SÉANCE DU 13 VENDÉMIAIRE AN III (4 OCTOBRE 1794) - N° 50 285 cette commune peut se tracer en deux mots, qui sont la clef de toutes leurs opérations. Les immenses richesses avoient corrompu ceux qui les avoient acquises, elles ont dépravé ceux qui s’en sont attribué la conquête. Que justice soit faite des fripons ; que le peu qui reste échappe à leur espoir, et l'ordre y renaîtra infailliblement. Insertion au bulletin (70). [Charlier et Pocholle, représentants du peuple, envoyés à Commune-Affranchie et dans le département de Rhône-et-Loire, au comité de Salut public, le 10 vendémiaire an III] (71) Citoyens collègues, le citoyen auquel nous avions confié le soin de conduire devant vous le nommé Degrosse vient de nous rendre compte de sa mission. Nous avons appris avec peine que vos immenses occupations ne vous avaient pas permis de recueillir de lui les renseignements qu’il devait vous donner sur la conduite et le caractère de cet individu. Au reste la lettre que nous vous avons écrite à ce sujet, l’interrogatoire que nous lui avons fait subir et toutes les pièces que nous vous avons transmises, vous démontreront assez quels étaient les projets de ce soit disant général, et sous quel étendard il était réellement rangé. Nous tenons ici un autre fourbe à peu près dans le même genre. Degrosse, sous le nom de général français, servait les émigrés dont il était l’agent; et celui dont nous vous parlons, sous le titre emprunté de major nous paraît avoir été dans Commune-Affranchie l’instrument d’une faction non moins dangereuse que l’aristocratie de Coblentz. Il fut arrête dans la nuit du... par les postes de cette commune. Il avait déjà fait la ronde de plusieurs, et, à l’aide de son prétendu garde, revêtu d’un hausse-col, enveloppé d’un manteau, et armé d’un sabre, il avait réussi à en détacher une partie de volontaires dont il se faisait suivre. Nous l’avons interrogé le lendemain. C’est un ancien commissaire de section, un de ceux que nos collègues Reverchon et Laporte ont remplacés, et qui comme beaucoup d’autres, regrettent sans doute amèrement les pouvoirs dont ils s’étaient revêtus. Quoiqu’il nous ait déclaré qu’il n’avait eu aucune mauvaise intention en usurpant un titre et en remplissant des fonctions qu’aucune autorité ne lui avait déléguées, nous ne pouvons ajouter foi à ses magnifiques protestations ; nous pensons que son but était de favoriser un mouvement, à l’aide duquel le nommé Berger, que nous vous avons envoyé et qui devait partir cette nuit même, se serait échappé de la maison où il était détenu. Une sorte de rapprochement et les relations habituelles de ces individus confirment nos (70) P.-V., XL VI, 271-272. (71) Moniteur, XXII, 151-152; Débats, n" 744, 218-219 Bull., 14 vend, (suppl. 2); Ann. R. F., n“ 13; C. Eg., n“ 777 F. de la Républ., n 14; J. Paris, n° 14; Mess. Soir, n° 777 M. U., XLIV, 245-246; Rép., n” 15. conjectures. Nous n’avons encore pris à son égard d’autres mesures que celle de l’arrestation. Nous vous invitons à nous dire ce que nous en devons faire; son nom est Dutel. Si vous croyez qu’il doive être envoyé au tribunal, il partira de suite. Nous sommes à la recherche de ceux qui lui avaient conseillé un rôle qui lui a si mal réussi. Leur parti est nombreux, mais nous faisons tous nos efforts pour en découvrir les chefs et pour réduire les subalternes à l’impuissance. L’histoire de cette commune peut se tracer en deux mots, et ces deux mots doivent être la clef de toutes nos opérations : les immenses richesses avaient corrompu ceux qui les avaient acquises ; elles ont dépravé ceux qui s’en sont attribué la conquête. Que justice soit faite des fripons ; que le peu qui reste échappe à leur espoir, et l’ordre y renaîtra infailliblement. Signé : L.-J. Charlier et Pocholle. 50 Un secrétaire fait lecture d’une adresse des membres du conseil-général de Commune-Affranchie [Rhône], par laquelle ils disent que, lorsque la République eut triomphé des royalistes sous les murs de Lyon, Précy et ses satellites avoient disparu, et les restes impurs du fédéralisme étoient tombés sous le glaive de la loi ; mais que le génie impie de la domination veilloit encore, pour le malheur de cette cité, que Robespierre et Couthon avoient choisie pour un des principaux foyers de la rébellion qu’ils tramoient contre la souveraineté du peuple. Tandis que leurs concitoyens es-sayoient de rappeler la sollicitude de la Convention nationale et juroient de faire oublier leurs fautes à force de vertus, un nouveau genre de persécution s’établissoit sous le masque hypocrite du patriotisme. Vous avez, législateurs, disent-ils, fait votre révolution le 9 thermidor, sauvez aussi Commune-Affranchie ; soyez aussi généreux que la vengeance nationale a été sévère; rendez à cette commune ses liaisons commerciales; rendez-lui son ancien lustre avec son nom : votre clémence donnera une nouvelle vie à cent mille individus. Ils terminent par inviter la Convention nationale à rester à son poste jusqu’à ce que la République soit assise sur des bases inébranlables, et jurent de poursuivre sans relâche les aristocrates, les intrigans, les désorga-nisateurs, les dUapidateurs, les amis de Robespierre et Couthon, et de ne connoître que la Convention nationale et la République une, indivisible et démocratique. Mention honorable, insertion au bulletin (72). (72) P.-V., XLVI, 272-273. Ann. R. F., n“ 13 ; C. Eg., n" 777 ; F. de la Républ., n° 14; J. Paris, n° 14; Mess. Soir, n 777; Rép., n° 15. 286 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE [Le conseil général de Commune-Affranchie à la Convention nationale, le 9 vendémiaire au III] (73) Egalité Liberté Citoyens représentons La république avoit triomphé des royalistes sous les murs de Lyon. Précy et ses satellites avaient disparu : et les restes impurs du fédéralisme étoient tombés sous le glaive de la loi. Mais le génie impie de la domination veilloit encore pour le malheur de cette cité. Robespierre et Cou-thon l’avoient choisie pour un des principaux foyers de la révolution qu’ils méditoient contre la souveraineté du Peuple ; et tandis que nos concitoyens essayoient de rappeller votre sollicitude et juroient de vous faire oublier leurs fautes à force de vertus, un nouveau genre de persécution s’éta-blissoit à Commune-Affranchie sous le masque hypocrite et trompeur du patriotisme. Telle a été notre position jusqu’au neuf thermidor. A cette époque, citoyens représentans, vous avez fait votre révolution, vous vous êtes montrés les dignes mandataires du Peuple fran-çois. Votre mâle énergie a déjoué tous les complots liberticides. Vous avez encore une fois sauvé la république. Eh bien, citoyens représentans, sauvez aussi la grande commune dont nous sommes les organes. Soyez aussi généreux que la vengeance nationale a été sévère ; effacez jusqu’à la dernière trace de la colère; rendez à cette cité malheureuse ses baisons commerciales avec la République ; rendez-lui son ancien lustre avec son nom. Votre clémence donnera une nouvelle vie à cent mille individus qui, rentrant dans la famille commune, en seront les plus fermes appuis; et tandis que les pères embrasseront avec reconnoissance l’autel de la Patrie, les en-fans iront verser leur sang pour sa défense. Il nous reste encore un voeu à exprimer, citoyens représentans, c’est celui de tous les républicains. Achevez votre ouvrage; restez à votre poste; le bonheur du Peuple l’exige impérieusement ; restez-y jusqu’à ce que la République soit assise sur des bases inébranlables. Pour nous, magistrats du peuple, placés plus près de lui, témoins chaque jour de ses vertus et de son ardent amour pour la Répubbque, nous jurons en son nom et entre vos mains, citoyens représentans, de poursuivre sans relâche les aristocrates, les intrigans, les désorganisateurs, les dilapidateurs du bien de la Répubbque, les amis de Robespierre et de Couthon, tous ces hommes pervers qui, voulant régner par la terreur, n’auroient laissé sur le sol de la liberté que des cadavres et des ruines ; nous jurons, et notre serment ne sera pas vain, de ne fléchir devant aucun homme, devant aucune réputation, de ne connoître que la Convention nationale et la Répubbque une, indivisible et démocratique. Vive la répubbque! Vive la Convention! Suivi d’une demi-page de signatures. (73) C 321, pl. 1345, p. 7. Moniteur, XXII, 152 ; Débats, n“ 744, 220-221. 51 Un membre [FOUCHÉ] observe que la masse des citoyens de Commune-Affranchie est aujourd’hui pure, mais qu’il existe encore 400 brigands qui s’engraissent de la fortune publique, exercent un infâme agiotage et discréditent nos assignats; il demande que les brigands et dilapidateurs soient mis en état d’arrestation. Un autre membre appuie cette proposition, mais dit qu’il suffit d’en mettre seulement vingt-cinq en arrestation; il offre d’en donner la liste. Ces propositions sont renvoyées au comité de Sûreté générale (74). FOUCHÉ (de Nantes) : Il y a déjà longtemps que j’ai demandé que la Convention nationale décrétât que Commune-Affranchie n’est plus en état de rébellion, mais il est des mesures préalables à remplir. Quatre ou cinq cents brigands dominent encore cette cité, et la révolte s’est réfugiée dans leurs coeurs; si vous rendiez le décret qu’on vous demande sans des mesures préalables, il tournerait tout entier au profit d’une poignée d’intrigants ; car, n’en doutez pas, ils se comptent pour tout, et le peuple pour rien. Qu’avez-vous fait jusqu’à ce jour contre les voleurs? Rien. Ils promènent cependant une tête audacieuse dans toute l’étendue de la répubbque, et leur impunité vous brave jusque dans le sanctuaire des lois. Vous semblez reculer devant leur tréteaux; vous ne saisissez que d’une main tremblante la massue qui doit les écraser. Soyez forts, citoyens; soyez d’une sévérité inflexible contre la faction des brigands; elle est la plus dangereuse et la plus exécrable de toutes. Arrachez lui jusqu’à l’espérance, si vous voulez rétablir la sécurité de la justice dans les âmes, si vous voulez satisfaire promptement les coeurs qui se montrent avides de recréer les moyens du commerce et de lui donner toute sa force et sa puissance. C’est en vain qu’on pourrait espérer d’obtenir cet avantage si nécessaire à la répubbque, si on laissait plus longtemps impunie cette horde de dilapidateurs qui menacent la vertu et le courage de l’industrie répubbcaine qui les a dénoncés à l’opinion pubbque, et qui craint justement que, dans une réaction possible, elle soit de nouveau immolée à leur rage et à leur vengeance. Je demande donc, citoyens, que tous les dépositaires des deniers publics qui n’ont rendu aucun compte soient mis sur le champ en état d’arrestation; ils sont intéressés au désordre; vous ne devez pas balancer à exercer contre eux cette mesure commandée par le salut public. Je propose qu’une commission extraordinaire soit chargée de les poursuivre et de les faire punir. Je demande qu’ensuite vous décrétiez que Commune-Affranchie n’est plus en état de rébellion. REVERCHON : J’appuie la proposition de Fouché; mais je demande que provisoirement (74) P.-V., XL VI, 273.