53 [Assemblée natioaale.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.1 trente-cinq armées de la captivité la plus affreuse et la plus dure; mais, Messieurs, des législateurs sages et économes des deniers du peuple ne font aucune distribution au hasard. Ils veulent connaître les causes qui méritent des secours de la bienfaisance de la nation : ils veulent qu’on leur rende compte des faits. Il faut donc vous rendre compte en peu de mots des motifs qui occasionnèrent la détention de M. de Latude. 11 nous apprend lui-même, dans ses mémoires, la cause de sa détention. Il avait le malheur de chercher du crédit et de la protection auprès de ceux qui étaient en faveur. Il voulait surtout obtenir celle d’une femme nommée Poisson, qu’un double adultère a conduite aux honneurs, ce qui lui a mérité le titre de marquise sous le nom de Pompadour. (Applaudissements .) Il mit à la poste une lettre dans laquelle il y avait une poudre que l’on envoyait pour l’empoisonner, dit-on; et en même temps il fut auprès d’elle, et il lui déclara que ce jour même elle recevrait une lettre dans laquelle était une poudre dont la seule odeur suffirait pour l’empoisonner. Il s’imagina par cette déclaration, qui n’avait aucun fondement que son imagination (il en convient lui-même), mériter la recommandation de cette femme, et parvenir ainsi à des places qu’il désirait. (Murmures.) Plusieurs membres : L’ordre du jour! M-Gombert. Il a cherché à tromper, il n’est pas digne de la reconnaissance de la nation. M. Camus, rapporteur. Je demande à faire une observation à l’Assemblée. (Murmures prolongés.) M. le Président. Votre comité des pensions vous doit toute la vérité. Il devait vous dire la cause des malheurs de M. de Latude. S’il a été coupable dans le principe, il n’est pas moins digne de compassion pour avoir été excessivement malheureux et l’avoir été trente-cinq années. Un membre : Et tous les commis que vous avez supprimes sont aussi malheureux, et ils n’ont pas été coupables! M. Camus, rapporteur. C’est uniquement sur les malheurs de M. de Latude que vous devez fixer votre attention ; car enfin c’est par des lettres de cachet, c’est par des ordres signés au nom du prince qu’il a été renfermé pendant trente-cinq années. La loi du 25 août ne nous permet pas de vous proposer d’accorder une pension à M. de Latude. Elle n’en accorde qu’aux personnes qui ont rendu des services à l’Etat, et par conséquent ce n’est pas cela que vous de vezà M. de Latude. Nous ne vous proposerons pas même de lui accorder une gratification, parce qu’une gratification est une récompense d’une grande action ou d’un dévouement au service de la patrie. Mais nous vous proposons cette justice, d’accorder à M. de Latude une indemnité, un secours, une somme qui, avec le faible dédommagement de 400 livres par année qu’on lui paye, puisse le mettre à portée de tinir sa vie avec un peu moins de misère qu’il ne l’a passée jusqu’à l’âge de 60 ans. En conséquence, le comité des pensions m’a chargé, Messieurs, de vous proposer d’accorder à cet homme malheureux une somme de 10,000 livres une fois payée à titre de secours. (Murmures.) M. Voidel. Je demande la question préalable sur le projet du comité, et voici comment et sur quoi je l’appuie : Messieurs, on s’est servi des malheurs de M. de Latude pour exciter votre compassion et pour lui acquérir des droits à votre générosité. Sans doute, comme on vous l’a dit, la nation généreuse doit réparer les fautes de son gouvernement; mais une nation généreuse doit-elle encourager la lâcheté!,, c’est le terme. Messieurs, c’est pour l’honneur de l’Assemblée nationale que je propose la question préalable. En effet, M-ssiëurs, si vous consentez, comme on vous le propose, à donner 10,000 livres à un homme qui, je le répète, a commencé sa carrière par une lâcheté, et qui par cela seul ne donnait aucun espoir à sa patrie, que devez-vous donc donner à 10,000 victimes du despotisme qui n’ont du leurs malheurs qu’à des actions honnêtes ! (Applaudissements.) M. de Bois-Rouvray. Et moi j’appuie la proposition du comité, à condition que l’on accordera aussi une indemnité à ceux que le comité des recherches a détenus injustement. M. Gombert. Et moi, je demande que l’on envoie en prison tous ceux qui s’opposent à la Révolution. Plusieurs membres : La question préalable ! Plusieurs membres : L’ordre du jour ! M. de Saint-Martin. Si M. de Latude a à se plaindre d’uu ordre arbitraire, il n’a qu’à prendre à partie ceux qui l’ont sollicité. M. Voidel. Il est vrai, la lâcheté n’autorise point la tyrannie; mais on vous a annoncé que M. de Latude avait 400 livres de pension, et c’est à mon avis plus qu’il ne méritait. Je persiste donc â demander la question préalable sur le projet du comité. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le projet de décret du comité des pensions.) Un de MM. les secrétaires. Un artiste qui est à la barre, M. Tassart, fait hommage à l’Assemblée de nouvelles empreintes pour la fabrication des monnaies et d’une instruction pour l’exécution de ses modèles. Il demande que le tout soit renvoyé au comité des monnaies. (Ce renvoi est décrété.) M. Fonça ult-Lardimalic. Je prie l’Assemblée de m’accorder la parole pour un objet qui m’est personnel ; c’est pour l’honneur de cette Assemblée, pour l’honneur de mes commettants, que je crois devoir rendre compte de ce qui m’est arrivé ce soir aux Tuileries. Je me présentai à la porte des Tuileries, les sentinelles sautent sur ma canne à épée, en m’alléguant leur consigne; je leur réponds qu’ayant servi pendant 20 ans, je connais le respect dû aux consignes; mais je ne suis pas plutôt à 20 pas, que, sur la célébrité de mon nom, un grand nombre de personnes s’attroupent, et demandent que je sois mené chez M. Gou-vion. La garde m’y conduit en effet; mais, sur mon inviolabilité, le major général me renvoie. 54 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] Messieurs, je vous engage tous, tant que vous êtes, à ne pas trop compter sur cette inviolabilité, qui heureusement n'a pas été froissée dans ma personne. Je n’ai au contraire qu’à me louer de 28 gardes nationaux sur 29 qu’ils étaient; mais pour ne pas donner prise à la calomnie, j’ai cru devoir rendre compte de ce fait, et j’engage l’Assemblée à accélérer de plus en plus ses travaux ; car en vérité, cette inviolabilité-là ne tient qu’à un cheveu. M. Barnave. Je demande la permission d'observer, sur ce que vient de dire M. Foucault... (Murmures.) M. Charles de Lameth. On vous demande la parole pour rétablir les faits. M. Morel. Le fait est que M. Foucault a effectivement forcé la consigne, et a traité les sentinelles de blancs-becs. M. Fowcault-Cardimalie. J’ai aussi des amis dans le peuple ; car une personne que je ne connaissais pas m’a demandé si je voulais lui confier ma canne; la lui ayant donnée, elle me l’a fidèlement remise après. C’est donc sans canne que je suis alors rentré dans les Tuileries; mais le garde-suisse, qui était de bonne humeur (et je m’y connais. . .) m’a arrêté. (L’Assemblée décrète l’ordre du jour.) L’ordre du jour est la discussion de l'affaire du Clermontois (i). M. d’Estourmel. Messieurs, les comités diplomatique et des domaines, à qui vous avez renvoyé l’examen du rapport sur la donation et l’échange ou Clermontois, vous annoncent qu’ils persistent dans le premier projet de décret; ils conviennent à la vérité que cet avis n’a obtenu la majorité, que parce que les membres du comité diplomatique se sont trouvés divisés d’opinion; mais quel que soit le motif de cette uivtsion, il s’agit, pour déterminer le voeu de l’Assemblée nationale, de réduire la question dans les points de vue les plus clairs. Or, il se présente ici deux questions à examiner : celle de la donation du Clermontois; celle de l’échange. Louis XIV avait -il le droit de disposer du Clermontois? Oui, assurément; et je n’en veux d’autre preuve que les propres termes des lettres patentes portant don au Grand Condé, du mois de décembre 1648. Je n’argumenterai point du préambule desdites lettres; les services du Grand Condé sont assez connus; son nom seul dit tout. Ou lit, page 3 : « Ces terres, seigneuries et places (Stenay, Dun, Jametz et Clermont) n’étant pas de l’ancien domaine de notre couronne, et n’ayant point été jusqu’à présent comptées des revenus d’icelles en notre chambre des comptes de Paris, nous pouvons, sans apporter aucune diminution dans notre domaine et à nos revenus et finances, effectuer la résolution que nous avons prise d’en gratifier notre dit cousin. » N'étant point de l'ancien domaine de notre couronne : quelle lumière ces expressions jettent sur la question ! (lj Voir ci-dessus, séance du 10 mars 1791 au soir, page 22, le rapport de M. Geoffroy sur cet objet. Si ces terres n’étaient point de l’ancien domaine, elles ne pouvaient appartenir à Louis XIV qu’à titre île la conquête faite par Lou's XIII, et de la cession que 1 i en avait faite ensuite le duc de Lorraine, par le traité de 1641 ; et c’est parce qu’il ne les possédait qu’à ce titre, sur la validité duquel il s’est élevé des difficultés qui ont été terminées par le traité des Pyrénées eu 1659, que l’enregistrement des lettres paten tes de 1648 n’a été fait au parlement de Paris que le 4 septembre 1660, à la chambre des comptes de Paris que le 18 novembre 1660, et à la cour des aides de Paris que le 15 janvier 1661. On ne cent attribuer la cause de ce retard qu’aux obstacles qu’ont éprouvés les différents traités de paix de mis 1641, jusqu’au traité des Pyrénées du 7 novembre 1659. On objectera peut-être que, si le Clermontois n’était pas de l’ancien domaine d“ la couronne en 1648, il est devenu domanial par le laps de temps qui s’est écoulé depuis 1648 jusqu’en 1661. Mais, s’il était devenu domanial, les revenus en auraient été comptés; et certes cette Chambre n’eût pas laissé passer la clause (et n'ayant point été jusqu'à présent compté des revenus d'icelles en notre chambre des comptes de Paris). Que conclure de l’enregistrement des lettres patentes avec ces deux clauses? Que Louis XIV a pu disposer du Clermontois en faveur du vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nortlingen et, de Lens ; du conquérant de Thiou ville, de Philisbourg, de Dunkerque et d’ Y près. Non, Messieurs, le don du Clermontois n’était point au-dessus des services éclatants de ce héros ; il ne le dédommageait point des dettes immenses qu’il avait contractées pour subvenir à la subsistance et à l'habillement du soldat, qui, trop souvent à cette époque, manquait du nécessaire. Que l’on compare les exploits du Grand Condé avec ceux des génétaux qui ont commandé les armées depuis cinquante ans : avec des armées de 20,000 hommes soudoyés par lui, attendu l’épuisement du Trésor public sous le ministère du cardinal Mazarin, il a attaché à la France des provinces qui lui rapportent plus de 400 millions de revenus. Les généraux de nos jours, avec des armées de 100,000 hommes, ont souvent été battus; les victoires que quelques-uns d’eux (les maréchaux de Saxe, de Lowendal et de Broglie, M. le prince de Coudé) ont remportées, ne nous ont valu aucunes provinces. Les conquêtes qui ont été faites ont été rendues au moment de la paix ; et les dépenses qu’il a fallu faire pour les guerres de 1745 et de 1757, ont causé une augmentation de dette dont les intérêts écrasent dans ce moment le Trésor public. Mois je vais plus loin, Messieurs, le Grand Condé n’aurait pas mérité de la France comme il l'a fait, je maintiens la donation du Clermontois revêtue des formes légales qui en constatent la validité : je défie de me prouver que les dons que le cardinal de Richelieu s’est fait faire par Louis XIII, en récompense du soin qu’il prenait de le soulager du fardeau de régner, soient constatés sous une forme plus légale. Telle était constamment la forme reçue alors pour valnCr les dons faits par les rots; et si Louis XIII a pu engager en faveur de son ministre des portions de ses domaines ; si Louis XIV a pu conférer au cardinal Mazarin des fiefs d’Al-