690 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. * [3 juillet 1790.] dont elle ose se dire la protectrice, sème entre les citoyens la discorde et les haines, arme des frères contre des frères et réservait au dix-huitième siècle l’horrible et inattendu scandale de voir le sang des Français versé par des Français. Puissent les haines funestes s’éteindre, ou n’exister du moins qu’entre ceux qui les suscitent ! c’est à eux seuls qu’il appartient de se haïr et de se diviser. Puissent les nœuds sacrés d’une union fraternelle et inaltérable, rallier les efforts et les opinions des amis de la patrie ! c’est à eux qu’il convient de s’aimer et de s’unir. « Nous vous offrons, Messieurs, le procès-verbal de l’inauguration du monument élevé par nos mains. Nous croyons utile d’en consacrer le souvenir et de légaliser, autant qu’il est en nous, un acte dont les siècles futurs aimeront à retrouver les traces. Q’est à ce titre, Messieurs, que nous vous supplions d’ordonner que ce procès-verbal soit déposé dans les archives de la nation. » Signé : E. Mt jan; F. Beaulieu; Hugounenc, dé-uté de la garde nationale de Montpellier; Jou-ert; G. Romme; Pascal; Coqueau; Olcher; D. Bqsc; J. B. P. Riffaut; Ollivier; Brival; Boussogn; Meliet; Ladainte; l’abbé Anaclet; Pierre Viaud, ci-devant de Belair; l’abbé Leroy ; J.-F. Le Gocq, secrétaire-commis des archives de l’Assemblée nationale; Gilles; Gillet; l’abbé Joseph Ruhul; Jacob; Poullenot; Boy: Guérin; Ghenaux; Briare; Naudet; Souberbielle; Lefebvre; Monet; Gailleux de Remcourt, capitaine lieutenant des gardes de la prévôté de i’Hôlel du roi; J.-P. Gilly, de la garde nationale d’Angers ; H. Rousseau; L.Goin-treau; J.-B. Tailhand; femme Gilles; Dupiay. M. le Président répond : « L’Assemblée nationale applaudit avec la plus vive satisfaction au zèle des citoyens qui, comme vous, s’empressent de donner des marques sincères de leur attachement à la Constitution. Son unique vœu est de voir tous les Français ne faire plus qu’un et marcher d’un pas égal vers le bien public.. L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. » Plusieurs membres demandent que l’adresse de la Société du serment du Jeu de Paume soit insérée dans le procès-verbal. (Cette motion est adoptée.) M. üompère de Champagny. Messieurs, les citoyens de tous les âges, de tous les états, fixent leurs regards sur la fédération du 14 juillet, sur la fête de la patrie. Tous ceux qui se sont armés pour la défense de la Constitution, tous ceux que les besoins de l’ordre social avaient armés pour défendre l’Empire, unis par les mêmes sentiments, se rassembleront par leurs députés au sein de la capitale, au sein de cette ville, où l’amour de la liberté s’est fait sentir avec tant d’énergie, de cette ville qui, la première, s’est armée pour conquérir la liberté, et dont le courageux exemple a été imité par toutes les villes de France associées à ses triomphes. Dès lors que tous les citoyens qui se sont consacrés à la défense de la patrie sont admis à cette fédération générale, ne eut-on réclamer les droits de notre escadre ? ette réclamation est l’objet de ma proposition. M. d’Albert de Rioms désirerait être admis à la fédération générale pour y prêter le serment civique en son nom et en celui de l’escadre dont le commandement lui est confié. (Le côté droit et une grande partie du côté gauche demandent à aller aux voix et applaudissent à cette motion.) M. Robespierre. Je ne prends pas la parole pour m’opposer à la motion honorable ..... (On demande à aller aux voix.) Je reconnais tout le mérite militaire de M. d’Albert.... Je ne crois pas que des honneurs, que des distinctions particulières doivent nous occuper dans cet instant ..... Je ne crois pas que la fête de l’égalité ..... Supposons que M. d’Albert soit revêtu de toutes les qualités que je ne veux pas lui contester; mais est-il le premier parmi les citoyens qui ont montré avec le plus d’éclat et d’utilité, pour la chose publique, leur dévouement à la Gonstitution, leur amour pour la liberté? Est-ce à ce titre qu’il a droit à une distinction particulière ?.... G’est d’une fête nationale, où tous les bons citoyens viennent répéter un serment qu’ils ont prononcé avec le meme respect, qu’ils ont prononcé avec le même courage, qu’on doit exclure toutes les dis-tinciions.... (Les murmures d’une grande partie du côté gauche et l’empressement d’aller aux voix qui, à chaque phrase, interrompaient l’orateur, se renouvellent avec plus de force.) Je prends la liberté de faire une question aux plus zélés partisans de M. d’Albert; je leur demande si M. d’Albert est, de tous les citoyens, celui qui ait le mieux servi la liberté publique.... (Les applaudissements d’une partie du côté gauche et des tribunes interrompent l’orateur.) Les principes que je viens de rappeler sont les vôtres; ils sont incontestables. On m’oppose que M. d’Albert a un titre particulier, comme chef de l’escadre... (Applaudissements et murmures .) J’espère que M. d’Albert lui-même trouvera son mérite asssez récompensé par le commandement dont il est honoré. J’espère surtout que la nation n’aura pas en ce moment besoin de ses talents distingués, et qu’il ne les exercera pas eu faveur de l’Espagne : j’espère que la paix ne sera point troublée. Je laisse à l’Assemblée à suppléer à toutes les raisons que je n’ai pas dites : mais si, malgré celles que j’ai présentées, malgré celles qui se présentent d’etles-mêmes à chacun de nous, la motion était accueillie, je demanderais que Fou recherchât avec soin, avec justice, tous les citoyens qui ont rendu des services à la patrie pour les faire participera cet honneur; je demanderais qu’ils fussent placés dans un ordre déterminé par le degré d’utilité de ces services. . . . M. d’Albert serait-il à leur tête ?... (Les applaudissements d’une partie du côté gauche et les murmures du reste de l’Assemblée se mêlent à la demande réitérée d’aller aux voix.) M. Charles de Cameth. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. (Les membres qui environnent M. de Lameth se lèvent , pour appuyer cette proposition, que repousse le reste de l’Assemblée). Après de longs débats, l’Assemblée consultée décide qu’on ne passera point à l’ordre du jour. M. üompère de Champagny . Il paraît que je n’ai pas été entendu : qu'on me permette de m’expliquer. Si c’était à titre de faveur que j’eusse demandé que M. d’Albert fût admis à la fédération, je retirerais ma motion-: il n’a point encore mérité de faveurs particulières de la nation régénérée. Mais je parle comme membre du comité de la marine chargé par vous de désigner les représentants de notre escadre à cette fête, et c’est en cette qualité que je propose M. d’Albert. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]3 juillet 1790.] 691 M. Charles de Lameth demande la parole ; au milieu des murmures dont l’Assemblée est agitée, il ne peut parvenir à se faire entendre, et la discussion est fermée. M. Muguet demande la parole. Il ne peut l’obtenir. M. le Président annonce que M. Muguet a réclamé pour proposer qu’un ofiicier de chaque grade, parmi les officiers de l’escadre, accompagne M. d’Albert. Après des agitations très longues et très tumultueuses, la proposition de M. Nompère de Cham-pagny est mise aux voix et décrétée à une grande majorité. M . le Président. Voici le résultat du scrutin qui a eu lieu aujourd’hui pourl 'élection du président et de trois secrétaires : M. de Bonnay .................... 306 voix. M. de Menou ..................... 188 » M. de La Rochefoucauld ........... 187 » M. de Gazalès .................... 62 » Voix perdues .................... 17 » Total ....... 760 voix. Personne n’ayant obtenu la majorité absolue, il y a lieu de procéder à un nouveau scrutin. Pour les secrétaires, les voix se sont réparties de la manière suivante: M. Dupont (de Nemours) .......... 402 voix. M. Garat, l’aîné ......... ......... 252 » M. Regnaud (deSaint-Jean-d’Angély) 2i2 » Je les proclame secrétaires à la place de MM. de Pardieu, Gourdan et Dumouchel, secrétaires sortants. L’ordre du jour est le rapport de l’affaire de Haguenau. M. Victor de Broglie, au nom du comité des rapports. La ville de Haguenau était autrefois gouvernée par des magistrats qui remplissaient tout à la fois les fonctions déjugés et d’administrateurs. Les officiers municipaux nommés en 1789 exigent les comptes de ces magistrats; l’exercice de ce devoir parut un crime; les officiers municipaux furent enlevés par la maréchaussée et menacés d’un jugement de mort. Ils ont été élargis, en vertu d’un décret de l'Assemblée nationale, sur leur simple caution juratoire. Lors de la formation de la municipalité, établie par la Constitution, les mêmes officiers municipaux ont été nommés. Ils se sont occupés de nouveau de la vérification des comptes. Ils ont reconnu que, depuis 1785, il n’en avait été rendu aucun; qu’il y avait dans la caisse un déficit de 200,000 francs, et qu’on avait fait des emprunts pour 2,000,000. Les anciens administrateurs ont pris, en partie, la fuite, et le receveur a fait l’abandon de ses biens. Sur la réquisition du procureur de la commune, un décret permit la saisie sur les anciens administrateurs, déclarés solidaires, qui interjetèrent appel au conseil souverain de Colmar. Ce tribunal donna mainlevée provisoire des saisies, et motiva son arrêt d’une manière extrêmement injurieuse aux officiers municipaux, et cet arrêt fut répandu avec profusion. Les anciens administrateurs sont revenus à Haguenau: dès ce moment, le désordrea commencé. Ils sont parvenus à faire nommer l’un d’eux administrateur du département. Tels sont les faits antérieurs à l’événement qui fait l’objet du rapport. La mauvaise conduite du régiment de Salm ayant obligé à le faire sortir de cette ville, le peuple, persuadé que le ministre n’enverrait plus de garnison à Haguenau, effrayé par la perte des avantages qu’il retirait de la consommation des troupes, et enivré par les malintentionnés, se porte en foule à la maison commune et demande à grands cris le rappel du régiment de Salm. Sur le refus de la municipalité, l’hôtel de ville est attaqué, le greffe enfoncé et pillé, et les officiers municipaux menacés. Le lendemain les séditieux ont formé une nouvelle garde nationale ; ils se sont emparés de tous les postes, et ils sont maîtres de la ville. — La municipalité fait plusieurs demandes qui sont prises en considération dans le décret dont le projet va être lu. Ce récit prouve assez la nécessité de les accueillir. M. Victor de Broglie lit ce projet de décret, qui est adopté en ces termes : « L’ Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, et avoir examiné les pièces qui constatent: « 1° Les difficultés qui se sont élevées entre la nouvelle municipalité de Haguenau et les anciens magistrats de cette ville; « 2° La nullité de l’élection du sieur Schwendt, administrateur comptable, à la place de membre du département du Bas-Rhin; « 3° Les troubles qui ont eu lieu les 16 et 17 de ce mois dans la ville de Haguenau, et les violences qui ont été exercées contre les officiers municipaux de cette ville; « 4° L’illégalité de la formation de la nouvelle milice nationale de Haguenau; « Considérant que le maintien de l’ordre public est particulièrement intéressé au libre exercice des fonctions attribuées aux officiers municipaux, au respect porté à ceux qui les exercent, et à la plus parfaite soumission de tous les citoyens français, aux décrets émanés du Corps législatif acceptés et sanctionnés par le roi, a décrété et décrète : Art. 1er. « Que son président se retirera par devers le roi, à l’effet de supplier Sa Majesté de donner les ordres nécessaires pour qu’il soit informé, sans aucun retard, des troubles qui ont été excités dans la ville de Haguenau, nés violences qui ont été commises contre les officiers municipaux, ainsi que de l’enlèvement des papiers lors du pillage du greffe, et pour que les auteurs, fauteurs et complices desdits excès soient poursuivis, jugés et punis suivant la rigueur des lois. Art. 2. « Qu’à l’effet de mettre les officiers municipaux à l’abri de toute violence ultérieure, et de leur assurer le libre et paisible exercice des fonctions qui leur sont confiées, le roi sera également supplié d’ordonner qu’il soit envoyé à Haguenau un régiment de cavalerie française. Art. 3. « Que le directoire du département du Bas-Rhin, auquel l’audition des comptes des ci-devant administrateurs de la ville de Haguenau est déférée par les décrets, et autorisé, pour assurer les intérêts de la commune, à permettre toutes saisies et arrêts provisoires qui pourront être requis. « Déclare, en outre, l’Assemblée nationale: « 1° Que l’élection du sieur Schwendt à la place de membre du département du Bas-Rhin est nulle, comme contraire à l’article 2 des décrets des 20, 23 mars et 19 avril derniers, et qu’en