525 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1790.] moins, et convoquée par le commissaire de la section, se sera réuni pour la demander. « Le commissaire de la section sera tenu rtecon-voquer l’assemblée lorsque cinquante citoyens actifs se réuniront pour la demander. » (La séance est levée à dix heures du soir.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M-THOURET. Séance du dimanche 16 mai 1790 (1). M. le Président ouvre la séance à onze heures du matin. M. de Réveillière de Lépeaux, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. Plusieurs membres demandent que le décret concernant les impositions de 1790 soit renvoyé au comité des finances pour en rectifier la rédaction. Ce renvoi est ordonné et le procès-verbal est adopté. M. Armand, député de Saint-Flour, dit que les écoliers du collège d’Aurillac ont fait, au mois de mars dernier, un don patriotique de 150 livres. Cet acte est d’autant plus digne d’éloges, qu’il est le fruit de privations peu familières à cet âge, et que peu de temps auparavant cette jeunesse généreuse avait distribué une somme plus considérable aux ouvriers indigents de la même ville. L’Assemblée applaudit à l’acte patriotique de cesjeunes citoyens. M. Salle, député de Nancy, rend compte au nom du comité des rapports, d’une affaire concernant la formation des assemblées administratives en Alsace. Messieurs, dit le rapporteur, l’intérêt personnel suscite de nouveaux obstacles à la Constitution ; sa voix, sans cesse étouffée, cherche sans cesse à se faire entendre ; elle rappelle des citoyens à la révolte; elle les excite au nom d’un Dieu de paix, à attenter à la vie des uns des autres. Vous avez méprisé ces clameurs ; cependant le mal augmente, des partis factieux ont trouvé des chefs; les citoyens coupables se réunissent pour répandre les principes de l’insurrection et de la discorde ; de coupables erreurs se propagent. Gomme leurs déclamations fanatiques ne supporteraient pas les regards de la raison, c’est surtout à ceux qui parlent un langage étranger qu’ils les adressent. L'Alsace est le théâtre de ces manœuvres perfides.... L’évêque de Spire a formé opposition à l’établissement des assemblées administratives : cette opposition a été signifiée aux commissaires du roi du département du Bas-Rhin. La notification en a été faite par M. de Diétricht, notable de Strasbourg. Si l’Assemblée nationale ne s’empresse d’y porter remède, la guerre civile va commencer dans (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. ce département, et s’étendra de proche en proche .... (ce sont les propres paroles des commissaires du roi). Des prières sont ordonnées comme dans les calamités publiques; les formules contiennent un anathème contre la Constitution ; des prédicateurs fanatiques souillent les églises par des déclamations incendiaires contre l’Assemblée nationale dont ils appellent les décrets des brigandages. . . . M. Bénard, grand bailli de Bouxwillers en Basse-Alsace, a convoqué, de sa pleine autorité dans sa maison bail liagère, une assemblée des communautés du bailliage, à l’effet de délibérer sur les dangers qui les menacent. Un exemplaire des lettres de convocation adressées au maire de Rhinghendorff est entre nos mains ; l’assemblée a eu lieu le 17 avril ; elle a rédigé une protestation contre la vente des biens ecclésiastiques et particulièrement, disent les commissaires du roi, de ceux du chapitre de Nauvillers, à la tête duquel est M. l’abbé d’Eymard. Une lettre anonyme a été répandue à Bouxwillers ; elle tend à porter les citoyens à la révolte ; elle les engage à abolir la nouvelle municipalité ; elle invite toutes les municipalités à ne pas envoyer aux assemblées de district et de département. Sur cette lettre, la commune s’est assemblée; elle a pris une délibération dont voici la substance : Après avoir mûrement pesé les décrets de l’Assemblée nationale nous les avons reconnus con-trairesaux privilèges delà province; nousavons vu que c’est injustement qu’on nous enlève notre seigneur et que, par l’abolition des droits seigneuriaux, nous sommes privés des bienfaits de notre prince; nous arrêtons de mettre aux pieds de notre auguste seigneur les vœux de ses fidèles sujets pour le prier de nous faire maintenir dans notre Constitution : nous sommes prêts à sacrifier la dernière goutte de notre sang pour défendre les intérêts du landgrave de Hesse d’Armstadt, notre légitime souverain, d’autant plus volontiers que nous sommes certains que la volonté du roi est opposée à la Révolution... M. Dupont (de Nemours). Il faut ajourner cette affaire et la communiquer au ministère des affaires étrangères. M. Salle continue : De neuf officiers municipaux qui composent la municipalité de Bouxwillers, huit ont refusé de signer cette délibération ; ils ont fait la déclaration de leur refus au greffe du maire de Strasbourg. D’autres citoyens ont protesté contre leurs signatures apposées à cet acte en déclarant qu’elles ont été surprises; il nous a été aussi remis un procès-verbal d’une assemblée tenue à Huningue, à laquelle la municipalité avait convoqué 80 municipalités environnantes ; la garnison a été mise sous les armes pour protéger cette assemblée: on y a décidé entre autres objets de s’opposer à l’introduction des assignats en Alsace. . . M. de Diétricht et M. Bénard sont les premiers coupables et vous ne pouvez vous dispenser de sévir contre eux. Le comité vous propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir ouï son comité des rapports, a décrété et décrète que son président se retirera dans le jour par devers le roi, â l’effet de le supplier de faire usage de tous les moyens que la Constitution met en son pouvoir,’ pour hâter les opérations de ses commissaires préposés à la formation des assemblées administratives, et maintenir le respect et l’obéissance dus à la mission dont il les a honorés. » 526 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai ÎTOO.] « Déclare qu’il y a lieu à inculper les sieurs Diétricht, notable de la commune de Strasbourg M. Bénard, bailli de Bouxwillers ; les suspend l’un et l’autre de toute fonction publique, et charge le pouvoir exécutif de les faire poursuivre parde-vanttout tribunal compétent. « L’Assemblée nationale renvoie les pièces de cette affaire à son comité des recherches, et lui ordonne de faire toutes poursuites nécessaires our découvrir les auteurs de la résistance com-inée qui paraît se manifester à la fois dans plusieurs parties de l’Alsace. » M. l’abbé d’Eymar. Avant de vous mettre à même d’apprécier l’affectation indécente qui a été apportée à prononcer mon nom, je vais vous expliquer ce que c’est que Bouxwillers. Bouxwil-lers est une dépendance du comté de Hanau, qui appartient au landgrave de Hesse-Darmstadt ; Neu-viîlers est une communauté voisine; dans cette communauté est un chapitre dont je suis le chef. On a affecté de dire qu’elle réclamait la conservation des biens ecclésiastiques, et notamment de ceux du chapitre dont je suis le chef. . . ( Des murmures interrompent M. l'abbé d'Eymar). Je n’inculpe pas le rapporteur, mais les commissaires du roi, parce qu’ils sont coupables, et je les dénonce d’avance; ils ont outrepassé leurs pouvoirs, en dénonçant ce qui s’est passé à Bouxwillers : ces faits ne sont pas de leur compétence. Il est très glorieux pour moi de dire qu’une communauté, composée pour les deux tiers de protestants, a eu la bonté de demander la conservation de son chapitre, qu’elle annonce lui avoir fait tout le bien possible. J’ai l’honneur de le présider, et je partage la gloire de ses bienfaits. Quant à ma conduite particulière, je soutiens avec force les mandats qui m’ont été donnés, et je les maintiendrai toujours. On dit que ces menées empêchent l’organisation des assemblées primaires. Eh bien ! j’atteste que l’Alsace, et surtout le comté de Hanau, désirent que ces assemblées soient organisées, pour y porter les vœux qu’on vous masque dans ce rapport. Je vais entrer dans la question.... M. Dupont (de Nemours). Je demande l’ajournement à une séance du soir. L’Assemblée doit s’occuper aujourd’hui d’une question plus împors» tante. (L’ajournement à la séance de demain soir est mis aux voix et prononcé.) M. le Président. La discussion est ouverte sur cette question constitutionnelle : « La nation doit-elle déléguer au roi l'exercice du droit de la paix et de la guerre? » M. le duc de Lévis a la parole. M. le duc de Lévis (1). Messieurs, je hasarderai mon opinion sur la grande question soumise à votre discussion, avec celte sorte de crainte que fait naître l’importance de la matière et la défiance de ses forces. Je vous demande donc un peu d’indulgence, et pour vous engagera me l’accorder, je promets d’être court et tâcherai d’être clair. Pour procéder avec méthode, je commencerai par traiter des deux espèces de guerres, offensives et défensives, puis du temps et des conditions de (1) Nous empruntons le discours de M. le duc de Levis, au journal le Point du Jour, Tome 6, page 56. — Cette version est beaucoup plus complète que celle du Moniteur. la paix; je dirai ensuite quelque chose sur les alliances; enfin, je proposerai à l’Assemblée une série de questions qui me paraissent devoir former l’ordre du travail. Tous les publicistes conviennent que le droit de guerre est un attribut de la souveraineté, mais aucun d’eux n’a pas assez approfondi son origine; pour moi, il me paraît qu’elle se trouve dans ce principe que vous avez consacré dans votre déclaration des droits de l’homme : « Tout homme a le droit de résister à l’oppres sion. » Il est clair, en effet, que si les hommes ont partiellement ce droit, toute la société, l’a aussi, puisqu’elle n’a été formée que pour faire jouir chacun de la force de tous. De là il résulte que le droit de repousser les attaques de ses ennemis est de droit naturel; mais de nul principe, de nul droit, l’on ne saurait tirer le droit de guerre offensive de droit chimérique de conquête, dont Grotius, Pullendorf et Montesquieu ont parlé, n’ont pour base que l’exemple des peuples conquérants, mais ne repose sur aucun droit. Je sais que Montesquieu a essayé de le justifier, en disant qu’il n’était qu’une conséquence du droit de défense, et qu’on pouvait attaquer et conquérir lorsqu’on pouvait craindre de l’être par la suite. Je demande qui jugera de l’intention, et il suffit d’ailleurs d’appliquer ce prétendu principe à l’état ordinaire de la société pour en reconnaître toute la fausseté et l’injustice. Je rencontre un homme dans un chemin ; il est armé; il pourrait m’attaquer; il en a peut-être l’intention; donc j’ai le droit de le tuer. Quels meurtres, quels crimes ne justifierait-on pas avec cette jurisprudence barbare ? je conclusqueledroit d’attaquer étant chimérique, ou plutôt n’étant qu’une violence, ne peut être exercé par la nation, ni délégué par elle; et que l’on ne m’oppose point ici la toute puissance de la nation, personne ne la respecte plus que moi, mais je sais qu’elle a, par la nature môme des choses, un terme que jamais rien ne saurait franchir, où commence l’injustice, là finit son pouvoir, là commence cet état violent que l’on a désigné par un nom bizarre, formé de mots monstrueusement rassemblés, le droit du plus fort. Après avoir traité de la guerre offensive et démontré que nul n’a le droit de la faire, qu’il me soit permis de vous rappeler ici l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous proposer hier et gue vous avez ajourné à cette séance : il consiste à déclarer de la manière la plus solennelle « que jamais la nation française n’entreprendra rien contre les droits et la liberté d’aucun peuple, mais qu’elle repoussera, avec tout le courage et l’énergie d’une grande nation libre et puissante, les attaques de ses ennemis. » Je ne sais si je m’égare, mais je crois voir dans cette exposition simple et énergique, d’une grande vérité, quelque chose de consolant pour tous les amis de l’humanité, de rassurant pour tous les peuples de l’Europe qui leur persuadera que le règne de l’injustice et de la mobilité est passé pour nous, et j’y vois en même temps un moyen puissant d’honorer aux yeux de l’univers notre nouvelle Constitution et de montrer sur quelles bases, sur quels principes de vérité, d’humanité et de justice est fondée cette Révolution que les ennemis du bien public ont osé calomnier chez les nations étrangères, après avoir tenté, de tant de manières, de bouleverser leur patrie. Si vous adoptez, comme je l’espère, cette pro-