SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN II (13 MAI 1794) - N° 36 313 tué en combattant les ennemis de la patrie, des secours qui leur auraient été constamment refusés, aussi longtemps qu’il n’aurait fait que verser partiellement son sang pour la République ! Les trois quarts de son existence, sacrifiés pour la cause de la liberté et de l’égalité, n’auraient pu procurer à ses enfants, à son épouse, ce que sa mort seule peut leur assurer ! Etrange et funeste alternative ! s’il avait pu survivre à ses dangers, à ses blessures, sa famille continuerait d’être privée de secours ! La patrie pourrait-elle tenir un pareil langage ? ses défenseurs sont-ils donc comme les satellites et les esclaves du despotisme, que l’intérêt ou l’habitude de l’esclavage font seuls mouvoir et agir ? Républicains par caractère, les soldats de la liberté et de l’égalité ne s’attachent pas aux discours ni au raisonnement pour prouver leur dévouement à la patrie; chaque jour, chaque heurë, chaque instant de leur existence sont marqués par des actes qui mettent leur vie en péril. Ils ne font pas cautionner leur patriotisme; ils en sont eux-mêmes les garants. Ils assurent leur responsabilité envers la République en marchant au pas de charge, et la baïonnette en avant, sur les retranchements ennemis. Ils ont juré fidélité à la patrie; c’est en versant leur sang qu’ils s’acquittent de cet engagement sacré... Les maladies, les fatigues, et tous les autres accidents prévus ou imprévus des camps, des cantonnements, des bivouacs et des postes les plus périlleux ne remplissent-ils pas nos hôpitaux des remplaçants comme des autres ? Le sang du peuple coule chaque fois que celui d’un défenseur de la patrie est versé. Ce sang crie continuellement vengeance contre ses ennemis, auteurs de tous nos maux; celui d’un soldat de la liberté parti en remplacement est-il donc moins le sang du peuple, qu’il ne faille pas aussi venger par la destruction des partisans ou des complices de la tyrannie ? Remarquez encore le sort des soldats de la patrie qui sont faits prisonniers. Celui du remplacement est-il différent des autres ? ses maux ne sont-ils pas les mêmes ? ses tourments ne sont-ils pas assimilés à ceux que l’on fait éprouver à ses camarades ? Ah ! puisque les défenseurs de la patrie sont égaux en valeur, en courage, en héroïsme, en désintéressement et en dévouement pour la cause de la liberté et de l’égalité; puisque tous à l’envi brûlent de combattre, et que tous avec la même ardeur versent leur sang pour le salut de la République, que tous sont rangés sous les mêmes drapeaux de la patrie, que tous enfin se montrent dignes de la défendre et d’arborer l’étendard tricolore partout où le succès de nos armes les conduit et prépare leurs triomphes, hâtez -vous, à l’exemple même de ces» braves républicains, d’anéantir toute différence, toute ligne de démarcation entre tel ou tel défenseur de la patrie; hâtez-vous de faire participer les familles des militaires partis en remplacement aux mêmes secours accordés aux parents des autres. Ils ne calculent pas entre eux mêmes; ne calculez pas davantage entre les familles indigentes de tous les soldats de la liberté. Amour sacré de la patrie ! s’il en est parmi les défenseurs qui trahissent la cause de la République, ce n’est jamais parmi le peuple soldat qu’il faut les chercher; les traîtres n’existèrent que dans les états-majors, et parmi les chefs, parmi ces vils êtres que l’ambition, l’intérêt, l’orgueil et la corruption ont éblouis, perdus et gangrenés. Le soldat, vertueux comme le peuple qui l’a produit, ne voit que sa patrie, ne connaît qu’elle, lui prodigue tout son sang; il lui sacrifie ses affections les plus chères, sa vie, sa femme, ses enfants, son père, sa mère, sa famille entière... Généreux et sublime dévouement dont les Républiques seules peuvent fournir des exemples ! O vertu du peuple ! toi seule as pu procurer des remplaçants. Quel service n’a-tu pas rendu à la patrie dans ces remplacements mêmes ? Un seul remplaçant vaut mieux pour la République que dix des remplacés, qui, tous peut-être, mais plusieurs à coup sûr, auraient trahi la cause de la liberté; car s’ils furent assez lâches pour ne pas accepter le poste d’honneur, ils auraient été assez insouciants et même assez méchants pour l’abandonner. Je terminerai par une réflexion. Au milieu des brigandages, des incendies, des dévastations, des pillages, et surtout des cruautés abominables que commettent en tout genre nos féroces ennemis, vous n’ignorez pas que c’est particulièrement envers les familles patriotes des frontières qu’ils exercent les plus grandes horreurs; mais leur rage et leur acharnement s’exercent encore avec un raffinement de cruauté envers les familles des défenseurs de la patrie. Croyez-vous que les satellites du despotisme aient plus de ménagement pour les parents des militaires partis en remplacement que pour ceux des autres ? N’est-ce pas le même crime à leurs yeux que de porter les armes pour la cause de la liberté et de l’égalité ! Vous accorderez donc aussi les mêmes avantages aux unes et aux autres victimes de la tyrannie. Voici le projet de décret que votre Comité des secours publics m’a chargé de vous présenter (1) . Adopté comme suit : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BRIEZ, au nom] de son Comité des secours publics, «Décrète qu’à compter du premier germinal dernier, les parens des militaires partis en remplacement jouiront également, et dans les mêmes cas et dans les mêmes proportions, des secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie par la loi du 21 pluviôse dernier et par les lois antérieures : » Déroge, quant à ce, à l’article premier du titre V de la loi du 21 pluviôse, et à l’article III de la loi du 4 mars 1793. » Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (2). (1) Mon., XX, 475-478, 484; J. Univ., n08 1632, 1636 et 1637. Imprimé par ordre de la Conv., broch. in 8°, 30 p. (B .N. Le 38 793). (2) P.V., XXXVII, 200. Minute de la main de Briez, (C 301, pl. 1073, p. 19). Décret n° 9142. Reprod. dans Bin, 24 flor. et 26 flor. (suppl*); Débats , n° 601, p. 326; mention dans J. Paris, n° 499; Ann. pair., n° 498; Rép., n° 145; M.U., XXXIX, 391; J. Mont., n° 18; Ann. R.F., n° 165; J. Sablier, n° 1316; C. Eg., n° 634; Feuille Rép., n° 315; J. Matin, n° 692; J. Sans-Culottes, n° 453; J. Lois, n° 594; J. Perlet, n° 599; Audit, nat., n° 598. SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN II (13 MAI 1794) - N° 36 313 tué en combattant les ennemis de la patrie, des secours qui leur auraient été constamment refusés, aussi longtemps qu’il n’aurait fait que verser partiellement son sang pour la République ! Les trois quarts de son existence, sacrifiés pour la cause de la liberté et de l’égalité, n’auraient pu procurer à ses enfants, à son épouse, ce que sa mort seule peut leur assurer ! Etrange et funeste alternative ! s’il avait pu survivre à ses dangers, à ses blessures, sa famille continuerait d’être privée de secours ! La patrie pourrait-elle tenir un pareil langage ? ses défenseurs sont-ils donc comme les satellites et les esclaves du despotisme, que l’intérêt ou l’habitude de l’esclavage font seuls mouvoir et agir ? Républicains par caractère, les soldats de la liberté et de l’égalité ne s’attachent pas aux discours ni au raisonnement pour prouver leur dévouement à la patrie; chaque jour, chaque heurë, chaque instant de leur existence sont marqués par des actes qui mettent leur vie en péril. Ils ne font pas cautionner leur patriotisme; ils en sont eux-mêmes les garants. Ils assurent leur responsabilité envers la République en marchant au pas de charge, et la baïonnette en avant, sur les retranchements ennemis. Ils ont juré fidélité à la patrie; c’est en versant leur sang qu’ils s’acquittent de cet engagement sacré... Les maladies, les fatigues, et tous les autres accidents prévus ou imprévus des camps, des cantonnements, des bivouacs et des postes les plus périlleux ne remplissent-ils pas nos hôpitaux des remplaçants comme des autres ? Le sang du peuple coule chaque fois que celui d’un défenseur de la patrie est versé. Ce sang crie continuellement vengeance contre ses ennemis, auteurs de tous nos maux; celui d’un soldat de la liberté parti en remplacement est-il donc moins le sang du peuple, qu’il ne faille pas aussi venger par la destruction des partisans ou des complices de la tyrannie ? Remarquez encore le sort des soldats de la patrie qui sont faits prisonniers. Celui du remplacement est-il différent des autres ? ses maux ne sont-ils pas les mêmes ? ses tourments ne sont-ils pas assimilés à ceux que l’on fait éprouver à ses camarades ? Ah ! puisque les défenseurs de la patrie sont égaux en valeur, en courage, en héroïsme, en désintéressement et en dévouement pour la cause de la liberté et de l’égalité; puisque tous à l’envi brûlent de combattre, et que tous avec la même ardeur versent leur sang pour le salut de la République, que tous sont rangés sous les mêmes drapeaux de la patrie, que tous enfin se montrent dignes de la défendre et d’arborer l’étendard tricolore partout où le succès de nos armes les conduit et prépare leurs triomphes, hâtez -vous, à l’exemple même de ces» braves républicains, d’anéantir toute différence, toute ligne de démarcation entre tel ou tel défenseur de la patrie; hâtez-vous de faire participer les familles des militaires partis en remplacement aux mêmes secours accordés aux parents des autres. Ils ne calculent pas entre eux mêmes; ne calculez pas davantage entre les familles indigentes de tous les soldats de la liberté. Amour sacré de la patrie ! s’il en est parmi les défenseurs qui trahissent la cause de la République, ce n’est jamais parmi le peuple soldat qu’il faut les chercher; les traîtres n’existèrent que dans les états-majors, et parmi les chefs, parmi ces vils êtres que l’ambition, l’intérêt, l’orgueil et la corruption ont éblouis, perdus et gangrenés. Le soldat, vertueux comme le peuple qui l’a produit, ne voit que sa patrie, ne connaît qu’elle, lui prodigue tout son sang; il lui sacrifie ses affections les plus chères, sa vie, sa femme, ses enfants, son père, sa mère, sa famille entière... Généreux et sublime dévouement dont les Républiques seules peuvent fournir des exemples ! O vertu du peuple ! toi seule as pu procurer des remplaçants. Quel service n’a-tu pas rendu à la patrie dans ces remplacements mêmes ? Un seul remplaçant vaut mieux pour la République que dix des remplacés, qui, tous peut-être, mais plusieurs à coup sûr, auraient trahi la cause de la liberté; car s’ils furent assez lâches pour ne pas accepter le poste d’honneur, ils auraient été assez insouciants et même assez méchants pour l’abandonner. Je terminerai par une réflexion. Au milieu des brigandages, des incendies, des dévastations, des pillages, et surtout des cruautés abominables que commettent en tout genre nos féroces ennemis, vous n’ignorez pas que c’est particulièrement envers les familles patriotes des frontières qu’ils exercent les plus grandes horreurs; mais leur rage et leur acharnement s’exercent encore avec un raffinement de cruauté envers les familles des défenseurs de la patrie. Croyez-vous que les satellites du despotisme aient plus de ménagement pour les parents des militaires partis en remplacement que pour ceux des autres ? N’est-ce pas le même crime à leurs yeux que de porter les armes pour la cause de la liberté et de l’égalité ! Vous accorderez donc aussi les mêmes avantages aux unes et aux autres victimes de la tyrannie. Voici le projet de décret que votre Comité des secours publics m’a chargé de vous présenter (1) . Adopté comme suit : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BRIEZ, au nom] de son Comité des secours publics, «Décrète qu’à compter du premier germinal dernier, les parens des militaires partis en remplacement jouiront également, et dans les mêmes cas et dans les mêmes proportions, des secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie par la loi du 21 pluviôse dernier et par les lois antérieures : » Déroge, quant à ce, à l’article premier du titre V de la loi du 21 pluviôse, et à l’article III de la loi du 4 mars 1793. » Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (2). (1) Mon., XX, 475-478, 484; J. Univ., n08 1632, 1636 et 1637. Imprimé par ordre de la Conv., broch. in 8°, 30 p. (B .N. Le 38 793). (2) P.V., XXXVII, 200. Minute de la main de Briez, (C 301, pl. 1073, p. 19). Décret n° 9142. Reprod. dans Bin, 24 flor. et 26 flor. (suppl*); Débats , n° 601, p. 326; mention dans J. Paris, n° 499; Ann. pair., n° 498; Rép., n° 145; M.U., XXXIX, 391; J. Mont., n° 18; Ann. R.F., n° 165; J. Sablier, n° 1316; C. Eg., n° 634; Feuille Rép., n° 315; J. Matin, n° 692; J. Sans-Culottes, n° 453; J. Lois, n° 594; J. Perlet, n° 599; Audit, nat., n° 598.