SÉANCE DU 18 VENDÉMIAIRE AN III (9 OCTOBRE 1794) - Nos 3-4 11 3 La Convention nationale renvoie, au comité de Sûreté générale, une adresse de la société des jacobins de Grenoble [Isère] qui se plaint des dangers de la liberté indéfinie et illimitée de la presse, et des calomnies dirigées contre les sociétés populaires (6). [Adresse de la société des Jacobins de Grenoble, à la Convention nationale, s. <f.] (7) Citoyens représentans, Par quelle fatalité s’occupe-t-on plus de diffamer les sociétés populaires que de surveiller les aristocrates? sont-ils rentrés en grâce, ou n’en existe-t-il plus ? Pourquoi, lorsque Pitt propose gravement à l’Europe de se ruiner pour détruire les Jacobins, cette tactique a-t-elle autant de professeurs? Pourquoi nos serments simultanés de mourir en vous défendant sont-ils ridiculisés ou révoqués en doute? N’en doutons plus, ce n’est pas seulement les Jacobins c’est la révolution qu’on veut détruire ; on commence par les postes avancés. Si une conspiration éclate à 200 lieues de vous, pourquoi en rejetter l’odieux sur les jacobins? Afin de les mieux avilir et provoquer l’apposition de scellés sur la porte de leur salle. Heureusement pour la liberté que cette proposition fut écartée par l’ordre du jour. L’arme de dom Bazile étincelle dans les mains de nos ennemis : ils ont avancé que les sociétés populaires du midi se liguoient contre vous : imposture atroce que nous nous hâtons de repousser, puisque les marseillais recèlent dans leur sein des conspirateurs, que les conspirateurs soient punis. Si des dilapidateurs ou des hommes nouveaux, en jurant la république, soupirent pour le fils de Tarquin, hâtez-vous d’en faire justice, et rappeliez les Phocéens à leurs antiques vertus ; ils seront dignes encore de leurs ayeux, de vous et de la patrie. Représentans, notre patriotisme est un sentiment profond et imperturbable, il accroit dans les dangers et brave tous ses ennemis; semblables aux rochers qui nous entourent et qui, depuis le commencement des siècles, présentent un front indépendant aux orages et à la foudre, les jacobins de Grenoble, depuis leur institution, ont conjuré toutes les factions : ils ont livré la guerre aux royalistes, aux fédéralistes et aux fnppons ; leurs trésors sont dans l’estime du peuple ; l’égalité, la liberté, voilà leur ambition, et l’obéissance aux lois est le seul joug qu’ils veulent supporter. Notre respect pour les représentans d’un grand peuple honore notre amour-propre. Point de grâces aux dilapidateurs de la fortune publique, à ces hommes gorgés de sang, dont les farouches regards ne (6) P.-V., XLVII, 46. (7) Rép., n° 23. J. Mont., n 165; J. Univ., n° 1782, 1784. peuvent supporter le flambeau de la justice, que tous les suppôts du royalisme s’anéantissent dans la tombe des triumvirs. Quand on a le coeur pur et les mains vierges, on peut provoquer l’examen de sa conduite ; nos registres sont ouverts à l’univers entier. L’austérité de nos principes ne compose pas avec la vérité : nous vous dirons que l’on avilit les sociétés populaires aujourd’hui, pour les perdre plus sûrement demain; que depuis ce système de diffamation, et depuis que les ménageries sont ouvertes, les ennemis de l’humanité parcourent les campagnes et les ravagent moralement; que la superstition relève ses autels, que les nobles et les messieurs ont retrouvé leurs créatures, que l’égalité n’est plus qu’un vain nom. Nous vous dirons que la loi du maximum est avilie, que les réquisitions sont sans force, et que l’avarice engouffre les subsistances; depuis que les ressorts révolutionnairs sont détendus, l’aristocratie et l’égoïste ne connoi-sent plus de frein, et ces monstres comptent que les malheurs incalculables qu’entraînera ce relâchement, seront déversés sur les plus chauds amis du peuple. Déjà les victimes sont désignées... qu’ils soient encore déçus dans ce criminel et dernier espoir. Représentans, l’on dit que la révolution est faite, puisssions-nous réaliser cette assertion du plus pur de notre sang : puissions-nous n’avoir plus d’ennemis à vaincre et de traîtres à punir : mais six ans de malheurs ont dû nous rendre défiants ; le mal est extrême, il est tems encore de le réparer : rendez au gouvernement une salutaire énergie et aux sociétés populaires la confiance dont elles ont besoin pour défendre votre ouvrage. Une clémence prématurée va perdre la patrie; la démocratie est là encore quelques instans, mais elle ne sera plus; MAIS NOUS PERIRONS SOUS SES RUINES. Vive la république une, indivisible et démocratique! vive la Convention nationale! vive la montagne! vive les sociétés populaires. La société des jacobins de Grenoble, après avoir entendu lecture de la présente adresse, en arrête l’impression et l’envoi à la convention nationale, aux jacobins, aux sections de Paris, et à toutes les sociétés populaires de la république. Salut et fraternité. Suivent les signatures. 4 L’administration de Châtillon [Côte-d’Or] écrit : « Nous ne voulons que la Convention; elle suffit pour le bonheur de tous : elle aime le peuple, et le peuple la chérit. » Mention honorable, insertion au bulletin (8). (8) P.-V., XLVII, 46. Bull., 24 vend, (suppl.).