositions écrites. Lorsqu’au troisième siècle on institua le juré, il n’y avait pas cent personnes qui sussent écrirent. Cet usage barbare des siècles d’ignorance est cité dans cette Assemblée comme le chef-d’œuvre de la raison humaine. Les Anglais, qui conservent un respect profond pour leurs institutions, et qui craignaient de toucher à l’édifice de leurs lois, n'ont pas osé changer cet usage. Toute la liberté de l’Angleterre lient à l’institution des jurés. 11 y a dans ce royaume douze grands juges ambulants, ayant 48,000 livres de traitement, nommés par le roi et révocables à volonté. C’est pour se prémunir contre les inconvénients d’un pareil ordre judiciaire que la législation anglaise a fait de la condamnation d’un homme un syllogisme. La loi fait la majeure : tout homme qui commet tel délit doit subir telle peine. Le juré fait la mineure : tel homme a commis tel délit. Le juge tire la conséquence : donc tel homme subira telle peine. {On applaudit.) Rien n’est plus beau qu’une telle institution. Ce concours sublime de la loi, du juré qui en est le témoin, du juge qui en est l’organe, mérite l’admiration de l’Europe entière. Dans l’état où se trouve le royaume, il est aussi facile de lire, d’écrire, que d’entendre les témoins. Les juges seraient des despotes, s’il n'y avait pas des preuves écrites qui réelamas-ent contre eux. Quand même on pourrait se fier à leur équité, faudrait-il se fier à leur mémoire? L’un dira qu’on a déposé tel fait, l’autre lui reprochera d’avoir oublié telle circonstance; il arrivera au tribunal ce qui arrive tous les jours dans les salons où il y a cinq ou six personnes ; on ne peut s’accorder sur un fait. Sous le règne de Charlemagne et auparavant on ne connaissait point la preuve testimoniale ; elle n’était pas admise en matière civile : ensuite elle ne l’a pas été au-dessus de la somme de cent livres... Il serait à désirer de pouvoir s’en passer en matière criminelle, comme en matière civile; mais on n’écrit pas sur les tablettes Je crime qu’on veut commettre. C’est un grand malheur de condamner un homme sur le témoignage d’un autre homme. 11 faut donc inspirer au témoin cette sainte terreur qui lui donne la crainte d’attirer sur lui le plus grand des malheurs, s’il abuse de la confiance que la loi lui accorde. Il faut qu’on écrive, et que si le témoin trompe la justice, il voie dans chaque ligne le titre de sa condamnation. Je le répète, l’Angleterre renferme un très grand nombre de faux témoins. Les gens instruits attribuent cet inconvénient aux dépositions verbales. Ils gémissent, mais ils craignent de changer la législation de leur pays, et ils voient plus de malheurs dans la perfection de leur institution que dans la continuation de cet usage. L’Alcoran a défendu les dépositions écrites, et il y a un grand nombre de faux témoins en Turquie. L’ouvrage du septième siècle ne doit pas être le flambeau du dix-huitième. Il est difficile, dit Chardin, de poursuivre un criminel, sans en faire dix autres qui viennent déposer pour ou contre l’accusé.... Si l’innocent succombe, quel moyen aura-t-il de s’élever contre un jugement inique? Tout aura disparu; il ne restera qu’une grande injustice qu’on ne pourra réparer. Je m’appuie aussi des exemples de Calas et des trois roués. Jamais on n’aurait pu revoir leur procès, réhabiliter leur mémoire, si les preuves n’avaient pas été écrites. (On entend des applaudissements et des murmures.) N’y eut-il qu’un seul exemple d’une réhabilitation, c’en serait assez pour que la loi ordonnât les preuves écrites. Considérez dans quel siècle, chez quelle nation vous vivez! L’opinion publique est un tribunal qui veut juger de tout : comment l’éclairer sans preuves écrites? Tout le monde sait que ce fut l’opinion publique de Toulouse qui entraîna les juges, qui les força de condamner Calas. Eh bien ! placez-vous dans l’hypothèse de dépositions non écrites; voyez si vous laissez quelque barrière au juge contre lui-même et contre l’opinion; comment se défendra-t-il contre ce flot de l’opinion populaire? Youslui ôtezle seul moyen qui lui reste pour être juste, la seule arme dont il puisse se servir pour attaquer l’erreur, la seule digue contre l’ostracisme dont il sent l’injustice. C’est parce que la procédure était écrite, et sans examiner si Calas était innocent ou coupable, que l’Europe entière a reconnu que les juges de Toulouse n’avaient pas de preuves concluantes. Si depuis vingtans l’institution des jurés sans preuves écrites existait, la mémoire de Galas n’aurait pas été réhabilitée. Plusieurs voix : Il n’aurait pas été condamné. M. l’abbé Maury. On oppose enfin la supériorité de la preuve morale sur la preuve légale. Je me permettrai de croire que plusieurs orateurs ne se sont pas entendus eux-mêmes; il faut nous défendre des mots obscurs, car ils sont plus dangereux que les sophismes. Est-ce que le juge, quand on écrit une déposition, ne voit pas le témoin, n’étudie pas ses gestes, ses regards...? Si vous n’écrivez pas, vous vous jetez dans tout le danger des dénégations, des désaveux du témoin... La preuve légale est la dernière de toutes les preuves. Que des commis arrêtent des contrebandiers, la loi les déclare témoins nécessaires; voilà une preuve légale autorisée par la loi; mais ce n’est pas une faveur accordée à l’accusé ; ce ne sont donc pas des preuves légales qu’il faut nous donner, elles sont les plus redoutables de toutes. (On applaudit.) Beccaria, dans son traité des délits et des peines, nous a révélé cette grande vérité, que le caractère véritable des preuves devait être leur indépendance l’une de l’autre. Pour bien reconnaître cette indépendance, il faut comparer les preuves, les examiner mûrement; et certes on ne pourra les examiner si elles ne sont pas écrites. Ce ne sera pas en nous ramenant aux siècles de barbarie, comme si l’écriture était un moyen de corruption, que vous arriverez à traiter avec justice votre semblable. (La droite applaudit.) Considérons maintenant le nouvel ordre judiciaire qu’on vous propose relativement aux scélérats et aux grands intérêts de la société. Pour peu qu’on ait étudié la jurisprudence criminelle et les criminalistes, on sait qu’il est peu de crimes isolés; toutes les procédures criminelles se tiennent. Les scélérats ont de grands moyens d’impunité, et peut-être n’en est-il pas un sixième 297 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 janvier 1791.] qui puisse être puni par les lois. Un homme exécuté à Meaux révèle ses complices et les auteurs d’un crime commis à Cambrai. Si vous n’avez rien écrit vous brisez tous ces anneaux, vous ôtez aux scélérats un frein puissant et nécessaire, et vous vous privez de tant de lumières indispensables pour la sûreté publique. Vous voulez épargner le temps des jurés, leur donner une facilité qu’ils n’exigent pas de vous. Un homme appelé à remplir les fonctions de juré, une seule fois peut-être, consacrera sans murmures son temps à la société, sinon ce n’est pas un citoyen. Mais ne nous méfions pas du patriotisme de jurés, mettons-les à même de bien se convaincre du crime ou de l’innocence de l’accusé; ils ne peuvent s’en convaincre que par l’écriture des dépositions. Si nous vous sacrifions l’unanimité en usage en Angleterre, vous devez en échange vous rallier à un moyen que tout le monde connaît. Il ne faut pas nous donner les Anglais pour maîtres, si vous les abandonnez vous-mêmes en renonçant à la clause salutaire de l’unanimité. Nos concitoyens sont effrayés de voir des procès sans une ligne d’écriture : vous devez à leur faiblesse cette sage condescendance. Vous ne nous opposez qu’une légère perte de temps, et nous vous présentons des considérations de justice, de patriotisme et d’humanité. (La partie droite applaudit .) M. Chabroud. Je persiste à penser que les dépositions purement orales sont le genre le plus parfait de procédure qui puisse être adopté. Je ne suis donc pas même du dernier avis de vos comités qui admettent jusqu’à un certain point l’écriture. Je me bornerai à vous présenter quelques considérations particulières. On a fait valoir les obstacles que les preuves orales mettent à la révision d’un jugement. La révision ne peut avoir lieu que pour deux causes : ou quand il est survenu des preuves depuis le jugement, ou quand les preuves que contient la procédure ont été mal considérées, mal interprétées. Dans le premier cas, on ne peut invoquer la nécessité de l’écriture des dépositions. L’examen des nouvelles preuves sera indépendant du premier examen, il suffira de faire la comparaison des preuves nouvellement acquises avec la déclaration du fait consigné dans le jugement. Dans le second cas, il est évident que quand des juges ont mal interprété, mal conçu des dépositions, c’est probablement que ces dépositions étaient mal rédigées, perplexes et équivoques : ainsi il faut chercher dans l’imperfection même de la procédure la source de la nécessité de la révision. Il est pareillement évident que cette imperfection n’existe pas dans les dépositions orales. Le juge perplexe a les témoins et l’accusé devant lui. Il peut continuer l’examen tant qu’il le croit nécessaire. Difficilement il y aura de mauvaise conception et de jugement rendu sans examen suffisant. Ainsi, sous le second rapport, la révision n’est pas nécessaire. G tte révision est un faible avantage pour un accusé après la condamnation ; pour lui conserver cet avantage, le priverez-vous de la méthode qui peut assurer qu’il ne sera pas condamné ? On vous a fait envisager le danger de la multiplicité des faux témoins ; je ne répéterai pas ce qu’a ditM.Thouret.il est certain qu’ils seront plus rares avec des preuves non écrites; un témoin trouve des ressources dans la procédure écrite: une fois son dire écrit, il n’a rien à craindre; il n’a qu’à dire qu’il persiste. Quand les preuves sont écrites, il est exposé à la peine du faux témoignage, il est très difficile d’obtenir qu’il se contredise ; ce conseil évident de la loi est du plus grand danger pour l’accusé. Il voit la peine oui l’attend, s’il dit trop tardfla vérité que réclame 1 innocence. Avec des preuves orales, le témoin se ravisera sur l’explication que pourra lui donner l’accusé ; il reviendra sur ses pas, il ne craindra pas la preuve écrite de son délit, qui lui montre déjà la peine qu’il a encourue. Ainsi, il y aura moins de faux témoins. Il y aurait peut-être un moyen de ramener ceux qui craignent les faux témoignages. Je ne verrais pas d’inconvénient à ce que, sur la réquisition des accusés, il fût écrit que le témoin a dit telle chose, qu’il a articulé tel fait. On pourrait de cette manière, sans détruire l’institution, rassurer l’accusé et effrayer le témoin. Je ne veux pas d’écriture au delà. On a dit, en parlant des preuves légales, que la loi n’avait jamais déterminé la masse des preuves nécessaires pour condamner. Cependant nous trouvons dans le droit écrit que, dans tel cas, la loi exige tel nombre de témoins. La loi XI, au Digeste, porte « que là où la loi n’a pas défini le nombre des témoins, le nombre de deux suffit». Quand même il n'y aurait pas de loi qui nous prouvât ce fait, il n’en serait pas moins incontestable que la jurisprudence établissait qu’il fallait deux témoins pour condamner; et que quand ces deux témoins étaient au-dessus des exceptions que la loi regarde comme pouvant atténuer les dépositions, le juge était obligé de condamner : il est donc certain qu’il existait des preuves légales.... La prééminence des preuves orales n’est pas douteuse. Les jurés n’ont pas seulement devant eux des phrases, mais un tableau actif et vivant; ils contemplent les témoins, ils les circonscrivent de toutes parts ; un mouvement, un geste portent la défiance et communiquent au juré une circonspection salutaire ; le juré et l’accusé lui-même ont mille moyens pour parvenir à confondre le témoin et à lui arracher la vérité ..... Je conclus à ce qu’il n’y ait pas de procédure écrite, ou que du moins l’accusé puisse seulement demander qu’il soit fait mention au procès-verbal de tels ou tels faits articulés par le témoin. Si l’Assemblée n’est pas convaincue du danger des preuves écrites, je demande l’ajournement indéfini de la question. M. Tronchet(l). Messieurs, il est un moment où les discussions les plus importantes peuvent et doivent se simplifier. Tel est le précieux avantage du choc des opinions, soutenues avec le calme de raison et dictées par le véritable désir de rechercher la vérité, qu’il simplifie les difficultés les plus abstraites en les éclaircissant, et qu’en développant les inconvénients des deux extrêmes, il fait sortir la vérité des nuages que rassemblaient sur elle des vents dirigés en sens contraires. Déjà le comité, en s’amendant lui-même, a cédé une partie du terrain; voyons si, en nous amendant à notre tour, nous ne pouvons pas nous rapprocher ; voyons s’il n’est pas possible, sans compromettre le succès de l’institution décrétée, sans altérer la sévérité des principes du comité, ni ce qu’il considère comme l’essence du jugement par jurés, faire encore quelques pas en avant, et obtenir quelque nouvelle concession en faveur des deux grands intérêts que nous défendons, celui (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de ce discours. 298 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 janvier 1791.] de l’humanité et celui de la société tout entière. Tel est l’esprit qui me ramène une seconde fois à cette tribune, et l’objet des nouvelles réflexions que je vais vous soumettre. 3e distingue trois choses principales dans le projet de décret que le comité a mis en opposition avec celui que j’avais eu l’honneur de vous présenter. En premier lieu, il me paraît avoir montré une trop grande indifférence sur la forme de la rédaction des dépositions dont il consent la rédaction par écrit; je me propose de vous prouver qu’il est nécessaire, même sans rien préjuger sur l’étendue de l’effet qu’elles doivent produire entre l’accusé et les témoins, d’en assurer la fidélité de la rédaction, et que cet objet peut et doit être rempli par une précaution qui ne compliquera point la simplicité de l’instruction devant le juré de jugement. En second lieu, il me paraît que le comité, en se bornant à la seule rédaction des dépositions, ne peut pas remplir l’objet pour lequel il destiDe cette écriture, et que, quand même cette écriture n’aurait que ce seul intéiêt pour but, on pourrait y ajouter un second procédé qui ne compliquerait pas beaucoup la forme du débat et n’en détruirait pas le caractère essentiel. En troisième lieu, je ne peux adhérer à la sévérité duprincipe, qui refuse aux jurés toute communication des dépositions, et de ce qui aura pu être écrit dans mon plan, même lorsque les jurés croiraient cette communication nécessaire pour soulager leur mémoire et tranquilliser leur conscience; je me propose de vous prouver que cette communication, dont il pourra résulter de grands avantages, ne peut offrir aucun danger, et qu’elle ne peut altérer en rien la nature de la conviction morale; surtout si Ton ajoute à la procédure du jugement une formule qui me paraît devoir former une barrière insurmontable contre tout retour au système absurde des preuves légales. Tel est, Messieurs, le plan des réflexions que je vais vous présenter; leur développement vous fera connaître combien je crains moi-même de contrarier le succès de l’institution des jurés, et combien je respecte tout ce qui me paraît appartenir à son essence. I. Je n’examine point s’il n’y a que la délicatesse du passage de l’ordre ancien à l’ordre nouveau qui ait dû déterminer à consentir la rédaction par écrit des dépositions ; si c’est par ménagement pour notre faiblesse, ou par nécessité, que le comité nous a fait cette concession. Nous ne combattons point dans cette tribune pour une gloire personnelle, mais pour l’intérêt public ; et je me contente, par cette raison, de considérer ici ce que l’intérêt public exige quant à la forme de cette rédaction. Je remarque dans le projet de décret trois sortes de déposition : celle devant l’officier de police, celle devant le directeur du juré, celle devant l’un des juges du tribunal criminel. De ces trois dépositions, j’en vois la rédaction absolument abandonnée à un seul officier, l’officier de police, le directeur du juré, l’un des juges du tribunal criminel, et par conséquent toute l’authenticité de la rédaction dépendant de la foi que la loi peut attacher au caractère de l’officier. G’est retomber dans un des plus grands inconvénients de l’ancien ordre des choses. On se plaignait alors, avec grande raison, de ce que l’officier qui recevait les dépositions restait maître de leur substance, de ce qu’il pouvait en quelque façon changer la substance en traduisant à sa façon le langage rustique d’un témoin, Je crois infiniment important de ne pas faire renaître cet abus, et cela par deux raisons : la première relative à l’intérêt de l’officier qui recevra les dépositions; la seconde pour l’intérêt de l’accusé. Ne croyez pas, Messieurs, que par les précautions que je désire, j’entende lier le témoin, ni décider cette grande question, s’il doit y avoir une époque où le témoin ne puisse plus varier bien entendu dans des points essentiels. Depuis mon premier discours, j’ai réfléchi sur cette importante question ; j’en sens plus que jamais toute la difficulté, mais cette question ne tient en rien à celle que nous agitons. Il a fallu dans l’ordonnance de 1670 une loi textuelle pour ôter au témoin la faculté de varier. Un silence absolu sur ce point suffit pour la réserver tout entière ; et tel parti que vous preniez dans la suite à cet égard, les précautions que je vous proposerai ne m’en paraissent pas moins nécessaires. Quoique le témoin reste libre, à l’instant du débat, de se livrer aux impressions de la conviction ou de la résipiscence, il existera toujours un embarras pour lui, lorsqu’il s’agira de faire un aveu directement contraire à sa déposition; la crainte ne l’arrêtera pas, s’il est convaincu qu’il n’y a point de peine à encourir; mais une fausse honte suffira pour le porter à chercher une excuse. Il se rejettera sur l’inexactitude de la rédaction de sa déposition ; et pour se décharger d’un mensonge, il imputera une fausseté à l’officier qui aura rédigé sa déposition. Sans doute, une pareille imputation ne produira aucun effet légal; mais eilepoura produire des effets moraux très-dangereux. Plus vous avez attaché, Messieurs, d’importance au choix populaire de vos olficiers publics, plus vous devez accumuler les moyens de leur assurer la confiance du peuple ; plus vous devez les mettre à l’abri des imputations qui peuvent altérer la confiance, et qui souvent sont suivies avec d’autant plus d’avidité, qu’elles sont plus actives. Première considération. Ma seconde con-idération est relative à l’intérêt de l’accusé. Quoique le comité conserve au témoin sa liberté jusque dans le débat, il convient néanmoins qu’il faut un terme à l’impudence ; il réserve à l'accusateur public, aux juges et au jury, à apprécier moralement le caractère des variations qui devront rendre le témoin punissable. Mais n’esl-il pas évident que le caractère moral de ces variations ne peut se saisir que par la comparaison de la nature et de l’importance de la première assertion avec le désaveu forcé? N’est-il pas évident, dès lors, que cette combinaison morale ne peut résulter que de la comparaison du fait écrit dans la déposition, de la manière dont il a été circonstancié, avec les désaveux arrachés au débat? N’ est-il pas évident enfin que vous vous enlevez presque tous moyens de cette appréciation morale du caractère des variations, si vous laissez au faux témoin l’arme du désaveu de sa déposition écrite ? L’intérêt de l’accusé se réunit donc à la nécessité de protéger l’honneur du juge, pour exiger une forme qui donne un caractère d’authenticité à la déposition dont vous confiez la rédaction à un seul officier. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [17 janvier 1791.] Je ne vous ! reposerai pas, sans doute, l’adjonction des nolabies. L’instilution des jurés doit anéantir cette constitution purement provisoire. Il ne faut pas multiplier les charges civiques. Mais je vous proposerai un expédient fort simple. Je n’exige aucune formalité pour la déposition faite devant l’officier public et devant le directeur du jury; j’en assurerai la fidélité en rappelant les témoins devant le jury d’accusation. Là, je ferai relire aux témoins leurs dépositions; je les ferai interpeller de déclarer, non pas si leur déposition contient vérité, mais s’ils reconnaissent que la rédaction en est conforme à ce qu’ils ont déclaré et entendu déclarer. Je ferai faire la même interpellation devant le jury de jugement, et devant le public aux témoins qui auront été entendus par le juge du tribunal criminel; et en ôtant au faux témoin la ressource de nier la fidélité de la rédaction, j’assurerai l’honneur des officiers qui auront reçu leurs dépositions, et je fournirai à l’accusé une ressource de plus contre le faux témoignage. Je passe au second objet. II. Il s’agit ici de savoir si l’examen des témoins devant le jury du jugement doit être écrit, ou même si le décret sévère qui proscrit toute écriture à cet égard ne peut pas être susceptible de quelque modification. J’avoue que, si je ne suivais pas mon impulsion naturelle, et cette conviction morale dont on parle tant, j’inclinerais à exiger l’écriture entière de cette seconde partie de l’instruction. Dans toutes les objections du comité, je n’en ai vu qu’une seule importante: la crainte de faire manquer l’institution dans son établissement par le découragement et le dégoût que pourraient inspirer aux jurés des longueurs qui rendraient leurs fonctions trop pénibles. Ces longueurs sont bien abrégées par le retranchement de tout le temps qu’exigerait la rédaction des dépositions. La rédaction des débats souvent ne serait ni longue ni difficile, si l’on fait régner dans nos tribunaux cet ordre, cette dignité, cette simplicité, que j’ai admirés dans le procès qui a été instruit en 1690, en Angleterre, contre milord Preston, et que des tachygraphes vraisemblablement nous ont transmis avec une fidélité, qui, je l’avoue, m’a donné la plus haute idée de l’institution anglaise. Avec cet ordre et cette simplicité, il me paraîtrait que la rédaction des débats n’exigerait, le plus souvent, qu’un sacrifice de quelques heures, et perfectionnerait plutôt qu’elle altérerait cette belle institution. Mais le comité s’est prêté à nos faiblesses ; je veux, à mon tour, me prêter à l’enthousiasme qui lui fait craindre d’altérer ce qu’il ne veut qu’imiter servilement. Je me borne à examiner si l’on ne peut pas, sans altérer la pureté de l’instilution, ajouter à la rédaction des dépositions un procédé sans lequel cette rédaction ne pourrait pas remplir l’objet même pour lequel le comité l’accorde. C’est ma seconde réflexion. Dans les observations qui ont été présentées par les différentes personnes qui demandaient une instruction inscrite, votre comité a cru ne devoir en distinguer qu’une seule. Il paraît n’avoir été frappé que de la nécessité de conserver à l’accusé la voie de la révision et de la réhabilitation ; et il a supposé qu’il suffisait, pour remplir cet objet, que les dépositions fussent écrites. « 11 s’agit principalement, vous a-t-il dit, d’ac-« quérir sur chaque procès un fond de ren-« seignements permanents qui constatent la « nature et les circonstances de l’accusation, les « témoins qui ont déposé, la nature et le carac-« tère de ieursdépositions, celles qui ont présenté « des charges, et celles qui étaient insignifiantes. » Je suis bien éloigné de convenir que la rédaction des dépositions ne puisse avoir pour objet que ce seul intérêt. Je la regard ■ encore comme un grand préservatif contre le faux témoignage, comme une grande facilité dans le jugement des procès compliqués, comme un moyen d’empêcher en partie le dépérissement des preuves dans les procès dont les incidents inévitables interrompront et suspendront le jugement. Mais il me suffit, pour l’objet que je me propose, déconsidérer l’écriture des dépositions sous le seul point de vue auquel s’est arrêté le comité. La révision est indépendante des charges, lorsqu’elle porte sur une erreur de fait qui anéantit le corps du délit ou qui substitue un autre coupable ; mais elle est absolument dépendante des charges, toutes les fois qu’elle porte sur une erreur de fait volontaire ou involontaire, appliquée au genre des preuves. Il a été et il sera toujours impossible de fixer invariablement les motifs d’une condamnation, dès lorsque les juges ont toujours eu et auront toujours le droit de ne se déterminer que par l’impulsion de leur conscience, et de se contenter de déclarer qu’ils ont jugé l’accusé coupable d’un tel fait. Dans une pareille position, ce n’est donc que par l’inspection du fond même du procès que l’on peut, non pas affirmer, mais présumer les circonstances qui ont pu les entraîner; et s’ils ont pu être entraînés par quelque erreur de fait, Une forte présomption de ce genre doit suffire, en faveur de l’innocence, non pas pour annuler un jugement, mais pour en faire permettre la révision. Dans l’ancien état des choses, où les témoins ne pouvaient plus varier après leur récolement, et où les confrontations étaient écrites, l’état des charges demeurait invariable à cette époque; et il était facile de présumer, d’après la seule lecture des dépositions et des confrontations écrites, si le jugement avait pu porter sur une telle erreur de fait. Aujourd’hui cela deviendrait impo’sible, d’après la liberté que l’on donne aux témoins jusqu’à l’examen. Vainement un accusé viendra-t-il accuser un témoin d'être tombé dans une telle erreur de fait volontaire ou involontaire, et prétendra-t-il que cette erreur était capitale. On pourra toujours lui répondre : rien ne prouve que le témoin n’a pas révoqué telle déclaration ; rien ne prouve que lui ou d’autres témoins n’ont pas ajouté des charges plus précises à celles qui, dans ie principe, pouvaient n’être pas assez graves ; rien ne prouve que ce que vous alléguez aujourd’hui pour prouver l’erreur, vous ne l’avez pas allégué lors de l’examen des témoins. En un mot, rien ne peut autoriser à admettre ou à rejeter la révision, dès lors que le véritable état du procès, à l’instant du jugement, ne nous est pas connu. C’est ainsi que vous vous exposez à un double inconvénient: ou vous anéantissez de fait le secours que vous croyez ne pouvoir pas refuser à l’innocence, ou bien, si la faveur de l’innocence vous porte à vous rendre moios dif- [Assemblée nationale.] ARCHH ES PARLEMRM AIRES. [17 janvier 1791.] 300 ficile sur la révision, vous ouvrez une ressource au coupable qui sera parvenu à corrompre de nouveaux témoins, ou même les anciens, pour former la preuve de l’erreur qu’il articulera. Il y a deux inconvénients également nécessaires à éviter dans la révision : celui de la rendre trop difficile pour l’innocence opprimée, celui de la rendre trop facile à l’homme puissant et intrigant. Ces deux inconvénients sont inévitables, s’il n’existe aucun tableau qui puisse donner une idée du progrès qu’a pu recevoir l’instruction. Voici l'expédient que je propose pour fixer, au moins entre les deux parties qui seules sont intéressées à demander ou à combattre la révision, le dernier état du procès. Il faut, après l’examen et le débat fini, accorder à l’accusé el à l’accusateur de requérir respectivement qu’il soit dressé procès-verbal sommaire, d’après l’indication qu’ils en feront, des faits, aveux et déclarations importantes qu’ils prétendront être résultées de l’examen et du débat, et dont ils croiront pouvoir tirer avantage. Ce procès-verbal ne sera rien, sans doute, pour la conviction personnelle des jurés, auxquels ils ne feront que rappeler des faits, de l’exactitude desquels ils demeureront juges, d’après ce qu’ils auront vu et entendu. Mais ce procès-verbal sera un titre contre les parties qui ne pourront point, en cas d’action en révision, nier la vérité des faits qu’elles auront allégués elles-mêmes. Ce procès-verbal, ni même les débats écrits en entier, ne pourront jamais démontrer au juge de la demande en révision que c’est telle circonstance décisive qui a déterminé la conviction intime du juré; mais ils pourront, au moins, fournir une présomption sur laquelle on pourra asseoir raisonnablement le refus ou l’admission de la demande. Ce procès-verbal ne pourra point devenir, dans l’opinion publique, un contrôle du jugement des jurés, puisqu’il ne sera point leur ouvrage; mais il sera entre les parties un contrôle irrécusable de l’état auquel elles ont elles-mêmes fixé la discussion. Je n’ai pas besoin d’ajouter que ce procès-verbal, rédigé après l’examen et le débat fini, ne ralentira point l’activité et la chaleur de ses opérations ; qu’il ne sera qu’un préliminaire des plaidoyers des parties, qui doit suspendre la délibération des jurés, et que presque toujours il n'exigera qu’un léger sacrifice de quelques heures ; enfin que c’est un moyen aussi simple que necessaire de fixer, au moins entre les parties, les progrès de l’instruction. Voyons maintenant ce que doit devenir la partie écrite du procès : c’est-à-dire quel usage on fera des dépositions et du procès-verbal que je viens d’indiquer. C’est l’objet de ma dernière proposition. III. Soit que vous borniez, Messieurs, l’écriture aux dépositions des témoins, soit que vous l’étendiez à la totalité de l’examen, ou seulement aux points de cet examen dont l’accusé ou l’accusateur auront cru intéressant d’assurer par écrit la mémoire, chacun dans leur intérêt, il restera toujours à examiner si ce qui aura été écrit pourra être mis sous les yeux des jurés, au moins lorsqu’ils le croiront eux-mêmes nécessaire. Je dis que ce mode présente de grands avantages et ne peut exposer à aucun danger réel. Établissement de ces deux points dépend d’une seule chose : c’est de bien développer ce que c’est que la conviction morale, en quoi elle diffère de la preuve légale, et de dissiper par des notions claires et précises, une erreur capitale sur laquelle a perpétuellement roulé le système du comité. Cette erreur a consisté à tellement identifier le système des preuves légales avec l’écriture, qui conserve les preuvts purement matérielles, qu’on a rendu synonymes ces deux expressions : preuve écrite et preuve légale; et qu’à l’ombre de cette erreur, en supposant démontré qu’une preuve écrite était une preuve légale, il devenait bien facile de vous inspirer une espèce d’horreur pour toute espèce d’écriture. J’aborde ce fantôme redoutable, et j’espère le voir disparaître à la lumière que je vais en approcher. Pour dissiper l’erreur capitale dans laquelle ou vous a si longtemps entretenus, il suffit de se former des notions justes sur ce que c’est que la preuve testimoniale, sur ce que c’est que la conviction qui opère le jugement, enfin sur la nature des moyens qui opèrent la conviction morale. Ces notions une fois prises, il sera facile de reconnaître que l’instruction orale n’est point un moyen qui exclut l’aiius du système de la preuve légale ; et que l’écriture n’est point un instrument qui exclut la conviction morale et qui nécessite l’usage de la preuve iégale. Si je parviens à démontrer ces deux vérités, j’aurai établi d’avance les deux points que je vous ai annoncés et qui formeront ma conclusion. Qu’ est-ce que la preuve testimoniale? C’est un moyen de parvenir à constater la vérité d’un fait par la déclaration de plusieurs personnes qui viennent attester à la justice ce qu’ils ont vu et connu personnellement sur le fait en lui-même, ou sur ses accessoires, tels que les antécédents ou subséquents, sur la totalité ou sur uue partie du fait. Qu’est-ce qu’un jugement prononcé sur une preuve testimoniale ? C’est la déclaration faite par le juge que celles qui lui ont été faites par les témoins lui ont paru suffisantes pour lui assurer la vérité du fait allégué. Qu’est-ce qui doit fonder cette déclaration affirmative, ou négative, du juge? G’est, sans doute, l’impression plus ou moins forte qu’ont produit, sur son esprit et sur son âme, les déclarations qu’il a vues et les observations qui lui ont été faites sur ces déclarations. La conviction n’est autre chose que le résultat de cette impression. La conviction, qui n’est que le résultat de l’impression qu’a faite sur le juge tout ce qu’il a vu et entendu, les déclarations et les débats qu’elles ont pu opérer, cette conviction n’a pu s’opérer que par des moyens; et ce sont ces moyens seuls auxquels on peut attacher l’idée de la distinction de la preuve morale ou de la preuve légale. Il n’existe et ne peut exister que deux moyens qui soient de nature à opérer cette forte impression qui doit déterminer le juge; l’un est intrinsèque à la déclaration même du témoin et aux contredits qu’elle a pu éprouver, et appartient à la rectitude de l’esprit; l’autre est extrinsèque et appartient à la sensibilité de i’àme et à la pureté du cœur; elle est de sentiment plus que de réflexion. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 janvier 1791.] 301 Le premier moyen, qui appartient à la rectitude du jugement, consiste dans l’attention scrupuleuse que le juge a faite à la déclaration du témoin, dans l’examen de la clarté de sa déposition, et dans la combinaison de ses diverses parties, combinaison qui seule peut conduire à juger la foi que mérite le témoin, abstraction faite des qualités qui peuvent le rendre re-prochable, à pressentir s'il peut être suspecté de faux témoignage, ou même de simple erreur, enfin dans la combinaison des faits qui sont opposés à la déclaration, et qui en anéantissent la force. Ce que le juge doit faire sur chaque déposition, il doit le faire sur toutes les dépositions réunies, dont le parfait accord et la combinaison générale doit former cette force irrésistible à laquelle le juge accorde sa conviction. Ce premier genre de conviction, absolument inhérent et intrinsèque aux dépositions, appartient évidemment à l’opération de l’esprit, à la rectitude du jugement. Le second moyen de conviction, qui est absolument extrinsèque à la déposition, appartient plus au sentiment qu’au jugement; il frappe plus les sens que l’esprit. C’est l’attitude ferme et modeste d’un accusé innocent; c’est cet accent de la vertu, le mouvement simple et naturel qui accompagne une objection puissante qu’il fait à des témoins vendus ou prévenus; c’est cet embarras qui enveloppe presque toujours la défense d’un coupable tourmenté par le témoignage de sa conscience; c’est cette audace factice, qui se décèle par ses propres excès; c’est l’hésitation, la fluctuation de ce témoin pressé d’éclaircir un fait, d’en développer les circonstances. Cette seconde espèce de moyens est sans doute très précieuse; mais ce serait une grande erreur d’y réduire la conviction du juge. L’innocence peut se déconcerter; il est de ces scélérats profonds qui savent garder le calme et le sang-froid de l’innocence. Ce sont les deux moyens réunis, employés par des cœurs et des esprits droits, qui seuls peuvent former la conviction complète et nécessaire au juge, qui condamne, ou qui absout. Quand je dis que ce sont ces deux moyens réunis qui forment la véritable conviction morale, je peux m’appuyer de l’autorité du comité lui-même. Je lis dans le discours de M. Thouret : La seule capacité supposée dans le juré est la rectitude du jugement ; son tact est celui de sa conscience. J’y lis : Les jurés sont placés au sein de la preuve ; ils ensuivent tous les progrès matériels et moraux. J’y iis enfin : Cette conviction-là est celle des hommes... qui ont , avec un cœur droit, un jugement sain. La capacité, qui exige une ré-titude de jugement , un jugement sain, suppose nécessairement un usage à faire de cette rectitude de jugement; et l’objet principal de cette application est évidemment l’examen et la combinaison de ce que M. Thouret appelle la preuve matérielle, laquelle ne peut être que la substance même de la déposition, des objections et des réponses. En un mot, exiger pour la capacité du juré un cœur droit et un jugement sain, c’est avoir évidemment supposé que la conviction morale n’est que le résultat des deux opérations de l’esprit et du cœur. Avoir défini, d’une manière claire et précise, ce qui forme la conviction en matière de faits, c’est avoir donné d’avance une définition claire de ce qui distingue la preuve morale, qui est la seule vraie, de ce que l’on a si faussement appelé la preuve légale. La preuve morale n’est autre chose que le résultat de la double influence des deux moyens qui concourent à la conviction, l’opération de l’esprit et le sentiment de l’âme. Ce genre de preuve ne peut évidemment être soumis à aucune règle, puisqu’il dépend entièrement de dnux choses, que rien ne peut commander et suppléer, la rectitude de l’esprit et la pureté du cœur, puisque ses combinaisons et ses résultats varient autant que les circonstances, et puisque les lois ne peuvent prévoir la variété innombrable des combinaisons qui peuvent résulter de l’examen des dépositions et des témoins eux-mêmes. Que serait-ce donc qu’une prétendue preuve légale opposée à la preuve morale que je viens de décrire? Ce ne pourrait être que des règles positives, ou conventionnelles, qui prescriraient à un juge de condamner dans une telle circonstance, d’après une telle combinaison. Ici je ne peux point encore être contredit par le comité dans mes définitions. Je lis dans le discours de M. Thouret : On appelle preuve légale ce que la loi, ou une doctrine ayant acquis le môme crédit que la loi, déclare être probant . La preuve légale est factice et artificielle ; la preuve morale (continue le comité) est, au contraire , celle qui, indépendante de toute règle, est puisée sur chaque fait particulier dans toutes les circonstances qui produisent , par V assentiment libre, une conviction uniforme sur le plus grand nombre des hommes impartiaux. Nous voilà donc entièrement d’accord, le comité et moi, sur nos délinitions. La conviction ne peut s’opérer que par la réunion de deux moyens : l’opération du jugement sur les preuves matérielles, le sentiment intime opéré sur l’âme par les accessoires moraux et extrinsèques qui accompagnent la preuve matérielle. La conviction morale est celle qui ne résulte que de la double action libre du jugement et du cœur, et qui, indépendante de toutes règles, laisse au juge une entière liberté de détermination. La conviction légale serait celle qui, subordonnée à des règles positives, commanderait la détermination du juge et lui ôterait la liberté d’opinion. Si nous sommes d’accord sur ces principes, comment serions-nous divisés sur les conséquences ? Si l’instruction orale exige la réunion des deux moyens qui seuls pourront opérer la conviction morale, il faut que le juré puisse faire l’application de ces deux moyens. S’il doit, d’un côté, faire une attention sérieuse à cette scène intéressante qui se passe sous ses yeux, si des incidents de cette scène peuvent quelquefois l’entraîner par sentiment, d’un autre côté, il ne peut se dispenser de graver dans sa mémoire les faits attestés, d’en combiner les circonstances, enfin d’employer toutes les facultés de son jugement, pour saisir les vrais résultats de ce qu’il a entendu. Mais il est évident que, dans l’opération du jugement, un juré pourrait appliquer le faux système des preuves légales, s’il en était malheureusement imbu, s’il était persuadé que deux témoins suffisent pour condamner, lorsqu’ils ne sont point reprochés, sans examiner la foi qu’ils méritent personnellement, celle qui résulte de la substance même de leur déposition, et de la combinaison des autres dépositions. Si le juge avait calculé avec ces faux docteurs le poids des semi-preuves et des quarts de preuve, il e-t évi- 302 [ÀJ-sefiiblét1 nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 1 1 7 janvier 179! J dent qu’il ferait également l’application de sa fausse doctrine aux dépositions orales, il est évident qu’il donnerait la supériorité au premier moyen sur le second ; et il est par conséquent démontré que ce n’est point l’instruction orale qui seule peut garantir de l’abus du système des preuves légales. Si ce n’est pas l’instruction orale qui garantit nécessairement de la fausse doctrine des preuves légales, il est également évident que ce n’est point la preuve écrite qui en nécessite l’application. Le juge y a également la faculté de peser l’autorité personnelle du témoin ; il a peut-être plus de facilité pour peser la substance de la déposition, pour la combiner avec elle-même et avec les autres; il est également maître de ne suivre que l’impulsion de sa conscience et les résultats delà rectitude de son jugement. Il sera obligé de le faire, si la loi, loin de lui prescrire des règles, lui a commandé de ne suivre que sa conviction personnelle, et si elle a voué à la proscription de la doctrine des preuves légales. Sans doute, dans la preuve simplement écrite, il existait une imperfection ; il y manquait le second moyen qui doit concourir à la preuve morale, le puissant ressort de l’effet du sentiment dans l'action d’une scène vivante, et qui peut éclairer l’esprit du juge, en même temps qu’elle agit sur son âme. Mais ces deux puissants ressorts de la conviction morale, l’opération de l’esprit et l’action du sentiment, se trouvent réunis, quand les deux secours de la présence du juge et de l’écriture sont réunis; et c’est outrer les préventions qu’a fait naître la juste horreur de la doctrine des preuves morales, de supposer qu’elle n’a pu exister qu’avec l’écriture et qu’elle est inséparable de l’écriture. Supposer que la même déclaration d’un témoin devient une preuve légale par cela seul qu’elle est écrite; en un mot, confondre le sysième des preuves légales avec le simple fait de l’écriture, c’est ne présenter que des mots vides de sens et une idée dont la moindre réflexion démontre la fausseté. Le système des pr uves légales existe hors de la forme de l’instruction écrite ou non écrite ; il peut s’adapter aux deux formes ; il n’aurait jamais dû s’amalgamer à la preuve écrite ; il ne s’est amalgamé à cette forme que parce qu’elle était alors la seule existante. S’il s st vrai que ce système, contraire à la raison, funeste à l'humanité, existait encore dans quelques tribunaux, cette discussion solennelle en anéantira infailliblement jusqu’aux moindres vestiges; la loi, s’il est nécessaire, y imprimera le sceau de la réprobation. Mais ce n’est ni la suppression, ni la continuation de l’écriture qui fera cesser, ou qui prorogera cet abus, puisqu’il est démontré qu’il n’est point inhérent à l’écriture, et qu’il peut exister sans elle ; frappez la doctrine, mais ne calomniez point l’écriture pour vous fournir un prétexte de la proscrire. Si ces vérités sont sensibles, j’ai démontré d’avance qu’il ne peut y avoir aucun danger à remettre l’instruction écrite entre les mains des jurés, bien avertis par la loi qu’ils sont entièrement libres de se déterminer suivant ce que leur dictera la rectitude de leur jugement et la pureté de leur cœur; aux jurés bien avertis que ce qui leur a été dit par le témoin, ou par l’accusé, n’est pas une vérité par cela seul que le dire est écrit ; aux jurés enfin, bien avertis qu’il n’existe aucune règle positive qui puisse commander leur opinion. Je vous proposerai pour cela une formule qui formera une barrière insurmontable contre le retour de la fatale doctrine des preuves morales. Ce n’est point assez de dire que la remise aux jurés de l’instruction écrite sera désormais sans danger ; j’ajoute qu’elle aura de grands avantages. Elle aura le précieux avantage de réunir et de rendre plus facile l’emploi des deux moyens qui concourent à la conviction, de faciliter celui qui dépend de la rectitude du jugement, sans détruire celui qui dépend de l’impression du sentiment. Cette réunion, utile dans tous les cas, devient nécessaire dans les procès compliqués, soit par la nature du crime, soit par le nombre des accusés et des témoins. La nature n’a pas doué tous les hommes d’une mémoire a-sez heureuse et assez ferme pour les mettre en état de combiner, de diviser, d’apprécier une multitude de déclarations, d’objections et de réponses, et d’appliquer tous les résultats aux divers accusés, dans les crimes desquels il y a des gradatiuns qu’il faut suivre. On m’objectera, peut-être, qu’il est inutile de remettre aux jurés le procès-verbal que j’ai proposé dans ma seconde réflexion, puisqu’il n’est qu’une allégation des parties, qui ne peut avoir d’autorité que contre elles, et dont les jurés peuvent et doivent juger le mérite. Et le comité m’opposera vraisemblablement qu’il est inutile de remettre aux jurés les dépositions, puisqu’il pose en principe que l 'examen des témoins et le débat doivent seuls servir à la conviction. A la première objection je réponds qu’il ne peut jamais être inutile de mettre sous les yeux des jurés tout ce qui, même comme simple renseignement, peut servir à rallier leurs idées et à rafraîchir leur mémoire. Quant à la seconde objection, ou je ne conçois pas le principe sur lequel on la fonde, ou si je conçois bien ce principe, je n’y peux pas rallier la conséquence. Par examen des témoins on entend sans doute désigner l'appréciation de leur qualité personnelle et de la foi qu’ils méritent, c’est-à-dire les reproches. Le résultat de cet examen n’existe que dans l’opinion du juge pour lequel la déposition du témoin, auquel il a refusé toute confiance, devient nulle et comme .non avenue. Tout ce qui en résulte, c’est qu’il ne se croira pas permis même d’y recourir, et que la communication est surabondante à cet égard. Mais il n’en est pas de même de la disposition simplement débattue. Qu’est-ce que le débat d’une déposition? C’est de la part de l’accusé une objection proposée contre la vérité de la déclaration du témoin, une contradiction relevée, une invraisemblance opérée, qui tendent à altérer la foi due à la déposition. C’est de la part du témoin une réponse péremptoire, ou non, proposée contre l’objection, une explication qui fait disparaître la contradiction, ou l’invraisemblance. En un mot, le débat est ce qui tend à détruire ou à continuer la déposition. La déposition et le débat sont deux choses absolument indivisibles. Il n’y a point de déposition qui puisse déterminer le juge, tant qu’elle n’a point été débattue; il ne peut pas y avoir de débat sans une déposition qui en soit la ma-ti ère. Lorsque l’on pose en principe que le débat servira seul à la conviction, on pose une vérité, si [17 janvier 1791 [ (Assemblée nationale.] AllCiiiVüS PARLEMENTAIRES. l’on se borne à en conclure que la déposition, détruite par le débat, n’est plus rien. Mais on pose un principe vide de sens, si l’on applique cette maxime, que le débat seul sert à la conviction , au cas où le débat, loin d’avoir détruit la déposition, lui a donné une grande force. Il est évident alors qui c’est la déposition même qui devient la base de la conviction, que le débat n’en est que le supplément accessoire. Si les dépositions elles-mêmes deviennent en ce cas l’unique fondement de la conviction, s’il est indubitable que le juge a encore le droit et le devoir de la poser et de la débattre lui-même , on ne peut point dire qu’il soit inutile de la lui présenter; il faut même avouer que cela devient nécessaire toutes les fois que les dépositions sont en grand nombre, et portent sur des faits compliqués et qui reçoivent des applications différentes à plusieurs coaccusés. Mais, a-t-on dit encore (et c’est par cette dernière objection que je termine), vous allez ouvrir une source de débats, de discussions et d’incertitudes entre les jurés; il faudra donc un rapporteur : voilà une séance de Tournelle. Ma réponse est simple : à moins que vous ne vouliez restreindre l’opinion des jurés à un oui, ou à un non sec, ou les faire délibérer avec des fèves, comme vous l’avait proposé le docteur anglais Bentham, il faut que vous supposiez aux jurés la liberté d’opinions raisonnées, et que celui qui veut défendre l’innocence puisse essayer de convaincre celui qui croit pouvoir le condamner. Dès lors, voilà un débat établi entre les jurés; il portera sur la valeur et le sens de telle déposition, non détruite par le débat; convenez que ce débat deviendra infiniment plus dangereux et plus interminable, si les jurés ne peuvent pas avoir un point de ralliement dans la faculté qu’ils auront de consulter la déposition qui aura donné lieu à cette division. Il ne faut point de rapporteur, car le rapport existe dans le résumé qu’a fait le juge; il ne faut que des pièces sur le bureau pour y avoir un recours au besoin. En un mot, cette communication, que je désire, n’est qu’un secours de plus accordé aux jurés, qui n’aura lieu que quand l’importance et la complication de l’affaire forcera les jurés à le demander; ii serait, selon moi, barbare de leur refuser un secours qu’ils croiraient nécessaire pour la tranquillité de leur conscience. Vous avez voulu, par ménagement pour la faiblesse humaine, que la fonction des jurés ne fût pas trop pénible. Moi, je vous demande, par la même raison, un secours dont le refus effrayerait leur délicatesse. Un sentiment intérieur suffit pour graver dans l’âme Je résultat de l’examen des témoins et du débat de leurs dépositions, pour fixer l’œil du juge sur ce qui doit arrêter sa conviction; cet instinct ne suffit pas pour appliquer cette conviction à tous les détails qu’une affaire compliquée peut exiger. Conservons la conviction morale dans toute sa pureté; mais n’altérons point cette même conviction morale, et ne la réduisons point à un pur instinct trop dangereux pour la condamnation� et dont l’application ne peut être que rare et très circonspecte pour l’absolution : puisque vous exigez vous-mêmes une rectitude de jugement, n’en rendez pas l’usage impossible. Je crois avoir démontré que la communication des dépositions et du procès-verbal relatif au 303 débat est utile, qu’elle sera même souvent nécessaire; qu’elle est absolument sans danger. Le décret, que je vais prendre la liberté de vous présenter vous offrira d’ailleurs, à ce que je crois, une garantie infaillible contre le retour du prétendu système des preuves légales. PROJET DE DÉCRET DU COMITÉ, Amendé. Art. 1er. Les dépositions des témoins seront faites et reçues par écrit, savoir : devant les officiers de police, pour ceux des témoins qui y seront produits ; et devant le directeur du jury d’accusation, pour les témoins qui, n’ayant pas comparu devant l’officier de police, seront présentés d’abord au jury d’accusation. Lois de la convocation du jury d’accusation, les témoins entendus devant les officiers de police, ou devant le directeur du jury, comparaîtront en personne; lecture leur sera faite de leurs dépositions, et ils seront interpellés de déclarer s’ils reconnaissent que leurs dépositions ont été exactement rédigées, et de signer le procès-verbal, lequel fera mention de leur réponse. Art. 2. Les nouveaux témoins, que l’accusateur voudra produire encore devant le jury de jugement, ainsi que les témoins de l’accusé, seront entendus d’abord, et leurs dépositions seront écrites devant le juge, ou l’un des juges du tribunal criminel. A l’ouverture de la séance des jurés, ces dépositions seront relues aux témoins qui les auront faites ; iis seront interpellés de déclarer s’ils reconnaissent que leurs dépositions ont été exactement rédigées, et de signer le procès-verbal, lequel fera mention de leur réponse. Art. 3. À l’ouverture de la séance des jurés, il sera fait une lecture publique de toutes les dépositions faites, tant par les témoins de l’accusateur, que par ceux de l’accusé; il sera ensuite procédé à l’examen des témoins et au débat, lesquels seront faits de vive voix, et sans écrit, devant le jury; pourront néanmoins, l’accusateur et l’accusé, ou leurs conseils, après l’examen et le débat finis, requérir qu’il soit dressé procès-verbal, d’après l’indication qu’ils en feront, des faits, aveux, déclarations qu’ils prétendront être résultés de l’examen et des débats, et dont iis prétendront tirer avantage. Art. 4. Pourront les jurés, retirés dans leur chambre, requérir le juge, lorsqu’ils le croiront nécessaire, de leur donner communication des dépositions écrites et du procès-verbal qui aura pu être rédigé d’après la réquisition de l’accusé ou de l’accusateur. Art. 5. Le juge, après le résumé de l’état du procès, et en invitant les jurés à se retirer dans leur chambre, les avertira que la loi ne leur a prescrit et ne pouvait leur prescrire aucune règle de conviction, et qu’elle leur laisse l’entière liberté de ne suivre que leur conscience. (L’Assemblée ordonne l’impression de ce discours et du projet de décret.) M. Mérigeaux demande et obtient un congé de deux mois. M. le Président. Conformément à votre décret du 25 de ce mois, je vais vous donner connaissance de l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée pour la semaine qui s’ouvre.