{Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 octobre 1789.] 337 M. Blanqnart des Salines, député de Calais, fait la motion suivante , relative aux lois somptuaires : JNous sommes Français : ce titre nous impose de grands devoirs envers la patrie, dont le salut est en péril. Vou3 voyez les manufactures anéanties, les ateliers déserts, les ouvriers sans travail; le commerce extérieur est à notre désavantage, et la France, débitrice envers les nations voisines, laisse sortir de son sein un numéraire considérable. Eh bien ! Messieurs, il est un moyen pour ranimer le commerce, et pour rétablir sa balance, je dirai même pour la faire pencher en sa faveur. Il est dans le projet d’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale arrête que ses membres seront invités à ne faire usage , soit pour leur ameublement, soit pour leurs équipages, etc., que d’étoffes françaises; que le président sera chargé de se retirer devers le Roi pour l’engager à prendre pour lui et sa cour le même engagement. » Une motion aussi importante, attendu le traité de commerce avec l’Angleterre, est ajournée du 1 consentement de l’auteur. M. Pétlon de Villeneuve. Je renouvelle la motion que j’ai faite hier. Le prêt d’argent à temps et à intérêt augmente la circulation du numéraire, vivifie le commerce et l’agriculture. Des préjugés théologiques l’ont cependant proscrit pendant longtemps ; la cour de Rome même s’est . opposée aux contrats de constitution. On a abusé du conseil : Mutuum date, nil indè sperantes. Mais l’emprunteur seul tire un bénéfice de l'argent, et sans doute la stricte justice exige qu’il le partage avec le prêteur. D’après le contrat de constitution, le prêt est perpétuel; il nuit à la circulation , il oblige un homme qui doit faire une spéculation quelconque, à une époque un peu éloignée, de conserver son argent dans ses coffres. En Alsace, en Dauphiné, en Béarn, en Bresse, etc., le prêt à intérêt et à temps est admis : le gouvernement emprunte à temps, les ecclésiastiques eux - mêmes n’ont pas étendu la rigueur de leurs principes jusqu’au souverain; la nation, qui est souveraine, a le même droit. Proscrire ce prêt, c’est favoriser l’usure ; on met l’intérêt en dedans ; la loi est ainsi esquivée ; elle l’est toujours aisément en matière d’argent. Je n’ai pas cru devoir fixer lè taux de l’argent. On ne le pourrait à présent qu’au denier 5. Des circonstances plus heureuses et très-prochaines peuvent le ramener à 4 ou 4 1/2. 11 faut donc se borner à dire , dans l’arrêté que je vous invite à prendre à ce sujet, que l'intérêt sera fixé, suivant le taux qui aura cours lors du prêt. — Il est inutile de fixer ce taux, parce qu’il s’établit toujours un niveau naturel ; mais on peut ►proposer avec plus de raison de rendre l’argent commerçable; la concurrence en diminuera le . prix. M. le curé de.... Cette question attaque la morale de la religion et les principes de la loi naturelle. Elle est inutile à traiter en politique, et je pense qu’il n’y a pas lieu de délibérer. K M. l’abbé Gouttes. On a, grâce aux principes d’Aristote, obscurément et faussement interprété les pères de l’Eglise et la loi naturelle. Le prêt à intérêt et à temps n’a pas été défendu par tout cela, il n’a pu et il n’a dû l’être. 1M Série, T. IX. Le prêt à intérêt et à temps produit l’usure ; la prohibition du prêt l’a créée. On s’est mal entendu sur les mots, ou on n’a pas voulu s’entendre, et de là des discussions scandaleuses, de là des conséquences aussi erronées que les principes qui les ont fait naître. Il fallait demander : la condition d’un tel prêt est-elle nulle ou non ? Il fallait se borner à résoudre cette question. La grande objection consiste à dire : un écu ne produit pas un écu ; une maison ne rend pas une maison ; mais en vous prêtant un écu, je me prive de la jouissance, de l’usage que j’aurais pu faire de cet écu, et je pense que j’ai le droit de vous vendre cette jouissance et cet usage. Par exemple, je vous prête un sac de 100 pistoles, vous me donnez en échange un billet de la même somme ; si vous me dites que votre billet vaut un sac , je vous dirai : reprenez votre billet, et je garde mon sac. — Il ne faut faire à personne ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît. Ce principe est celui de la religion et de la morale naturelle; c'est sur lui qu’on veut s’établir, c’est sur lui que je m’appuie. Deux frères héritent d’une somme de 200,000 livres; l’un des deux reçoit la moitié en argent; l’autre en biens-fonds. — Le premier peut-il dire à l’autre : prête-moi ce qui te revient ? Et si celui-ci se rend à sa demande, l’autre peut-il ne pas lui payer la jouissance de son bien-ionds? Le second peiit-il donc, selon ceux qui proscrivent le prêt à intérêt, emprunter les 100,000 livres de son frère, sans lui payer la jouissance qu’il lui enlève ? L’Evangile ordonne de prêter sans intérêt, même sans exiger le retour du capital. Saint Jérôme et saint Basile expliquent ainsi le texte de l’Evangile : Cette maxime s’entend seulement pour le prêt de charité , et non pour le prêt de commerce. Saint Luc, saint Mathieu, saint Thomas, n’ont considéré le mutuum date que comme un conseil, et non comme un précepte. Quand deux hommes traitent ensemble, à leur avantage mutuel et sans nuire à personne, il est impossible qu’ils pèchent. — Rien ne produit rien, dit le Seigneur. — L’argent est la semence du commerce, comme le grain est la semence du blé. Je conclus à ce que l’Assemblée autorise le prêt à intérêt et à temps. M. l’abbé Maury. Nulle puissance ne peut conserver son rang parmi les nations sans le commerce, et le commerce ne peut exister sans le prêt à temps et à intérêt. Cette question n’en est pas une de religion, mais de politique. Lorsque la loi ne sert qu’à multiplier les prévarications, qu’à tourmenter les consciences, elle doit être changée; en la changeant, vous remplirez un grand devoir. Le Mont-de-Piété, qui n’est autre chose que l’autorisation d’un prêt à intérêt et à temps, est établi à Rome et sous les yeux du pape. La question que nous traitons n’est donc un problème que pour les particuliers. Je demande que l’Assemblée autorise le prêt à terme fixe et à intérêt, au taux fixé par la loi. M. l’abbé de Barinond veut attaquer les principes des préopinants; il est interrompu, et l’Assemblée demande d’aller aux voix. M. Kewbell. Le clergé en Alsace, comme ailleurs, n’est sans doute attaché aux biens de la terre qu’autant que la conscience le permet; et dans cette province il a toujours prêté son argent à 5 0/0. Je suis chargé par mon cahier de deman-22 338 [Assemblée nationale.] der que les gens de main-morte soient autorisés à prêter à intérêt et à temps, et à demander qu’il soit établi dans ma province une chambre d’hypothèques. M. Target. 11 faut prononcer sur la mption, mais je demande qu’on renvoie à la discussion la partie de l’article qui aura rapport aux gens de main-morte. M. Périsse Du Tue. L’intérêt du prêt de commerce ne peut jamais être fixé par la loi, il ne peut être déterminé que par le cours de la place. Celui qui ne retire pas un intérêt au-dessus du cours de la place ne peut être accusé d’usure. Je propose donc qu’il soit ajouté, par amendement, aux mots, fixés par la ' loi, ceux-ci, ou par le cours des places de commerce. M. Chasset appuie l’amendement de M. Périsse Du Luc, et propose d’ajouter dans le corps de l’article : et les administrations temporelles. M. le vicomte de Mirabeau veut que le taux de l’intérêt ne soit fixé que par la conscience des prêteurs. Il faut, dit-il, être ici un jour financier, un autre jour juge, un autre jour théologien, et toujours législateur ; c’est aujourd’hui le jour de la théologie, et j’avoue, sans honte, que je n’y entends rien. M. le baron Brueys d’Aigallters. Le décret proposé est un décret de principe comme ceux du 4 août. Je demande qu’on décrète aujourd’hui le principe, on renverra ensuite au comité pour les règlements de détail. M. Glezen propose pour amendement que le prêt à intérêt ou à temps soit arrêté, sans néanmoins rien innover aux usages du commerce. M. Target. Il est nécessaire de ne fixer d’autre taux que celui qui résulte de la rareté ou de l’abondance du numéraire. La loi est mauvaise toutes les fois qu’il n’existe aucun moyen sûr de répression, et rien n’avilit la loi comme l’impossibilité de la faire exécuter. Eloignez donc toute fixation de taux, et tenez-vous-en aux conventions particulières. M. le marquis de Bonnay veut qu’on dise : conformément à la loi, sans rien changer aux usages du commerce. M. Bocque de Saint-Pons. En adoptant l’amendement de M. le marquis de Bonnay, vous ruinez l’agriculture. Le cultivateur, dont ies possessions exigent des réparations, des améliorations, ne peut les faire qu’en empruntant; il n’empruntera qu’à ceux qui font valoir l’argent, et ce sont les commerçants, les banquiers, les capitalistes qui, profitant de l’extension qu’ils pourront donner à l’énonciation de la loi, exigeront de l’emprunteur un intérêt considérable, sous le prétexte qu’ils trouveraient ce même intérêt sur la place. M. Deschamps, député de Lyon , demande que le prêt soit permis aux corporations, aux municipalités, aux gens de main-morte, sans entendre déroger aux autres dispositions de l’édit de 1749. M. Beilon prévoit la nécessité de déroger à quelques dispositions de cet édit célèbre. [3 octobre 1789.] M. le Président met aux voix l’amendement concernant les gens de main-morte. 11 est adopté. M. le Président met ensuite aux voix l’ensemble du décret qui est adopté dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale a décrété que tous particuliers, corps, communautés, et gens de main-morte, pourront à l’avenir prêter l’argent à terme fixe, avec stipulation d’intérêt suivant le taux déterminé par la loi, sans entendre rien innover aux usages du commerce. » L’Assemblée arrête ensuite que son président se retirera incessamment devers le Roi pour présenter à sa sanction le présent décret. M. Tilloutreix de Faye, évêque d’Oléron, se lève et déclaré qu’il ne peut adhérer à un décret qu’il considère comme contraire aux lois de l’Eglise. Cette protestation n’a pas de suite. M. le Président dit qu’une députation des bas-officiers de l’hôtel royal des Invalides arrive à l’instant de Paris pour faire hommage à l’As-- semblée d’un don patriotique de 300 livres, et que si l’Assemblée veut, en leur faveur, ne pas renvoyer à la séance du soir l’acceptation de ce sacrifice, les députés seront introduits. La proposition de M. le président est agréée. Les députés introduits à la barre, l’un d’eux dit : Les officiers et soldats des compagnies de Moreau et de Coquebert servant à la garde de’ l’hôtel royal des Invalides, animés, dans tous les temps, du patriotisme le plus sincère, supplient Nosseigneurs les représentants de la nation de vouloir bien leur faire la grâce de recevoir une somme de 300 livres qu’ils se sont empressés de réunir pour coopérer au bien de l’Etat. M. le Président répond : L’Assemblée nationale me charge de vous témoigner combien elle est touchée du nouveau sa-j crifice fait à la patrie par de braves vétérans : elle vous permet d’assister à sa séance. M. le Président demande si M. le comte de Mirabeau est prêt à faire une seconde lecture cju projet d’adresse aux commettants. M. le comte de Mirabeau répond qu’il est aux ordres de l’Assemblée. En conséquence, l’adresse est relue et accueillie par de nouveaux applaudissements. M. le Président veut soumettre cette adresse à la délibération, mais l’Assemblée décide qu’elle ne s’en occupera qu’après que le Roi aura accepté la déclaration des droits et les articles delà constitution qui lui ont été présentés hier. 4 M. Teytard, député du clergé de Paris, présente un don patriotique. Il n’est pas besoin,� Messieurs, d’être excité par l’éloquence de l’honorable membre qui vient de vous entretenir pour faire des dons à la patrie. La ville de Paris ayait fait présent à l’église de l’abbaye royale de Sainte-Geneviève, d’un superbe et magnifique candélabre pesant 248 marcs 4 onces 4 deniers 12 grains.'*' Eh bien ! MM. les abbés , prieurs et çha-noines réguliers de cette abbaye viennent par - délibération capitulaire et du consentement des donateurs, d’en faire le don pour les bespins de ARCHIVES PARLEMENTAIRES.