ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 juin 1789. J [États généraux. [ 129 tend et décrète que toute levée d’impôts et contributions de toute nature qui n’auraient pas été nommément, formellement et librement accordée par l’Assemblée, cessera entièrement dans toutes les provinces du royaume, quelle que soit la forme de l’administration. « L’Assemblée s’empresse de déclarer qu’aussitôt qu’elle aura, de concert avec Sa Majesté, fixé les principes de la régénération nationale, elle s’occupera de l’examen et de la consolidation de la dette publique; mettant dès à présent les créanciers de l’Etat sous la garde de l’honneur et de la loyauté de la nation française. « Enfin, l’Assemblée, devenue active, reconnaît aussi qu’elle doit ses premiers moments à l’examen des causes qui produisent dans les pro-Îinces du royaume la disette qui les afflige, et la recherche des moyens qui peuvent y remé-ier de la manière là plus efficace et la plus brompte. En conséquence, elle a arrêté de nommer un comité pour s’occuper de cet important objet, et que Sa Majesté sera suppliée de faire Remettre à ce comité tous les renseignements dont il pourrait avoir besoin. La présente délibération sera imprimée et envoyée dans toutes les provinces. ! M. Camus, l’un des secrétaires, est chargé de �e transporter à Paris pour faire imprimer chez M. Baudouin les deux actes importants par lesquels l’Assemblée établit ses droits et en commence l’exercice. La séance est levée à cinq heures, et remise au soir. Séance du soir. M. le garde des sceaux avait, dans la matinée, l'ait prier M. Bailly de se rendre à la chancellerie pour y recevoir une lettre du Roi. T L’Assemblée ne permet pas à M. Bailly de s’absenter, M. Bailly ne peut se rendre à la chancellerie du’à cinq heures pour y prendre la lettre du Roi. Il en fait lecture à l’ouverture de cette séance. j Voici son contenu : « Je ne refuserai jamais, Monsieur, de recevoir aucun des présidents des trois ordres Jors-du’ils seront chargés d'une mission auprès de moi, et qu’ils m’auront demandé, par l’organe iksité de mon garde des sceaux, le moment que jfe veux leur indiquer. Je désapprouve l’expres-âion répétée de classes privilégiées que le tiers-état emploie pour désigner les deux premiers ordres : ces expressions inusitées ne sont propres qu’à entretenir un esprit de division absolument contraire à l’avancement du bien de l’Etat, puisque ce bien ne peut être effectué que par le éoncours des trois ordres qui composent les Etats généraux, soit qu’ils délibèrent séparément, soit qu’ils le fassent en commun. « La réserve que l’ordre de la noblesse avait mise dans son acquiescement à l’ouverture faite de ma part ne devait pas empêcher l’ordre du tiers de me donner un témoignage de déférence. L’exemple du clergé, suivi par celui du tiers, aurait déterminé sans doute l’ordre de la noblesse à se désister de sa modification. Je suis persuadé que, plus l’ordre du tiers-état me donnera de marques de confiance et d’attachement, 1" Série, T. VIII. et mieux leurs démarches représenteront les sentiments d’un peuple que j’aime et dont je ferai mon bonheur d’être aimé. « Signé LOUIS. « A Marly, ce 16 juin. » Au dos est écrit: A M. Bailly , doyen de V ordre du tiers-état. Après la lecture de cette lettre, l’on s’occupe de la nomination des commissaires pour la rédaction de l’adresse au Roi arrêtée le matin. Le choix en est déféré au bureau qui nomme les anciens commissaires conciliateurs pour la rédiger. En conséquence, MM. Chapelier, Bergasse et Barnave sont chargés de faire l’adresse projetée. , MM. Chapelier et Bergasse se réunissent pour rédiger l’adresse, et M. Barnave en fait une seconde de son côté. Un de Messieurs a observé à l’Assemblée qu’il s’était glissé une faute dans la rédaction de la motion qui a été adoptée, et qu’on y avait laissé mal à propos une phrase inutile, commençant par ces mots: nulle autre Chambre de députés, etc. Il a demandé que cette phrase fût retranchée de la rédaction de la délibération prise ce matin; ce qui a été ainsi arrêté par l’Assemblée. M. Guillotin. L’air pesant et pestilentiel exhalé du corps de plus de trois mille personnes concentrées dans la salle produira infailliblement un effet funeste sur tous les députés. Je crois qu’il convient à l’Assemblée de donner ses ordres pour faire faire des ouvertures suffisantes au renouvellement de l’air. J’observe de plus que la distribution des bancs est insalubre; que chacun étant resserré derrière son voisin, à peine peut-il respirer; l’air reste intercepté. Remarquez encore que les banquettes actuellement existantes sont des sièges très-incommodes pour des séances de douze et quatorze heures, comme celle d’aujourd’hui. Je crois donc qu’il est nécessaire d’y faire mettre des dossiers. L’Assemblée adopte avec empressement les réflexions de M. Guillotin, et elle le charge de présider à tous les changements nécessaires à la construction de la salle et à la distribution des banquettes. MM. Chapelier et Bergasse reviennent dans l’Assemblée; ils lisent l’adresse qu’ils ont rédigée ensemble ; elle est entendue avec de grands applaudissements. M. Barnave lit celle qu’il a faite; elle est accueillie avec les mêmes sentiments que la première. M. Bailly propose de refondre ces deux adresses en une seule. Les députés qui préfèrent la première s’y opposent; les partisans de la seconde veulent que l’on n’y change rien. M. Barnave. Je n’ai osé lire cette adresse que parce que plusieurs députés qui l’ont approuvée me l’ont conseillé. Je sens toute la supériorité de la première. C’est moins par amour-propre que je me suis exposé à faire lecture de la mienne que par déférence. Je retire mon projet d’adresse. M. Target. Il y a dans la première des senti-9 30 [Etats généraux.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1789.] menls de noblesse qui ne sont pas dans la seconde; mais dans celle-ci il y a la sensibilité qui manque à la première. Pour réunir tout ce que chacune a de plus intéressant, je propose de les refondre en une seule. L’Assemblée adopte l’opinion de M. Target et s'en rapporte aux commissaires sur la rédaction de l’adresse. La séance est levée. Nota. — 11 n’y a pas eu de séance le 18 parce que les députés ont assisté à la procession du Saint-Sacrement. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du vendredi 19 juin 1789. CLERGÉ. Après six jours de délibération, il est enlin arrêté de recueillir les voix sur le parti que l’ordre du clergé doit prendre. Vérifiera-t-on les pouvoirs en commun dans la salle générale, ou bien les vérifiera-t-on séparément? Telle est la question qui est proposée d’abord, et qui paraît, à une grande partie des membres, devoir être la seule qui puisse être admise. M. «le Jnigné, archevêque de Paris , avance que la matière sur laquelle on discute depuis huit jours n'est plus la même; que la constitution de MM. des communes en Chambre nationale a absolument changé l’état de la question, et propose : 1° De vérifier les pouvoirs dans la Chambre du clergé, et de se constituer en Chambre active; 2° De persévérer dans l’adhésion pure et simple au pian conciiiatoire proposé par les commissaires du Roi; 3° De communiquer la présente délibération aux ordres du tiers et de la noblesse; 4° D’envoyer une députation au Roi pour le supplier de s’occuper, dans sa sagesse, des moyens d’établir une correspondance entre les trois ordres des Etats généraux. Une partie de la Chambre refuse d’admettre une motion aussi compliquée, et représente qu’on ne doit délibérer que sur la question qui a été discutée. ‘ M. Wecouïmîers, abbé d’Abbecourt (1), émet l’opinion suivante : Messeigneurs et Messieurs, j'ose vous prier de me permettre quelques courtes réflexions sur l’objet de la présente délibération, quoiqu’elle ait ôté discutée avec autant de force que de lumière pour et contre. En l’examinant avec toute l’impartialité d’un citoyen qui n’a rien à désirer, comblé des bienfaits du Roi, animé par la plus vive reconnaissance, prêt à sacrifier non-seulement sa fortune, mais même mille vies, si je les avais, pour le bonheur de mon Roi, le salut de ma patrie ; mon âme incertaine, égarée, voyant de tous côtés des abîmes, des précipices, le flambeau de la guerre (1) Le discours de M. Decoulmiers n’a pas été inséré au Moniteur. civile allumé , cherche à choisir le moindre de nos malheurs, Il faut néanmoins se décider ; le danger augmente par notre incertitude : gémir sur le temps passé, vains regrets! Quand j’examine la dernière lettre du Roi â MM. du tiers -état, j’y vois bien qu'il semble invoquer les formes anciennes , il s’exprime ainsi : « Je ne refuserai jamais aucun des présidents des trois ordres. « Je désapprouve l’expression répétée de classes privilégiées que le tiers-état emploie pour désigner les deux premiers ordres. « Le bien ne peut être effectué que par le concours des trois ordres qui composent les Etats généraux. » Ges différents extraits, Messeigneurs et Messieurs, de la lettre du Roi à MM. du tiers-étatl, semblent présumer que son intention est qu’ill y ait une Chambre du clergé, une Chambre de la noblesse et une Chambre du tiers-état. Quand, d’un autre côté, j’examine les termes et la forme adoptée par MM. du tiers-état pour se constituer, l’arrêté qu’il sont fait aussitôt après, j’y vois avec là plus vive douleur qu’ils s’expriment ainsi : L'Assemblée nationale entend et décrète; plus loin, j’y trouve ces mots : elle ordonne que ses décrets soient imprimés et répandus dans les provinces. Le Roi, néanmoins, Messeigneurs et Mesj-sieurs, garde le silence et ne s’explique pas. Je gémis ; mon cœur serré par la douleur në vous dénonce pas ces expressions pour les cenj-surer ; ce parti ne serait peut-être pas prudent!; je crois, au contraire, que si nous rompons lie silence, ce ne doit être que pour employer les armes victorieuses de votre éloquence en faveulr delà religion et du respect que nous devons toute au meilleur des rois. En effet, dans quelles circonstances plus posantes sauriez-vous les employer, Messeigneurs et Messieurs, ces armes respectables, si ce n’es|t dans le moment où il s’agit de rétablir le calmp dans les esprits et sauver notre commune patrie?? Cherchons «à nous persuader et croyons que les intentions de nos concitoyens sont pures ; alors n'est-il pas de notre devoir de tout sacrifier? privilèges pécuniaires, même nos droits honorifiques, nos prérogatives, oui, nous devons tout abandonner pour voler parmi nos frères. Vos exemples de vertu, de modération, conr tribueront sans doute au bien général. Nous avons à traiter avec des citoyens vertueux : ils sont Français, et c’est tout dire: ils aiment 1�. religion, ils en respecteront les ministres. Rep cherchons nos frères, n’ayons d’autre considéra ]- tion enfin que l’amour de la patrie et le service du Roi. Je ne blâme personne, à Dieu ne plaise -, mais, Messeigneurs et Messieurs, dans la char leur et la longueur de nos discussions, notre zèle même a pu être mal interprété, on a pu nous prêter des vues suspectes ; justifions la pureté dé nos intentions à la face de toute l’Europe; rendons vains les efforts de nos ennemis, qui le sont de la religion. Dans des circonstances moins pressantes, je voterais pour que nos pouvoirs fussent vérifiés dans cette Chambre, suivant le plan de conciliation proposé par Sa Majesté et que nous avons adopté purement et simplement. Mais je pense et je crois dans ce moment que l’amour de la patrie, le service même du Roi, le bien et le salut de la religion de l’Etat, sont des