[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1791.] 3«[ imprescriptibles que les nations sont souveraines. C’est ce gue fait le peuple d’Avignon; il a usé d’un droit que vous avez consacré; il vous a prouvé sa majorité ; vous ne pouvez donc vous refuser à le recevoir comme Français. D’après cela, comme ces maximes ne peuvent être contestées; comme elles décident la question, je demande que la discussion s’ouvre sur-le-champ. M. de Crillon le jeune. Ce que M. Robespierre vous a présenté comme une décision provisoire, n’est qu’une précaution qu’il me paraît que la prudence et l’humanité prescrivent. Des hommes s’entr’égorgent; ils demandent votre médiation. Il s’agit, non pas d’envoyer des troupes pour agir, comme les premières, à la réquisition de la municipalité, c’est-à-dire pour les soumettre à un parti, mais il faut envoyer des commissaires civils, qui, seuls, auront le droit de requérir, et leur donner un nombre de troupes suffisant, non pas pour dominer le pays, mais pour empêcher les habitants de s’égorger. C’est pour que le retard de votre décision ne fasse pas couler le sang des citoyens; c’est comme protecteur de l’humanité, que je demande que vous envoyiez des commissaires civils avec des troupes, comme l’a demandé M. de Clermont-Lodève. M. Legrand. Je crois que cet envoi de troupes est inutile dans les circonstances, en même temps que dangereux en politique. Si vous commencez par occuper le pays par des troupes, par vous emparer des postes, et que vous incorporiez ensuite Avignon à la France, ne pourra-t-on pas dire que le vœu des habitants a été violenté, que vous vous êtes emparés de ce pays par la force? La justice, la politique exigent donc que vous laissiez les choses in statu quo, jusqu’au moment de votre décision. La mesure proposée me paraît ensuite inutile, puisque vous pouvez, presque sur-le-champ, prononcer. M. Pétlon de Villenenve. Personne n’est plus convaincu que moi de la nécessité de prononcer sans délai sur la pétition du peuple avi-gnonais et comtadin ; mais le rapporteur ne peut faire son rapport que samedi. Il s’agit de savoir si, lorsque vous pouvez prononcer d’une manière définitive dans 48 heures, vous devez prendre des mesures provisoires inutiles ou dangereuses. Je crois que vous ne devez envoyer ni troupes, ni commissaires civils ; la première fois que vous avez envoyé des troupes dans ce pays, elles ne devaient que protéger nos établissements publics, et vous avez été obligé de les rappeler. Cependant combien il est différent d’envoyer des troupes seulement pour protéger des établissements nationaux, ou de les envoyer sous le prétexe d’apaiser le3 troubles? Vous ne devez, vous ne pouvez envoyer des troupes chez une nation étrangère qui n’a pas requis votre puissance. Les Avigno-nais demandent leur réunion à la France; ils ne demandent pas votre médiation ; et la France ne peut, sans une extrême injustice, envoyer des troupes chez ses voisins, parce qu’ils se battent. Supposez que chez une autre nation quelconque il se passât des scènes aussi désastreuses, pourriez-vous y envoyer des troupes, et les nations étrangères pourraient-elles en envoyer chez vous? Ne pourrait-il pas arriver que les troupes avigno-naises et comtadines se tournassent contre les vôtres qu’elles n’auraient pas demandées. Le seul moyen que vous ayez de pacifier ce pays, est donc de le réunir à la France, et c’est le seul qui vous donne le droit d’y envoyer des troupes. Croyez-vous d'ailleurs que ces troupes pussent être rassemblées, qu’elles pussent se porter à Avignon avant que vous ayez pris les mesures définitives qu’on attend de vous? Jedemande donc que, sur la motion qui a été faite, l’on passe à l’ordre du jour, et que cependant les pièces sur cette affaire soient lues samedi sans délai. M.de Clermont-Tonnerre. M. le rapporteur ayant écrit qu’il serait prêt samedi, c’est un ajournement pur et simple qu’il s’agit de prononcer. (L’Assemblée ferme la discussion et décrète que le rapport de l’affaire d'Avignon sera fait samedi matin sans autre délai, et que dans le cas où la santé du rapporteur actuel ne lui permettrait pas de présenter son travail au jour indiqué, il serait invité, par une lettre du Président, à remettre les pièces au comité diplomatique.) M. Buzot. Je demande que le décret qui vient d’être rendu soit notifié à l'instant à M. de Menou, afin qu’il puisse donner une réponse avant la fin de la séance et que nous sachions enfin s’il veut rendre ce rapport; car, à la fin, cela scandalise. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'organisation des gardes nationales (1). M. Robespierre. J’ai établi hier les principes fondamentaux de l’organisation de la garde nationale. J’ai prouvé que tous les citoyens devaient y être admis, si l’on ne voulait diviser la nation en 2 classes dont l'une serait à la discrétion de l’autre. J’ai prouvé qu’il fallait soustraire la garde nationale à l’influence du pouvoir exécutif, puisqu’elle doit servir au besoin pour nous défendre contre la force militaire dont ce pouvoir exécutif est armé. Maintenant il faut déterminer les fonctions des gardes nationales d’une manière plus précise. Cette théorie peut se réduire à deux ou trois questions importantes : 1° Les gardes nationales doivent-elles être employées à combattre les ennemis étrangers? Dans quel cas et comment peuvent-elles l’être? 2° Les gardes nationales sont-elles destinées à prêter main-forte à la justice et à la police? Ou dans quelles circonstances et de quelle manière doivent-elles remplir ces fonctions? 3° Dans tous les cas où elle doivent agir, peuvent-elles le faire de leur propre mouvement? Ou quelle est l’autorité qui doit les mettre en activité? Pour résoudre la première de ces questions, il suffit de l’éclairer. Toutes les fois qu’il s’agit d’un système militaire, nous ne devons jamais perdre de vue, ce me semble, la situatioii où nous nous sommes placés, et où nous devons rester, à l’égard des autres nations. Après la déclaration solennelle que nous leur avons faite des principes de justice que nous voulons suivre dans nos relations avec elles ; après avoir renoncé à l’ambition des conquêtes, et réduit nos traités d’alliance à des termes purement défensifs, nous devons d’abord compter que les occasions de guerre seront pour nous infiniment plus rares, à moins que nous u’ayons la faiblesse de nous laisser entraîner hors des règles de cette vertueuse politique par les perfides suggestions des éternels ennemis de notre liberté. Mais, soit qu’il faille fournir à no3 alliés (l) Voy. ci-dessus, séance du 27 avril 1791, p. 364 et suiv. 382 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES . (28 avril 1791.) le contingent de troupes stipulé par les traités, ou faire la guerre au dehors pour quelque cause que l’on puisse imaginer, il est évident que nos convenances, notre intérêt et la nature même des choses destinent nos troupes de ligne seules à cette fonction. Le soin de combattre nos ennemis étrangers ne eut dont regarder les gardes nationales que ans le cas où nous serions obligés de défendre Dotre propre territoire. Or, ici, je ne sais pas si la question ne pourrait point paraître, en quelque sorte, oiseuse. Du moins, si vous exceptez le cas où des troubles civils, des trahisons domestiques, de la part du gouvernement même, seraient combinées avec des invasions étrangères, si vous exceptez, dis-je, le cas où l’oubli des principes que yai posés entraînerait plus sûrement encore la ruine de l’Etat, comme j’aurai occasion de le remarquer bientôt, il est permis de croire que la plus extravagante et la plus chimérique des entreprises serait celle d’attaquer un empire immense, peuplé de citoyens armés pour défendre leurs foyers, leurs femmes, leurs enfants et leur liberté; si cet événement extraordinaire arrivait, si une armée de ligne immense ne suffisait pas pour repousser une attaque, qui pourrait douter de l’ardeur, de la facilité avec laquelle cette multitude de citoyens soldats qui couvrirait sa surface se rallierait nécessairement pour en protéger tous les points et opposer à chaque pas une barrière formidable au téméraire qui aurait formé le projet, je ne dis pas de leur apporter la guerre, mais de venir s’ensevelir lui-même au milieu cie leurs innombrables légions? Or, une espèce de danger si rare, d’une part, de l’autre des moyens de défense si faciles et si solidement établis par la nature même des choses, par la seule existence des gardes nationales, doit éloigner de nous toute idée de les plier à un système militaire qui dénaturerait leur esprit et leur institution, en les incorporant, en quelque manière que ce soit, avec I s troupes de ligne. C’est à ce point que je voulais venir. C’est une observation dont on sentira toute l'importance, quand je l’appliquerai au système du comité de Constitution, dont je ferai bientôt connaître tout le danger, dans un examen rapide. Je passe maintenant à la seconde des questions que j’ai posées, qui concerne l’action des gardes nationales dans les troubles intérieurs, et qui tient à des observations également simples. Je ne parle point ici de ces grandes conspirations tramées contre la liberté du peuple par ceux à qui il a confié son autorité. Les gardes nationales sont, à la vérité, le moyen le plus puissant et le plus doux de les étouffer et de les prévenir : ce sera même là, sans contredit, le plus grand de leurs services et le plus saint de leurs devoirs : mais c’est à l’explosion delà volonté générale, c’est à l’empire de la nécessité, et non à une marche méthodique, à des règles exactes, qu’est soumis l’exercice du droit sacré de l’insurrection. Ne parlons que des mouvements séditieux , ou des actes contraires aux lois qui peuvent troubler l’ordre public. Il faut une force publique qui les réprime; cette force ne peut pas être celle des troupes de ligne, 1° parce qu’elles sont entretenues pour combattre les ennemis étrangers; 2° parce qu’entre les mains du prince qui la dirige, elle serait un instrument trop dangereux à la liberté. D’ailleurs, dans les troubles civils, il n’y a qu’une forcemue parla volontégénérale qui puisse être légitime et efficace; et les ordres du prince ne représentent pas et ne supposent point cette volonté, puisque sa volonté particulière est trop naturellement en opposition avec elle. De là vient que c’est aujourd’hui une maxime généralement reconnue, que, dans un Etat libre, les troupes ne doivent jamais être employées contre les citoyens. Il ne reste donc que les gardes nationales qui doivent, dans ces occasions, rétablir la tranquillité publique. Cette conséquence est du moins évidente et avouée de tout le monde, pour les cas de sédition, c’est-à-dire des insurrections d’une multitude de citoyens contre les lois. Mais les gardes nationales doivent-elles être employées pour le maintien de la police ordinaire ? Faut-il leur confier le soin, par exemple, de remettre entre les mains de la justice les citoyens suspects dont elle veut s’assurer ; ou de forcer les résistances que les particuliers peuvent apporter à l’exécution de ses jugements; ou faut-il créer un corps particulier pour remplir ces fonctions? C’est ici que les opinions semblent se partager; c’est par ce point que la question de la conservation de la maréchaussée est liée à celle de l’organisation des gardes nationales; question vraiment importante et compliquée qui mérite toute votre attention. Quelque sérieuses que soient les difficultés qui l’environnent, il me semble que toutes les raisons pour ou contre aboutissent à un point de décision assez facile. Il faut, dit-on, pour remplir les fonctions attribuées jusqu’ici à la maréchaussée, des hommes actifs, spécialement voués et exercés à ce ministère. La maréchaussée seule remplit ces conditions. Le nom seul de la maréchaussée est en possession d’en imposer aux malfaiteurs. Des citoyens soldats sauront-ils, comme elle, les épier, les découvrir, les poursuivre? Consentiraient-ils à exercer un métier auquel est attachée une espèce de défaveur? Quand j’ai exposé ces raisons, j’ai épuisé, ce me semble, tout ce qu’on a dit et peut-être tout ce qu’on peut dire en faveur de l’institution de la maréchaussée. Voici les raisons du système contraire, qui paraissent à plusieurs et plus solides et plus importantes. Ils désireraient d’abord qu’en parlant des services qu’elle rendait, par l’exercice d’un ministère indispensable, on ne dissimulât pas les vexations et les abus qui étaient inséparables d’une telle institution ; ils voudraient que l’on se souvînt que si, comme on l’a dit, elle était excessivement redoutée des malfaiteurs, c’était, en partie, parce qu’elle était formidable à l’innocence même. Que pouvait-on attendre de mieux, en confiant les fonctions de la police à un corps constitué militairement, soumis, comme tel, aux ordres du prince, qui, par cela seul qu'il était exclusivement voué à l’exercice de ces actes rigoureux, devait être peu capable d’en concilier les devoirs avec le respect pour les droits de l’humanité et pour les règles protectrices de la liberté des citoyens ? Or, les citoyens soldats peuvent seuls remplir ce double objet. Il ne faut pas craindre que chez eux l’esprit de justice nuise à la sûreté publique. D’abord, qui serait plus propre qu’eux à prêter main-forte à l’exécution des ordonnances de l’autorité publique? Quant à l’arrestation des coupables, pourquoi ne pourraient-ils pas rendre aussi ce service à la société ? Comme il y aurait des gardes nationales dans toutes les communes, il est évident que, sans espionnage et sansiaqui- [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1791.] 383 sition, ils seraient partont atteints avec une extrême facilité. Croyez-vous que les gardes nationales manqueraient de bonne volonté pour s’en assurer? Vous avez deux garants du contraire : l’horreur qu’inspirent les forfaits et l’intérêt des citoyens ; vous avez encore l’expérience. N’avez-vous pas vu toutes le3 gardes nationales du royaume, surtout celle de Paris, suppléer avec autant de succès que de zèle, aux anciens agents de la police, et maintenir l’ordre et la tranquillité au milieu de tant de causes de troubles et de désordres? Se sont-elles déshonorées en mettant entre les mains des lois, en gardant, en lenr nom, les infracteurs des lois? Le commandant de la garde parisienne a-t-il cru se déshonorer lui-même, en arrêtant de sa main un citoyen, je ne sais dans quel mouvement populaire? Tous ces exemples ne prouvent-ils pas que le préjugé que vous nous objectez n'est plus qu’une chimère? Que sous le despotisme, où la loi, ouvrage du despote, est tyrannique et partiale comme lui, l’opinion avilisse le métier de ses satellites ; cette manière de voir se conçoit; mais comment attacherait-elle cette défaveur aux devoirs des citoyens prêtant l’appui de la force nationale à la loi qui est à la fois leur ouvrage et leur patrimoine. Ce système, qui les attache à la loi par de nouveaux liens et par l’habitude de la faire respecter, qui laisse à la force publique toute son énergie, et lui ôte tout ce qu’elle peut avoir de dangereux et d’arbitraire, n’est-il pas plus analogue aux principes d’un peuple libre que l’es prit violent et despotique d’un corps tel que la maréchaussée? Pourquoi donc conserver ce corps qui ne sert qu’à augmenter la puissance redoutable du monarque aux dépens de la liberté civile ? C’est un grand malheur, lorsque le législateur d’un peuple qui passe de la servitude à la liberté empreint dans ses institutions les traces des préjuges et des habitudes vicieuses que le despotisme avait fait naître; et nous tomberions dans cette erreur si nous conservions la maréchaussée. Cependant on nous parle non seulement de la conserver, mais de l’augmenter, c’est-à-dire d’en multiplier les inconvénients? Projet d’autant plus incompréhensible, qu’il semble supposer que, sous le règne des lois, les crimes doivent être naturellement plus fréquents que sous celui du despotisme; ce qui est à la fois une insulte à la vérité et à la raison, et un blasphème contre la liberté. Tels sont les raisonnements de ceux qui veulent laisser aux gardes nationales les fonctions attribuées ci-devant à la maréchaussée. Pour moi, quoique ces raisons me paraissent convaincantes, je ne puis me dissimuler cependant que ce système, considéré dans toute sa rigueur, offre des inconvénients réels, et entraînerait de grandes difficultés dans l’exécution et je ne puis l’adopter qu’en partie. D’un côté, je vois que si tous les citoyens soldats indistinctement étaient destinés au service dont je parle, il y a beaucoup d’occasions où il serait pour la plupart d’entre eux infiniment incommode et onéreux; de l’autre, j’adopte le principe qu’il faut nécessairement trouver un système qui allie la force publique au respect dû au droit et à la liberté des citoyens. Je ne vois rien à répondre aux objections faites contre l’institution de la maréchaussée; je ne voudrais pas que des fonctions si importantes fussent abandonnées à un corps militaire absolument indépendant et séparé des gardes nationales, faisant partie de l’armée de ligne, placé dans la dépendance immédiate du roi, commandé par des chefs nommés par le roi, assimilés aux autres officiers de l’armée. Je voudrais, eulin, une institution qui renfermât les avantages attachés au service des gardes nationales, et qui fût exempt des inconvénients que j’y ai remarqués. Or, il me semble que cette double condition serait remplie par le moyen que je vais indiquer, et qui n’a peut-être contre lui que son extrême simplicité. Il consiste à former dans chaque chef-lieu de district une compagnie soldée, consacrée aux fonctions qu’a exercée la maréchaussée, mais soumise aux mêmes chefs et à la même autorité que les gardes nationales. On pourrait ajouter à l’utilité évidente de cette institution un avantage particulier relatif aux circonstances actuelles. Rien n’empêcherait de composer ces compagnies des mêmes individus qui forment actuellement la maréchaussée, et d’épargner à la nation le regret de les dépouiller de leur état. Il reste la troisième et dernière question. Les gardes nationales peuvent-elles agir d’elles-raêmes; ou faut-il qu’elles soient mises en mouvement par quelque autorité? Elle se réduit à un seul mot. Les gardes nationales ne sont que des citoyeus qui, par eux-mêmes, ne sont revêtus d’aucun pouvoir public, et qui ne peuvent agir qu’au nom des lois; il faut donc que leur action soit provoquée par les magistrats, par les organes naturels de la loi et du vœu public. Aussi les gardes nationales doivent être subordonnées au pouvoir civil; elles ne peuvent marcher ni déployer la force dont elles sont armées que par les ordres du corps législatif ou des magistrats. Ce que j’ai dit jusqu’ici me paraît renfermer toutes les règles essentielles de l’organisation des gardes nationales. Je crois devoir observer qu’une partie du plan que je viens de soumettre à l’Assemblée nationale est déterminée par l’existence du système des troupes de ligne qu’elle a conservé. Utile, nécessaire, autant que ce système subsistera, il doit subir de grands changements, dès que ce système aura disparu. Or, j’ose croire qu’il disparaîtra; j’ose même prédire que les gardes nationales ne seront pas plutôt organisées, la Cons titution solidement affermie, que tout le monde sentira combien il est absurde qu’une nation qui veut être juste, qui s’interdit toute agression et toute conquête, et qui peut à chaque instant armer 5 millions de bras pour repousser de criminelles attaques, croie à la nécessité d’entretenir perpétuellement une autre armée, dont le moindre inconvénient serait d’être inutile et dispendieuse. Le spectacle d’un vaste empire couvert de citoyens libres et armés inspire de grandes idées et de hautes espérances. Il me semble qu’il donne à toutes les nations le signal de la liberté; il les invite à rougir de cette honteuse stupidité avec laquelle, livrant toutes les forces de l’Etat entre les mains de quelques despotes, elles leur ont remis le droit ae les enchaîner et de les outrager impunément; il leur apprendra à faire disparaître ces corps menaçants que l’on entretient avec leurs dépouilles, pour les dépouiller encore, et à se lever elles-mêmes, toutes armées, pour porter dans le cœur des tyrans la terreur que ceux-ci leur ont inspirée jusqu’ici. Puisse le génie de l’humanité répandre bientôt dans l’univers cette sainte contagion de la justice et de la raison, et affranchir le genre humain [Assemblée nationale»] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |28 avril 1791.] 384 par le glorieux exemple de ma patrie I Mais ne nous reprochera-t-on pas d’embrasser avec trop d’ardeur une trompeuse espérance et une brillante chimère...? Je l’avoue, ce doute autrefois m’eût paru une espèce de blasphème; mais, je suis forcé d’en convenir, trop de circonstances aujourd’hui semblent m’en absoudre, ou plutôt il est presque justifié par le projet d’organisation des gardes nationales que vous proposent vos comités de Constitution et militaire. Je dis plus, j’affirme que, si ce projet est adopté, c’en est fait de la liberté...; et, puisque le salut de la patrie l’exige, je me hâte de le prouver. Dans le plan des comités, la garde nationale est en quelque sorte divisée en 2 classes, l’une destinée à s’armer pour le maintien de l’ordre et la tranquillité publique, lorsqu’elle en sera requise, et jusqu’à cette réquisition devant rester dans une inaction absolue ; l’autre, consacrée spécialement au métier des armes, recevant une solde, toujours prête à renforcer l’armée de ligne toutes les fois que le pouvoir exécutif l’appellera. Cette armée, composée de 2 hommes pris dans chaque compagnie, s’élèverait à 100,000 hommes. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il ne sera pas difficile de faire tomber le choix de ces 2 hommes par compagnie sur des partisans du despotisme et de l’aristocratie; il suffit d’observer que, malgré le nom qu’on leur donne, ces 100,000 hommes sont évidemment des troupes de ligne, et non des gardes nationales qui, par leur destination particulière, seront les créatures et les soldats du prince. Ils tourneront nécessairement leurs regards vers les faveurs de la cour ; la gloire des armes, les grades militaires deviendront l’objet unique de leur ambition : bientôt cet exemple contagieux pervertira le véritable caractère de toutes les gardes nationales; il excitera chez elles et le dédain des fondions civiques, et le désir d’obtenir les avantages et les distinctions dont ils verront décorer leurs camarades. A la place de ces grandes idées de la liberté, de ce profond sentiment de la dignité de l’homme et le droit du citoyen, qu’il faut graver dans les âmes des Français, vous verrez naître partout ce puéril enthousiasme, cet esprit à la fois tyrannique et servile, à la fois vil et superbe, que l’extravagance féodale décora du nom d’honneur; vous verrez les gardes nationales dégénérer en une aristocratie militaire, aussi docile à opprimer les citoyens que prompte à se prosterner devant la volonté du monarque. Les deux comités ont tellement pris le change sur le véritable objet des gardes nationales, qu’ils semblent regarder comme le principal avantage de cette institution celui d’opposer, en tout temps, des forces militaires immenses aux ennemis du dehors. Il faut lire dans leur rapport avec quelle complaisance ils étalent sous les yeux du lecteur ces armées qu’ils mettent en campagne à la première invasion; comme, à la : suite de leur armée auxiliaire, ils détachent, au besoin, du reste des gardes nationales des armées nouvelles qui.se pressent les unes les autres; comme ils félicitent la patrie de sa grandeur et de sa puissance!.... En! il est bien question de tout cela.... il est bien question de nous constituer ici comme si nous voulions conquérir l’Europe! C’est de nos ennemis domestiques, sans lesquels les autres ne peuvent rien contre nous; c’est des conspirateurs qui méditent notre ruine et notre servitude, qu’il faut nous occuper. Or, quelles précautions prenez-vous contre eux. Etes-vous donc convaincus que la liberté n’a plus que des amis et des adorateurs ? Avez-vous la parole de tous les princes, de tous les ministres, de tous les courtisans passés, présents et futurs, que tout artifice, que toute ambition est à jamais bannie de leurs cœurs? Ignorez-vous que le premier devoir, l’œuvre la plus difficile des législateurs, est de fortifier pour toujours la liberté contre leurs attaques? Que faites-vous� ici pour elles? Quand le pouvoir exécutif peut à chaque instant requérir les 100,000 auxiliaires que vous lui donnez, le reste des gardes nationales reste nul; ce ne sont que des citoyens qui, sous le rapport des gardes nationales, sout comme s’ils n’étaient pas, à moins qu’ils ne reçoivent l’existence et le mouvement par la réquisition. Que dis-je? Les deux comités poussent la précaution jusqu’à leur ôter leurs armes, jusqu’à leur défendre de les avoir chez eux ; ils veulent qu’elles restent dans un dépôt public, jusqu’au moment où les gardes nationales seront requises ; or, à qui appartiendra cette réquisition? Vous la laisseriez aux corps administratifs que je ne serais point rassuré ; puisque, tandis que le pouvoir exécutif, d’un acte de sa volonté, peut rassembler toutes ses forces, les gardes nationales, divisées par cantons, par districts, par municipalités, ne pourraient être remuées que partiellement, suivant les volontés particulières et diverses des différentes administrations : et d’ailleurs, il est tellement dans l’ordre�des choses possibles que les ennemis hypocrites de la liberté s’emparent d’un grand nombre de ces corps ; les hommes en place assez éclairés, assez vertueux pour être inacessibles aux artifices ou aux séductions des rois, sont encore des phénomènes si rares ; la cour et ses partisans sont si habiles àdiviser, àtromper, à endormir l’opinion publique sur les faits les plus notoires et sur les plus pressants intérêts; cette nation est si bonne, si confiante, si crédule, que, par degrés et toujours sous le prétexte de la paix et de l’ordre public, tout en parlant de lois et de liberté, ils nous auraient environnés des plus grands périls, avant que nous eussions pu nous mettre en garde contre la monstrueuse puissance dont on les investit. Mais que dis-je? Croit-on que les comités veuillent au moins nous laisser cette faible ressource de la réquisition des corps administratifs? Que diriez-vous, s’ils voulaient la livrer au roi? Oui, c’est au roi qu’ils la livrent en effet ; c’est-à-dire, à la cour, aux ministres. Pour leur donner impunément cette fatale influence, il n’en coûtera à vos deux comités que de la déguiser sous une forme illusoire; en proposant que le roi requière, et que l’agrément des directoires ou de la municipalité intervienne : car, sans doute, quiconque connaîtra l’ascendant de l’initiative, celui surtout de l’initiative royale; quiconque soupçonnera le degré de complaisance, de faiblesse, de crédulité, que les ordres, que la volonté du prince peut obtenir de quelques officiers municipaux ou administratifs, saura bien calculer les véritables effets d’une telle disposition. Ainsi les gardes nationales n’existeront que quand il plaira à la cour; elles ne pourront défendre la liberté contre les entreprises du pouvoir exécutif, si le pouvoir exécutif ne l’ordonne lui-même; elles seconderont par leur action les entreprises du pouvoir exécutif si le pouvoir exécutif l’ordonne; et ne pensez pas que la Constitution proposée leur laisse quelques moyens de s’en dispenser; apprenez qœelle ne leur laisse pas même le droit d’examen ; qu’elle ne tend à [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1791. J 33g rien moins qu’à en faire des automates obéissants et des instruments aveugles, dans toute la force de ce terme : et, afin que vous ne me soupçonniez pas de la moindre exagération, lisez vous-mêmes ces passages énergiques où la main des comités a tracé les devoirs et les droits des citoyens armés pour la défense de leur liberté, des sentinelles vigilantes établies pour veiller autour d’elle. « Les gardes nationales ne doivent pas même délibérer sur les ordres qu’ils reçoivent : délibérer , hésiter , refuser sont des crimes. Obéir, voilà, dans un seul mot, tous leurs devoirs. Instrument aveugle et purement passif, la force publique n’a ni âme, ni pensée, ni volonté ». Est-ce un despote, est-ce un conspirateur qui trace ici les fonctions de ses satellites, ou le rôle de ses complices? Où sont les représentants du peuple, les Fondateurs de la liberté qui préparent les moyens de la défendre? Je croyais du moins qu’il était impossible de rien ajouter à ces funestes mesures : mais les comités vont jusqu’à assurer au prince, dans le plus grand détail, la facilité d’en tirer parti : ils veulent, par exemple, qu’il ne soit pas astreint à employer les gardes nationales en masse; mais que celles-ci puissent être prises ou en masses, ou par compagnies, ou tirées seulement trois 0 trois, deux à deux, un à un. Si vous n’apercevez pas d’abord toute la profondeur de cette idée, rappelez-vous que dans un Etat divisé par tant de partis, qui renferme dans son sein une multitude innombrable de mécontents de toutes les classes, qui voit même ceux-ci dominer insolemment dans plusieurs contrées, une partie des gardes nationales sera composée d’ennemis de la Révolution; qu’ils s’y précipiteront surtout en foule, aujourd’hui qu’un décret proposé par le comité déclare déchus de la qualité de citoyens actifs ceux qui ne prendront pas cet engagement; tandis qu’un autre décret, en excluant les citoyens dits inactifs, écartera une foule d’amis naturels de la cause populaire. Cependant, si le pouvoir exécutif n’avait pu appeler les gardes nationales que suivant l’ordre de leurs divisions, par exemple, par bataillons, par compagnies, telles qu’elles étaient formées, malgré tous les vices essentiels de l’organisation proposée, il serait resté sinon une ressource à la liberté, du moins une espèce d’inquiétude au despotisme: mais que non-seulement il puisse choisir dans toute l’étendue de la France les masses les plus infectées de l’esprit servile et anticivique ; u'il lui soit permis d’extraire encore, pour ainsi ire, des différentes divisions les individus qui conviennent le mieux à ses desseins, l’élite des mauvais citoyens; alors voilà tout à coup les conspirateurs environnés d’une armée immense qu’ils pourront contempler avec satisfaction, en disant, comme Catilina parmi ses complices: nous sommes à notre aise; il n'y a pas ici un homme de bien. Quel obstacle pourra les arrêter, lorsque la seule force qui existera de fait dans l’Etat sera réunie dans leurs mains, et qu’ils pourront la diriger à leur gré au nom même des lois et de la Constitution? Soit qu’il arrive une occasion favorable de tenter quelque grande entreprise; soit qu’il s'agisse seulement de miner insensiblement les fondements de la liberté et d’opprimer en détail le parti patriotique, ce système sera également utile. Faut-il provoquer par de longs outrages et par des complots sinistres, quoique adroitement colorés, une fermentation naturelle, une résistance devenue nécessaire à l’oppression, traiter in Série. T. XXV. ensuite en rebelles ceux qu’on y aura réduits, et effrayer, par un exemple terrible, tous les amis de l’humanité et de la patrie? Vous sentez combien l’espèce de milice qu’on veut nous donner serait propre à de telles expéditions. Faut-il par des actes moins éclatants, mais non moins utiles, accabler des patriotes isolés, redoutables par leur énergie et par leurs lumières, attenter à la liberté des écrivains qui auront le courage de dévoiler les dangers publics et de lever le masque du civisme qui cache nos plus redoutables ennemis? Détachez seulement trois à trois , deux à deux, un à un, quelques-uns de vos défenseurs automates de la Constitution : et si l’on pouvait redouter encore l’opinion publique, n’a-t-on pas à sa solde une autre armée d’intrigants et de libellistes; avec des récits infidèles répandus partout et payés du Trésor de l’Etat, avec les mots d’incendiaires, de factieux, de subordination, d'anarchie, de licence, on pourra se mettre en état de ne plus craindre que le mépris des citoyens éclairés; on pourra ériger en héros de la liberté ceux qui 11’aspirent qu’à élever leur fortune particulière sur la ruine de la liberté publique. Cette seule analyse du plan proposé suffit sans doute pour effrayer les amis de la patrie; cependant je n’ai point parlé de cette multitude de dispositions de détail qui en renforcent les vices essentiels, et dont chacune est une atteinte à la liberté. Je n’ai parlé ni de la foule des grades, des officiers, dont ils surchargent cette institution, et que l’on veut faire nommer pendant deux ans, avec la faculté d’être réélus : ni des dispositions combinées pour les faire marcher sous les ordres des généraux des troupes de ligne, ni de tant d’autres vices dont je puis supprimer le détail; ni de ces insultes faites aux citoyens, en présentant la qualité de citoyens actifs, qui appartient essentiellement à tous, comme le prix d’un long temps de service dans la garde nationale. Je n’ai point parlé surtout de leur projet sur l’organisation de la maréchaussée, dont l’augmentation, telle qu’elle est proposée, serait le complément du funeste système que nous venons de développer. Si j’avais voulu, sous le nom de police et d’ordre public, livrer la liberté des citoyens à toutes les vexations du despotisme (en supposant que je fusse le génie le plus inventif en ce genre) voici comment je m’y serais pris. J’aurais confié ces fonctions civiles à un corps militaire et, en donnant le choix de l’appeler maréchaussée ou gendarmerie nationale, j’aurais formellement statué qu’il continuerait de faire partie de l’armée, qu'il serait soumis au même régime ; j’aurais statué que, pour être admis parmi les cavaliers il faudrait avoir fait au moins un congé dans un régiment. Pour être assuré des dispositions de ces cavaliers, je les aurais fait choisir par un officier à la nomination du roi, entre plusieurs sujets présentés par le directoire du département. Je me serais, en effet, fort peu mis en peine, dans ce cas, de violer le principe populaire qui ne veut pas que des officiers administratifs soient immiscés en aucune manière dans les fonctions électives et, d’un autre côté, en leur attribuant cette fonction, j’aurais avili le peuple lui-même dans la personne des administrateurs qu’il s’est donnés, en subordonnant leur choix à celui d’un officier militaire. On devine aisément que j’aurais donné surtout une attention particulière aux officiers. J'en aurais multiplié le nombre à l’infini; j’aurais créé, dans chaque division : colonel, lieutenant-colonel, lieutenants, capitaines, maré-23 386 |Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1791. J chaux des logis, brigadiers. Il n’y aurait pas eu une brigadede5hommesquine contînt 'an moins 2 officiers; chaque compagnie aurait compté 3 lieutenants. Avec ces éléments, combien il m’est désormais facile d’inspirer à tout ce corps un seul esprit, qui sera le dévouement le plus absolu à la cour et à l’aristocratie ; il me suffira de combiner tellement les modes d’avancement, que chaque cavalier et officier dépendent, à cet égard, de son supérieur immédiat et que tous dépendent de la cour. En conséquence, je fais nommer par le roi les colonels ; je les faisnommer entre lesdeux plus anciens lieutenants-colonels ; au grade de lieute-tenant-colonel arrivent à tour d’ancienneté les capitaines; au grade de capitaine, les lieutenants; ceux-ci sont choisis, pour les trois quarts, par le colonel et pourvus par le roi ; l’autre quart est pris, à tour d’ancienneté, parmi les maréchaux des logis ; mais les maréchaux des logis ne parviennent que par le choix du colonel sur la présentation du capitaine, et cette cascade se prolonge jusqu’au dernier officier, de manière que le premier prix de l’ambition est entre les mains du roi et que l’on ne peut parcourir les degrés qui y conduisent que par la fa-veurdes chefs; de manière que si je parais donner aux directoires, dans quelques cas seulement, un droit de présentation illusoire, ce n’est qu’un moyen de plus d’établir entre eux et des hommes voués à la cour une espèce de liaison à laquelle on sent que la cause populaire ne gagnera pas beaucoup. Mais si vous croyez qu’il est impossible d’ajouter quelque chose à la justesse de ces mesures, vous ne connaissez point encore toute la grandeur de nos ressources. Apprenez que, par une seule disposition qui paraît très simple, on assure toutes les places importantes à des hommes qui ne seront certainement pas les plus zélés partisans de la Révolution ; qu’on les livre exclusivement à ces castes ci-devant privilégiées qui, comme vous le prévoyez, ne seront encore de longtemps, par tous les points, au niveau des citoyens. On veut que les trois quarts des places de lieutenant ne soient données qu’à des officiers de troupes de ligne. Après avoir ainsi constitué ce corps, que reste-t-il a faire pour réaliser la grande conception que je vous ai annoncée? De lui donner, en matière de police, une autorité étendue et arbitraire. Eh bien! chaque cavalier pourra, de son propre mouvement, arrêter, poursuivre qui il voudra, pourvu qu’il lui paraisse suspect ou prévenu. Ils sont chargés des fonctions si délicates de l’inquisition de police par ces termes si énergiques : de recueillir et prendre tous les renseignements possi-bles , de dresser des procès-verbaux qui feront foi en justice. Mais ce que vous n’auriez pas deviné sans doute, c’est qu’ils sont autorisés à dissiper, de leur autorité, les attroupements séditieux; et un article exprès statue prudemment : qu'ils n'auront besoin , pour cela , d'aucune réquisition. Ainsi, voilà ces hommes maîtres de juger si un attroupement est séditieux ou non, si des citoyens rassemblés sont ou non des rebelles; les voilà maîtres de déployer la force des armes contre le peuple ; voilà la loi martiale supprimée, non comme violente et barbare, mais parce qu’elle entraîne au moins des formes; mais parce que des soldats et des coups de fusils d’abord sont tous les égards que l’on doit aux citoyens français... Voilà le système que l’on nous propose. Et comme si ce n’était point assez de tant d’infractions de tous les principes, ne voilà-t-il pas encore les comités de judicature et de Constitution qui viennent vous présenter un plan de police combiné avec celui-là? Ne voilà-t-il pas qu’ils associent aux fonctions des juges de paix toute cette armée d’officiers; qu’ils érigent en magistrats de police ces colonels, ces lieutenants-colonels, ces lieutenants; qu’ils leur donnent le pouvoir de rendre arbitrairement des ordonnances pour faire arrêter les citoyens, pour les faire arracher même du sein de leur propre maison, de les mander, de les interroger, d’entendre des témoins, de les condamner à la prison !... Voilà donc par quelles routes vos comités nous conduisent à la liberté! Mais arrêtons-nous un moment, il en est temps sans doute, pour réfléchir sur une circonstance importante de leur conduite et de notre situation politique. Leur système, si on les croit, est excellent, soit qu'il faille ou non ajouter foi à ces bruits de guerre dont on nous menace. Personne, en effet, ne s’est donné la peine encore d’approfondir ces événements; et tout le zèle de ceux qui étaient faits pour nous en occuper s’est borné à un silence discret, ou à des communications mystérieuses et vagues, dont le but était de nous entretenir dans une profonde sécurité. Mais c’est bien ici, je pense, le moment de demander aux comités pourquoi, au lieu de nous proposer des projets d’organisation de cette espèce, ils ne se sont pas plus hâtés de faire donner des armes aux gardes nationales actuellement existantes ; c’est bien le moment de demander pourquoi les innombrables adresses qu’elles envoient depuis un an, de toutes les parties de la France, y sont restées ensevelies ; pourquoi, pendant si longtemps, toutes les fois que cette proposition a été faite à l’Assemblée, on a trouvé le moyen de la faire ajourner ; pourquoi un membre du comité diplomatique ayant représenté, il y a quelque temps, la nécessité de les armer, au moins sur nos frontières, un autre membre du même comité fit échouer cette proposition, si urgente dès lors, en la faisant renvoyer après le rapport sur l’organisation des gardes nationales ; pourquoi, au moment où nous sommes, il n’a pas encore été question sérieusement de la réaliser ? Ah! si vous pensiez que cette question de la paix ou de la guerre valût la peine d’être examinée, il serait facile peut-être de la résoudre par des raisons plus vraisemblables que celles des habiles politiques qui nous rassurent. Peut-être le caractère pacifique et les principes révolutionnaires d’un prince qui, après avoir établi dans le petit Etat où il régnait le despotisme le plusabsolu.a prouvé ensuite, par ses manifestes, qu’un autre peuple lui appartenait de droit et qui l’a décidé par ses armes; peut-être cette étrange garantie ne vous paraîtrait-elle pas tout à fait suffisante ; et puisque l’on juge des intentions d’un ennemi qui est à nos portes par son caractère, par la manière dont on prétend qu’il calcule ses jouissances et ses intérêts, vous pourriez croire vous-mêmes que le caractère des despotes peut bien aussi les porter à chérir, à soutenir le despotisme, surtout lorsqu’ils espèrent que leurs efforts pourront être secondés par des trahisons domestiques et par des troubles intestins; vous pourriez croire que les hommes qui les entourent et qui les font mouvoir, sont, par leurs habitudes et par leur intérêt personnel, les amis, les alliés naturels des ennemis de la cause populaire. (Assemblée nationale*] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [38 avril 1191.) 387 D'après ces seules notions du bon sens, vous pourriez donner quelque attention à ces rassemblements de troupes extraordinaires qui ne peuvent être suffisamment expliqués par le prétexte qu’on leur donne; vous pourriez remarquer que tout annonce une intelligence parfaite de ce despote dont je vous parle avec un autre despote, naguère son ennemi, qui, lui-même, pour la querelle de sa sœur, se lit, il y a peu d’années, un jeu de soumettre un peuple libre au joug de son beau-frère; vous pourriez observer que l'un et l’autre viennent de manifester leurs véritables inclinations, l’un en abandonnant, en trahissant, l’autre en remettant, dans les fers d’un prêtre détesté, le peuple du monde le plus intéressant par son courage et par sa magnanimité. Enfin, s’il faut tout dire, cet amour profond de la justice et de l’humanité, qui nous portent à désirer que tous les peuples soient libres et heureux, m avertit que la première passion des rois en général, de leurs conseils, de leurs courtisans est de conserver leur puissance absolue et celle de leurs pareils ; et je sais de plus que les hommes, que ces hommes-là surtout, obéissent à leurs passions, à leur orgueil, à l’intrigue qui les obsède, bien plus facilement qu’à leur véritable intérêt qu’ils ne connurent jamais. Je sais, enfin, et j�atteste toute l’histoire, que leur grand art est de dissimuler, de préparer, de faciliter les succès de la force par l’adresse avec laquelle ils endorment la crédulité des peuples; ‘e sais qu’ils ne sont jamais plus redoutables que orsqu’ils étalent avec le plus de pompe ces sentiments de justice et d'humanité qu’ils ont coutume de prodiguer dans leurs déclarations et dans leurs manifestes. Si vous me dites après cela que ce3 dangers ne vous effrayent pas, je vous dirai que ce n’est pas là non plus ce qui m’effraye davantage ; que ce ne sont pas même nos divisions intérieures ; que ce ne sont pas les trésors immenses accumulés entre les mains des ennemis de notre liberté, que ce ne sont pas même ceux à qui on a confié la garde de nos frontières, de nos places fortes, ceux qui sont destinés à diriger notre défense et à disposer de l’Etat... C’est cette fatale sécurité où nous demeurons plongés par de perfides insinuations, ou par l’ordre exprès du Ciel irrité; c’est cette légèreté avec laquelle nous semblons juger et les hommes et les événements, et nous jouer, pour ainsi dire, des destinées de l’humanité; c’est ce retour insensible et funeste vers nos antiques préjugés et vers nos frivoles habitudes, qui commencent à remplacer l’enthousiasme passager que nous avons fait éclater pour la liberté ; ce sont ces petites factions dont les chefs, voulant tout diriger par de petits moyens et par des vues personnelles, s’appliquent sans cesse à étouffer l’esprit public et les élans du patriotisme en les calomniant; gens dont le système paraît être d’éch jpper à tous les principes par des exceptions, par des circonstances, par des sophismes politiques-, d’attaquer tous les sentiments droits et généreux par le reproche d’excès et d’exagération; de rendre ridicules, s’il était possible, les saintes maximes de l’égalité et de la morale publique; contents si, par "quelques déclamations contre les débats impuissants des aristocrates les plus outrés, ils peuvent cacher leur profonde indifférence pour la liberté publique et pour le bonheur des hommes, et leur dévouement secret à tous les abus qui favorisent leur ambition particulière. Ce sont ces misérables prétentions de la vanité, substituées à la seule ambition permise à des hommes libres, celle de tarir la source des misères humaines en détruisant l’injustice et la tyrannie ; ce sont enfin ces projets de loi qui nous sont offerts en même temps par des commissaires éternels avec une effrayante précipitation et qui, si nous n’y prenons garde, auront rétabli le aes-otisme et l’aristocratie sous des formes et sous es noms différents, avant que l’opinion publique ait pu les apprécier ni les connaître. Gardons-nous surtout d’adopter le plus funeste, peut-être de tous, en donnant à la force publique une constitution qui la rendrait passive et nulle pour défendre la nation contre le despotisme ; active, redoutable, irrésistible pour servir le despotisme contre la nation. Ah ! resloos invio-lablement attachés aux mêmes principes qui nous conviennent ; régénérons les mœurs publiques, sans lesquelles il n’est point de liberté ; respectons dans tous les Français indistinctement, les droits et la dignité du citoyen et rendons tous les hommes égaux, sous de3 lois impartiales, dictées par la justice et par l’humaDité. Brisons ces vaines idoles que le charlatanisme et l’intrigue élèvent tour à tour et qui ne laisseront toutes à leurs adorateurs que la honte de les avoir encensées. N’adorons que la patrie et la vertu. Ne sommes-nous pas ces représentants du peuple français qui lui avons juré solennellement, au Jeu de paume, denousdévouer pour sa cause ; ces hérauts du législateur éternel, qui, en affranchissant une nation, par la seule force de la raison, devaient appeler toutes les autres à la liberté 1 serions-nous descendus à cet excès de faiblesse, que l’on pût, en se jouant, nous proposer des fers ? Non, nous serons libres; du moins, à quelque prix que ce soit. Je le suis encore ; jejure de l’être toujours ; et si les persécutions des tyrans, si les sourdes menées des faux amis de la liberté doivent être le prix d’un attachement immortel à l’objet sacré de notre commune mission, je pourrai attester l’humanité et la patrie que je les ai méritées. ( Applaudissements .) Je propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale reconnaît : « 1° Que tout homme a le droit d’être armé pour sa défense personnelle et pour celle de ses semblables; « 2° Que tout citoyen a un droit égal et une égale obligation de défendre sa patrie. « Elle déclare donc que les gardes nationales qu’elle va organiser ne peuvent être que la nation armée pour défendre, au besoin, ses droits, sa liberté et sa sûreté. « En conséquence elle décrète ce qui suit : « Art. 1er. Tout citoyen, âgé de 18 ans, pourra se faire inscrire en cette qualité dans le registre de la commune où il est domicilié. « Art. 2. Aussi longtemps que la nation entretiendra des troupes de ligue, aucune partie des gardes nationales ne pourra être commandée par les chefs ni par les officiers de ces troupes. « Art. 3. Les troupes de ligne resteront destinées à combattre les ennemis du dehors; elles ne pourront jamais être employées contre les citoyens. « Art. 4. Le3 gardes nationales seules seront employées soit pour défendre la liberté attaquée, soit pour rétablir la tranquillité publique troublée au dedans. « Art. 5. Elles ne pourront agir qu’à la réquisition du Corps législatif ou des officiers civils nommés par le peuple.. « Art. 6. Les officiers des gardes nationales 388 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1791. seront élus par les citoyens à la majorité des suffrages. « Art. 7. La durée de leurs fonctions n’excédera pas 6 mois. t Art. 8. Ils ne pourront être réélus qu’après un intervalle de 6 mois. « Art. 9. 11 n’y aura point de commandant général de district ; mais les commandants des sections qui formeront le district en exerceront les fonctions à tour de rôle. « Art. 10. Il en sera de même pour les réunions de département dans le cas où elles auraient lieu; ceux qui feront les fonctions de commandant de district commanderont le département à tour de rôle. « Art. 11. Les officiers des gardes nationales ne Porteront aucune marque distinctive hors de exercice de leurs fonctions. « Art. 12. Les gardes nationales seront armées aux dépens de l’Etat. « Art. 13. Les gardes nationales qui s’éloigneront de 3 lieues de leurs foyers, ou qui emploieront plusieurs journées au service de l’Etat, seront indemnisées par le Trésor national. « Art. 14. Le3 gardes nationales s’exerceront à certains jours de dimanche et de fêtes qui seront indiqués par chaque commune. « Art. 15. Elles se rassembleront tous les ans le 14 juillet dans chaque district pour célébrer, par des fêtes patriotiques, l’heureuse époque de la Révolution. < Art. 16. Elles porteront sur leur poitrine ces mots gravés : Le peuple français; au-dessous : Liberté, Egalité, Fraternité. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation. « Art. 17. La maréchaussée sera suppprimée. Il sera établi, dans chaque chef-lieu de district, une compagnie de gardes nationales soldée qui en remplira les fonctions, suivant les lois qui seront faites sur la police et dans laquelle les cavaliers de la maréchaussée actuellement existants seront incorporés. » Telles sont les principales dispositions d’une organisation de gardes nationales adaptée à une Constitution libre. Mais, dans le moment actuel, le salut de l’Etat exige que vous preniez sur-le-champ des mesures provisoires; je vais proposer celles qui me paraissent indispensables. Elles se rapportent, en partie, aux obstacles que nous avons déjà éprouvés à cet égard et que nous devons toujours prévoir, car il y aurait trop de stupidité à se reposer de la défense de la liberté sur le même parti qui la met en péril et qui l’a attaquée plusieurs fois ouvertement; il n’y en aurait pas moins à croire que l’esprit des cours change si facilement. Une confiance si puérile, loin de convenir à des législateurs environnés de tant de pièges et dépositaires des destinées delà nation, ne serait pas même pardonnable dans un particulier qui n’aurait à défendre que des intérêts privés. Ces mesures seront de deux espèces. La première consistera à prendre les seuls moyens qui nous restent d’obtenir afin que les gardes nationales soient pourvues d’armes et de munitions, et l’Empire français mis en état de défense. La seconde, que je regarde comme la plus prompte, comme celle qui est le plus en notre pouvoir et propre à suppléer, en grande partie, a la première, est d’avertir la nation du danger qui la menace ; car si le grand art des conspirateurs est de plonger les peuples dans une trompeuse sécurité, le premier devoir de ceux qui sont chargés de veiller sur leur salut est de réveiller leur prudence et leur courage. L’homme le plus courageux est vaincu dès qu’il est surpris; mais celui qui veut être libre, à quelque prix que ce soit, trouve des ressources inconnues, dès qu’il a pu prévoir les attaques de la tyrannie. C’est dans cet esprit que je propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète : « Art. 1er. Que, aussitôt après la publication du présent décret, les municipalités des lieux où se trouvent les arsenaux de la nation s’y transporteront pour constater la véritable quantité d’armes qu’ils renferment. « Art. 2. Que toutes ces armes seront distribuées aussitôt aux gardes nationales qui en manquent, à commencer par celles des départements des frontières. « Art. 3. Il leur sera distribué de même la quantité de poudre et de balles dont elles auront besoin. « Art. 4. Pour assurer l’exécution des précédents articles, le ministre de la guerre sera tenu de justifier incessamment à l’Assemblée nationale de la distribution et de l’emploi qu’il en aura faits. « Art. 5. Il sera tenu pareillement de rendre compte dans 3 jours, à compter du présent décret, des mesures qui ont été prises jusqu’ici pour l’exécution du décret de l’Assemblée, qui ordonne la distribution de 150,000 fusils. « Art. 6. Indépendamment de cette distribution, on continuera de fabriquer de nouvelles armes avec la plus grande activité, dans toutes les fabriques de la France, lesquelles seront aussi distribuées. '< Art. 7. Le ministre de la guerre sera tenu de rendre compte, de huitaine en huitaine, à l’Assemblée nationale de l’état de ces travaux et de ces distributions. « Art. 8. Les gardes nationales sont invitées à adresser à l’Assemblée toutes les réclamations qu’elles pourraient avoir à former relativement à l’exécution de ces mesures. « Art. 9. L’Assemblée nationale nommera un comité de 4 personnes spécialement chargé de surveiller cette exécution, et de lui faire le rapport de toutes les réclamations. « Art. 10. L’Assemblée nationale invite tous les citoyens à lui dénoncer tous les transports frauduleux d’armes qui auraient pu être diverties des arsenaux publics. « Art. 11. Elle défend toute exportation d’armes de France dans les pays étrangers, sous peine, par les contrevenants, d’être poursuivis comme criminels de lèse-nation (1). « Art. 12. Elle décrète que les gardes nationales qui ont été dissoutes en tout ou en partie (2), no-(1) Il est bon que l’Assemblée nationale se rappelle ici que plusieurs fois des municipalités, animées d’un patriotisme louable, avaient saisi des armes que l’on transportait en pays étrangers: mais alors on surprit sa religion en l’engageant à en permettre l’exportation, sous le prétexte de la liberté du commerce. Les circonstances actuelles, le prétexte peut-être aussi artificieux de la disette d’armes que l’on nous objecte aujourd’hui, doivent nous rendre un peu défiants. {■&) Ces événements ont eu lieu en partie par le despotisme des municipalités, en partie par les conseils perfides des ennemis déguisés de la Constitution. On en a vu des exemples, en particulier dans le département du Nord, et on assure que le commandant à Valenciennes y a eu quelque part. [28 avril 1791.] [Assemblée nationale.] tamment dans les départements des provinces frontières, seront rétablies aussitôt après la publication du présent décret. « Art. 13. Elle ordonne que son comité diplomatique lui rendra compte enfin, dans 3 jours, de ce qu’il a fait pour remplir la mission dont elle l'a chargé et qu’il lui communiquera toutes les connaissances qu’il a dû acquérir sur les dispositions et la situation des puissances étrangères à notre égard. « Art. 14. Elle ordonne que le ministre des affaires étrangères lui rendra, dans le même délai, le même compte, pour ce qui le concerne, et remettra sous ses yeux sa correspondance avec les cours étrangères et avec nos ministres dans ces cours. « Art. 15. Que le rapport soit du comité diplomatique, soit du ministre, sera livré aussitôt à l’impression pour être soumis à l’examen des membres de l’Assemblée et à l’opinion publique, et qu’il sera discuté, trois jours après, dans l’Assemblée. « Art. 16. Que les ambassadeurs et envoyés de France dans les cours étrangères seront rappelés, pour être remplacés s’il y a lieu, par de nouveaux agents du choix de la nation. « Art. 17. Les régiments allemands que l’on a rassemblés sur nos frontières seront retirés et remplacés par des régiments français, notamment par ceux qui, dans la Révolution, ont eu occasion de signaler par des faits particuliers le patriotisme qui a distingué tous les soldats français. « Art. 18. Tous les soldats qui, depuis le 14 juillet, ont été congédiés avec des cartouches jaunes, ou par des ordres arbitraires, seront rassemblés et il en sera formé de nouveaux régiments, afin qu’ils jouissent de l’honneur de défendre la pa-tri e pour laquelle ils ont été dignes de souffrir. « L’Assemblée nationale avertit toutes les municipalités, tous les corps administratifs, tous les citoyens, de veiller au salut de la patrie et de se préparer à s’unir pour défendre au besoin la liberté qu’ils ont conquise. » Pour le moment je résume ce que j’ai dit aux principes fondamentaux que j’ai posés. Je ne veux point tirer les conséquences particulières qui sortent d’elles-mêmes de ces principes et qui pourront être déduites dans la discussion de l’organisation des gardes nationales; mais ie propose d’abord à l’Assemblée de délibérer sur le point capital et essentiel. Ce principe est celui-ci que je propose de mettre en discussion ou même de décider sur-le-champ : c’est que tout citoyen domicilié a le droit d’être inscrit dans la garde nationale en vertu du principe qui assure à tous les hommes, à tous les citoyens le droit d’être armés pour leur défense personnelle. ( Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) M. Dubols-Craocé. Il est temps de détruire enfin un préjugé trop longtemps prôné par des orateurs qui adoptent des principes très purs sans doute, mais peut-être très dangereux par l’application qu’on leur donne. Le comité propose d’exclure de la garde nationale les citoyens inactifs, et le comité sait fort bien, ainsi que l’Assemblée, ce que le peuple ne sait pas : c’est qu’il n’existe pas d’autres citoyens non actifs dans le royaume que les mendiants, que les vagabonds, que les hommes sur lesquels la société est sans cesse obligée de veiller. Car tout citoyen, ayant un genre quelconque d’industrie ou un endroit pour se mettre à couvert, acquitte 389 toujours 30 ou 40 francs d’imposition. Il n’est pas un homme, si on excepte cette classe, qui ne paye la valeur de trois journées de travail, surtout à présent que la destruction des impôts indirects a fait monter à 300 millions l’imposition directe, dont chaque citoyen payera sa portion, excepté ceux que vous devez surveiller sans cesse. Ce ne sont donc pas ceux-là que vous devez armer contre les citoyens. Il faut les protéger, il faut les ramener aux principes, il faut corriger leurs mœurs en les engageant à devenir citoyens actifs. Il faut leur inspirer l’amour du travail, mais certainement il ne faut pas leur donner le moyen de détrousser les passants ni même de fouiller dans les poches des gardes nationales. (Applaudissements.) M. Pétion de Villeneuve. Vous avez décidé que tous les citoyens actifs seraient tenus de s’inscrire sur les registres des gardes nationales. Cette obligation n’est pas un titre d’exclusion pour les citoyens non actifs. Votre intention n’est pas d’établir une ligne de démarcation qui serait on nepeut plus funeste. Vousn’avez pas décidé que les citoyens que vous avez qualifiés d’inactifs ne pourraient lias, s’ils le voulaient, se faire inscrire sur les registres, ce qui est bien différent. En effet ce service personnel que l’on payera pour se faire représenter, ce service est un honneur; mais, en même temps, on ne peut se dissimuler qu’il est aussi! une charge; alors il a été de votre justice de ne pas imposer une chargeoné-reuse aux citoyens qui n’étaient pas assez fortunés pour la supporter; et voilà pourquoi vous ne leur avez imposé aucune obligation pour se faire inscrire. Mais si le citoyen à qui vous n’avez pas imposé cette charge veut, par patriotisme, porter les armes, s’il veut s’assujettir au service, vous n’avez plus le droit de déclarer s’il peut ou non supporter la charge, aussitôt qu’il vous déclare qu’il veut la supporter. La défense n’est pas seulement un droit constitutionnel ; la défense est un droit naturel, un droit imprescriptible dont vous ne pouvez priver aucune espèce de citoyens. Chacune tient de la nature le droit de veiller à sa défense; et si vous ajoutez une force artificielle à celle que vous avez reçue de la nature, vous ne pouvez jamais en priver une portion de citoyens. Je vais plus loin, Messieurs. Ces citoyens que l’on vous représente comme dangereux sont ceux qui ont le plus contribué à la Révolution. S’il est une manière de les conserver dans cet ordre désirable, c’est au contraire de les faire inscrire : car vous ne pouvez jamais enlever à ces citoyens le port d’armes. Je demande donc. Messieurs, que cette grande question soit approfondie et ne soit pas décidée avec légèreté; et je conclus, comme M. de Robespierre, à ce que tous les citoyens domiciliés aient le droit de se faire enregistrer s’ils le jugent à propos. M. Rabaud-Saint-Etlenne, rapporteur. Je vais répondre aux objections qui ont été faites et justifier le comité; mais sans combattre ce qui vous a été dit, sans entrer dans les details où ron a amené la discussion, je demande maintenant à développer les vues générales qui ont déterminé les comités militaire et de Constitution à vous présenter le plan d’organisation qui vousa été soumis; cela pourra ramener à la discussion générale qui avait d’abord été ouverte, et dans la-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |Assemi)lée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 128 avril 1791.] 390 quelle quelques orateurs ont peu à peu fait naître des questions particulières. M. Bazoi. Je prétends que la discussion est ouverte sur laquestion qu’ont traitée les préopinants. M. Rabaud-Saiat-Etienne, rapporteur. Je crois qu’il est très important d’entendre maintenant les vues générales de vos comités. Plusieurs membres : Parlez! parlez! M. Rabaud-Saint -Etienne, rapporteur. J’ai demandé la parole pour exposer des vues énérales qui pourront éclairer la discussion. os comités s’acquittent avec plaisir du devoir de justifier le plan de décret qu’ils vous ont présenté pour l’organisation des gardes nationales. Les principes qui les ont guidés étaient déjà consignés dans un rapport général qui vous avait été fait sur l’organisation de la force publique; ils étaient dictés par vos décrets constitutionnels dont leurs articles ne sont que le développement, et des yeux exercés ont dû les découvrir dans ces articles mêmes et dans la liaison de toutes les parties du décret : car, pour des législateurs habitués depuis deux an3 à saisir dans le simple énoncé de la loi le principe qui l’a dictée, la lecture du projet de décret a dû offrir dans ses résultats les motifs qui nous avaient inspirés. Cependant il a été attaqué, et ce qu’il est important de remarquer, c’est qu’on lui a reproché deux défauts absolument contraires; qu’il était trop militaire et qu’il ne l’était pas assez. Un des opinants, ce fut le premier qui parla hier, effrayé de cette puissante armée de ligne que vous avez mise dans la main du pouvoir exécutif, et prévoyant avec raison, je le dis avec lui, que cette force pourrait être un jour dangereuse à la liberté, n’a pas trouvé d’autre moyen que de lui opposer la force même de la nation, de mettre en équilibre, armée contre armée, de donner l’armée nationale à mouvoir au Corps législatif, ce qui nous présenterait le spectacle effrayant des deux pouvoirs rivaux se mesurant toujours l’un l’autre et toujours prêts à se livrer le combat. Aux yeux de l’opinant, les comités avaient sacrifié la nation, ils la désarmaient, et la livraient pieds et poings liés à l'armée du pouvoir exécutif. Il n’avait pas observé que l’armée de 150,000 hommes, que vous avez décrétée, et les 100, 000 auxiliaires que vous y avez joints, ne sont pas une disposition constitutionnelle, mais une mesure que les circonstances vous ont dictée ; que chaque législature a le pouvoir d’augmenter ou deaimineur le nombre des défenseurs de l’Etat, et d’en régler la solde, que surtout il n’est jamais permis de sacrifier les principes; que c’est un principe constitutionnel que la nation considérée sous le nom de garde nationale, n’est pas un corps militaire, et qu’il y a d'autres remèdes au nombre ou au pouvoir de l’armée de ligne, que celui de créer la nation en corps d'armée, pour tenir les soldats en échec. Cet opinant trouvait donc que notre garde nationale n’était pas assez militaire. Elle l’était trop au gré d’un autre opinant, dont tout le système se réduit en dernière analyse à donner des armes à tous les citoyens, mais à ne pas les organiser, ce qui n’est pas un système, ■mais la simple énonciation de cette proposition : -que tous les citoyens aient des armes pour en faire usage quand ils en seront requis. Ce n’est pas là l’organisation que vous nous avez demandée. Il paraît que l’opinant n’a pas prévu le cas où l’Etat serait exposé à des incursions étrangères, et où des citoyens sans organisation seraient absolument hors d’état de le défendre, surtout, si comme il le souhaite avec raison, et comme je le pense avec lui, l’armée de ligne était diminuée. Qu’il soit permis à vos comités de voua faire ici observer leur situation, et par conséquent la vôtre, entre deux écueils qu’ils devaient éviter soigneusement. Gréer la nation en corps d’armée, était la plus dangereuse monstruosité qu’il fût possible d’imaginer. Vos comités justement alarmés des idées guer rièresqui tout à coup semblaient s’être emparées de la nation; du goût pour ces décorations militaires, reste de notre ancienne servitude, de cet espoir d’avancement qui animait tant d’esprits, de la jalousie des grades et des distinctions, de cette rivalité qui s’établissait entre ce qu’on appelait l’armée nationale et l’armée de ligne, entretenue par les préjugés de celle-ci : vos comités n’épargnèrent rien pour détruire ces dangereuses semences de dissensions desquelles devait naître la destruction de notre liberté naissante. Leur rapporteur s’exprima avec force à ce sujet, il y a plus de cinq mois, il posa les souverains principes à cet égard, et c’est sur la proposition de votre comité de Constitution que vous avez décrété au mois de décembre dernier, que la nation armée pour sa défense ne formait point un corps militaire. Il espéra que les progrès même de la liberté dissiperaient ces préjugés d’une nation de tout temps belliqueuse, et qu’eofin ce moment viendrait où nos citoyens ne se croiraient pas avilis, parce que vous n’en feriez pas des soldats. Dans cet espoir, il s’est refusé longtemps à l’empressement de ceux qui le pressaient de vous rapporter ce travail. Il pensait, et il pense encore, que ce devait être le dernier de vos travaux. L’autre écueil qu’il devait éviter, c’étaitde ne pas décourager cette multitude de braves citoyens, ces conquérants de la liberté qui savaient qu’elle avait besoin encore de défenseurs, qui la voyaient toujours menacée, et qui, revêtus d’un uniforme guerrier, semblaient redouter les mépris de votre armée de ligne. Ne nions pas cette faiblesse. Ne craignons pas de dire la vérité; cette susceptibilité n'était pas sans fondement. L’esprit militaire est, de sa nature, méprisant; l’orgueil des titres, supériorité chère aux âmes faibles et qui n’en ont pas d’autre, ajouta ce penchant au dédain. Les gardes nationales étaient les instruments de la Révolution; une foule d’officiers de ligne s’en déclarèrent hautement les ennemis; 1 ur mépris aurait été d’autant plus dur pour les citoyens, qu’il aurait été fortifié de la haine, et fondé sur des opinions que la nation entière réprouvait. Ces dispositions changeront sans doute ; sans doute les officiers de l’armée se soumettront à la toute-puissance de la nation, leur souverain; ils retourneront à la patrie qui leur tend les bras, ou bien votre lente, mais juste sévérité se déploiera contre eux. Mais enfin, dans ces moments dont le terme n’est pas encore venu, il y avait quelque danger à laisser craindre aux citoyens qui servaient la patrie en qualité de gardes nationales, qu’ils ne fussent sacrifiés à l’armée de ligne, comme on vous l’a dit dans cette tribune ; qu’ils ne secrus� sent désarmés, dégradés; et que jugeant, ainsi qu’on n’a cessé de nous en accuser pendant 6 mois, que nous voulions les livrer aux instru- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1791. 891 ment8 naturels du despotisme, ils �abandonnassent la cause dont ils se croiraient abandonnés. Votre comité a eu 100 preuves de cette dangereuse disposition. Fallait-il pour cela sacrifier les principes? Non, sans doute; il n’y a point de composition avec les principes; leur lumière éclaire tôt ou tard les esprits; leur mâle inflexibilité fait plier devant elle tous les obstacles : aussi vos comités les ont-ils religieusement observés. Je vous ai déjà démontré que nous n’avions fait que développer ces principes mêmes, décrétés par vous. Mais puisque mon discours a pour objet aussi de répondre aux inculpations qui ont été faites à vos comités de n’avoir pas même soupçonné les bases sur lesquelles devait être fondée l’organisation que vous leur avez demandée, je vais prouver, en peu de mots, que les principes posés par l’opinant, que je réfute, font précisément les bases de notre projet de décret; en sorte que s’il les y a vues, il a pu les en tirer; s’il ne 1 js a pas vues, nous allons les lui montrer. Je parcours rapidement les principes que le préopinant vous a présentés. t Le prince, ni aucune personne sur laquelle le firince a une influence spéciale, ne doit nommer es chefs ni les officiers des gardes nationales. » Tel est le principe posé par M. Robespierre. Dans notre projet, ils sont nommés par leurs concitoyens ; nous avons donc connu ce principe. « Les chefs et les officiers des troupes de ligne ne peuvent être chefs ni officiers des gardes nationales. » Ce principe fait le 25e article de notre seconde section. « Le prince ne doit ni avancer, ni récompenser, ni punir les gardes nationales. » Nous ne proposons pas la moindre disposition qui choque le moins du monde ce principe. « Il faut empêcher, dit M. Robespierre, que les gardes nationales ne forment un corps et qu’elles n’adoptent un esprit particulier. » Ce principe se trouve dans le texte de nos décrets : « que les chefs ne portent pas habituellement des marques distinctives ». Nous le proposons actuellement. Il est vrai que nous laissons aux gardes nationales le soin de se fournir d’armes, parce Sue cette munificence es t actuelle ment impossible ; n’y a dans les arsenaux que 195,000 fusils; les fabriques n’en donnent que 38,000 au plus par an. Pour armer 2 millions de citoyens, il faudrait plusieurs années et 30 millions d’avance. Telles sont les principales bases que le préopinant a accusé les comités de n’avoir pas soupçonnées, et que cependant ils ont posées presque dans les mêmes termes. Je suis loin de me plaindre de cette lutte. Elle entretient le mouvement, premier élément d’une assemblée d’hommes libres. On a donc fait aux comités deux reproches contraires : 1° qu’il humiliait les citoyens en les soumettant à l’armée; 2° qu’il donnait un orgueil dangereux aux citoyens en en faisant une armée. Il est facile de prouver qu’il n’a fait ni l’un ni l’autre. Entre ces deux écueils qu’il fallait éviter, le comité devait s’arrêter à résoudre ce problème : « organiser les gardes nationales, de manière qu’elles ne pussent pas faire un corps militaire, et que cependant elles pussent en faire le service au moment où l’Etat en aura besoin. » Nous vous avons parlé hier, Messieurs, de la réquisition permanente prononcée par le Corps législatif, et qui ne peut être levée que par lui. Cette réquisition permanente subsiste encore, vous seuls pouvez la lever. Vous la lèverez quand l’appareil des armes ne sera plus nécessaire; mais en attendant nous vous proposerons, quand il sera temps, un décret provisoire, d’après lequel les citoyens, faisant actuellement le service de. gardes nationales, se considéreront comme étant dans le royaume en état de réquisition permanente jusqu’à ce que la Constitution étant établie et le nouvel ordre de choses s’exécutant sans obstacle, le Corps législatif indique l’époque où cet état de réquisition permanente doit cesser. Il nous paraît nécessaire que vous acceptiez ce décret : car, Messieurs, le péril pour la liberté existe encore; la Constitution n’est pas achevée; l’ordre nouveau n’est pas établi. Je vous invite donc à adopter ce décret. Vos travaux prochains en seront plus tranquilles; et les citoyens seront avertis qnils ne doivent pas cesser de fournir le service actif qu’ils font aujourd’hui. D’après ces réflexions, Messieurs, je ne vois point de difficulté à vider d’abord la question de l’activité ou de la non-activité des citoyens, sur laquelle je vous ai déjà présenté nos idées. M. de Woailles. Je demande à répondre au préopiuant, et j’avoue que si je ne l’ai pas interrompu, c’est par mon respect pour les opinions individuelles. Il n’est rien de plus dangereux que le principe qu’il vieot d’avancer. Il a dit qu’il fallait que la nation entière tint l’armée en échec. {Murmures prolongés.) M . Rabaud - Saint - E tienne , rappo rieur. Je n’ai point dit cela; j’ai combattu au contraire cette proposition qui faisait la base du système de ceux qui voulaient donner à la garde nationale une organisation toute militaire. Plusieurs membres : C’est vrai ! c’est vrai ! M. de Noailles. On m’avertit que j’ai erré et que la proposition que je viens d’élever a été réfutée. Je passe outre. Je pense avec MM. Robespierre et Pétion que toutcitoyen domiciliés doit faire le service degarde nationale afin de ne pas faire deux classes dans L’Etat, et je prie l’Assemblée entière de remarquer que, si od privait les citoyens domiciliés de faire le service dans la garde nationale, il en résulterait les plus grands dangers. Qa’on veuille bien se rappeler que les révolutions, qui se sont opérées en Hollande en faveur du despotisme, ne sont survenues que parce que les despotes ont su s’emparer de cette classe que I’oq avait impo-litiquement rejetée du sein de la nation. (Applaudissements.). M. Charles de Lametli. Il n’est pas étonnant que quand on propose à l’Assemblée de délibérer sur 100 articles sans avoir posé uq principe, elle soit extrêmement embarrassée. Chacun réclame la priorité pour un principe : tout le monde en sent la nécessité, et je demande la permission d’observer qu’il faut d’abord le poser. MM. Robespierre et Pétion, et plusieurs autres membres de l’Assemblée nationale ODt pensé avec raison qu’avant de délibérer sur l'organisation des gardes nationales, il fallait définir cequ’on entendait par garde nationale; car, dans le projet du comité que je suis ioia d'attaquer, ce que les préopinants ont attaqué avec raison, dans ce projet où il y a beaucoup de bonnes choses, c’est qu’on n’y a pas mis assez de méthode-En effet, oq a d’abord commencé par confondre la formation et l’organisation même. Ces deux mots sont très distincts * l’un appartient à toute, 392 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (28 avril 1191.1 espèce d’institution ; l’autre est un mot militaire que nous aurions pu nous dispenser de prononcer, ce me semble, dans l’organisation des gardes nationales. Car, Messieurs, prenez-y garde; si la garde nationale n’est pas la nation tout entière, je veux dire les hommes de la nation, c’est le corps le plus oppressif ; et s’il ne l’était pas, il le deviendrait en tombant dans les mains du premier qui voudrait s’en emparer. Il est donc très clair, Messieurs, qu’il faut discuter avec beaucoup de sagesse, avec beaucoup de temps la question de l’organisation des gardes nationales, sans s’embarrasser de la formation qui doit être extrêmement simple. Il est très certain que l’article 3 de votre comité semble consacrer un gouvernement aristocratique ; il est ainsi conçu : « Ceux qui, sans être citoyens actifs, ont servi depuis l’époque de la Révolution, et qui sont actuellement en état de service habituel, pourront, s’ils en sont jugés dignes, être honorablement maintenus par délibération des conseils généraux des communes dans le droit de continuer leur service. » Vous avez été embarrassés entre la proposition de n’admettre dans la garde nationale que des citoyens actifs, et le besoin que vous avez d’être justes et de rendre aux hommes, qui ont bien mérité de la patrie, la justice qui leur est due dans ce moment-ci, et que certes vous n’avez point le droit de leur ôter; et, pour vous tirer de celte position, on vous propose de donner aux conseils de communes le droit de prononcer arbitrairement sur les citoyens, de leur attribuer une des fonctions les plus dangereuses de l'ordre judiciaire. Il suivra de là qu’il y aura autant de cabales, autant de factions qu’il y aura de conseils de commune. Permettez-moi d’observer que dans une révolution il faut que les lois soient générales et claires, et très certainement je ne connais pas une loi plus arbitraire qu’une loi qui dit : « Ceux qui en seront jugés dignes par les conseils généraux des communes. » Ainsi des conseils généraux de communes, organisés sous une mauvaise influence, sous l’influence des aristocrates, ne jugeront dignes d’être dans la garde nationale que les aristocrates. ( Rires à droite.) Vous voulez ramener la tranquillité publique : Eh bien! Messieurs, cet article-là suffit pour la troubler dans toutes les parties du royaume. Il faut que la tranquillité soit établie par la loi, il faut que la loi soit générale. Si vous établissez qu’il n’y a que les citoyens actifs qui seront dans la garde nationale, il faut que vous en chassiez tous les citoyens courageux qui ont exposé leur vie pour la patrie sous les murs de la Bastille, et partout où le danger existait ; il faut que vous les y mainteniez, et il faut que la loi le veuille, non par la protection et non par une décision arbilraire de tous les conseils généraux de toutes les villes du royaume. Dans les réflexions qui ont été faites par tous ceux qui ont parlé sur la matière qui nous occupe, matière extrêmement abstraite et extrêmement simple, ou a avancé d’étranges propositions. Je citerai l’opinion de M. Lanjuinais. M. Lanjuinais a partout comparé les gardes nationales avec les troupes de ligne, revendiquant toujours entre elles une espèee d’égalité et d’équilibre. Mais maintenant que, pour le bonheur des hommes, la profe sion militaire n’est plus comme autrefois la plus honorable profession, le premier des états; maintenant que l’état civil est au-dessus de l’état militaire, M. Lanjuinais, lorsqu’il réclamait cette égalité, ne réfléchissait pas que les troupes de ligne sont à la solde des gardes nationales ( Murmures à droite.) -y que ces derniers sont la souveraineté nationale. ( Applaudissements à gauche et dans les tribunes ; Rires à droite.) Il ne peut y avoir rien de commun entre une garde nationale et un soldat des troupes de ligne ; que ce qu’a dit Montesquieu... Plusieurs membres à droite : Ah ! ah I M. Charles de Lameth. « Dans les gouvernements libres, a-t-il dit, les citoyens doivent être égaux. » Prenez garde dans l’organisation de la garde nationale, de perdre de vue ce principe. Si votre organisation des gardes nationales met un individu dans la position qu’il puisse se faire craindre par un autre individu, votre organisation des gardes nationales tuera votre Constitution. Il y a une chose que le comité a oublié dans son rapport, c’est que l’officier de la garde nationale ne sera le supérieur de ses soldats que dans le temps du service. Autrement un homme, à la faveur d’une épaulette ou d’un hausse-col, détruirait l’égalité politique, et serait au-dessus des autres citoyens. Il faut, Messieurs, que le service de la garde nationale soit très distinct du service des troupes de ligne; il faut que, quand une municipalité requiert un détachement, ce détachement soit subordonné à son capitaine; hors du service, la marque extérieure de supériorité se met dans la poche, et l’égalité renaît. {Applaudissements.) Permettez-moi de parler au nom de cette égalité politique qui est la base de votre Constitution et de citer encore Montesquieu : « Dans un gouvernement despotique, dit-il, tous les hommes sont égaux parce qu’ils ne sont rien. Dans un gouvernement libre, tous les hommes sont égaux, parce qu’ils sont tout. » Et c’est parce que cette égalité politique est nécessaire au maintien du gouvernement que les despotes même l’ont consacrée. Les tyrans de la Turquie ne finissent nar envoyer des muets à ceux qu’ils ont le plus comblé de leurs faveurs, qu’afin de ramener le peuple à cette égalité nécessaire ; et c’est comme cela que les despotes maintiennent l’égalité politique {Applaudissements)-, mais, chez un peuple libre, cette égalité doit avoir la loi pour unique base. L’égalité est donc la consolation des esclaves et la force des hommes libres. Si l’Assemblée contrevenait à ces principes, elle détruirait la liberté. (La discussion générale est fermée.) M. Rabaud-Saint -Étienne, rapporteur. Voici le premier article de notre projet de décret : Art. l8r. « Les citoyens actifs s’inscriront, pour le service de la garde nationale, sur des registres qui seront ouverts à cet effet dans les municipalités de leur domicile, ou de leur résidence continuée depuis un an; ils seront ensuite distribués par compagnies, comme il sera dit au titre suivant. » M. Buzot. Je ne sais pas pourquoi M. le rapporteur n’adopte pas l’article présenté par les préopinants. Ne faites pas entre le citoyen actif et le citoyen passif de distinction dangereuse. Si ar de bonnes raisons vous avez voulu que cette ernière classe ne participât point à la souveraineté, vous devez aujourdliui les rattacher à l’or-