[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il juillet 1789,] m lumières que des personnes étrangères voudront bien lui communiquer. M. de Gouy d’Arcy, orateur de son bureau, présente un plan qui paraît approuvé. Toutes les parties de la finance seront indiquées sur différentes feuilles, et tous ceux qui sont plus versés dans la connaissance de tel chapitre que dans celle de tel autre, seront invités à inscrire leur nom sur le feuillet qui porte la matière qu’ils veulent traiter. L’Assemblée choisira parmi les personnes qui se seront présentées pour la composition du comité des finances. | M. le comte de Mirabeau expose que son bureau est d’avis d’établir sur-le-champ un comité des finances; que les obstacles que diffé-rèntes personnes présentent contre cet établissement ne sont d’aucune considération : l’on a pas à craindre qu’il empiète sur la constitution. Tandis que l’on travaillera â cette constitution, il préparera la matière qui occupera ensuite l’Assemblée. Le bureau a encore senti profondément le besoin et l’utilité des secours extérieurs. M. Populus, au nom de son bureau, dit qu’on re peut s’occuper de finances avant que la constitution ne soit achevée; que tout travail qui écarte de cet objet est prématuré; que la constitution doit précéder la législation financière. Ces réflexions ne produisent que fort peu d’ef-f 3t ; les esprits sont dans l’incertiude et l’indécision sur l’établissement du comité des finances. Les uns le désirent, les autres le refusent. M. Le Chapelier. Tous les détails qui viennent d’être présentés nécessitent des longueurs, des débats qui ne devraient naître que pour des objets d’une haute importance. L’établissement d’un comité de finance est à peine susceptible de discussion, et c’est aller contre le règlement que de perdre un temps précieux pour une si petite cause. Le comité ne fera que préparer les matières et ne décidera rien ; ce qu’il aura vu repassera sous vos yeux; vous jugerez son travail; il ne fera que faciliter le vôtre; car, bien entendu, les finances sont un objet trop important pour le confier sans réserve à 60 d’entre nous ; chacun de vous est venu ici pour prendre connaissance, et nous devons remplir notre mission. 11 est donc nécessaire d’établir ce comité, non pas pour nous présenter des projets de subsides, mais pour vous faire un rapport de la recette, pour vérifier les états, pour faire en un mot ce que vous ferez après lui. ‘i La seule difficile qui ait paru exister, c’est sur la formation de ce comité. ] Sans doute tous les membres de l’Assemblée ne sont pas également instruits sur les finances, et if serait à propos que chaque bureau nommât quatre personnes, et c’est dans ce nombre réuni que l’Assemblée prendra, par la voie dn scrutin, 40 députés qui composeront le comité des finances. Les principes de M. Le Chapelier paraissent déterminer l’Assemblée. ! M. le Président prie ceux qui s’opposent à l’établissement du comité de se lever; personne ne se lève. Il y a, un second débat, presque aussi vif que le premier. Les uns veulent former le comité par généralités, d’autres le nommer par provinces, ou le former des gens les plus instruits, sans distinction de baillage. On veut enfin le former par bureaux. M. de ILally-Tollendal. Toujours les Etats généraux, dont on avait espéré tant de bien, qui projetèrent des lois si sages, si utiles, devinrent infructueux par les divisions qui s’établirent, surtout lorsqu’on voulut délibérer par province. Je me range du côté de M. Barnaye qui a voté pour le mélange des provinces. Les uns veulent la nomination par généralités, les autres par bureaux; on prend un parti mitoyen, qui est d’en choisir 32 dans les généralités, et 30 dans les bureaux. Ainsi, le comité des finances est composé de 62 personnes. Ce dernier accommodement ayant été adopté, M. de Lafayetle demande et obtient la parole, M. le marquis de ILafayette. Quoique mes pouvoirs m’ôtent la faculté de voter encore parmi vous, je crois cependant devoir vous offrir le tribut de mes pensées. On vous a déjà présenté un projet de travail sur la constitution. Ce plan, si justement applaudi, présente la nécessité d’une déclaration des droits comme le premier objet de votre attention. En effet, soit que vous offriez sur-le-champ à la nation cette énonciation de vérités incontestables, soit que vbus pensiez que ce premier chapitre de votre grand ouvrage ne doive pas en être isolé, il est constant que vos idées doivent d’abord se fixer sur une déclaration qui renferme les premiers principes de toute constitution, les premiers éléments de toute législation. Quelque simples, quelque communs même que soient ces principes, il sera souvent utile d’y rapporter les discussions de l’Assemblée. M. de Lafayette présente ensuite deux objets d’utilité d’une déclaration des droits. Le premier est de rappeler les sentiments que la nature a gravés dans le coeur de chaque individu ; d’en faciliter le développement, qui est d’autant plus intéressant que, pour qu’une nation aime la liberté, il suffit qu’elle la connaisse, et que, pour qu’elle soit libre, il suffit qu’elle le veuille. Le second objet d’utilité est d’exprimer ces vérités éternelles d’où doivent découler toutes les institutions, et devenir, dans les travaux des représentants de la nation, un guide fidèle qui les ramène toujours à la source du droit naturel et social. Il considère cette déclaration comme devant s’arrêter au moment où le gouvernement prend une modification certaine et déterminée, telle qu’est en France la monarchie ; et, renvoyant à un autreordre de travail, d’après le plan proposé, ['organisation du corps législatif, la sanction royale qui en fait partie, etc., etc., il a cru devoir désigner d’avance le principe de la division des pouvoirs. Ensuite il a ajouté : Le mérite d’une déclaration des droits consiste dans la vérité et la précision ; elle doit dire ce que tout le monde sait, ce que tout le monde sent. G’est cette idée, Messieurs, qui seule a pu m’engager à tracer une esquisse que j’ai l’honneur de vous présenter. Je suis bien loin de demander qu’on l'adopte; je demande seulement que l’Assemblée en fasse faire des copies pour être distribuées dans les dif- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 222 [Assemblée nationale.] férents bureaux ; ce premier essai de ma part engagera d’autres membres à présenter d’autres projets qui rempliront mieux les vœux de l’Assemblée, et que je m’empresserai de préférer au mien. On applaudit vivement. M. le marquis de Lafaycttc fait lecture du projet qui suit : « La nature a fait les hommes libres et égaux; les distinctions nécessaires à l’ordre social ne sont fondées que sur l’utilité générale. « Tout homme naît avec des droits inaliénables et imprescriptibles; telles sont la liberté de toutes ses opinions, le soin de son honneur et de sa vie; le droit de propriété, la disposition entière de sa personne, de son industrie, de toutes ses facultés; la communication de ses pensées ar tous les moyens possibles, la recherche du ien-être et la résistance à l’oppression. « L’exercice des droits naturels n’a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société. « Nul homme ne peut être soumis qu’à des lois consenties par lui ou ses représentants, antérieurement promulguées et légalement appliquées. « Le principe de toute souveraineté réside dans la nation. « Nul corps, nul individu ne peut avoir une autorité qui n’en émane expressément. * Tout gouvernement a pour unique but le bien commun. Cet intérêt exige que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, soient distincts et définis, et que leur organisation assure la représentation libre des citoyens, la responsabilité des agents et l’impartialité des juges. « Les lois doivent être claires, précises, uniformes pour tous les citoyens. « Les subsides doivent être librement consentis et proportionnellement répartis. « Et comme l’introduction des abus et le droit des générations qui se succèdent nécessitent la révision de tout établissement humain, il doit être possible à la nation d’avoir, dan3 certains cas, une convocation extraordinaire de députés, dont le seul objet soit d’examiner et corriger, s’il est nécessaire, les vices de la constitution. » M. le comte de Lally-Tollendal (1). Messieurs, j’appuie la motion qui vient de vous être soumise; je jouis des applaudissements qu’elle a mérités; à quelques lignes près, susceptibles de discussion, tous les principes m’en paraissent sacrés, tous les résultats précis, toutes les idées aussi simples que grandes : il appartenait à son auteur d’être le premier à vous l’ol'Irir; il parle de la liberté comme il Ta défendue. Que cette motion soit donc l’objet de nos méditations, qu’elle soit un des guides de notre travail; qu’elle en devienne môme une partie, la première partie, si l’Assemblée générale l’accueille ainsi que moi; mais qu’elle ne forme pas un tout à elle seule, et dès cet instant. L’alternative qu’elle présente à cet égard m’inquiète involontairement. Plus le fond de cette déclaration est séduisant, plus il faut nous garder des inconvénients de la forme : plus son objet a d’utilité, moins il faut le compromettre. Permettez, Messieurs, que j’insiste plus que (1) Le discours deM. de Lally-Tollendal est incomplet au Moniteur. [11 Juillet 1789.} jamais sur le danger qu’il y aurait à concevoir l’idée d’une pareille déclaration isolée du reste de la constitution. Permettez que, frappé depuis longtemps de ces dangers, je dépose mes alarmes dans le sein de votre sagesse et de votre patriotisme; que je rappelle encore votre attention sur ces grandes vérités dont vous avez dû être frappés avant-hier; que je vous prie de songer encore combien la différence est énorme, d’un peuple naissant qui s’annonce à l’univers, d’un peuple colonial qui rompt les liens d’un gouvernement éloigné, à un peuple antique, immense, l’un des premiers du monde, qui depuis quatorze cents ans s’est donné une forme de gouvernement, qui depuis huit siècles obéit à la même dvnastie, qui a chéri ce pouvoir, lorsqu’il n’était tempéré que par les mœurs et qui va l’idolâtrer lorsqu’il sera réglé par les lois. H est affreux de le dire, il est plus affreux de le penser; mais nous ne le savons tous que trop, la calomnie nous environne, elle épie nos actions pour les défigurer, nos discours pour les corrompre. Si, avec l’intention la plus pure, nous mettions en avant, dans un acte déclaratoire, les droits naturels, sans les joindre immédiatement aux droits positifs, songez quelles armes nous donnerions à nos calomniateurs; comme ils triompheraient; comme ils diraient que sur cette égalité primitive qui ne serait pour eux que la confusion de la société, que sur le droit de nature qui ne serait à les entendre, que le droit de la force, nous voulons établir la subvention de toute autorité. Que serait-ce, Messieurs, si quelques imaginations déréglées, comprenant mal nos principes, si quelques esprits pervers, voulant mal les comprendre, se laissaient aller à des désordres, se portaient volontairement à des excès, dopt certainement nous gémirions plus que ceux qui nous les reprocheraient, mais qu’on nous reprocherait enfin et que nous nous reprocherions nous-mêmes. Ne résultât-il enfin de cette déclaration isoléé, que des difficultés qui seraient surmontées, que des délais qui auraient un terme; le peuple souffre, et il nous demande des secours réels bien plus que des définitions abstraites. Lqs créanciers de l’Etat ont béni votre sauvegardé Ils se reposent sur elle, ils sont peut-être au moment de la réclamer, si la majorité d’entre nous est astreinte à n'accorder aucun subside, que les bases constitutionnelles ne soient établies : quel motif pour presser ce travail et pour le dégager de toutes les entraves qui pourraient l’arrêter! Car encore ne faudrait-il pas, et, vous le sentez bien, Messieurs, que deux fléaux épouvantables, la famine et la banqueroute, vinssent dévorer des milliers de Français, tandis que les représentants de la nation française sont là réunis, et que pour toute réponse, et aux plaintes des victimes et aux interpellations de l’Europe, ces représentants fussent réduits à dire: nous étions impuissants ; il ne nous était pas permis de rien accorder; il ne nous était pas permis de sauver la France. Ainsi, Messieurs, adoptons le projet précieux qui vient de nous être offert : remontons sans doute au droit naturel, puisqu’il est le principe de tous les autres ; mais parcourons rapidement la chaîne des intermédiaires, et hâtons-nous de redescendre au droit positif qui nous attache au gouvernement monarchique ; que la déclaration de nos droits soit la déclaration des droits de tous; que l’homme, le citoyen, le sujet, le mo>