[Assamblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 31 JUILLET im ADRESSE aux représentants de la nation sur l’existence d'un corps d'état-major permanent et sur les dangers de la réunionde l'artillerie avec le génie , par M. Richard, major au corps royal du génie et suppléant à l'Assemblée nationale. De tous les corps militaires établis en France, le corps royal du génie est l’un de ceux dans lesquels l’admission dépend de la preuve non équivoque de connaissances acquises : il estincon-testablement celui que l’on a imposé à la plus grande masse de connaissances exigées. Que n’avait-on pas droit d’attendre d’une réunion d’individus exercés pendant leur jeunesse à l’étude des sciences abstraites et habiiués, dès lors, à une application sérieuse ? Aussi ce corps a-t-il acquis une réputation de supériorité dans toute l’Europe, quoiqu’il semble que l’on se soit parliculièrement attaché à y enfouir les talents. Les généraux instruits se sont servis, dans l’occasion, des officiers du génie; ils ont su tirer parti de leurs connaissances ; mais momentanément, individuellement, toutes les fois que le corps a voulu faire quelques efforts pour étendre ses fonctions ; sa sphère d’utilité, d’activité à leur juste mesure, la cabale des gens à prétentions, fondées ou non, a constamment étouffé la voix delà raison ; mais hélas ! que pouvait lui opposer ci-devant une quantité plus ou moins considérable d’êtres dispersés, pauvres ou peu fortunés, modestes et dépourvus d’intrigues, parce qu’ils sont instruits et laborieux; d’êtres enfin, qui, suivant l’ancien style, n'étaient pas particulièrement destinés à parvenir aux grades supérieurs réservés aux gens de la cour. Dans le fait, les officiers du génie sont ceux de l’armée qui, avant leur admission à des fonctions utiles, ont prouvé le plus d’acquis et de dispositions : leur instruction préliminaire est même beaucoup plus étendue que celle que l'on exige des élèves de l’artillerie. Tous ceux qui connaissent le service de l’état-major des armées des géographes, conviendront que les études dont on dispense mal à propos les uns et les autres de faire preuve, ne sont, à proprement parler, que les éléments de celles auxquelles les élèves du génie sont assujettis ; en un mot, la saine raison, l’équité, l’économie, et surtout le bien du service concourent à déterminer le gou-vernementàne choisir les aides-maréchaux, généraux des armées, que dans le corps du génie, et à supprimer les géographes comme absolument inutiles. Cependant un corps énorme d’officiers d’état-major subsiste, corps qui n’est créé par aucune ordonnance, qui n’a aucune organisation fixe, dont les dépenses ne sont autorisées par aucune loi, et dans lequel on est admis sans examen. Ce corps traîne à sa suite celui des géographes. Que peut et que doit être un corps d’officiers, dont plusieurs ont sans doute des talents, mais dont aucun n’est tenu d’en faire preuve authentique, parmi lesquels les attributions de rang, d’appointements, de fonctions, ne suivent aucune loi déterminée ? C’est (pour me servir des expressions de M. d’Arçon) un puits perdu, dont l’objet est de recevoir indéfiniment tous les abus du [31 juillet 1790.] 4JJ3 i département de la guerre ; c’est une fausse porte l ouverte aux promotions arbitraires et illimitées; c’est une nouveauté dispendieuse, inutile. Enfin, / ce serait un corps de précepteurs d’officiers généraux qui, s’élevant à côté d’eux, les avilirait en humiliant d’ailleurs toutes les classes de l’armée, tandis que les officiers du génie ne demandent pour être chargés de ces fonctions, outre celles qui leur sont attribuées, que les grâces et l’avancement fixés pour les différents grades de ce corps. Le comité militaire propose la réunion de l’ar tillerie et du génie. L’artillerie et le génie ont des points de contact, cela est indubitable; mais les occupations des officiers du génie sont plus sérieuses, plus arides, moins brillantes que celles des officiers de l’artillerie. Est-il probable que la jeunesse, qui se destinera à l’avenir à ces corps réunis, se décidera à approfondir des sciences abstraites, à se vouer à des détails de construction arides, souvent rebutants, plutôt que de se livrer aux exercices brillants et bruyants du Polygone ? Non, certainement, et l’on sait qu’à cet âge l’assiduité qui peut se payer par la présence, est toujours préférée à celle que l’application seule peut prouver. Au moment même de la réunion les individus des deux corps seront généralement froissés, lésés, par l’incorporation. Les plus aisés de part et d’autre, obligés de renoncer à un avancement qu’ils étaient en droit de calculer, quitteront le service, et comme la masse des officiers du génie est de plus de moitié moindre que celle des officiers de l’artillerie, les premiers seront écrasés (1). L’émulation qui subsiste dans les deux corps, dégénérera en jalousie : l’humeur, le découragement s’en mêleront ; les anciens officiers attendront avec dégôut l’époque de leur retraite, les jeunes gens riront et trouveront bien plus beau de faire tirer du canon, que de surveiller des maçons, des charpentiers, des appareilleurs, etc. La totalité des officiers généralement très instruits de l’artillerie, ne produit pas un résultat de 20 à 25 individus qui aient pris la peine de se distinguer dans les fonderies, manufactures et constructions, dont ce corps est chargé. Si, comme il est vraisemblable, la même proportion subsiste, combien le corps du génie fournira-t-il, à l’avenir, de fortificateurs pour sa part ? J’en appelle à tous les officiers généraux du génie, aux commandants des écoles, à l’examinateur, à l’académie des sciences; et s’ils ne décident pas presque unanimement que, dix ans après la réunion, il sera impossible de former un corps du génie équivalent à celui qui existe, je passe condamnation. La réunion proposée présente, dit-on, une grande économie pour la suite, elle serait effectuée dans l’instant, en supprimant absolument le corps du génie ; il n’y aurait d’autres inconvénients que celui de faire du premier coup ce qui s’opérera successivement. Est-ce aussi dans ces vues d’économie que fou se propose de consacrer l’existence d’un corps (1) On amuse la crédulité de ceux qui se désespèrent dé la réunion, en leur promettant des séries isolées qui conserveront à chacun l’avancement qu’il avait le droit de prétendre, outre que celte opération serait défectueuse , outre qu’elle entretiendrait les jalousies, elle est illusoire. II faudrait avoir bien peu d’expérience pour ne pas être convaincu que si cette distinction de séries existe dans le premier instant, elle ne tardera pas à être détruite. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790.] 454 immense d’état-major, qui trouvera bien moyen de conserver encore celui des géographes? Non, sans doute. Les véritables motifs de toutes ces innovations sont la séduction opérée par l’intrigue, la rivalité, la jalousie et les intérêts particuliers (1). Si cette opinion n’était pas celle de tous les officiers du génie que je vois, que je connais, elle n’en serait pas moins la mienne ; je me dispenserais seulement de la mettre au jour. J’ai tort peut-être de me déclarer le chevalier de ma robe, je pourrai me faire des ennemis, j’ai laissé jusqu’ici le champ libre, à tous ceux qui auraient dû l’occuper; mais puisqu’on l’abandonne, je me précipite dans l’arène au moment du danger ; je m’immole à la bonté de ma cause ; et si je n’ai eu le temps, ni les talents nécessaires pour élever mon style à la hauteur de mon âme, pour lui communiquer sa chaleur, j’aurai du moins eu le courage de me faire entendre. Pourquoi, me dira-t-on, le comité militaire a-t-il rencontré la presque unanimité dans les avis des officiers généraux, officiers d’artillerie, officiers du génie, qui ontété consultés? je répondrai qu’on a pü consulter beaucoup d’officiers intéressés à cette décision ; j’ajouterai que je suis cer-tainque la très grande et plus qu’absolue majorité des officiers de l’artillerie et du génie est de mon avis. Je ne me permets pas néanmoins de révoquer en doute l’assertion du comité, j’en suis au contraire pleinement convaincu; les intérêtsde l’état-major de l’armée et de l’artillerie devaient produire le résultat qu’ils ont obtenu. Ces deux corps ont consenti à être froissés pour en écraser un troisième qui leur faisait ombrage; il est d'usage que le plus modeste succombe. Enfin je supplie les représentants de la nation de réfléchir sur les questions suivantes : 1° Est-il moins dangereux pour la liberté de mettre dans les mains du même corps tous les moyens relatifs à l’attaque et à la défense, que de séparer ceux qui les dirigent de ceux qui les exécutent ? 2° Ne doit-on pas craindre qu’au moment où (1) On récriminera, je m’y attends, sur l’accusation d’intérêts personnels. Je suis obligé de parler un instant de moi, pour mettre mes lecteurs à portée de me juger. Lorsque j’ai fondé l'établissement du Corps de l’état -major de l’armée, je pouvais ajouter eâ anch’ io sono pittore. J’ai servi dans ce corps lorsque M. de Boürcet le commandait ; j’y avais rang de lieutenant-colonel en 1770 ; et deux ans après, lorsqu’il fut réformé, je préférai de rester capitaine au corps du génfe, à l’avantage de conserver une existence qui me semblait oisive et parasite', je serais cependant, selon tout# vraisemblance, maréchal de camp aujourd’hui ; mais si l’on ne peut m’accuser d’intérêts purement personnels, je sais que l’on m’accuse d’en prendre à des individus qui souffriraient des nouveaux systèmes. Il faut encore, malgré moi, me justifier sous ce point de vue. Lorsque j’ai su que l’on décidait le ministre de la guerre à mettre en ligne les officiers généraux du corps du génie, et à les isoler, j’ai gémi de voir de braves et anciens militaires privés de leur existence. Plusieurs de nos maréchaux de camp sont très en état de faire la guerre; j’ai dit et je pense qu’ils sont les seuls, oüi lés seuls qui puissent réunir dans un siège, la marche accélérée de la grande pratique à la circonspection de la théorie. Ils sont, en un mot, les seuls qui aient fait la guerre de Flandre, et, depuis ce temps, il n’y a presque pas eu de sièges dignes d’être cités. Ce n’est donc pas parce que j’ai un oncle maréchal;de camp dans le génie, ni parce que je suis attaché à quelques-uns de ses confrères que j’ai cette opinions Trente années d’expérience et de connaissance des officiers de mon corps p?e l’ont donnée. toutes les puissances étrangères arment, elles saisissent l’occasioa d’ébranler la fidélité des officiers de l’artillerie et du génie, qui auraient lieu d’être mécontents, etqui, jusqu’à ce jour, ont résisté opiniâtrement à toutes leurs offres, ainsi qu’à la certitude de jouir ailleurs d’uue considération illimitée pour leurs talents ? Je ne puis trop inviter me3 lecteurs à réfléchir sur ces questions. Je me contenterai de les poser ; j’ai fait ce que d’autres, avec plus de temps et de talents, auraient dû faire à ma place : j’ai fait ce que je devais à mon corps, au titre de suppléant à l’Assemblée nationale, dont je suis honoré : j’ai cherché à rallier les amis de la justice autour de ses étendards.. Je réclame leur secours en faveur du corps le plus constitutionnel de l’Empire, puisque (j’en appelle à sa composition) les talents ont été la mesure prépondérante pour l’admission de ses raembres.il trouvera des défenseurs, ce corps depuis si longtemps en butte aux efforts de l’aristocratie et de l’intrigue; il trouvera des protecteurs instruits et fermes parmi les représentants de la nation ; il en trouvera de généreux et je suis loin d’en douter. Oui, Messieurs, vous analyserez la proposition. Vous la considérerez, je le présume., à peu près sous ce point de vue. Quelle économie ferait l’Etat, eu attribuant au corps royal du génie les fonctions des aides maréchaux, généraux des logis de l’armée, celles des géographes, la;gardedudépôtde laguerre, etc., qui coûtent des sommes considérables ? Quelle est celle. que produirait la réduction du corps du génie au moindre nombre possible de constructeurs militaires ? Vous vous apercevrez que la balance, chargée de bonne foi, de part et d’autre, conservera à très peu de chose près l’équilibre. Après avoir ainsi dépouillé la question de ses accessoires, le bien de la chose sera la seule considération que vous aurez à exaSiner et vous ferez justice. DEUXIÈME ANNEXE Â LÀ SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 31 JUILLET 1790. Dénonciation de deux imprimés ayantpour titres, l’un : « C’en est fait denous; » et l’autre: « Révolutions de France et du Bràbant, » par M. Mà-LOUET, député d’Auvergne. Messieurs, l’ordre du jour le plus pressant pour les représentants de la nation, c’est de prévenir de grands crimes, c’est d’en apprendre les causes et les auteurs. Sans doute vous frémiriez, Messieurs, si vous aviez la certitude qu’en cet instant un ou plusieurs scélérats travaillent à faire arrêter le roi, à emprisonner la famille royale, à mettre aux fers les principaux magistrats , les chefs de la milice, et demandent /la mort de cinq ou six cents personnes. Hé bien, Messieurs, c’est sous vos yeux, c’est à votre porte que ces projets atroces se développent, que ces instructions sanguinaires se distribuent au peuple, qu’on appelle aux armes, qu’on l’excile à la fureur. Voici l’imprimé que je vous dénonce, il est signé : Murat. (Ici l’orateur a cru entendre des éclats de rire.)