618 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] Mais tous ces inconvénients fussent-üs à craindre, il faudrait toujours marcher. U est impoli-tique, inconstitutionnel que les corporations aient des propriétés, surtout que les grands corps aient de grandes propriétés. Rien de plus respectable, point de meilleur citoyen, gu’un véritable évêque, un bon curé, un ecclésiastique exact, un sage religieux ; pris individuellement, chacun mérite la vénération des peuples, tous les égards, toutes les attentions; dans la société, on ne saurait trop payer en hommages, en considérations les services qu’ils rendent. Mais si on lie ce grand corps avec des propriétés, le patriotisme s’altère, l’esprit de corps prend la place ; c’est dans l’Etat un autre Etat. Consultez l’histoire; sondez le cœur humain. L’esprit de domination qui pénètre, si bien dans les hommes, semble s’enraciner davantage à mesure qu’ils se forment en corps. La corporation établie, elle imagine tous les moyens de cimenter et d’augmenter sa domination; et il faut convenir que les grands biens en sont un des plus puissants. Elle cherchera donc à s’en procurer de toutes manières. Si une fois elle les a obtenus, elie voudra avoir une place dans les assemblées de la nation ; elle la voudra présider, elle la voudra gouverner, elle voudra régner, ou légitimement ou par adresse, ou directement ou par des voips détourm es. On n’entend faire ici aucune application ; mais, Messieurs, vous avez établi une Constitution, vous voulez sans doute la maintenir ; or, exa-minez-la bien. Elle abroge les ordres, elle ne reconnaît que des citoyens. Cependant, par le fait, vous en aurez des ordres, si vous laissez plus longtemps des biens dans les mains du clergé, parce que nécessairement il faudra qu’il participe, à raisou de ces mêmes biens, directement ou indirectement, dans 1* administration ou dans la législation. Que les peuples donnent leur confiance à desecclésiastiques, rien de plus naturel, il en est un grand nombre qui la mérite. Mais qu’au-cunsd’euxne paraissentjamais dans Rassemblées politiques qu’avec le seul titre de citoyen. S’il en est autrement, vous jetterez, Messieurs, dans la Constitution un germe destructeur qui tôt ou tard l’anéantira. En un mot, tous les services publics doivent être payés en argent. De même que l’armée, les administrateurs, les magistrats, les juges sont stipendiés en argent, de même le traitement des ministres des autels doit être en argent. 11 faut donc se décider à charger les assemblées administratives de la régie des biens ecclésiastiques; il le faut dès cette année, parce que, si vous ne vous mettez pas en mesure d’acquitter les pensions des religieux, il en résultera un grand mal. Plusieurs ont déjà quitté leurs maisons, d’autres attendent, pour en sortir, de savoir leur sort. 11 serait cruel de les faire languir faute de moyens, et il n’y en a qu’un,- e’est celui que votre comité propose, il faut que la caisse soit à l’aise pour payer d’avance, elle ne peut l'être qu’en s’emparant des récoltes de cette année ; et si vous le faites pour les biens administrés par les religieux, on ne peut s’en dispenser à l’égard des autres biens ecclésiastiques. Tout se lie, tout s’enchaîne ; tout doit donc avoir une marche uniforme. En un mot, la position de la France vous commande impérieusement de prendre cette mesure; vous n’avez même pas un instant, à perdre. On admire vos décrets, mais on est encore plus impatient de les voir exécuter. Celui du 2 novembre ne sera rien jusqu’à ce que vous ayez dépossédé le clergé. Les ennemis de la Révolution s’en jouent entre eux. Ils se permettent de vous soupçonner de faiblesse, ils espèrent que vous n’en viendrez jamais là. Le clergé tenant des terres est pour eux leur point d’appui. Ils savent aussi que, tant qu’il les possédera, elles seront une ressource illusoire pour la nation. Ils voient également que, plus vous retarderez à le déposséder, plus le discrédit augmentera. Car, il ne faut pas vous le dissimuler/tant que vous ne vous mettrez pas en mesure de payer les capitaux, ou du moins les intérêts des dettes de la nation, la confiance ne reviendra pas. Si vous voulez la ramener, dégagez les biens de la nation, mettez-les entre les mains de ses administrateurs, rendez-Jes francs et disponibles, eu les dégageant des frais du culte et de toutes les charges dont ils sont grevés, en mettant ces dépenses au rang des dépenses publiques ; alors vous verrez les affaires reprendre leur cours ordinaire, et la prospérité renaîtra. C’est pour y parvenir que votre comité a l’honneur de vous proposer le décret suivant. Projet de décret présenté à l’Assemblée nationale, au nom du comité des dîmes. L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. A compter dn jour de la publication du présent décret, l’ailministration des biens, déclarés par le décret du 2 novembre dernier être à la disposition de la nation, sera et demeurera confiée aux assemblées de déparlements et de districts, ou à leurs directoires, sous les r ègles et les modificatious qui seront expliquées. Art. 2. Dorénavant, et à partir du 1er janvier de la présente année, le traitement de tous les ecclésiastiques sera payé en argent, aux termes et sur le pied qui seront fixés. Art. 3. Les dîmes de toutes espèces, abolies par l’article 5 du décret du 4 août dernier et jours suivants, ensemble les droits et redevances, qui en tiennent lieu, mentionnés, audit décret, comme aussi les dîmes inféodées appartenant aux laïcs, déclarées rachetables par le môme décret, cesseront toutes d’être perçues à jamais, à compter du 1er janvier 1~91, et cependant les redevables seront tenus de les payer, à qui de droit, exactement, durant la présente année, comme par le passé, à défaut de quoi ils y seront contraints en la manière accoutumée. Art. 4. Dans l’état des dépenses publiques de chaque année, il sera porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culte, à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, et aux pensions des ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers de l’un et de l’autre sexe ; de manière que les biens qui sont à la disposition de la nation puissent être dégagés de toutes charges, et employés par ses représentants ou par le Corps législatif, aux plus grands et aux plus pressants besoins de l’Etat. Art. 5. La somme destinée au service de l’année 1791 sera incessamment déterminée. Art. 6. H n’y aura aucune distinction entre cet objet de service public et les autres dépenses nationales; les contributions publiques seront proportionnées de manière à y pourvoir, et la répartition en sera faite sur la généralité du royaume, ainsi qu’il sera décrété par l’Assemblée nationale. Art. 7. Il sera accordé une indemnité, sur le Trésorpubiic.aux propriétaires des dîmes inféodées, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] 619 de laquelle les intérêts courront, à compter du 1er janvier 1791, et dont la liquidation sera faite de ia manière qui sera incessamment déterminée. Art. 6 Sont et demeurent exceptés, quant à présent, des dispositions de l’article premier du présent décret, l’Ordre de Malle, les fabriques, les hôpitaux, les maisons de charité, et les collèges administrés par des ecclésiastiques ou des corps séculiers, et qui sont comptables de leurgesiion, lesquels eeutinueront, comme par le passé, et jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné par le Corps législatif, d’administrer les biens et de percevoir, durant la présente année seulement, les dîmes dont ils jouissent, sauf à pourvoir, s’il y a lieu, à l’indemnité que pourrait prétendre l’Ordre de Malte, et à subvenir aux besoins que les autres établissements éprouveraient par la privation des dîmes. Art. 9. Tous les ecclésiastiques, corps, maisons ou communautés de l’un et de l’autre sexe, autres que ceux exceptés par l’article 8, personnellement, pour les dîmes qu'ils exploitent et pour les biens qu’ils font valoir, lesquels ils seront tenus, durant la présente année, de faire valoir et exploiter ; et, tant eux que leurs fermiers et locataires, pour les objets qu’ils ont donnés à ferme ou à bail, seront tenus de verser ou payer les loyers et les fermages, échus et à échoir, la présente année, entre les mains du receveur de leur district, et de rendre compte des fruits et loyers qu’ils ont perçus ou percevront, saut à se retenir leurs traitements ou pensions; lequel compte ils seront tenus de communiquer préalablement à la municipalité du lieu, pour être ensuite vérifié par le directoire du dictrict et apuré par celui de département, à peine de privation de leurs traitements ou pensions, et même sauf toute action contre eux, leurs fermiers et locataires, s’il y échet. Art. 10. Ils seront tenus pareillement, eux, leurs fermiers, régisseurs ou préposés, ainsi que tous ceux qui doivent des portions congrues, de les acquitter durant la présente année, comme par le passé; comme aussi d’acquitter toutes les autres charges, même le terme de la contribution patriotique, échu le premier de ce mois; à défaut de quoi, ils seronteontraiuts, en la manière accoutumée, sauf à leur être tenu compte de ce qu’ils auront payé, ainsi qu’il appartiendra. Art. 11. Les baux à ferme des dîmes tant ecclésiastiques qu’inféodées, sans mélange d’autres biens ou droits, seront et demeureront résiliés à l’expiration de la présente année, sans autre indemnité que la restitution des pots-de-vin, celle des fermages légitimement payés d’avance, et la décharge de ceux non payés ; le tout au prorata de la non-jouissance. Quant aux fermiers qui ont pris à bail des dîmes, conjointement avec d’autres biens ou droits, sans distinction de prix, ils pourront seulement demander la réduction de leurs pots-de-vin, loyers et fermages, proportionnée à la valeur des dîmes dont ils cesseront de jouir, suivant l’estimation qui en sera faite par les directoires de districts sur les observations des municipalités, et sauf la révision du directoire du département, s’il y a lieu; si mieux ils n’aiment que leur bail soit résilié pour le tout, ce qu’ils seront tenus de déclarer dans la quinzaine, à compter de la publication du présent décret. Art. 12. Aussitôt la publication du présent décret, les directoires de districts feront, sans frais, un inventaire du mobilier, des titres et papiers dépendants de tous les bénéfices, corps, maisons,. et communautés de l’un ou de l'autre sexe, compris au premier article, qui n’auront pas été inventoriés par les municipalités, en vertu du décret du 2 novembre dernier, sauf auxdits directoires à commettre les municipalités pour les aider dans ce travail. Plusieurs membres demandent que la discussion soit renvoyée à demain. Celte proposition est adoptée. M. le Président lève la séance à 3 heures et demie, après avoir annoncé que celle de demain s’ouvrira à 9 heures du matin. Annexe à la séance de l’ Assemblée nationale du 9 avril 1790. Nota. Nous insérons ici deux pièces relatives aux assignats et à la dîme. Ces pièces ayant été imprimées et ensuite distribuées à tous les députés, font partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale. Opinion de M. Périsse-Dulue(l), député de Lyon à l'Assemblée nationale , sur le papier -monnaie , ou papier forcé en circulation sans caisse ouverte (2). 1. Une grande question, Messieurs, va s’agiter devantvous. Les assignats que vous avez décrétés seront-ils forcés dans la circulation ? L’intérêt particulier de quelques créanciers de l’Etat le leur fait demander à grands cris, mais 1 intérêt public, celui de la nation entière, semble repousser cette forme inique et désastreuse. 2. Du parti que vous prendrez, à cet égard, Messieurs, va dépendre sans doute la durée de la Constitution, le salut de l’Etat, le bonheur du peuple français. Je vous supplie de m’accorder quelque attention -J’emploierai dans mon discours toute la précision que l’importance de l’objet pourra me permettre. 3. Lorsqu’on traite d’aussi grandes questions, Messieurs, il est dangereux de s’appuyer à la fois sur des principes divers, et d’étabur la discussion sur plusieurs bases. Alors on embrouille l’objet sans l’éclaircir, et l’on parvient à de faux résultats. C’est ce qui est arrivé, ce me semble, à la plupart de ceux qui ont écrit ou parlé jusqu’à présent, sur le papier-monnaie ou papier forcé en circulation : je tâcherai de ne pas tomber dans cette erreur. 4. Deux causes principales, mais tout à fait différentes, peuvent déterminer le gouvernement à la création d’un papier-monnaie : la rareté du numéraire, et les besoins actuels de l'administration ; ces deux causes peuvent exister l’une sans l’autre, et toutes deuxeusemble ; mais n’ayant pas les mêmes principes, elles ne peuvent avoir les mêmes résultats, et nous devons éviter avec soin de les confondre dans la discussion. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Pour épargner les moments si précieu\ de l’Assena-hlee national-, on ne portera �as celle opinion à . la tribune. Afin d'y suppléer, on la Hisfibuera imprimée à MM, les députés. ( Note de Jf, Périsse Dulue).