SÉANCE DU 11 FRIMAIRE AN III (1er DÉCEMBRE 1794) - N° 59 367 concertée avec les députés des départements de l’Ouest. Un autre membre [Charles DELACROIX] demande que la proclamation soit accompagnée d’un décret positif. Un troisième réclame la parole pour communiquer des observations. La Convention adopte la motion de décréter provisoirement l’amnistie, et ordonne l’ajournement en ces termes : La Convention nationale, après avoir entendu la lecture d’un projet de proclamation pour les départements de l'Ouest, sur motion d’un membre, ajourne l’adoption de ladite proclamation, et charge le comité de Salut public, après s’être concerté avec les députations desdits départemens, de lui proposer, dans le plus bref délai, un projet de décret qui puisse faire cesser les troubles de ces contrées (101). CARNOT (102) : Citoyens, je viens, au nom de votre comité de Salut public, fixer votre attention sur les malheureuses contrées que ravagent depuis longtemps les chouans et les brigands de la Vendée. Cette guerre, il est vrai, n’offre plus rien d’alarmant pour la liberté ; mais on ne peut la dire terminée, et il est à craindre que le théâtre de cette guerre sanglante, comme celui de toutes les guerres civiles, ne demeure infesté de scélérats qui troubleront longtemps encore peut-être le repos des citoyens. Les mesures les plus propres à la terminer ont été prises. La discipline et l’activité ont été rétablies dans les armées; des chefs connus pour leur capacité, leur humanité, leur désintéressement, ont pris la place de ceux dont on accuse la barbarie d’avoir surpassé celle des brigands qu’ils devaient combattre. Des dispositions militaires ont été arrêtées avec les nouveaux chefs, et nous croyons avoir lieu d’en attendre les plus heureux succès. Mais, pour que ces mesures aient une grande efficacité, il a paru à votre comité indispensable d’y joindre des mesures de morale qui se trouvent entre les mains de la Convention nationale seule. Vous seuls, en effet, citoyens, vous devez aujourd’hui ramener, par un acte authentique, chez ces hommes égarés qui suivent l’étendard de la révolte, la confiance qui faisait poser les armes à la plupart d’entre eux. Ils ont été trompés si souvent qu’aucune promesse ne peut les rassurer si elle n’est émanée de la Convention elle-même. Je ne retracerai pas les perfidies qui peuvent justifier cette défiance invincible ; trop souvent le récit de ces malheurs est venu porter la tristesse dans cette enceinte ; aujourd’hui c’est du remède qu’il faut nous occuper. Déjà les essais qu’ont faits les représentants du peuple du système d’indulgence allié à celui de la force et de la discipline ont obtenu des effets très sensibles, et tout annonce que, si la Convention nationale elle-même proclamait le pardon de tous les hommes séduits qui ont reconnu leur (101) P.-V., L, 232-233. (102) Moniteur, XXII, 644. Débats, n° 800, 1030-1031 ; Ann. Patr., n° 700 ; F. delà Républ., n° 72 ; J. Fr., n° 797 ; Gazette Fr., n° 1064; M.U., n° 1359; Mess. Soir, n° 835; Ann. R.F., n° 72. erreur et qui désirent aujourd’hui rentrer au sein de la République, elle obtiendrait promptement le terme si désiré de tant de maux qui la déchirent, et qui font la dernière espérance de ses ennemis. Le désespoir et la rage, nous écrit un de nos collègues, se sont concentrés dans ces départements par une conséquence fort simple. D’un côté, peine de mort contre tous ceux qui ont pris part aux attroupements armés, soit dans la levée des trois cent mille hommes, soit dans l’affaire de la Rouërie ; peine de mort contre tous les prêtres réfractaires; peine de mort contre tous les fédéralistes qui se sont sauvés et qui sont réputés émigrés; peine de mort contre tous ceux qui recèleront, communiqueront, entretiendront des correspondances avec ces differents individus ; et les deux tiers des habitants de la campagne, peu instruits et fanatisés, ayant eu des baisons avec tel prêtre, tel noble, tel fédéraliste, tel brigand, ne voient qu’une mort assurée. Voila, chers collègues, voila la vraie cause des vingt, trente, cinquante assassins dans tel ou tel district. Citoyens, la Convention nationale seule peut faire cesser un tel ordre des choses, fondé sur la loi qui repousse invinciblement une multitude de citoyens égarés qui voudraient poser les armes et rentrer paisiblement dans leurs foyers. Votre comité de Salut public a pensé que rien aujourd’hui ne s’opposait à l’adoption d’une pareille mesure, aucunement contraire à la dignité nationale, et qu’elle ne peut qu’opérer les plus prompts et les plus heureux effets. En conséquence, il m’a chargé de vous proposer le décret suivant d’une proclamation rédigée sur ces bases. Carnot lit la proclamation (103). CARNOT (104) : Depuis deux ans vos contrées sont en proie aux horreurs de la guerre ; ces ch-mats fertiles que la nature sembloit avoir destinés pour être le séjour du bonheur, sont devenues des lieux de proscription et de carnage ; le courage des enfans de la patrie s’est tourné contre elle-même, sa flamme a dévoré les habitations, et la terre couverte de ruines et de cyprès, refuse à ceux qui survivent, les subsistances dont elle étoit prodigue. Tels sont, ô Français ! les plaies douloureuses qu’ont faites à la patrie l’orgueil et l’imposture ; les fourbes ont abusé de votre inexpérience, c’est au nom du ciel juste qu’ils armoient vos mains d’un fer parricide; c’est au nom de l’humanité qu’ils dévouoient à la mort des milliers de victimes ; c’est au nom de la vertu qu’ils attiroient chez vous les scélérats de toutes les parties de la France ; qu’ils faisoient de votre pays le réceptacle de tous les monstres vomis du sein des nations étrangères. 0 que de sang répandu pour quelques hommes qui vouloient dominer ! Et vous qu’ils ont (103) Moniteur, XXII, 644. Débats, n° 799, 1024-1025 ; J. Perlet, n° 799 ; Mess. Soir, n° 835. (104) C 327 (1), pl. 1433, p. 14 de la main de Carnot. Rép., n° 73. 368 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE égarés, pourquoi faut-il que vous ayez rejeté la lumière qui vous étoit offerte pour ne saisir qu’un fantôme cruel? Pourquoi faut-il que vous ayez préféré des maîtres à des frères, et les torches du fanatisme au flambeau de la raison ? Que vos yeux se désilent enfin, n’est-il pas temps de mettre un terme à tant de calamités ? Affoiblis par des pertes multiples, désunis, errant par bandes éparses, sans aucune ressource que celle du désespoir, il vous reste encore un asyle dans la générosité nationale. Oui, vos frères, le peuple français tout entièr veut vous croire plus égarés que coupables ; ses bras vous sont tendus, et la Convention nationale vous pardonne en son nom si vous posez les armes, si le repentir, si l’amitié sincère vous ramènent à lui. Sa parole est sacrée ; et si d’infidèles délégués ont abusé de sa confiance et de la vôtre, il en sera fait justice. Ainsi la République, terrible envers ses ennemis du dedans comme elle l’est envers ceux du dehors se plait à ralher ses enfans égarés ; profitez de sa clémence, hâtez-vous de rentrer au sein de la patrie ; les auteurs de tous nos maux sont ceux qui vous ont séduits ; il est tems que les ennemis de la France cessent de repaître leur yeux du spectacle de nos dissensions intestines, eux seuls, sourient à nos malheurs, eux seuls en profitent, il faut tourner contr’eux les armes qu’ils ont apportées chez vous pour notre destruction. Français n’appartenez-vous donc plus à ce peuple généreux? Les liens de la nature se sont-ils brisés entre nous ? et le sang des Anglais a-t-il passé dans vos veines? Massacrerez-vous les familles de vos frères vainqueurs de l’Europe ; plutôt que de vous unir pour partager leur gloire ? Non, l’éclair de la vérité a frappé vos regards ; déjà plusieurs d’entre vous sont rentrés, et la sécurité a été le prix de leur confiance. Revenez tous; que les foyers de chacun de vous deviennent sûrs et paisibles ; que l’abondance renaisse, que les champs se cultivent, que les communications se rétablissent. Ne songeons plus qu’à nous venger ensemble de l’ennemi commun, de cette nation implacable et jalouse, qui a lancé parmi nous les brandons de la discorde, que l’énergie républicaine se dirige toute entière contre ces violateurs des droits de tous les peuples; que tout s’anime dans nos ports, que l’Océan se couvre de corsaires, et qu’une guerre à mort passe enfin avec tous ses fléaux des bords de la Loire aux bords de la Tamise. LOFFICIAL: Sans doute, il est nécessaire d’accorder une amnistie aux habitants des bords de la Loire ; mais je ne crois pas que la proclamation qu’on vous propose soit suffisante. Les représentants du peuple de ces départements se sont réunis pour concerter des mesures que je crois pouvoir être très utiles. Je demande l’ajournement à demain, parce que dans cet intervalle mes collègues et moi nous présenterons au comité de Salut public, les plans qui nous avons concertés. CARNOT : Le comité s’empressera toujours de profiter des lumières qu’on lui communiquera. La proclamation qu’il vous propose en ce moment a été rédigée d’après les renseignements donnés dans la Vendée, et d’après le modèle fourni par une proclamation faite par Boursault, et qui obtient les plus heureux succès. Charles DELACROIX: Je crois qu’outre la proclamation, il faut un décret positif ; le rapport lui-même en a démontré la nécessité. La proclamation tend bien à réveiller des sentiments qui n’auraient jamais dû s’éteindre dans des cœurs français ; mais elle ne prouve rien de positif, rien de précis. Il faut surtout mitiger les lois trop sévères portées contre les rebelles qui ne sont qu’égarés. DELAUNAY : Les députés des départements de l’Ouest se sont réunis depuis quelque temps pour présenter les moyens de ramener l’ordre et la soumission aux lois dans ces départements ; ils ignoraient qu’il serait donné lecture aujourd’hui d’une proclamation. J’appuie l’ajournement demandé par Lofficial. La Convention ordonne l’ajournement à demain, et charge le comité de Salut public de présenter un projet de décret à la suite de la proclamation (105). La séance est levée à quatre heures (106). Signé , CLAUZEL, président, J. S. ROVÈRE, secrétaire. En vertu de la loi du 7 fructidor, l’an troisième de la République française une et indivisible. Signé, T. BERLIER, président ; GARRAN [-COULON], GOURDAN, J. POISSON, SOULIGNAC, DERAZEY, secrétaires (107). (105) Moniteur, XXII, 644. Rép., n° 72 ; Débats, n° 799, 1025 ; J. Fr., n° 797. Voir Archives Parlementaires, CII, 12 frim., 30. (106) P.-V., L, 233. Moniteur, XXII, 644. (107) P.-V., L, 233.