322 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] le malheureux puisse atteindre, et ne se voie plus forcé, par un rôle fait au grenier à sel, de prendre une denrée dont le prix excède ses pouvoirs. Art. 9. Que le commerce, si essentiel à la prospérité de l’Etat, soit rétabli par la faveur accordée aux manufactures du royaume sur celles de l’étranger, et par le soutien aes travaux publics, qui alimentent, quand ils sont en vigueur, des milliers de citoyens qui, sans ce secours, périraient de misère. Art. 10. Qu’en conséquence de cette vérité, les députés de notre ordre aux Etats généraux, représentent, avec tout le zèle dont ils sont capables, la situation déplorable de plus de dix mille femmes et filles qui, dans un grand nombre de villages des environs de Paris et plus loin, n’ayant, pour toute ressource et unique talent, que le travail de la blonde, dont le produit n’est lus de mode, sont réduites à l’état le plus mal-eureux ; qu’ils supplient le gouvernement de s’occuper du moyen d’assurer leur subsistance par un travail qui, proportionné à leur force, puisse tourner à l’avantage de la nation, et leur fournisse le pain qui leur manque. Art. 11. Que la mendicité, si honteuse dans une monarchie bien policée, soit à jamais bannie du royaume. Que les vrais pauvres soient secourus, chacun dans leur paroisse ; et que, pour parvenir à cette importante opération, chaque paroisse ait un fonds de charité, proportionné à ses besoins, assigné sur les propriétaires de fonds, de quelque état qu’ils soient, taxés par le gouvernement, par arpent, à la somme que l’on jugera convenable. Art. 12. Qu’il serait bien important, pour la tranquillité 'du royaume et le bonheur des peuples, de prévenir, par de sages précautions, la cherté des grains, en établissant des magasins où serait renfermé , dans chaque province, l’excédant de la consommation de chaque année ; en sorte que, dans les années où le grain deviendrait plus rare, par la médiocrité ou l’insuffisance des récoltes, les greniers publics, ouverts à propos, pussent toujours fournir les marchés d’un grain ui, essentiel à la subsistance des peuples, ne serait jamais porté à une valeur plus forte, même dans les temps de disette; que le prix de cette denrée de première nécessité devrait être invariablement fixé pour le peuple, en observant toujours d’emmagasiner des grains plutôt que des farines, qui, ne pouvant se remuer, sont sujettes à s’échauffer, ainsi qu’une triste expérience ne cesse de l’apprendre, presque sans succès, au détriment du bien public. Art. 13. Que l’extrême cherté de la viande est encore un malheur qui intéresse trop toutes les classes des citoyens, pour ne pas sérieusement s’occuper de ce qui en peut être la cause ; qu’il est surprenant qu’on ne cherche pas à la prévenir en favorisant tout ce qui peut assurer l’abondance et procurer au royaume, dans ce genre, une denrée toujours proportionnée à sa consommation; et singulièrement, en veillant à l’exécution des règlements de police, faits sur cet objet, dont l’inexécution produit la disette qui nous afflige. Art. 14. Que nous soyons autorisés a rembourser toutes les rentes foncières, cens, cham-parts, et autre nature de rentes non rachetables, d’après une juste estimation ; que les dîmes soient supprimées. Art. 15. Que les maîtres de poste payent l’impôt sans exemption. Art. 16. Que les remises, qui servent de retraite au gibier qui nous désole, soient détruites. Art. 17. Que les enfants partagent avec égalité les terres des successions et fiefs. Art. 18. Que chaque paroisse fasse sa corvée en nature. Art. 19. Que les péages soient supprimés. Art. 20. Qu’il y ait, par tout le royaume, égalité de poids et de mesures. Art. 21. Que les ordonnances sur le fait des pigeons et des colombiers soient remises en vigueur. Art. 22. Que les propriétaires des terres, qui avoisinent les grands chemins, et sur lesquelles se trouvent plantées des avenues d’arbres, soient autorisés à émonder les arbres pour leur compte, à la charge de replanter au besoin ; auquel cas, le corps des arbres morts leur appartiendra : règlement d’autant plus juste pour la paroisse d’At-tainyille, que le grand chemin de Yiarmes ayant été pris sur son territoire, on avait promis’aux propriétaires du terrain ce dédommagement qui ne leur a pas été accordé. Art. 23. Qu’attendu la courte durée des baux, qui empêche le cultivateur de donner à sa terre l’engrais dont elle est susceptible, et de la marner lorsqu’elle en a besoin, dans la crainte d’en être dépossédé au moment de jouir du fruit de son travail, lesdits baux soient prolongés et fixés à dix-huit ans : objet très-utile à l’agriculture, qui demande la plus grande attention. Art. 24. Que la vente d’une terre n’en casse pas les baux, vu le tort considérable que cela fait au cultivateur qui se trouve privé de son état et fort souvent dans l’impossibilité de se procurer d’autre fermage ; à moins qu’il n’y ait besoin du tiers par le bail existant de la part du vendeur. Art. 25. Que les capitaineries soient abolies. Art. 26. Que les banqueroutes frauduleuses soient absolument défendues sous peine de punition corporelle ; et qu’elles soient regardées comme telles, à moins que le banqueroutier ne prouve très-clairement les pertes qu’il a essuyées. Art. 27. et dernier. Que tous droits de banalité soient abolis. Signé Pierre Masson, fermier des seigneqrs d’Attainville ; Bulté; Pierre Garlet; Guillaume Devouge, syndic; François Bourges; Michel Ja-ciin; Alphonse-Denis Bourgeois; Richard; de Castres; Beron; Richer; et Divory. CAHIER Des plaintes et doléances de la paroisse d' Auber-villiers, dites les Vertus, et signées par les habitants de ladite paroisse , en l'assemblée du 14 avril 1789 (1). La paroisse d’Auber villiers, composée d’environ quatre cent vingt feux, est située dans la plaine de Saint-Denis, et fait partie de la banlieue. Son terroir est composé d’environ 1,600 arpents; l’arpent ayant 100 perches, et la perche 18 pieds seulement. Environ les deux tiers de ces 1,600 arpents sont cultivés en gros légumes, servant à l’approvisionnement de Paris ; le reste en prés et grains. Excès de la taille. La taille sur les terres est poussée, dans cette (1) Nous publions oc cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] paroisse, à un taux excessif. Le principal et les accessoires y joints semblent ne monter qu’à environ 8 livres par arpent tenu à loyer, sans distinction de prés, grains ou légumes, et sans préjudice de la taille personnelle imposée à raison de la propriété, de l’évaluation fixée pour les bestiaux, l’exploitation, la propriété delà maison, le bénéfice de la mise de fonds (mot de fabrique nouvelle), et ce qui, au total, porte, toute évaluation faite, l’arpent à plus de 1 1 livres. Les habitants d’Àubervilliers se sont plain ts souvent de ces impositions forcées, sans avoir pu, jusqu’ici, obtenir de modération. Taxe des boues. Mais une taxe plus intolérable encore leur est imposée depuis quelques années, sans ordre du souverain, sans arrêt du conseil, sans aucune de ces formes légales qui ont coutume de donner la sanction aux impôts : cette taxe est celle des boues. C’est une chose connue que toutes les maisons de Paris sont assujetties à une taxe, dont le produit est employé à l’enlèvement des boues, et à procurer la netteté des rues de la capitale. Ces boues sont portées à l’extrémité des faubourgs, et jetées dans des cloaques à ce destinés. Les paroisses de la banlieue, du nombre desquelles est Aubervilliers, sont tenues, d’ancienneté, à venir prendre ces boues dans ces cloaques et à les répandre sur leurs terres. Cette charge leur a paru lourde de tous temps, en ce qu elle occasionne fréquemment (en hiver surtout) des maladies d’hommes, et aussi des maladies et même des pertes de chevaux qui, obligés d’entrer dans ces cloaques, et d’y rester enfoncés, tout le temps qu’on met à charger la voiture, contractent souvent des tranchées dont peu réchappent -, sans parler des clous, tessons, morceaux de verre, etc., qui, mêlés avec ces boues, estropient hommes et chevaux. Néanmoins, les habitants, assujettis à celte dure nécessité, ont trouvé moyen, par leur industrie, de se la rendre moins fâcheuse et même supportable. Ils font, sur leurs terres, des tas de ces boues, qui , après avoir reposé et fermenté quelque temps, deviennent un bon engrais. Cet avantage ne méritait d’être considéré que comme une compensation de leur travail , de. leurs risques et de ceux de leurs chevaux. Mais la finance, toujours active, et souvent cruelle dans ses spéculations, a médité et entrepris, depuis quelques années, d’en faire la base d’un impôt si excessif, qu’il égale, à lui seul, la taille, le gros et les accessoires y joints ; impôt qui, nous le disons hardiment, entraînera, s’il continue, la ruine d’Àubervilliers, et la cessation de culture sur tout son terroir. En effet, cet impôt est, par voiture de boue, à raison de 8 sous par cheval, ce qui fait 1 livre 4 sous par voiture ordinairement attelée de trois chevaux. Or, il faut vingt voitures de boue attelées de trois chevaux pour fumer un arpent de terre dans les bonnes terres; la fumure ne se renouvelle que tous les trois ans. Dans les médiocres et les mauvaises, elle est nécessaire tous les deux ans. Vingt voitures à 24 sous chacune font 24 livres, qui, divisées par trois ans, donnent 8 livres chaque, et divisées par deux seulement, donnent 12 livres. En prenant un terme moyen, c’est 10 livres par arpent qui se trouvent être imposées à la paroisse d’Aubervilliers, sans ordre du souverain et sans autorité légale. Cette nouvelle taxe de 10 livres égale donc, à bien peu de 323 chose près, celle de la taille, laquelle, avec ses accessoires, ne monte guère qu’à 11 livres l’arpent. Les deux réunies forment 21 livres, impo sées au malheureux cultivateur, par chaque ar peut qu’il arrose de ses sueuis. Encore, si sa récolte était toujours assurée, s’il n’avait même à courir que les risques attachés à l’intempérie des saisons ! Mais il a, de plus, à supporter des pertes et des dommages renaissants tous les ans, et qui proviennent de l’excessive multiplication du gibier, Dégâts causés par le gibier. Auberviliiers est sur les plaisirs du Roi, et dépend de la capitainerie des Tuileries. On comprend facilement comment une plaine plantée pour ja plus grande partie en choux, carottes et toutes sortes de légumes, doit souffrir delà voracité du gibier, surtout en hiver que les prés et gazons naturels, couverts de neige, ou desséchés par la rigueur de la saison, ne lui présentent plus de pâture. Mais, ce qu’on aura plus de peine à concevoir, c’est que, depuis un certain nombre d’années, on se soit attaché à augmenter ce fléau destructeur, sans aucune considération d’humanité et de justice. En effet, le bailli, ses lieutenants, et autres officiers de la capitainerie, qui trouvent, sans doute, la plaine d’Aubervilliers fort à leur commodité, et aux plaisirs desquels elle sert bien plus qu’à ceux du Roi qui y chasse à peine une fois l’an, ces officiers, dis-jej pour que la source de leurs plaisirs ne tarisse jamais, ont, depuis trente à trente-cinq ans, établi d’abord quelques remises, les ont ensuite multipliées avec excès. De sorte que la plaine qui, jadis, en était exempte, et depuis, n’en présentait quelques-unes que de loin en loin, en est aujourd’hui hérissée. L’établissement et la multiplication de remises a produit, comme on s’y attendait, la multiplication du gibier ; d’où il résulte qu’aujourd’hui les pièces de terre attenantes aux remises, sont entièrement dévastées, et que toutes les autres souffrent plus ou moins, suivant que l’hiver est plus ou moins rigoureux. En outre, il y a eu, de temps à autre, des ordonnances du souverain pour l’extirpation entière des lapins, comme étant l’espèce de toutes la plus destructive. Mais ces ordonnances demeurent sans effet, et toutes les remises fourmillent de lapins. Les gardes-chasses ont-ils de leurs supérieurs, officiers de la capitainerie, des ordres secrets et verbaux de ne point mettre à exécution ces ordonnances ? Ce qu’il y a de plus probable, c’est que ces gardes-chasses, à qui les lapins sont abandonnés par le texte de l’ordonnance, et qui ont charge de les détruire, les entretiennent au contraire avec une prudente économie, les regardant, sans doute, comme un revenu de leur place, ou un fonds assuré de leur cuisine. Dégâts causés par les bouchers de Paris. Cet établissement et cette multiplication des remises, et celle du gibier, qui s’en est ensuivie, ont été innovés d’autant plus injustement dans la plaine d’Àubervilliers, que déjà cette plaine est assujettie à fournir pâture aux moutons des bouchers de Paris. Mais celte pâture peut-elle avoir lieu, surtout en hiver, dans une plaine couverte de légumes, sans porter un notable préjudice aux récoltes des habitants ? Et surtout, les moutons ont cela de particulier, que leur haleine, extrêmement chaude, affecte, d’une manière nui- 324 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs. [ sible, Jes carottes et les luzernes des prés, et les rend très-tendres à la gelée. Les habitants d’Aubervilliers viennent de montrer que leur portion de taille et impositions royales est excessive ; qu’à ces impositions, du moins légales, s’est jointe, depuis quelques années seulement, l’illégale et très -inique taxe des boues ; qu’ils n’ont, pour fournir à cette accumulation d’impôts et à leur misérable subsistance, que des récoltes qui deviennent , d’année en année, plus incertaines, par la multiplication excessive des remises et du gibier. Ce tableau est affligeant sans doute ; et cependant, ils n’ont encore montré qu’une partie de leurs maux et de leurs infortunes. Droits d’entrée exigés à Aubervilliers et dans la banlieue. Ils sont encore assujettis à des droits exorbitants d’entrée pour tous les objets de consommation, le vin et la viande seuls exceptés. Ainsi, tous les matériaux de construction, bois, plâtre, pierre, moëlons, toutes les denrées de première nécessité pour la subsistance tant d’hommes que de chevaux, foins, paille, grains, suifs, chandelle, œufs, beurre, poissons, sucre, café, fagots , bois de chauffage, etc., payent pour entrer dans Aubervilliers. Cette exaction présente aux habitants de la paroisse des caractères si frappants d’injustice, que leur respect et leur amour pour le souverain ne leur permet pas de croire qu’il l’ait jamais autorisée, ou qu’il l’autorise présentement. Ils ne la regardent que comme un fruit cruel de la rapacité des traitants. Quelle exaction, en effet, fut jamais plus injuste ! C’est une loi générale de toutes les villes du royaume que les octrois et droits d’entrée soient substitués partout à la taille, et en tiennent lieu, de sorte que là où l’on paye la taille, on ne paye aucuns droits d’entrée ; et que là où l’on paye les droits d’entrée, au moins on ne connaisse pas la taille. Ainsi, dans la ville de Saint-Denis, on paye les droits d’entrée, bien moins forts toutefois qu’à Aubervilliers -, mais on n’y est pas assujetti à la taille. Quelle ordonnance donc, quelle déclaration légale du souverain a excepté Aubervilliers, et, avec elle, quelques paroisses de la banlieue, de cette loi générale et équitable ? Les habitants d’Aubervilliers n’en connaissent pas. Les fermiers, non plus que leurs satellites, qui battent sans cesse la campagne qui entoure Paris, pour espionner et vexer ses malheureux cultivateurs, ne la leur ont jamais montrée ; et cependant, que de violences et de concussions exercées sous le B rétexte de lever ces prétendus droits d’entrée ! ne armée de commis, soudoyée par la ferme, infeste les plaines de la banlieue, arrête, pille, maltraite, en pleine campagne, tous ceux, hommes et femmes, qu’ils surprennent ou même soupçonnent de contravention. Amendes, confiscations, traitements injurieux, voilà ce qu’éprouvent les habitants des paroisses de la banlieue, qui n’ayant les facultés ni les lumières nécessaires pour opposer une résistance ferme, et poursuivre les fermiers en justice réglée, regardent comme un moindre mal de se laisser dépouiller. Les successions mobilières des habitants envahies par les huissiers-priseurs de Paris. Enfin, les habitants d’Aubervilliers ne parlent qu’avec horreur d’une autre vexation qui frappe sur tous également, mais qui afflige et ruine sans ressource la classe d’entre eux la plus pauvre. La loi et la coutume de Paris contraignent souvent, arrivant le décès des personnes, de faire vendre leurs effets et mobilier. S’agit-il de quelque journalier, ce mobilier, si toutefois on peut l’appeler ainsi, consiste ordinairement en un grabat, une armoire, des linges usés, et quelques meubles et ustensiles. Si la vente de ces misérables effets était faite aimablement, on trouverait, dans son produit, de quoi payer les dettes du défunt, comme loyer de chambre, chirurgien, frais de maladie, d’inhumation, etc. -, et même, ces dettes payées, il pourrait rester quelque chose aux héritiers. Mais les huissiers-priseurs de Paris prétendent avoir le droit d’exercer seuls dans la banlieue, et de procéder à ces sortes de ventes. Si on ne les appelle pas et qu’ils en soient instruits, ils font condamner les promoteurs de la vente à des amendes qui absorbent la succession entière. Si on les appelle, et qu’ils viennent exercer leur ministère, la succession disparaît également entre leurs mains, La vente faite, ils emportent les deniers à Paris, dont rien ne revient plus. Leurs droits de criées, vacations, écriture, bourse commune, qu’ils perçoivent comme s’il était question de la succession*la plus opulente, sont si exorbitants, que le prix tout entier de la vente leur demeure. Ainsi, héritiers et créanciers sont dépouillés. Ils se mettent à la place de leurs droits, et héritent seuls à l’aide du privilège de leur charge. Les, successions un peu plus fortes subissent, à peu près, le même sort ; et quant à celles qu’on peut appeler opulentes relativement au pays, la plus grande partie leur demeure aussi, ou parce qu’ils ont l’art de multiplier leurs frais, ou parce qu’ils abusent de l’ignorance des habitants qui, livrés aux travaux de la campagne, n’ont point de connaissance des affaires , et craignent toujours de se commettre avec les gens de justice. Demandes que font les habitants d' Aubervilliers. Les habitants d’Aubervilliers, en d’autres temps, demanderaient, avec de vives instances, qu’on diminuât le poids excessif de leur taille, et autres impositions royales qui, dans la vérité, n’out aucune proportion avec ces mêmes impositions dans le reste du royaume, et même dans des paroisses pas fort éloignées de la leur. Ils espèrent que dès que l’ordre commencera à se rétablir dans les finances, on s’occupera sérieusement de leur accorder une modération et des adoucissements que la justice la plus rigoureuse sollicite, dès maintenant, en leur faveur. En attendant ces temps plus heureux, ils témoigneront, comme par le passé, leur zèle et leur dévouement entier au bien de l’Etat, auquel ils contribueront de leurs sueurs et de leurs travaux sans relâche, de jour ni de nuit. Mais ils déclarent, sur leur honneur et conscience, que le payement des contributions leur devient d’une impossibilité absolue, si on n’assure le produit de leurs récoltes, et si on ne les délivre des vexations exposées dans le présent mémoire : vexations qui les oppriment et les rongent cent fois plus que la taille et les autres impositions royales. Ils demandent donc : Abolition de la taxe de la boue. Art. 1er. Que la taxe inique et insupportable des boues, qu’on a entrepris d’établir depuis quelques années, soit totalement abolie. Suppression des remises de gibier. Art. 2. Que, pour mettre leurs récoltes à l’abri 325 [États gén, 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mors.] des ravages du gibier, la plaine d’Aubervilliers soit remise au même état qu’elle était il y a trente ans, c’est-à-dire que toutes les remises "de gibier soient supprimées et détruites, attendu que c’est déjà pour les cultivateurs de cette plaine une charge assez lourde d’endurer les moutons des bouchers de Paris et de fournir à leur pâture. Suppression de tous les droits d'entrée sur la paroisse et dans la banlieue. Art. 3. Que tous les objets quelconques de consommation puissent arriver et entrer à Aubervil-liers, sans être assujettis à aucune visite et au payement d’aucuns droits, étant de toutes la chose la plus inique et sans exemple dans le royaume, qu’une même paroisse paye, à la fois, la taille, et soit assujettie à des droits exorbitants d’entrée ; la levée, d’ailleurs, de ces droits, ne se faisant à Aubervilliers et dans la banlieue, par aucune autorité légale, et étant mne pure tyrannie et une usurpation crimineiie des fermiers. Limitation des droits des huissiers-priseurs de Paris. Art. 4. Que les huissiers-priseurs, au cas que le privilège de leur charge leur donne le droit d’exercer seuls, et de procéder aux ventes mobilières dans la banlieue, ne puissent exercer ce droit qu’au décès des seigneurs et bourgeois de Paris ayant des maisons dans Aubervilliers ; mais que ses" habitants, cultivateurs, artisans et journaliers, ne puissent être forcés de recourir à leur ministère, dont les frais exorbitants absorbent la valeur entière de leurs successions mobilières. Addition aux doléances ci-dessus. Les habitants d’Aubervilliers sentent aussi le fardeau des frais de la justice ordinaire, et celui de l’exaction annuelle de la milice, peser douloureusement sur eux. Mais, cédant au sentiment de leur insuffisance, ils laissent aux lumières des hommes versés dans la science du gouvernement, et à des plumes exercées dans la discussion des objets y relatifs, à examiner, discuter, proposer les moyens les plus propres à alléger ce double fardeau, qui foule et opprime les campagnes. Il semble, néanmoins, aux habitants d’Aubervilliers que le premier de ces fardeaux serait bien diminué, si on établissait, dans chaque paroisse, un tribunal rural, à l’instar des justices consulaires, chargé de vider, sans frais ou à des frais bien modiques, les questions purement de 'fait, et les contestations qui s’élèvent pour limites de champs, estimation de dommages, etc., etc. ; tribunal qui serait composé d’un juge seulement, électif par deux ou trois ans (le curé ou le syndic, ou tout autre habitant au choix des paroissiens), d’un greffier, et d’assesseurs choisis à chaque fois, en nombre égal, par chacune des parties. Les frais à allouer au greffier seraient taxés à un prix modique, par l’assemblée générale des habitants de la paroisse. Quant à la milice, cette institution désolante qui enlève des bras à l’agriculture, à chaque paroisse son numéraire, par l’usage abusif, bien pardonnable pourtant, des bourses communes, qui viole les plus saintes lois, de la nature, en arrachant souvent, ou à des parents vieux et infirmes, ou à des frères et sœurs en bas âge, leur soutien et l’unique moyen de leur subsistance ; cette institution, qui est encore contraire au bien de l’Etat, sous ce rapport qu’elle précipite les mariages entre jeunes gens qui n’ont point eu le temps de se procurer, par leur travail, les avances nécessaires pour subvenir aux premières charges du ménage, et dont les enfants, ou périssent de bonne heure victimes de la misère qui les assiège dès le berceau, ou, s’ils parviennent à l’âge adulte, exposés à toutes les tentations qui accompagnent la misère, et dénués de tous secours d’instruction, sont la pépinière de tout ce qu’il y a de mauvais sujets qui entourent les villes et la capitale ; les habitants d’Aubervilliers pensent que cette institution, si contraire au bien de l’Etat en général et à celui des campagnes en particulier, peut facilement être détruite, au moins dans les provinces qui avoisinent Paris, . et substituant aux miliciens des campagnes les enfants trouvés qui inondent Paris et les villes voisines. C’est une loi sacrée de la nature, que les enfants rendent à leurs parents, dans la vieillesse, les aliments en la subsistance qu’ils ont reçus d’eux dans leur bas âge. Les enfants trouvés sont les enfants de l’Etat. Ils n’ont d’autres pères, d’autres parents, que l’Etat qui les a élevés. Qui pourrait donc envisager comme injuste l’obligation à laquelle on les assujettirait de rendre à l’Etat et à la patrie une portion des soins et des avances qu’ils en ont reçus ? Mais, afin que ces enfants devinssent une bonne pépinière de défenseurs de l’Etat, il serait indispensable qu’ils fussent, dès le berceau, élevés, nourris à la campagne, et formés de bonne heure aux travaux qui endurcissent le corps, et rendent la constitution robuste. Que l’Etat distribue donc ces enfants dans la campagne, au fur et à mesure qu’il les reçoit de la main de là Providence ; qu’il paye, pour chacun d’eux, jusqu’à l’âge de dix ans, une pension qui ne sera guère plus forte que les frais qu’ils coûtent dans les maisons où on les élève. Si les fonds attachés à ces maisons ne suffisent pas pour leur entretien, qu’on fasse contribuer les biens du clergé. Qu’on confie le soin aux municipalités des paroisses de campagne de répartir ces enfants, à raison de tant par chaque centaine de feux. On ne manquera ni de fermiers, ni de cultivateurs, gros et petits, qui se chargeront volontiers de ces enfants, pourvoiront à leur vêtement et nourriture, moyennant la pension qu’ils recevront. De plus, à l’assemblée générale des habitants, charger spécialement ses députés à l’assemblée du tiers-état de la prévôté et vicomté, qui se tiendra samedi, 18 du présent mois, de concourir, dans la formation du cahier général qui se fera cedit jour, à tout ce qui sera de justice et de raison, et tendre à la diminution des charges et soulagement de toutes les classes de citoyens, tant des villes que des campagnes, et notamment à faire insérer, dans ledit cahier général, la demande de la suppression totale ou modération considérable des droits de traites, aides et gabelles. Signé Monard , prêtre de l’Oratoire , curé ; De Mars; Claude Tracet; Caron; J. Mézière; Lemoine; F. Bordier; P. Bordier; Christophe Oyot; N. Bordier; G.-G. Boudier; Denis de Mars; J. Oyon; A. Boudier; Feragus; P. Didier; Boudier; Bou-neau ; Marquiau; Bordier; Hemet; Simon David; L. de Mars; Ë. Bonard; Honoré-Claude de Mars; Beannau; C. Degrave; Pierre Sellier; H.-L. Houdet; G. Boudu; Guillaume Bouneau; P. Lezier; Jean Harchy; Levasseur; Hauteau; Jean Bouneaud; Impagne; Jean Mezière; Houdet; Jean-Antoine Furier; Cornu; Jean-Baptiste Reullet; Pierre Mézier; Revalle; Jean-Baptiste Grossier; P. Bou-\ 326 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [États gén. 1789. Cahiers.] [Paris hors les murs.] neau; Marie Courdejean, meunier; P. Coquerel; P.-F. Bordier, et Béville, prévôt de la prévôté. CAHIER Des très-humbles remontrances , supplications , plaintes et doléances de la paroisse d'Aulnay-les-Bondis , assemblée le 13 avril 1789, en vertu des lettres du Roi, du 24 janvier et 28 mars dernier, et de V ordonnance de M. le lieutenant civil du Châtelet de Paris , en date du 4 courant (1), Art. 1er. Ladite paroisse croit qu’il est nécessaire que l’on veuille bien abolir les privilèges pécuniaires, comme tendant tous à la charge des peuples, en conservant néanmoins à la noblesse les privilèges honorifiques qui ne peuvent qu’encourager cet ordre. Art. 2. Que l’impôt soit abonné, afin de parvenir à diminuer les frais de perception, qui sont souvent plus considérables que l’impôt même. Art. 3. Que la taille et ses accessoires soient suppléés par un autre impôt, dont la répartition soit plus facile, et qui porte également sur tous es contribuables. Art. 4. Que, depuis que la paroisse paye tous les ans, pour la corvée, plus de 900 livres, on a retiré le pavé, qui traverse le village d’un bout à l’autre, de l’entretien du Roi, ce" qui n’est pas juste. Si M. le président de Gourgues , seigneur du lieu, ne l’eût pas fait accommoder l’automne dernier, il serait absolument impraticable; et, pour cela, il lui en a coûté plus de 300 livres, qui auraient dû être prises sur ce que la paroisse paye. Il serait à désirer aussi, pour le bien public, que l’on fît construire un pavé, d’Aulnay au marché de Gonesse, qui faciliterait le transport des blés de tous les environs, qui ne peuvent y arriver pendant six mois de l’année, à cause des mauvais chemins, et un autre, qui aille d’Aulnay à Blancmesnil, où il n’y a qu’une demi-lieue pour faciliter la communication de Meaux à Saint-üenis, tout le reste étant pavé. Art. 5. Que les terres étant classées dans cette paroisse d’une manière irrégulière, et plus haut que les paroisses voisines qui sont d’un meilleur fonds, il en soit fait un nouveau qui les remette à leur valeur. Art. 6. Que les propriétés soient respectées comme le lien le plus sacré de la société. Art. 7. Demande, ladite paroisse, que toutes les capitaineries soient supprimées ; et demande aussi la destruction des grandes bêtes qui font un tort considérable aux bois et aux grains qui se trouvent dans les environs desdits bois, et même jusqu’à une lieue de distance : ce qui influe beaucoup sur les récoltes. Art. 8. Que la chasse anglaise soit supprimée. Cette chasse, consistant à lâcher un cerf dans une plaine, éloignée des bois, età courir après avec des chevaux et des chiens, cause un dégât énorme dans les terres ensemencées, surtout dans les temps de pluie et de dégel. Les propriétaires ne sont pas dédommagés du quart de leur perte; et quand ils le seraient, cela occasionne toujours une diminution considérable dans les récoltes; et par conséquent, elle est très-préjudiciable au public. Art. 9. Que les baux faits parles ecclésiastiques soient exécutés pour le temps qu’ils seront fixés, même dans le cas où ils décéderaient avant l’expiration. Art. 10. Que les pauvres habitants de cette paroisse qui ne payent que 20 sous de gros de taille, soient exempts de toutes impositions, étant hors d’état d’en payer. Art. 11. Que la mendicité soit absolument proscrite, et que, pour y parvenir, chaque paroisse soit obligée de nourrir ses pauvres. Art. 12. Que la gabelle, déjà jugée par le Roi comme étant un impôt désastreux, soit supprimée, le sel étant nécessaire aux bestiaux dans plusieurs maladies. Le prix excessif où il est porté empêche d’en employer ; et par conséquent, nuit à l’agriculture. Le peuple est aussi obligé de s’en passer. Art. 13. Que le bien public exigeant que l’on prenne des terrains pour faire les grandes routes, il est de toute justice que les propriétaires en soient dédommagés. Art. 14. Qu’il paraît de toute justice que chaque particulier soit libre dans sa clôture, sans pouvoir y être inquiété. Art. 15. Qu’il est absolument indispensable de prendre des précautions pour qu’à l’avenir l’exportation des grains ne puisse pas servir aux monopoleurs à faire monter le grain à un prix où le pauvre ne peut atteindre, comme dans ce moment-ci. Art. 16. Qu’il serait nécessaire de faire réduire la quantité des lapins et autre gibier,' de manière que celui qui en aurait pour occasionner du dégât, en fût responsable envers le public à qui il fait tort. Que l’on ne pense pas 'Cependant qu’il faille les détruire totalement, non plus que les pigeons, parce qu’à leur défaut on serait obligé de consommer plus de viande de boucherie, ce qui en ferait nécessairement augmenter le prix qui est déjà hors la portée du malheureux; mais qu’il n’en existe que ce qui peut ne pas nuire au public. Art. 17. Qu’il serait du plus grand danger d’admettre le divorce qui occasionnerait un bouleversement général en France, et serait le sujet du plus grand scandale. Art, 18. Représente, ladite paroisse, qu’il y a environ dix ans que l’on a supprimé quatre ponts sur la route qui conduit de Paris à Mitry, qui traverse tout le territoire : ce qui occasionne beaucoup de dégâts par le gonflement des eaux qui, faute d’égoût, se répandent dans les terres qui avoisinent ladite route. La paroisse en demande la reconstruction. Sïgnë Bourin; Frapart; Fessart ; Delacour; de Soliié ; L. Page ; Filliats; Hedelin; Fourquin; Domage ; Page; Boileau; Depancir; Petitain; Chartier ; Boileau, et Yeclosanbert. CAHIER Des plaintes et doléances de la paroisse d'Auteuil-les-Paris (1). AUX ÉTATS GÉNÉRAUX. La paroisse d’Auteuil-les-Paris, baignée de larmes, prosternée aux pieds des autels, adresse humblement ses prières à Dieu, pour qu’il daigne conserver dans les trois ordres qui composent cette auguste assemblée, une parfaite union ; persuadée que ce sera le moyen le plus efficace de rétablir les finances du royaume totalement épuisées, de réformer les énormes abus qui se sont (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire.