258 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 septembre 1791. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MARDI 6 SEPTEMBRE 1791. RAPPORT fait au nom du comité d'agriculture et du commerce, sur la JONCTION DU Rhône AU Rhin, par M. Regnauld d’Epercy, député du Jura (1). Messieurs, De tous les établissements qui existent, de tous ceux qui vous ont été proposés jusqu’à présent en faveur du commerce, tant intérieur qu’extérieur, du royaume, aucun ne vous paraîtra plus important que celui du canal de jonction du Rhône au Rhin. Votre comité d’agriculture et de commerce, auquel vous avez renvoyé l’examen des différents projets qui vous en ont été adressés par MM. La Chicbe et fiertrand, m’a chargé d’avoir l’honneur de vous en rendre compte. Ce canal dirigé par la Saône, le Doubs, l’Ha-leine, la Largue et 1*111 jusqu’à Strasbourg, avec une branche jusqu’à Huningue, ouvrira une communication de prés de 400 lieues entre Marseille et Amsterdam, par Arles , Beaucaire, Valence, Vienne , Lyon , Mâcon, Chalon , Saint-Jean-de-Losne, Dôle , Besançon, Montbéliard , Colmar, Strasbourg, Mayence, Cologne, etc. Il joinura aussi, non seulement Râle et Constance, mais Francfort et toutes les villes qui sont sur les affluents du Rhin ; de sorte qu’au moyen des canaux de Languedoc, de Charolais et de Bourgogne, qui s’y embranchent, on verra le centre ue la France, sa capitale, ses trois mers et ses quatre fleuves, communiquer librement entre eux et avec une grande partie de la Suisse, de l’Allemagne et des Pays-Ras. Sa direction, continue du sud au nord, est un avantage unique et le plus précieux que puisse avoir un canal aussi long; car, en parcourant ainsi des climats de plus en plus différents, il fournira une occasion perpétuelle de commerce et d’échange entre les productions les plus variées de l’art et de la nature. 11 invitera, il forcera même partout à en créer de nouvelles. Enfin, de tous les bords de la Méditerranée à ceux de la mer d’Allemagne (c’est presque dire d’un pôle à l’autre) il n’y aura aucune chmrée, marchandise ni richesse, quelque étrangère qu’elle soit, qui ne vienne s’échanger avec les nôtres, et faire un objet de commerce et d’entrepôt au milieu de notre continent; et, si le projet dont on s’occupe sérieusement en Souabe et en Ravière vient à se réaliser, la France aura par sa navigation intérieure un débouché dans toutes les mers qui environnent l’Europe; les départements du Rhin, ceux du Doubs, du Jura, de la Côte-d’Or, où se fera la croisée d’un parallèle et d’un méridien, seront aussi le centre qui liera ensemble les quatre mers et les quatre extrémités de l’Europe... Fut-il jamais d’idée plus grande, plus digne d’un peuple que sa régénération doit porter aux plus hautes destinées ! Une opération de cette importance aurait dû fixer depuis longtemps l’attention et les soins du gouvernement. En vain a-t-il été fatigué de sollicitations à cet égard, depuis le commencement de ce siècle ; en vain la possibilité et même la facilité de l’exécution ont-elles été mises sous ses yeux, soit par les académies, soit par les compagnies de commerce, à l'examen desquelles les projets en avaient été renvoyés, soit par les comptes rendus par les premiers président et intendant de la ci-devant province de Franche-Comté : tout a été inutile, mais rien en cela qui doive surprendre : un objet aussi éloigné de la capitale pouvait-il fixer assez fortement et assez longtemps l’attention d’un ministère sans cesse arrêté par le défaut de moyens pour les dépenses d’utilité publique, et toujours distrait par sa propre instabilité ? M. La Chiche, ancien chef de brigade au corps royal du génie, brigadier des armées, s’occupa, en 1744, de cette grande entreprise; en 1753, il la mit sous les yeux des ministres ; il avait reconnu la possibilité de joindre la rivière du Doubs et celle d’111, et en 1764 il en proposa l’exécution par le moyen d’un privilège et d’une compagnie; dès lors, il a renouvelé plusieurs fois ses sollicitations, en demandant au moins des secours pécuniaires pour travailler à cet intéressant projet, que sa fortune ne lui permettait pas de suivre ; mais toutes ses démarches ont été infructueuses : le ministre de la guerre n’ayant pas les canaux dans son département, le renvoyait à celui des finances, ne pouvant donner ni ordre ni commission à un ingénieur militaire, refusait le traitement ou les avances nécessaires pour ce travail, et apercevant trop d’inconvénients dans l’octroi d’un privilège de l’espèce, surtout pour une compagnie qui n’existait pas, il n’a jamais cru devoir l’accorder. La persévérance de M. La Chicbe a donc été infructueuseet pourluiet pour l’intérêt général; le gouvernement avait même entièrement perdu de vue toutes ses démarches, lorsqu’en 1773 l’académie et l’intendant de Resançon firent de nouvelles tentatives pour obtenir ce canal. Le 5 septembre de la même année, l’administration commit M. Ber-trand, alors ingénieur en chef en Franche-Comté, pour faire toutes les opérations relatives à cette navigation. Cette commission fut accordée d’autant plus facilement, qu’elle n’assurait aucun traitement particulier à cet ingénieur résidant sur les lieux. Dès lors, ce grand projet a cessé d’être une vaine spéculation; le nouvel ingénieur s’en est occupé sans relâche, avec zèle et désintéressement : depuis 1774, et dans presque toutes les années suivantes, il a rendu compte de ses travaux par des mémoires, des devis et des estimations préliminaires qui ont été successivement examinés et approuvés par les ministres; eu 1777, il fit imprimer séparément et à ses frais les plan et devis estimatif de la partie entre la Saône et le Doubs, parce que c’était celle qu’il fallait entreprendre la première ; puis, en 1779, il fournit au conseil une estimation plus détaillée du projet général : de nouvelles difficultés s’opposèrent alors à l’exécution de la partie du canal tracée, tant sur la ci-devant province de Franche-Comté, que sur celle . du duché de Rourgogne ; en 1780, ces difficultés furent levées par le ministre des finances, et le projet particulier du canal de Dôle fut adopté par les Eiats de Bourgogne qui y étaient intéressés pour un tiers de sa longueur; enfin, en 1783, le 25 septembre, il fut rendu un arrêt du conseil qui, renvoyant à des temps plus favorables l’entreprise générale de la navigation du Doubs et de sa jonction avec le Rhin, ordonna l’exécution de cette partie du canal, comme (1) Voir ci-dessus, page 3148. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 septembre 1791.] 259 faisant l’embouchure du canal de Franche-Comté, et en confia la direction au sieur Bertrand. L’adjudication en fut faite en 1784, pour 610, 000 livres ; les fonds à fournir annuellement par le Trésor royal, pour ce premier travail, étaient fixés à 100,000 livres; mais depuis 1786 ils ont été réduits à 50,000 livres, dont une partie a même été détournée pour une construction d’écluses à Gray sur la Saône; et c’est seulement dans le cours de cette année que le ministre de l’intérieur, pleinement convaincu de l’importance de la navigation, a fait reporter, sur l’état de dépenses des ponts et chaussées, le canal de Dôle pour une somme de 100,000 livres, de sorte qu’il s’agit moins aujourd’hui de former une nouvelle entreprise que de continuer un ouvrage déjà commencé, dont l’ancien gouvernement avait renvoyé la perfection à des temps plus favorables. Ces temps sont enfin arrivés ; la France, débarrassée de ses fers, doit se livrer, avec toute l’éner-ie que donne la liberté, aux grandes vues 'administration. Mais l’étendue du projet qui vous est présenté, les avantages immenses qu’il offre à la nation, pourront peut-être vous faire penser qu’il entraînera une dépense proportionnée : c’est sur quoi votre comité doit vous rassurer : vous serez étonnés d’apprendre que les canaux de Languedoc, de Briare, du Charolais et de Bourgogne ont coûté chacun, ou coûteront plus que celui qui vous est proposé. La grande utilité de ces canaux, leur longueur peuvent-elles cependant entrer en parallèle avec celui de jonction du Rhône et du Rhin? Suivant l’estimation fournie au conseil en 1779 par M. Bertrand, la dépense totale du canal ne devait pas excéder 10 millions de livres; sa longueur, à la prendre depuis Dôle où la navigation du Rhône va se trouver établie, jusqu’à Illfurt où celle d’Ill au Rhin est déjà praticable, est de 100,500 toises, dont 75,500 sur les deux départements du Jura et du Doubs, en suivant la rivière de ce nom, 7,000 sur la principauté de Montbéliard, en longeant la rivière d’Haleine, et 18,000 dans le département du Haut-Rhin, tant sur les ruisseaux de Montreux et de la Largue, que pour le point de partage intermédiaire. L’évaluation faite par M. Bertrand paraît même devoir excéder la valeur réelle des ouvrages; il n’a pu y apporter toute l’exactitude nécessaire, parce que, faute d’autorisation suffisante, faute surtout de négociation avec le prince de Montbéliard, il n’a pu faire qu’en masse les toisés et nivellements généraux, tant du canal que des rigoles nourricières, sans oser se permettre les sondes, profils et opérations de détail qui sont cependant indispensables pour fixer positivement le point de partage, c’est-à-dire la tête et la partie principale du canal, celle qu’il faut toujours entreprendre la première, et qui, tou ¬ jours, est la dernière achevée. Il est cependant une partie de ce canal dont les moyens d’exécution sont démontrés et arrêtés d’une manière à peu près certaine; les plans et nivellements en sont faits, et l’évaluation préliminaire se porte à 1,300,000 livres : c’est la navigation du Doubs jusqu’à Besançon, dans la longueur de 30,024 toises, et l’on pourrait, dès à présent, mettre cette partie en adjudication, et y établir des ateliers. Tel est, Messieurs, l’état de la navigation dont votre comité a l’honneur de vous entretenir, tel est le résultat des mémoires et projets qui vous ont été adressés par MM. La Chiche et Bertrand ; celui-ci vous rend compte des opérations auxquelles il a procédé par ordre du gouvernement; il vous soumet ses plans et devis, il vous représente la nécessité de porter la dernière main à cette grande entreprise, que l’intérêt national sollicite de votre zèle puur le bonheur du peuplé français. Le premier vous offre également le résultat de ses travaux; il vous fait une peinture touchante des obstacles sans cesse renaissants que son zèle a éprouvés ; il attribue à ce même zèle la perte de son état, une retraite forcée qui l’a dépouillé du grade de maréchal de camp, auquel ses services lui donnaient droit de prétendre (1); il sollicite en sa faveur le droit de priorité et d’invention de cette entreprise en général; enfin il prétend que le tracé qu’il indique, et les moyens d’exécution qu’il propose, sont les seuls et les meilleurs à suivre : en conséquence, cet officier demande que la direction du' projet lui soit confiée au moins depuis Dôle jusqu’au Rhin, et que les départements riverains soient autorisés à les discuter avec lui le plus tôt possible. Votre comité ne s’arrêtera pas à discuter les prétentions de M. La Chiche, à vous en présenter tous les inconvénients; il se contentera de vous observer qu’elles sont proscrites par la loi du 19 janvier dernier sur l’organisation des ponts et chaussées; et c’est en conformité de cette loi qu’il a soumis à l’examen d’une commission mixte, composée de commissaires de l’assemblée des ponts et chaussées et d’officiers du corps du génie militaire, les mémoires, plans, projets et devis présentés par MM. La Chiche et Bertrand. Cette commission a rendu compte à votre comité, le 28 juin dernier, du résultat de son travail, et je vais avoir l’honneur de vous le soumettre. Les avantages que produira le canal projeté lui ont paru démontrés, soit que l’on considère la grande communication qu’il procurera sous le point de vue militaire, soit dans ses rapports avec le commerce national et étranger. Les commissaires estiment que l’on ne peut concevoir dans l’étendue de la France, et même de l’Europe, une entreprise d’une utilité plus générale, et que le canal du Languedoc, dont on célèbre avec raison les avantages, ne peut lui être comparé ; Que le canal du Rhône au Rhin communiquerait de Marseille, où arrivent toutes les productions du Levant et du Midi, à Amsterdam, qui est le magasin de celles du Nord; que, par cette voie, elles seraient transportées de l’un à l’autre de ces deux grands entrepôts, sans courir aucun hasard, sans éprouver les retards, les avaries auxquels elles sont maintenant exposées, en traversant deux détroits dangereux et des mers orageuses ; Que les bois de construction et de mâture des forêts du Jura et des Vosges arriveront par l’intérieur de la France à Toulon, à Nantes et au Havre, et qu’avec peu de dépense, on pourra, en temps de guerre comme en temps de paix, en approvisionner les ports; Que les marchandises et les denrées qui circuleront par cette voie ne fatigueront plus nos routes, dont l’entretien sera moins dispendieux, et qu’elle rendra à l’agriculture et aux autres (1) Depuis la rédaction des mémoires de M. La Chiche, cet officier a été rappelé au grade de maréchal de camp. 260 [Assemblée nationale.] besoins de la société une grande quantité d’hommes et d’animaux actuellement employés aux transports par terre; Que si l’on considère ce projet relativement à la défense de l’Etat, ce canal, ayant généralement son cours sur le territoire de la France, et une partie se trouvant parallèle aux frontières, ne peut que présenter un obstacle aux invasions de l’ennemi : ses communications avec l’intérieur et le pourtour du royaume procureront l’avantage, que l’on ne peut trop apprécier militairement, de faire passer de tout l’intérieur du royaume, avec autant de secret que d’abondance et de célérité, des troupes, des vivres et des munitions dans toutes les parties qui pourraient en avoir besoin, surtout si l’on exécutait, en suivant la Zurue et la Sarre, un canal de communication entre le Rhin et la Moselle, ce qui est reconnu possible et très avantageux. Ce projet a encore paru aux commissaires d’un grand intérêt militaire, relativement à l’établissement d’artillerie qu’il est nécessaire de maintenir à Besançon, par préférence sur Auxonne : 1° parce que Besançon jouira très incessamment, à l’égard des communications navigables de l’intérieur, des mêmes avantages qu’Auxonne, le canal de Dole à Samt-Jean-de-Losne étant presque achevé, et les moyens de navigation de Dôle à Besançon par le Doiibs étant prévus et d’une très facile exécution ; 2° parce que les monts Jura fournissent aux corps de l’artillerie des recrues très nombreuses et de la meilleure espèce. Et cette source précieuse serait exposée à tarir dès le moment que ce genre d’émulation ne serait plus soutenu par la préférence d’un régiment d’artillerie, et par le spectacle animant de son écoler et de ses manœuvres. Il serait trop long, Messieurs, de vous faire l’énumération de tous les avantages que présente le rapport des commissaires dans l’exécution entière du projet soumis à votre décision : la facilité de cette exécution leur a également paru évidente. Par une circonstance locale infiniment heureuse, il se trouve au Val-Dieu un abaissement entre les montagnes du Jura et des Vosges : c’est par ce passage que sera établi le point de partage des eaux du canal ; et, quelque considérable que puisse devenir la quantité d’eau nécessaire à la navigation, il sera très facile de l’y amener, de sorte que ce partage qui, dans tous les projets de ce genre, présente toujours de grandes difficultés, en offre peu dans celui-ci, et paraît indiqué par la nature pour cette destination. Votre comité ne vous rendra pas compte du vœu particulier des départements de la Côte-d’Or, du Jura, du Doubs, du Haut et du Bas-Rhin, qui vous conjurent de prononcer sur cette entreprise majeure, parce que, le vœu de ces départements étant le vœu général, il ne doit pas vous être présenté d’une manière isolée. Rappelez-vous, Messieurs, l’intérêt national qui vous commande impérieusement de faire jouir l’Empire français des bienfaits de la liberté, en procurant les ressources honnêtes du travail et de l’industrie à tous ceux que la Révolution a privés de leur premier état : ne leur laissez pas regretter les fausses et perfides douceurs de l’esclavage. Quelle nouvelle gloire pour vous, si, dès la première session, triomphant à peine des plus terribles orages et des plus grands embarras, tant en politique qu’en finances, on vous voit déjà fonder un pareil monument de splendeur [6 septembre 1791.] et de richesses nouvelles, non seulement pour votre patrie, mais encore pour toute l’Europe étonnée et jalouse d’une aussi brillante renaissance!... Nos voisins, forcés de nous admirer, et bientôt de nous imiter, accepteront ce nouveau lien civil que nous leur offrirons, comme le gage et le garant du pacte moral par lequel vous désirez faire une seule famille de tous les hommes et de toutes les nations. Votre comité se réunit avec plaisir aux commissaires qui ont donné leur avis sur les mémoires et projets fournis par MM. La Chiche et Bertrand, pour rendre hommage aux vertus et au zèle de ces deux citoyens. Le premier, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, n’a cessé, depuis 1744, de suivre cette grande idée : il a fait des sacrifices de tous les gen es, et particulièrement d’une partie de sa fortune; la nation doit l’en dédommager, puisque ces sacrifices ont été faits à V utilité publique (1). Le second mérite également la reconnaissance de la nation: c’est par ordre du gouvernement qu’il a travaillé à cet important projet de navigation; mais il n’a reçu aucune augmentation de traitement, et ses appointements n’ont pas suffi aux dépenses qu’il lui a occasionnées; il a déjà fait un travail immense : toute son ambition a été d’être utile à l’Etat; le plus grand prix qu’il y attache est de mériter l’approbation de l’Assemblée nationale, et de concourir à perfectionner une entreprise qui doit assurer à la France une nouvelle source de prospérité et de richesses. En résumant les motifs qui sont la base de l’avis de la commission, et qui ont déterminé le projet de décret que votre comité m'a chargé d’avoir l’honneur de vous présenter, je vous rappellerai, Messieurs, le plus brièvement possible, les raisons qui doivent vous engager à l’adopter. L’utilité générale de ce canal ne peut être mise en doute, la facilité de son exécution est évidemment démontrée ; la dépense qu’il occasionnera, comparée aux avantages immenses qu’il procurera au commerce et à l’industrie, ne peut faire balancer un moment les représentants d’une nation commerçante, agricole et industrieuse ; il est de leur devoir le plus strict de lui fournir tous les moyens d’augmenter ses branches de commerce, et de lui ouvrir toutes les routes qui peuvent la rendre florissante. Ge canal coûtera au plus 10 millions de livres y compris les indemnités aux propriétaires des terrains que l’on sera obligé d’y employer : celui de Bourgogne, pour la partie qui traverse la ci-devant généralité de Paris, et qui serait beaucoup moins important sans celui-ci, doit coûter en totalité au moins 22 millions de livres. Déjà une partie de cette grande navigation est commencée, et presque achevée, entre Dôle et Saint-Jean-de-Losne, et par suite de Saint-Jean-de-Losne à Dijon pour joindre la Saône à la Seine par le grand canal de Bourgogne ; tous ces ouvrages resteraient presque sans utilité, si le projet général restait sans exécution. La commission ainsi que votre comité ont reconnu qu’avant d’entreprendre la navigation du Doubsjusqu’au Rhin par les rivières intermédiaires, il restait encore quelques opérations préliminaires à faire surtout dans la partie au delà de Besançon, et notamment encore dans (1) Article Ier du titre 1er de la loi du 22 août 1790, concernant les pensions, etc. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 261 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 septembre 1791.] les 7,U00 toises qui traversent le pays de Montbéliard, opération que l’ingénieur n’a pu faire, faute des négociations nécessaires avec le prince de Montbéliard ; et qui d’autre part peuvent encore être devenues indispensables par les changements qui ont pu s’opérer depuis la levée des plans faite en 1779. Ces nouvelles opérations pourront coûter environ 20,000 livres. Les résultats avantageux et économiques qu’elles doivent produire n’ont pas fait hésiter votre comité à vous les proposer d’après l’avis de la commission, qui les a regardées comme d’une nécessité absolue. Il me reste encore un mot à dire sur la demande faite par M. La Chiche de lui confier la direction du travail. Votre comité rend justice à son zèle ; mais vous avez déjà rejeté sa proposition par la loi du 19 janvier dernier, et, quand même cette loi n’aurait pas été portée, comment pourrait-on confier à un particulier isolé la conduite d’un ouvrage aussi important ? Quelques talents qu’on lui suppose, quelque connaissance qu’il ait du local, ils disparaîtront avec lui, et son âge avancé ne lui permet pas, d’ailleurs, l’espoir de voir la fin de cette entreprise : aussi il ne peut exister aucune difficulté sur cet objet, et votre comité croit les avoir toutes enlevées en vous proposant d’accorder à M. La Chiche une indemnité qui lui a paru juste. D’après cette loi du 19 janvier, peut-on renvoyer à d’autre qu’à l’administration centrale des pouts et chaussées l'exécution du projet? C’est un inspecteur qui en est l’auteur ; ce projet est le seul reconnu praticable par la commission .- celui de M. La Chiche, au contraire, suivant cette même commission, est opposé à toutes les règles de la navigation ; il rendrait celle du Doubs impraticable, excepté dans les crues d’eaux ; il est destructeur des usines qui existent sur cette rivière, et qui font la richesse de cette contrée ; il augmenterait considérablement la dépense, soit par la suppression de celles qui appartiennent à la nation, soit par les indemnités qui seraient dues aux propriétaires des autres. Personne enfin ne peut mieux que cet inspecteur, qui en a fait tous les détails, perfectionner ce projet, et en suivre l’exécution, sauf à examiner dans une assemblée mixte des ponts et chaussées et du génie militaire les parties d’ouvrages qui pourront intéresser la sûreté des places et celle des frontières. Votre comité doit encore vous faire observer, en terminant ce rapport, que la dépense de ce canal sera encore infiniment moindre par l’aug mentation réelle qu’il donnera aux domaines nationaux dans les départements qu’il traversera : la certitude seule de voir enfin terminer cet important ouvrage fera naître des spéculations de tout genre. Les établissements religieux occupent des emplacements vastes, commodes et propres à des manufactures et aux magasins qu’exigerait un commerce plus étendu qu’il ne l’a été jusqu’à présent dans ces départements. Cette navigation une fois décrétée, les nouvelles spéculations commerciales rendront ces emplacements infiniment intéressants, doubleront et peut-être tripleront l’aperçu de leur valeur, de sorte que, par l’aug-mentatinn du prix de ces domaines nationaux, le Trésor public recouvrera une grande partie des avances que cet établissement doit coûter. Ce serait abuser de vos moments, Messieurs, ce serait ne pas vouloir connaître votre patriotisme, que de s’attacher davantage à vous démonirer que l’intérêt de la nation entière exige que vous ne tardiez pas plus longtemps à la faire jouir des avantages que cet établissement procurera à son commerce, tant intérieur qu’extérieur. Vous ne laisserez pas à vos successeurs l’avantage d’élever un tel monument à la gloire et à la prospérité des Français. Par ces considérations, j’ai l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d’agriculture et de commerce, décrète ce qui suit : « Art. 1er. Les travaux commencés pour établir le canal de jonction du Rhône au Rhin, dans la partie entre la Saône et le Doubs, depuis Dole à Saint-Symphorien, au-dessus de la ville de Saint-Jean-'de-Losne, seront continués jusqu’à leur entière perfection, en conformité et aux termes de l’arrêt du conseil du 25 septembre 1783. « Art. 2. Le surplus dudit canal par les rivières du Doubs, de l’Haleine, la Largue et d’IU, avec une branche pour joindre le Haut-Rhin, depuis Mulhausen jusqu’à Bâle, par Huningue, sera entrepris aux frais de la nation, d’après les plans et devis commencés par le sieur Bertrand, inspecteur général des ponts et chaussées, ensuite des ordres à lui adressés par le gouvernement, le 5 septembre 1773 ; sauf, néanmoins, les corrections et changements qui pourront être jugés nécessaires. « Art. 3. Attendu que lesdits plans et devis n’ont pu être faits avec toute la précision nécessaire dans toute l’étendue dudit canal, dont une partie doit traverser les Etats du prince-comte de Montbéliard, en suivant la rivière de l’Haleine sur une longueur totale d’environ 7,000 toises, il lui sera fait fonds par la trésorerie nationale, sous la responsabilité du ministre de l’intérieur, d’une somme de 20,000 livres pour l’entière exécution du projet général de ladite navigation, et le roi sera prié de donner les ordres nécessaires pour entamer et suivre toutes négociations avec le prince-comte de Montbéliard, pour que ladite partie du canal soit comprise dans le projet général de jonction, et que la liberté du commerce et du transmarchement y soit réciproquement assurée. « Art. 4. Le devis et détail estimatif des ouvrages à faire successivement par parties et en différents endroits dudit canal sera présenté par l’administration des ponts et chaussées à l’Assemblée nationale législative, qui déterminera chaque année les fonds à y employer. « Art. 5. En ce qui concerne les parties d’ouvrages dépendant dudit canal, qui pourront intéresser la sûreté des places ou celle des frontières, les projets en seront examinés dans une assemblée mixte des ponts et chaussées et du génie militaire, pour le résultat de cet examen, porté aux comités militaire et des ponts et chaussées de l’Assemblée nationale, et, sur le rapport desdits comités, être statué ce qu’il appartiendra. « Art. 6. Ce canal sera dénommé Canal du Rhône au Rhin. « Art. 7. L’Assemblée nationale charge son président de témoigner aux sieurs La Chiche et Bertrand la satisfaction de l’Assemblée, de leur zèle à avoir suivi un projet aussi important, et attendu que le sieur La Chiche a fait de grands frais pour se procurer les connaissances nécessaires à la perfection de cette entreprise, il lui sera payé, en vertu du présent décret, par la