ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Igg [Assemblée nationale.] Messieurs, si je croyais pouvoir bien remplir la place à laquelle vous m’avez nommé, je la prendrais avec transport ; mais, Messieurs, je serais indigne de vos bontés si je l’acceptais, sachant combien j’v suis peu propre. Trouvez donc bon, Messieurs, que je la refuse, et ne voyez dans ce refus que la preuve indubitable que je sacrifierai toujours mon intérêt personnel au bien de l’Etat. IJe suite, M. le duc d’Orléans a invité l’Assemblée à se former en bureaux sur-le-champ, et à procéder à un nouveau scrutin pour l’élection d’un nouveau président. L’Assemblée s’étant formée en bureaux, et ayant procédé à un nouveau scrutin, M. le duc d’Orléans a rendu compte de sa véritication : il en est résulté que M. l’archevêque de Vienne était nommé président de l’Assemblée nationale. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN, archevêque de Vienne. M. l’archevêque de l'ienne a pris séance à la place du président, et a dit: Une bouche plus éloquente que la mienne n’exprimerait pas dans ce moment les sentiments qui pressent mon cœur; elle n’égalerait pas le prix de l’honneur que je reçois. La carrière que j’ai parcourue ne me promettait . pas, vers son déclin, un événement aussi glorieux. Que me laisse-t-il à désirer? De m’enseve-. lir, Messieurs, dans mes triomphes, et de porter mes derniers regards sur l’heureuse restauration de notre commune patrie. M. le marquis de Saint-Mexin, député de la sénéchaussée de Guéret, ayant remis sur le bureau le procès-verbal de son élection, cette élection a été reconnue régulière. MM. le marquis de Gairon, de Bouville, le marquis de Tiboulot, députés de la noblesse du pays de Gaux, ont remis leurs pouvoirs sur le bureau, avec une déclaration relative à la teneur de leur mandat. Rapport fait de leurs pouvoirs, l’Assemblée les a reconnus légitimes. Quant aux déclarations, elle a arrêté qu’elles demeureraient entre les mains des secrétaires, pour y être statué en même temps que sur les précédentes. M. le Président a rendu compte du scrutin concernant l’élection des six secrétaires. 11 en est résulté que les secrétaires élus à la pluralité des voix ont été: MM. Grégoire, Mounier, le comte Lally-Tollendal, le Chapelier, l’abbé Siéyès, le comte de Clermont-Tonnerre. Les nouveaux secrétaires ont pris place au bureau, à l’exception de M. le comte de Lally-Tollendal, absent pour cause d’indisposition. M. le duc de la I&ochefoucauld fait la motion d’envoyer une députation à M, Bailly, pour le remercier de la manière vraiment distinguée dont il a rempli ses fonctions. M. l’archevêque de Bordeaux appuie cette motion, qui est soutenue par les applaudissements de toute l’Assemblée, et unanimement adoptée. M. Prieur recommence son rapport sur la députation de Saint-Domingue. Cette affaire, qui avait été interrompue par les circonstances, est remise en délibération. M. le comte de Mirabeau. Je me renfermerai dans la seule question que nous ayons à exa-| [3 juillet 1789.] miner, j’entends la détermination du nombre des députés de Saint-Domingue. J’observerai cependant que nous aurions dû d’abord examiner, et avant de la juger, la question de savoir: s’il faut admettre les représentants des colonies. On aurait pu dire sur celte question : les colonies n’ont jamais assisté par représentants aux Etats généraux ; elles n’y devaient donc paraître que sur la convocation du Roi. Or, leurs députés paraissent contre cette convocation et malgré les ordres du Roi. Ce n’est pas là sans doute une raison pour les exclure, mais c’en est une invincible pour qu’ils ne puissent être admis qu’en vertu d'un acte du pouvoir législatif, lequel a incontestablement besoin de la sanction du Roi. Mais les députés de3 colonies ont été admis ..... (1) J’observerai encore qu’on a entièrement passé sous silence cette seconde et importante ques-tion : L’élection des députés des colonies est-elle valide , et leurs pouvoirs sont-ils en bonne forme ? Enfin, on n’a pas même essayé d’expliquer pourquoi les hommes de couleur, libres, propriétaires, contribuant aux charges publiques, n’avaient pas même été électeurs, et n’étaient pas représentés. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit à présent, c’est seulement de savoir quel nombre de députés doit être admis. Je prierai d’abord de m’expliquer sur quel principe on se fonde pour la proportion de la députation des colonies. Les colons prétendent que la proportion de leurs représentants doit être en raison des habitants de l’île, des richesses qu’elle produit, et de ses rapports commerciaux; mais 1° je rappelle ce dilemme irréptiquable : Les colonies prétendent-elles ranger leurs nègres et leurs gens de couleur dans la classe des hommes ou dans celle des bêtes de somme ? Mais i les gens de couleur sont libres, propriétaires et contribuables, et cependant ils n’ont pu être électeurs. Si les colons veulent que les nègres et les gens de couleur soient hommes, qu’ils affranchissent les premiers; que tous soient électeurs, que tous puissent être élus. Dans le cas contraire, nous les prierons d’observer qu’en proportionnant le nombre des députés à la population de la France, nous n’avons pas pris en considération la quantité de nos chevaux ni de nos mulets ; qu’ainsi la prétention des colonies d’avoir vingt représen-! tants est absolument dérisoire. 2° J’observe ensuite qu’on s’en est tenu à ces, généralités vides de principes et de sens, à vanter ce que nous rapporte la colonie de Sainl-Domin-! gue par sa balance du commerce, les 600 millions mis en circulation par elle, les 500 vaisseaux et ! les 20,000 matelots qu’elle occupe, etc., etc. Ainsi, l’on n’a pas même daigné se souvenir qu’il est démontré aujourd’hui que les résultats des prétendues balances de commerce sont entièrement fautifs et insignifiants ; que les colonies, fussent-elles d’une utilité aussi incontestable que l’ont nié et que le nient les meilleurs esprits, les têtes les plus fortes qui se soient occupées de ces matières, il est impossible de concevoir pourquoi elles réclameraient d’autres (1) Ils l’avaient été provisoirement dans la séance tenue au Jeu do Paume. [Assemblée naiionale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 juillet 1789.] 137 principes pour la proportion de leurs représentants, que ceux qui ont servi à la fixation de cette proportion dans toutes les provinces du royaume. En effet, ie supplie MM. les diserts proclama-teurs des 600 millions mis dans la circulation par le commerce de celte colonie, je les supplie de ine dire s’ils ont calculé la quantité de millions que met en circulation la manufacture appelée le labourage, par exemple, et pourquoi, d’après leurs principes, ils ne réclament pas pour les laboureurs un nombre de représentants proportionné à cette circulation ? Je les supplie de me dire pourquoi,, dans leurs principes, Nantes, Bordeaux, Marseille ne demanderaient pas à fixer le nombre de leurs députés d’après les millions sans nombre que leur commerce met dans la circulation? Je les supplie de me dire pourquoi, toujours dans leurs principes, Paris qui n’est point, qui ne peut pas être, qui ne sera jamais 'une ville de commerce, a quarante députés, etc. Le nombre des députés des colonies doit être proportionné au nombre des électeurs et éligibles colons. Or, ce dernier nombre est tel que mon avis est que celui des députés doit être réduit à quatre. M. le marquis de Sillery parle en faveur de la députation déjà envoyée. Il fait un tableau de cette colonie ; il la présente comme susceptible d’améliorations et de grandes augmentations. 11 ajoute que les grands avantages que le royaume en retirait, que l’intérêt du commerce exigeait qu’on ne suivît pas rigoureusement les principes envers cette colonie, dont la députation devait être fixée d’après d’autres bases que celles qui avaient fixé les députations des différentes provinces de la mère-patrie. Il conclut à ce qu’on accorde à Saint-Domingue une députation com-jposée de vingt membres. M. Bouche. Je demande la permission de réfuter M. de Sillery. J’ai appris que la députation jde Saint-Domingue n’a été envoyée que par ! 23,533 blancs, qui seuls avaient formé les assemblées ; il paraît étrange que les députés de cette colonie, qui n’avaient à représenter que 23,000 âmes, demandent une députation de 20 représentants. Il paraît très-juste, très-conforme aux principes, d’accorder à cette colonie une députation de quatre membres qui auront voix délibérative ; mais ces quatre députés doivent être pris, non Ipas parmi ces riches propriétaires qui consomment dans la capitable les fruits douloureux de la sueur de l’esclavage et de la misère; qui, loin de ce nouveau continent, en recueillent les richesses sans en connaître le climat, les usages, j les ressources et les mœurs, mais parmi les véritables colons, parmi ces habitants de Saint-Domingue, que la colonie a nommés ses députés, et oui ont traversé les mers pour venir s’acquitter des nobles fonctions dont ils ont ôté honorés. M. Bison du Galland. Je n’entrerai point dans l’examen des considérations proposées par les préopinants-, je regarde tout cela comme étranger pour le moment. Vous avez admis provisoirement douze députés ; votre décision est déjà prononcée. On demande que vous admettiez huit députés de plus; mais 'j’observe que votre jugement provisoire ne peut être révoqué quant à présent. M. Mounier et M. Malouet sont d'avis qu’on accepte les douze députés déjà admis. M. le marquis de Montesquiou propose à l’Assemblée de donner à la colonie de Saint-Domingue quatre députés qui auront voix délibérative; les autres formeront un comité qui servira à éclairer les opinions de ceux qui auront voix dans l’Assemblée, et les membres du comité auront le droit de séance, sans avoir celui de voter. M. le comte de Mirabeau. Je crois que le préopinant à fait des richesses de Saint-Domingue un tableau plus ingénieux que ressemblant. Au reste, ce n’est pas des richesses de Saint-Domingue dont il est ici question, c’est de savoir s’il faut suivre pour Saint-Domingue une autre proportion de députation que celle suivie dans toutes les parties de la France. M. de Sillery a dit que l’établissement des colonies est superbe, qu’il est susceptible d’accroissement. Je réponds que nous aussi sommes susceptibles d’un grand accroissement. Que les richesses des colons sont considérables; mais nous aussi sommes considérablement riches ! Que d’après cela, c’est-à-dire cette richesse, il importe que la députation soit nombreuse ; mais d’après cela, la nôtre doit l’être aussi. Pourquoi donc voulez-vous adopter pour Saint-Domingue une loi plus favorable que celle qui a fixé les députations de tous les bailliages? De tous côtés nos provinces réclameraient contre cette distinction ; elles demanderaient que leurs députations fussent augmentées. Ce n’est pas sans surprise que j’ai entendu dire, pour faire valoir la nombreuse députation, que les nègres, qui n’ont pas le droit de réclamer dans le sanctuaire de la liberté, sont les agents des richesses coloniales; mais nos bœufs, nos chevaux sont également les agents de nos richesses. Je demande de quel droit les 23,000 blancs qui existent dans les colonies ont exclu des assemblées primaires à peu près un pareil nombre d’hommes de couleur, libres, propriétaires et contribuables comme eux? Je demande pourquoi surtout, on veut que les 20 blancs qui sont ici représentent les hommes de couleur desquels ils n’ont reçu aucun mandat? Je demande de quel droit les 23,000 blancs électeurs ont défendu à leurs concitoyens de se nommer des représentants, et se sont arrogé celui d’en nommer exclusivement et pour eux et pour ceux qu’ils ont exclus des assemblées électorales ? Croient-ils que ces hommes qu’ils ont exclus, nous ne les représentons pas? Croient-ils que nous ne défendrons pas ici ieur cause? Ah ! sans doute, si telle a été leur espérance, je leur déclare qu’elle est outrageante pour nous, et qu’elle sera déçue. Le nombre des députés doit être en proportion des votants. Cette loi a été générale pour nous; je conclus à ce qu’elle soit la même pour les colons. M. Gouy d’Arcy. Les erreurs sur lesquelles plusieurs des préopinants ont appuyé leurs raisonnements sont en grand nombre; je vais me hâter de les relever. Les habitants du continent ne connaissent que très -imparfaitement les colonies; ils n’en raisonnent que par analogie, et de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I8g [Assemblée nationale.] là ils se laissent entraîner dans les plus grandes erreurs. Vous nous avez admis provisoirement dans votre Assemblée, et votre décision a comblé tous les vœux de la colonie. Aujourd’hui les habitants de Saint-Domingue demandent que la députation déjà admise au nombre de douze membres soit portée à vingt. Ce n’est point par ambition, mais c’est qu’ils ont cru que ces vingt députés seront nécessaires pour les mettre au niveau des grands travaux auxquels ils sont appelés. Saint-Domingue ne doit point être comparé aux provinces du royaume. La colonie est éloignée; elle est isolée; le sol, les habitants, la cul-ture, les richesses, tout y est différent. Vous avez déjà prononcé un jugement provisoire. Il l’a été par acclamation ; il a été sanctionné; et comment voudrait-on le faire rétracter? Ce jugement aurait-il été l’effet d’une précipitation imprudente? Mais une Assemblée aussi majestueuse, aussi auguste, ne prononce point inconsidérément; elle est aussi sage dans ses délibérations qu’elle doit être immuable dans ses décisions. La députation a été faite par des colons âgés de vingt-cinq ans. Il est vrai que les métis n’y ont point été appelés; mais les métis sont non affranchis. Les lois françaises, que nous n’avons pas faites, les excluent de nos assemblées ; nous ne pouvions pas de nous-mêmes les y admettre. Quelqu’un a dit qu’ils sont nos ennemis ; moi, je soutiens qu’ils sont nos amis, puisqu’ils nous sont redevables de la liberté. La population n’est pas la seule chose qu’il faut considérer; il faut avoir égard aussi aux impôts, aux richesses que la colonie verse dans le commerce. Toutes nos colonies y versent à peu près 60 millions, et Saint-Domingue y entre pour 50. Elle supporte plus de 9 millions d’impôts directs ou indirects. M. de Gouy parle encore longuement. Au lieu de 20 députés, il réduit sa demande à 18. Nous ne demandons plus, dit-il, que 18 députés ; l’un de ceux qui prétendaient à cet honneur est mort dans la traversée, et c’est un premier sacrifice que nous faisons; l’autre est retenu par la maladie. (On demande que la motion deM. de Montes-quiou soit mise aux voix. ) M. le Président en fait faire une seconde lecture, et on allait la mettre aux voix. Plusieurs membres demandent qu’elle soit renvoyée aux bureaux pour y être examinée de nouveau et être ensuite décidée à la prochaine séance. Cette proposition est unanimement adoptée. M. Target allait reprendre sa motion sur les pouvoirs limitatifs, lorsque M. le président, d’après le vœu de l’Assemblée, lève la séance. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du samedi 4 juillet 1789. On a ouvert la séance par la lecture du procès-verbal de celles qui ont précédé l’installation des nouveaux secrétaires. [4 juillet 1789.] Au mot simple d 'Assemblée, porté dans la lettre du Roi insérée dans le procès-verbal de la séance du 2, M. Bouche demande pourquoi on n’a pas ajouté l’épithète de nationale. Un secrétaire répond que la première copie de la réponse du Roi contenait l’expression d 'Assemblée des Etats généraux, qu’il a consulté à ce sujet l’archevêque de Vienne, qui lui a répondu qu’il n’était pas certain du véritable terme qu’avait employé Sa Majesté. Dans cette incertitude on a préféré ne se servir que du mot Assemblée. fLe marquis d’Avaray annonce qu’il a entendu le premier terme �'Assemblée des Etats généraux. Cette incertitude engage le président à proposer que les membres qui composaient la députation� se rassemblent pour convenir entre eux de laj véritable version. j Ces membres ne défèrent pas à cet avis ; et cette discussion n’a pas de suite. M. Yvernault, chanoine de S. Ursin de Bourges, a déclaré que le vœu d’opiner par ordre, allégué comme impératif par M. Ghastenay de Puységur, archevêque de Bourges, un de ses co-députés du clergé de Berry, ne contient pas cette clause de rigueur. Il a requis que, pour constater son assertion, le mandat fût déposé sur le bureau. M. Joubert, curé de Saint-Martin, co-député de M. d’Albignac de Castelneau, évêque d’Angou-lême, pour le bailliage de cette ville, a déclaré qu’il ne croyait pas son mandat impératif, et en a demandé le dépôt. M. Bailly, ex-président, a remercié l’Assemblée, et a dit : Messieurs, je viens vous offrir l’hommage de ma respectueuse reconnaissance. Votre choix m’a élevé à une grande et importante place; vous m’avez décoré d’un titre qui honore mon nom à jamais. Il ne pouvait me rester que le regret ou l’inquiétude de n’en avoir pas suffisamment rempli les devoirs, de n’avoir pas toujours réussi à' vous plaire comme je l’ai toujours désiré. Les témoignages de satisfaction que l’Assemblée nationale a daigné m’accorder mettent le comble à mon bonheur. Je me suis trouvé dans les circonstances les plus remarquables. J’ai vu commencer vos travaux, j’ai été témoin de votre vertu et de votre fermeté; j’ai vu s’opérer la réunion des trois ordres, et la paix ramener parmi nous les plus Batteuses espérances. Ces moments ont été les plus beaux de ma vie. J’ose vous supplier, Messieurs, de cimenter ce bonheur, qui est votre ouvrage, en me continuant vos bontés, et de me permettre de mêler au souvenir des honneurs dont vous m’avez comblé une tendre et respec-1 tueuse sensibilité de ces bontés, qui me seront! toujours chères. | L’Assemblée a répondu par des applaudisse-i ments. M. le Président a dit : Dans l’exercice de la place qui vous a été confiée, vous avez laissé un excellent modèle à tous ceux qui la rempliront après vous; mais vous leur a�ez laissé en même temps un juste motif de craindre de ne pas l’égaler. U a été ensuite fait lecture des délibérations municipales de la ville de Château-Thierry, des communautés de Pontivy en Bretagne et Yernouil-let-sur-Seine, qui adhèrent à tous les arrêtés pris