10g ] Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] ce qui compose véritablement toutes les dettes de l’Etat. Vous verrez bien vite ressortir l’argent, car les propriétaires de vos assignations, assurés de cette manière, ne s’en déferont qu’à la dernière extrémité. Ces mêmes assignations ne se trouveront pas concentrées dans Paris ; étant propres à toutes acquisitions, elles se diviseront dans toutes les provinces. Vous remplissez les engagements pris par M. le premier ministre avec la caisse d’escompte, et vous remettez la paix et la tranquillité parmi tous les créanciers de l’Etat. M. le comte Mathieu de Montmorency propose, comme addition nécessaire, et conformément à la motion de M. de Castellane, que le comité des finances soit tenu de rendre compte des projets présentés par des membres de l’Assemblée, ou par d’autres particuliers. M. le Président rappelle les diverses propositions et les met successivement aux voix. La proposition de M. Lecouteulx de Ganteleu ayant pour objet d’entendre à la barre les députés de l’administration de la caisse d’escompte est adoptée. La seconde proposition de M. Lecouteulx de Cauteleux tendant à nommer six commissaires pour prendre une connaissance exacte de l’état de la caisse d’escompte, de ses opérations, de ses statuts et de l’usage qu’elle fait de son crédit, de ses moyens et de ses fonds est pareillement mise en délibération et adoptée. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer quant à présent sur l’amendement de M. de Montmorency. La motion de M. Fréteau est décrétée en ces termes : « L’Assemblée nationale demande communication authentique : *1° Des tableaux des engagements pris par le gouvernement avec la Caisse d’escompte pour le 31 décembre prochain, avec les notes des dates et des conditions de ces avances ; « 2° De l’aperçu justificatif des dépenses extraordinaires, évaluées à 90 miilions pour cette année, et à 80 millions pour l’année prochaine ; « 3° De toutes les anticipations subsistantes ; « 4° De l’état des arrérages, intérêts, pensions ou rentes arriérées ; « 5° Des reliquats dus par les départements ; « 6° Des effets dont le remboursement est suspendu ; « Le tout sans préjudice des états au vrai du passif des finances pour la totalité de la dette publique. » L’ordre du soir a été de nouveau indiqué par M. le président, qui a aussi réitéré l’avis de la nomination à faire, dans les bureaux, du président, de trois secrétaires, des membres du comité des recherches et de six commissaires, pour la vérification de l’état de la caisse d’escompte. La séance a été levée, et les suivantes ont été indiquées, pour ce soir, à six heures, et pour lundi, à neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du samedi 21 novembre 1789, au soir (1). M. le maréchal de Mailly fait le don patriotique d’une paire de boucles d’or. L’ordre du jour appelait un rapport du comité des recherches. M. Goupil de Préfeln, doyen du comité, prend la parole pour dire que le comité s’est constamment occupé, d’après l’esprit de son institution, de tout ce qui peut procurer la sûreté et la liberté publique, de tout ce qui peut faire découvrir les ennemis de la patrie. Il parle avec des réticences qui excitent les plus grands murmures. Sans vouloir entrer dans aucun détail, il passe en revue sommairement toutes les affaires qui sont venues à la connaissance du comité, et d’abord de celle de M. Augeard, fermier général. Cette affaire, de peu d’importance au premier aspect, dit le rapporteur, a paru au comité des recherches mériter la plus sérieuse attention. Le comité a reçu les documents les plus positifs qui le déterminent à croire que le plan de M. Augeard, combiné pour enlever le Roi à Metz, n’est point le fruit de l’imagination en délire de M. Augeard. Il s’est appuyé sur les circonstances, sur les temps, sur la confirmation de ce plan répété par tous les échos de la capitale, et le comité a pensé que les apparences étaient contre M. Augeard. Il fait mention de M. de Bezenval, des trois individus arrêtés et détenus dans les prisons du Châtelet pour avoir tenu des registres anti-patriotiques, et du prince de Lambesc, contre lequel un décret de prise de corps a été lancé pour s’étre porté à des voies de fait dans les Tuileries. Un particulier de la Brie, dont le nom n’a pas été prononcé, mais aujourd’hui constitué prisonnier, a fait tout son possible pour traverser l’approvisionnement des marchés. Il est essentiel et possible de connaître ses mandats et ses mandants. Ce particulier s’est porté avec audace contre ceux qui voulaient vendre des grains dans son canton. 11 a poussé le crime jusqu’à menacer d’incendier ceux qui, se prêtant aux circonstances, vendraient comme à l’ordinaire. Si nous ne nous sommes pas occupés du mandement de l’évêque de Tréguier, continue le rapporteur, c’est que nous n’en avons pas été chargés par l’Assemblée nationale. Il a fait mention de l’affaire de la fille de Douai. Cette fille, qui a failli être assassinée, a dénoncé le complot formé contre le Roi et les amis de la Constitution. Le comité des recherches n’a pas encore des preuves complètes de toutes les trames et de tous les complots des ennemis de la patrie ; mais il a le fil qui peut le conduire à une parfaite connaissance. Nous mettrons, ajoute le rapporteur, sous les yeux de l’Assemblée toutes les connaissances, notions, documents qui nous sont parvenus. M. lia Ville-Leroux propose qu’il soit décrété de continuer dans leurs fonctions les membres du comité des recherches. M. Couppé appuie la motion sur la nécessité (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] 459 de conserver des connaissances acquises sur plusieurs affaires importantes, dont de nouveaux commissaires ne pourraient s’occuper qu’avec lenteur, suite nécessaire du changement. (On rit dans une partie de la salle .) Vous riez, Messieurs, a dit l’orateur, mais on répond difficilement quand on a peur : Qui male agit , odit lucem. M. le marquis de Foucauld-liardinaïie. Parlez français, cela vaudra mieux. Un membre a proposé de reprendre la motion faite dans une séance antérieure pour adjoindre quatre commissaires au comité des recherches et les charger de surveiller les poursuites qui doivent se faire au Châtelet. M. Dnfralsse-Bluchey. Je m’oppose à la continuation des pouvoirs du comité. On nous parle sans cesse de conspiration sans nous donner la moindre preuve. Ce mot vague semble n’être qu’un moyen pour maintenir en fonctions ceux qui veulent égarer le peuple. Le rapporteur nous a entretenus de bruits populaires qui ne méritent aucune créance, mais il n’a rien dit d’une descente qu’il a faite dans le couvent de l’Annonciade de Paris. M. Malouet. 11 est bien fâcheux d’être obligé d’emprunter les formes du despotisme pour en anéantir les ‘traces. -—Après cet exorde, M. Malouet parle de la descente nocturne faite dans le couvent de l’Ànnonciade par quelques membres du comité. Il ne croit pas que les membres du Corps législatif puissent descendre à ces fonctions su» baiternes sans compromettre leur caractère ; il ajoute qu’il aurait mieux valu s’occuper des moyens de porter remède aux émeutes populaires et il demande que le comité soit tenu de rendre compte à l’Assemblée des motifs de la descente dans le couvent, ainsi que des suites qu’elle a eues et des indices qu’elle a fournis. M. Goupil de Préfeln. Vous venez d’en tendre un ami généreux de la liberté faire des questions à votre comité. Je dois, comme en étant membre, satisfaire à sa sollicitude. Le comité de police de Paris a cru devoir ordonner des recherches dans ce couvent, parce qu’on disait qu’un personnage très-connu y était caché ; c’était sans doute une erreur, mais ce qu’il y a de certain c’est que cette descente s’est faite avec toutes les règles de la prudence et de la circonspection. Pour ce qui regarde les émeutes populaires, le comité remettra aux nouveaux commissaires les pièces qui pourront les instruire, et surtout celles de l’affaire du Cambrésis, dont le foyer n’est pas éloigné de la capitale. On voudrait nous forcer à faire connaître les canaux par lesquels certains faits nous sont parvenus, mais ce serait donner aux coupables les moyens d’arrêter le complément des preuves. M. Glezen, membre du comité. Vous connaissez les propos sinistres pour transférer le Roi à Metz. M. Augeard, à la confrontation d’un plan tracé de sa main, s’est justifié en disant que c’était le produit d’une imagination exaltée ; dans la correspondance d’un personnage important il existe une lettre écrite par un généreux ami de la liberté. Je ne veux inculper personne, mais l’esprit dans lequel cette lettre est écrite et la personne à qui elle est adressée semblent désigner quelque chose : il y est parlé des membres de l’Assemblée qui sont de mauvais citoyens et qu’on accuse d’être les auteurs des malheurs publics. (A ces mots, M. Malouet s’élance à la tribune. -Un grand tumulte se fait dans l’Assemblée. — Le désordre est indescriptible. — Pendant ce temps M. Malouet va se placer à la barre pour se justifier ; cette démarche est fort applaudie , mais M. le président lui dit de remonter à la tribune.) M. Malouet. J’offre de me constituer sur-le-champ prisonnier si je suis reconnu coupable; mais je croyais que 30 ans d’une vie sans reproche me mettaient à l’abri de toute espèce d’accusation -, si ce n’est pas par méchanceté, c’est au moins par erreur que M. Glezen a rapproché une de mes lettres de l’affaire de M. Augeard, qui lui est étrangère. On m’accusa de même, il y a vingt ans, sur une lettre interceptée. J’ai été pleinement justifié. J’attends pour la lettre actuelle le même jugement et je réclame votre justice à raison de la grave inculpation que l’on me fait aujourd’hui. M. Glezen explique cette inculpation en disant que son récit ne portait aucune accusation contre M. Malouet, mais que sa lettre parlait de scélérats qui veulent répandre le feu dans le royaume, et que son contexte annonçait clairement que l’auteur avait voulu désigner des membres de l’Assemblée nationale. M. Malouet demande acte d’enquis sur le fait articulé contre lui que sa lettre contenait des indices de conspiration. M. Glezen prétend alors n’avoir dit autre chose, si ce n’est que la lettre avait été remise au comité à la suite des faits de conspiration qu’on prétend découvrir dans l’affaire de M. Augeard. Plusieurs membres réclament avec instance l’apport de la lettre de M. Malouet. L’Assemblée décide que la lettre sera produite et lue. Pendant qu’un des membres du comité va chercher la lettre, on met aux voix la continuation des pouvoirs du comité des recherches. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette proposition attendu que, dans la séance du matin, l’Assemblée a ordonné le renouvellement du comité et que plusieurs bureaux ont même fait leur élection. On apporte enfin la lettre de M. Malouet. Elle est écrite de Versailles, le 26 septembre dernier, et adressée à M. le comte d’Estaing. M. Gouttes fait lecture de cette lettre, qui est ainsi conçue : « Monsieur le comte, j’ai l’honneur de vous prévenir que le sieur Mascelin, marchand parfumeur, a dit hier à mon domestique que le premier usage que les bourgeois de Versailles devaient faire des dix mille fusils qu’ils allaient recevoir était de s’en servir contre les mauvais citoyens qui se trouvaient dans l’Assemblée nationale. M. Maury doit être la première victime. Gomme je suis aussi une des victimes désignées, j’ai cru devoir, monsieur le comte, vous dénoncer ce particulier pour arrêter les suites de cette fermentation, si elle existe... Il n’est que trop vrai qu’il existe parmi nous de mauvais citoyens, et je crains bien qu’ils ne viennent à bout de tout perdre... Votre vigilance et votre patriotisme peuvent nous garantir des attentats d’un complot qui nous préservera de la